Traité des aliments de carême/Partie 2/De la nature des assaisonnements

Jean-Baptiste Coignard (Tome IIp. 1-79).


TRAITÉ
DES ALIMENS
DE CARESME.


SECONDE PARTIE,

Où l’on examine la nature des Assaisonnemens en particulier, & plusieurs points concernant l’Abstinence.




De la nature des Assaisonnemens considerez en détail.



LES viandes maigres étant pour l’ordinaire plus insipides, ou d’une qualité plus froide que les autres, ont plus besoin d’être corrigées par les assaisonnemens ; mais faute de bien connoître la qualité de ces assaisonnemens, il arrive souvent qu’on en abuse, & qu’au lieu de rendre par-là les alimens maigres plus propres à nôtre nourriture, nous les rendons pernicieux. Il est donc important d’examiner la nature de chaque assaisonnement en particulier, afin que sur les differentes qualitez que nous y remarquerons, chacun puisse juger de l’usage qu’il en doit faire en Carême, & c’est par cet examen que nous commencerons cette seconde Partie.

Les assaisonnemens dont nous avons à parler, sont le Lait, le Beurre, l’Huile, le Miel, le Sucre, le Sel, le Poivre, le Gingembre, le Girofle, la Muscade, la Canelle, le Safran, le Vinaigre, le Verjus, la Moutarde, l’Oignon, & l’Ail. Comme l’Auteur du Traité des Dispenses a fait une longue digression sur ces mêmes Articles, nous examinerons, quand l’occasion s’en presentera, quelques-unes de ses remarques.


DU LAIT,


Le lait dont on a coûtume d’user dans les alimens, est le lait de vache. Ce lait, comme tous les autres, est une liqueur blanche produite dans l’estomac par le moïen de la digestion, distribuée de-là aux mammelles de l’animal par les voïes du sang, & composée de trois sortes de substances qui s’en séparent aisément ; sçavoir, la butyreuse, qui domine plus dans celui de vache, que dans aucun autre ; la caseuse, & la sereuse. Il est rafraîchissant par lui-même ; mais emploïé en assaisonnement, il perd un peu de cette qualité, parce qu’on le fait cuire, & que la cuisson lui ôte de sa partie sereuse, en quoi consiste sa qualité rafraîchissante, ainsi que nous le dirons plus bas. Le lait crud demande de grandes précautions, & il doit être ordinairement seul dans l’estomac, sans quoi il s’altere & se corrompt aisément. Le lait cuit au contraire souffre le mélange des alimens, & il n’est point sujet à s’aigrir & à se cailler dans l’estomac, comme l’autre. La qualité du lait est non seulement de rafraîchir, mais encore d’adoucir. Il conserve cette derniere proprieté dans l’assaisonnement, & il la communique aux viandes avec lesquelles on le mêle ; ensorte que si elles ont quelque chose de trop acre, il les corrige ordinairement. Il acquiert en même temps deux autres proprietez par le moïen de la cuisson ; l’une, de lier les parties trop subtiles des alimens, & en les empêchant de se dissiper aussi vîte qu’elles feroient, de les rendre par-là plus nourrissantes ; l’autre, de resserrer un peu le ventre, et d’être propre par consequent avec les viandes que l’on craint qui ne lâchent trop, comme les épinars, les citroüilles, &c. L’Auteur du Traité des Dispenses, en parlant du lait comme assaisonnement, dit qu’il vaut mieux crud que cuit, & seul que mêlé avec d’autres alimens. Mais le lait ne s’emploïe gueres crud en assaisonnement ; & s’il n’est mêlé avec d’autres nourritures, ce n’est plus un assaisonnement.

Quand on prend du lait le matin pour se rafraichir, il est sûr qu’il vaut mieux le prendre crud que cuit, & seul que mêlé avec les alimens : c’est ce que remarquent Gontier, Gesner, Sebizius, que nôtre Auteur cite pour s’autoriser, & qu’il n’a pas entendus, puisqu’ils ne prétendent point parler ici du lait comme assaisonnement. Mais enfin, que nôtre Auteur nous dise si le lait que l’on donne aux enfans dans leur boüillie, ne leur est pas meilleur cuit que crud.

