Traité des sièges et de l’attaque des places/29

PRISE DE LA DEMI-LUNE.

La prise de la demi-lune devant précéder celle des bastions, nous nous attacherons à décrire les préparatifs qui doivent précéder son attaque et sa prise, selon les règles que j’y voudrais observer.

Comme on embrasse les angles des demi-lunes des deux côtés, Batteries marquées d.
Pl. 15.
il faut aussi les battre des deux côtés de 4 ou 5 pièces de canon chacun, commençant les deux ensemble par la pointe en tirant vers les épaules, jusqu’à ce qu’on ait fait 12 à 15 toises de brèche bien éboulée de part et d’autre Largeur des brèches à la demi-lune.de son angle flanqué ; observant de toujours battre en sape à 2, 3, 4, 5 à 6 pieds près du pied des murs au plus, et de ne pas tirer un seul coup de ces batteries contre le haut, mais toujours contre le bas et en salve ; ramasser tous les coups ensemble, et ne pas quitter les endroits auxquels on se sera attaché, qu’on ne voie tomber Signe que le revêtement est entière­ment coupé.la terre du derrière du revêtement ; cela marquera qu’il est entièrement coupé.

Cette manœuvre exécutée à la lettre, on biaise les pièces sur ce qui n’a point été entamé ; on fait aussi deux descentes, et autant de passages de fossé marqués , planche 15, vis-à-vis l’extrémité des brèches du côté des épaules, etc.

Nous avons déjà dit qu’il fallait couvrir en galerie le trajet du chemin couvert, parce qu’il est Largeur des galeries blin&shy ; dées.plongé, enfilé et sujet aux pierres et grenades à cuillers ; cette galerie ne doit pas avoir moins de quatre pieds et demi à cinq pieds de large, même six ; il suffit de l’épauler du côté de la place.

Pour la bien faire, il faut avoir des blindes, plus fortes de bois que les communes. Si le fossé de la demi-lune est sec, il faudra prendre dans le fond Voir le pas&shy ; sage de fos&shy ; sé marqué C.
Pl. 11.
même la terre nécessaire à se couvrir si on peut s’y enfoncer, et y employer beaucoup de fascines et de sacs à terre.

Quand la terre est rare, on en fait brouetter si la galerie est large et commode ; sinon on la fait passer de main en main avec des paniers ou à la pelle ; outre quoi, on y emploie encore une grande quantité de fascines, qui est l’espèce de matériaux les plus en usage pour ces sortes d’ouvrages.

Pendant qu’on y sera employé, il faudra animer les ricochets un peu vivement, et même les renforcer de quelques pièces, un jour ou deux avant l’attaque ; il y faudra aussi ajuster les batteries à bombes et à pierres, afin d’occuper ceux qui seront à sa défense, les empêcher d’inquiéter le passage du fossé, et de se retrancher dans sa gorge ; il faudra même faire chercher sa communication à la place par les ricochets des bastions.

Si tout cela est bien mené, la défense de cette pièce deviendra très-dangereuse pour ceux qui la soutiendront ; il ne se faudra point presser de l’attaquer, mais laisser bien ouvrir les brèches en battant toujours en sape ; le parapet suivra l’éboulis, et quand le revêtement sera tombé, si les contre-forts ne suivent pas, il les faudra battre aussi, et y employer le canon des batteries biaisées Pl. 15.comme les figurées qui peu de temps après et quand la demi-lune sera expédiée, pourront être Emploi des bombes pour élargir les brèches.utilement employées contre les bastions ; faire aussi tirer des bombes dans l’excavation et sur le bord même des brèches, et du canon dans le haut quand il ne reste plus que peu d’épaisseur au parapet ; et pendant qu’on travaillera à cet éboulement, continuer les passages du fossé de part et d’autre, et les très-bien épauler en sorte qu’on y puisse être à couvert, et que la descente soit libre et dégagée ; se préparer à même temps au Préparatifs pour se loger sur la demi-lune.logement par l’amas des matériaux nécessaires, comme fascines, gabions, sacs à terre, et quantité d’outils dont il faudra faire de bons amas le plus près qu’il sera possible, sans embarrasser la tranchée, les ranger sur les revers en tas : bien accommoder les logemens qui doivent faire feu ; préparer toutes les batteries de canons, de bombes et de pierriers ; faire commander cinq ou six compagnies de grenadiers d’extraordinaire, à telle fin que de raison, et avertir ceux qui commanderont les batteries de ce qu’ils auront à faire, suivant les signaux qu’on leur fera ; et pour cet effet, les faire venir sur les lieux pour les voir de plus près, et recevoir leurs instructions.

Manœuvre ingénieuse pour s’empa­rer de la demi-lune sans livrer d’assaut.Le signal se pourra faire par un drapeau qu’on élèvera sur la pointe des logemens du chemin couvert, en lieu où il puisse être vu de toutes les batteries à même temps et des logemens, observant de faire ôter tous les autres. Moyennant quoi, tout étant prêt, les fusils passés entre les sacs à terre, prêts à faire feu, ils attendront en silence le signal qui sera de hausser le drapeau quand il faudra faire feu, et de le baisser quand on le voudra faire cesser. Cela préparé de la sorte, et les brèches en l’état désiré, on fera monter deux ou trois sapeurs dans la brèche, non vers la pointe, mais sur la droite et la gauche, joignant les endroits où finira la rupture des murs du côté des épaules, où il se fait pour l’ordinaire un couvert entre la partie du revêtement qui demeure sur pied, et celle qui tombe.

