Traité du gouvernement civil (trad. Mazel)/Chapitre XVI

Traduction par David Mazel.
Royez (p. 297-299).


CHAPITRE XVI.

De l’Usurpation.


Ier. Comme une conquête peut être appelée une usurpation du dehors et étrangère, de même l’usurpation peut être nommée une conquête domestique ; avec cette différence, qu’une usurpation ne sauroit jamais avoir le droit de son côté, au lieu qu’un conquérant peut l’avoir, pourvu qu’il se contienne dans les bornes que la justice lui prescrit, et qu’il ne se saisisse pas des possessions et des biens auxquels d’autres ont droit. Quand les règles de l’équité sont observées, il peut bien y avoir changement de personnes et de conducteurs, mais non changement de forme et de loix dans le gouvernement ; car, si l’on étendoit son pouvoir au-delà du droit et de la justice, ce seroit joindre la tyrannie à l’usurpation.

II. Dans tous les gouvernemens légitimes, une partie considérable de la forme du gouvernement et des privilèges naturels et essentiels des peuples, c’est de désigner les personnes qui doivent gouverner. L’anarchie ne consiste pas seulement à n’avoir nulle forme de gouvernement et d’état, ou à être convenu qu’il seroit monarchique, mais à n’avoir établi aucun moyen pour désigner les personnes qui doivent être revêtues du pouvoir monarchique, ou de quelqu’autre. Ainsi tous les véritables états ont, non-seulement une forme de gouvernement établie, mais encore des loix et réglemens pour désigner certaines personnes, et les revêtir de l’autorité publique ; et quiconque entre dans l’exercice de quelque partie du pouvoir d’une société, par d’autres voies que celles que les loix prescrivent, ne peut prétendre d’être obéi, quoique la forme de gouvernement soit toujours conservée ; puisqu’en ce cas, la personne qui gouverne n’a pas été désignée et nommée par les loix, et par conséquent par le peuple. Ni un tel usurpateur, ni aucun descendu de lui, ne sauroit avoir une domination juste et légitime, jusqu’à ce que le peuple ait eu la liberté de donner son consentement et l’ait actuellement donné, en sorte qu’il ait approuvé et confirmé l’autorité et l’exercice du pouvoir d’un tel homme, dont, sans cela, le pouvoir sera toujours un pouvoir usurpé et illégitime.