Traité des sièges et de l’attaque des places/33

DÉMONSTRATION DES EFFETS DE LA POUDRE

Effets de la poudre. Remarquez premièrement, que l’activité de la poudre enflammée est si vive et son action si prompte, qu’on ne saurait distinguer d’intervalle entre les deux. Tout se fait dans le même instant avec une violence qui ne va pas moins qu’à rompre et mettre en pièces tout ce qui lui fait obstacle.

Fig. 1.
Pl. 16.
Imaginons-nous après cela un globe de poudre , de telle grandeur qu’on voudra, suspendu en l’air, sans qu’aucune de ses parties touche à terre, il est certain que si on y met le feu, l’étendue de son inflammation formera un autre globe autour du premier, dont tous les rayons seront égaux ;

Que tous s’éloigneront également du centre dans le même instant, et qu’ils s’étendront autant vers le bas que vers le haut ; et bien que le feu, de sa nature monte toujours, l’activité de la poudre enflammée ne donnera pas le loisir à celui-ci de s’assujétir à cette loi.

Mais si ce même globe était à demi plongé, comme , fig. 2, dans une matière dure et capable de résister à l’action de la poudre, il est évident que toute l’activité de son embrasement se porterait sur la partie libre, qui, n’étant point contenue, les rayons de la partie contrainte se joignant à ceux de la partie libre, produiraient sur ce demi-globe tout l’effet répandu autour du globe entier ; d’où s’ensuivrait que les rayons de la partie contrainte joindraient toute leur force à ceux de la partie libre, ce qui doublerait la force des deux, et à même temps l’étendue de leur embrasement, représentée par les rayons de la deuxième fig.

Que si cette même quantité de poudre était encore plus resserrée, et qu’au lieu de lui laisser le demi-globe entier, on ne lui laissait que le quart Pl. 16. contenu par l’angle fig.  ; le surplus de ce qui pourrait l’environner étant de matière dure capable de la résistance nécessaire ; alors tous les rayons de l’embrasement se joignant dans la partie libre redoubleraient encore de force, et s’allongeraient au double de ceux du demi-globe, et au quadruple de ceux du globe entier ; d’où s’ensuivrait encore que toute la violence qui accompagne son activité continuerait toujours à s’unir et renforcer à mesure que l’ouverture de son inflammation serait diminuée, comme il est représenté par la troisième figure.

Si on continuait à resserrer de plus en plus les ouvertures de cette même quantité de poudre, elle augmenterait toujours de force et d’activité à proportion de la diminution de l’ouverture qu’on laisserait à sa fuite ; et cela, sans rien perdre de sa force : car si au lieu de réduire la fuite de son embrasement au quart du globe, comme ci-dessus, Suite de la démonstration des effets de la poudre. on la réduit au huitième, comme fig.  ; certainement les rayons dudit embrasement s’allongeront huit fois autant que ceux du globe entier, et réuniront en eux toute la force et l’activité dudit globe, comme il est représenté à la quatrième figure.

Que si, au lieu de cette ouverture angulaire, on réduit l’espace de sa fuite à un canal rond ou carré, de capacité proportionnée à celle des poudres destinées à l’embrasement, et que les environs de ce canal soient de matière dure et capable de toute la résistance nécessaire, l’embrasement de la poudre qui se dirigera par ce canal, agira avec une violence extrême dans toute sa longueur, et poussera avec un éclat et une impétuosité surprenante, tout ce qu’elle trouvera à son chemin, bien loin au-delà de la bouche dudit canal, comme il est représenté par la cinquième figure.

Rendons présentement l’effet des mines intelligible, autant que le sujet le pourra permettre.

Application aux mines.
Pl. 16.
Soit donc la mine fig. , engagée de 5 ou 4 toises sous la superficie de la terre, le plus ou moins n’y fait rien. Si nous la supposons enflammée, les rayons de l’inflammation seront sûrement contenus par le bas soutenu de tout le globe de la terre opposé au vide qui est à sa superficie ; ils le seront aussi par les côtés segmens de ce même globe, d’une épaisseur immense. Ils le seront encore par les deux triangles parce qu’ils participent encore beaucoup des solides précédens, à joindre que représente la Formation de l’entonnoir ordinaire. superficie de la terre, dont la distance au centre de l’embrasement est la moindre de toutes, et conséquemment le plus faible des environs. Il est donc évident que l’effort de la mine se fera par le point qui est le plus près de l’embrasement, puisque c’est la partie la plus faible, et que les parties participant beaucoup de cette faiblesse, seront à peu près enlevées de même, ou du moins fort écartées de leur place d’où il suit que l’effet d’une mine raisonnablement chargée, ne force jamais que la moitié des parties de à savoir La raison est que toutes les parties de en tenant du plus fort, résisteront à toutes les parties qui, tenant du plus faible, céderont et seront enlevées par l’effet de la mine ; à quoi s’accordent très-bien toutes les expériences qui ont été faites jusqu’ici en plein terrain ; ce qui prouve encore que la poudre suit la loi naturelle des mécaniques, et agit toujours du côté le plus faible, comme tous les corps qui ont un mouvement libre.

Suivant ce raisonnement, le demi-globe est divisé en quatre parties égales, dont les deux faibles sur qui l’action se fait, faisant le quart de la capacité, l’angle de la mine ou du cône renversé est droit, ou à peu près ; et c’est sur cela que nous nous règlerons ci-après pour le calcul de l’excavation des mines.

Nota. Que bien que l’effet d’une mine soit ici représenté en terrain égal ou de niveau, et que par conséquent il semble devoir être tel que le représenté à la sixième figure, il ne l’est ainsi que pour en faciliter la démonstration, car on ne fait guère de mine de la sorte, si ce n’est quelque fougasse sous des glacis de contrescarpe, pour faire sauter un logement de tranchée trop avancé.

Celles que l’on fait sont d’ordinaire sous des remparts de place, des tours, des dehors, et des bords de fossé, pour ébouler, abattre, tirer bas ou pousser en avant, et non pour élever à plomb. Mais bien que les superficies en soient fort inégales, et l’action biaise ; les mêmes principes subsistent toujours, et il suffit de diriger le faible de la résistance du côté où vous voulez faire l’éboulis, de charger à propos et bien boucher, pour être sûr qu’elle poussera son effet de ce côté-là, quelque inégalité qu’il se trouve dans le haut des terres.