Instructions aux sapeurs pour le loge­ment.Ces deux ou trois sapeurs se mettent dans ces couverts et tirent les décombres en bas en remontant vers le haut, ils feront place pour eux et pour deux ou trois autres qu’on y fera monter, avec ordre à tous de s’en revenir quand l’ennemi se mettra en devoir de les en chasser ; auquel cas, aussitôt qu’ils en seront dehors, il faudra faire le signal, et les batteries de toutes espèces et les logemens faisant leur devoir, il est sûr que l’ennemi n’y demeurera pas long-temps et qu’il en sera bientôt écarté.

Sitôt qu’on s’en apercevra, il faudra baisser le drapeau et faire remonter les sapeurs qui reprenant leur ouvrage, le diligenteront de leur mieux, avec ordre de l’abandonner comme la première fois dès que l’ennemi s’y représentera, ce qu’il pourra bien faire une deuxième fois, et même une troisième ; à chaque fois il faudra toujours recommencer le carillon des batteries, même de celles du chemin couvert ; cela ne saurait faire qu’un spectacle réjouissant dont le dénouement tournera bien certainement à la confusion de l’ennemi. Ce ne sera apparemment qu’à la première ou deuxième fois qu’il reviendra, qu’il fera jouer des mines, s’il y en a, ce qui sera le signal de l’abandon de la pièce : cependant ces mines ne seront pas d’un grand effet, attendu qu’elles joueront à vide si nos gens n’y sont pas, ou dans l’endroit où il n’y aura personne, comme à la pointe ; ou dans celui où il y en aura peu, auquel cas elles ne pourront attraper que trois ou quatre hommes au plus. Cependant nos sapeurs auront préparé quelques couverts dans l’excavation, qu’il faudra occuper par de petits détachemens quand il en sera Prolongement du logement à droite et à gauche.temps, sans se trop presser ; mais sitôt qu’il aura abandonné, il faudra travailler de vive force au logement, le faire et bien assurer dans l’excavation des brèches et non plus avant ; et ensuite l’étendre à droite et à gauche sur le rempart, et y entrer par des sapes formant une portion de cercle qui occupe tout le terre-plein de son angle flanqué, d’où on coulera après par les extrémités le long des faces de la droite et de la gauche, jusqu’à ce qu’on se soit mis en état de forcer les retranchemens de la gorge, ce qui n’ira pas loin.

Voir les loge­mens dans la demi-lune, marqués g.
Pl. 15.
La suite du logement de la demi-lune sera continuée jusqu’à son entière occupation, qui ne sera terminée que par la prise du retranchement de la gorge, et par s’établir tout le long de ses bords, ce qui se fera par le prolongement des sapes à droite et à gauche le long du rempart, comme il est dit ci-dessus, et par une tranchée menée par le dedans de la pièce : les uns, savoir, les prolongemens des sapes vous mettront à portée de prendre les traverses, et en état de voir la communication de la tenaille à la demi-lune ; et l’autre, d’attaquer les retranchemens de la gorge quand il en sera temps.

Pendant que cette manœuvre achèvera de se discuter, disons notre pensée sur les demi-lunes de terre.

Jusqu’ici nous n’avons parlé que des revêtues ; parlons maintenant de celles qui ne le sont pas, ou qui ne le sont que de gazons ou de placage, fraisées et palissadées.

Attaque des demi-lunes de terre.Il faut procéder à leur attaque, de même qu’à celles qui sont revêtues, jusqu’à l’ouverture des brèches, c’est-à-dire que les attaques, batteries de toutes façons, logemens du chemin couvert, descentes et passages de fossé, doivent être la même chose.

À l’égard des brèches, comme il ne sera pas question de revêtement, il suffira de raser la fraise, les palissades, ou la haie vive s’il y en a, de bien labourer les talus extérieurs de la pièce, et d’en rompre la pointe, afin que tous ces éboulis fassent et facilitent de grandes montées dont on se servira quand on voudra la faire attaquer, soit en gros ou en détail ; soit par l’une ou l’autre des manières ci-devant énoncées[1].

Voyons présentement ce qui se passe à l’attaque des bastions.

  1. Ces mots doivent se rapporter à la prise du chemin couvert ; car ici Vauban n’enseigne qu’un moyen de s’emparer de la demi-lune, savoir, à la sape. On sait qu’il n’approuvait pas en général les assauts à cet ouvrage : « Vous y perdrez tel homme qui vaut mieux que le ravelin, » avait-il dit au Roi, au siége de la citadelle de Cambrai, en 1677. On y perdit 400 hommes, et l’on ne prit la demi-lune que plus tard, en l’attaquant selon les règles qu’il recommande ici d’observer. (Allent, Histoire du Corps du Génie. Paris, 1805, page 141.)