Nous avons dit que le lait étoit de sa nature rafraîchissant. On soûtient dans le Traité des Dispenses, qu’il est chaud, & propre à s’enflammer : voïons sur quelles raisons. « D’habiles Medecins, nous dit l’Anonyme, ont trouvé le lait chaud & propre à s’enflammer. Un peu de refléxion, réprend-il, doit faire entrer tout le monde dans cette derniere pensée. En effet, le lait n’étant qu’un sang commencé, doit contenir les mêmes principes qui doivent composer le sang ; il est par conséquent huileux, plein de soufre, mais d’un soufre grossier encore, & peu développé en comparaison de celui du sang ; c’est aussi ce que prouve l’Analyse, qui découvre beaucoup de soufre dans le lait, suivant M. Lemeri[1]. »

Il est important de remarquer ici, que l’Auteur est absolument de même avis que M. Hecquet sur les Analyses chymiques, & qu’il soûtient avec lui qu’elles sont trompeuses, & peu propres à nous découvrir ce qui est contenu dans les mixtes ; qu’on ne sçauroit répondre que les principes qu’elles nous font voir, ne soient pas plûtôt les enfans du feu, que les veritables productions de la nature[2]. C’est une doctrine répanduë en plusieurs endroits du Traité des Dispenses. Il faut encore observer qu’il pense, avec M. Hecquet, que le sang est une liqueur si homogene[3], que si on y decouvre diverses sortes de sels par la distillation, & par les Analyses chymiques, ces sels neanmoins n’y furent jamais. « On a été contraint, nous dit-on dans le Traité des Dispenses, de reconnoître que le sang est une liqueur qui est parfaite d’abord, simple, douce, laiteuse, & incompatible avec les sels dont on le croïoit composé : l’alcali qu’on y trouve, n’y vient que par l’action du feu qui en est l’auteur & le pere ; & l’acide qu’on y a cherché avec tant de soin, ne s’y trouva jamais[4]. Le sang est une liqueur non salée naturellement, qui s’exhale & s’évapore sans laisser que trés-peu de terrestreitez ou de têtes mortes : le peu qui en reste par l’Analyse chymique est une creature du feu. La transpiration journaliere qui se fait du sang en est une preuve incontestable ; car cette sorte d’analyse & de distillation, où le feu n’a point de part, le fait évaporer sans qu’il en reste rien[5]. »

Qui a jamais oüi dire que la transpiration du corps fasse évaporer le sang, sans qu’il en reste rien ? Cette découverte est bien nouvelle, mais ce n’est pas ce qu’il s’agit de relever ici. Il est question de faire voir que l’Auteur du Traité des Dispenses contredit ses propres principes. Car[6] enfin comment un homme qui se défie si fort des analyses chymiques, & qui s’en défie, sur tout pour ce qui regarde la nature du sang, peut-il les admettre pour ce qui regarde la nature du lait qui est un sang commencé ? Le lait, dit-il, n’étant qu’un sang commencé, & devant contenir les mêmes principes que le sang, doit être par conséquent huileux, plein de soufre, & c’est aussi, continuë-t-il, ce que prouve son Analyse, suivant M. Lemeri.

Comment se peut-il faire que les principes qu’on découvre dans le sang par les analyses chymiques, soient les effets du feu, & que les principes qu’on découvre dans le chyle ou le lait[7], par les mêmes analyses, soient des principes réels, & indépendans du feu ? On trouve en même temps ici une autre contradiction ; car le sang qui est une liqueur homogene, selon l’Auteur, est cependant, selon lui, une liqueur heterogene, sujette à toutes sortes de troubles, puisqu’elle est, à ce qu’il dit, pleine de soufres, & de soufres exhaltez ; & qu’avec cela il ajoûte, quelques pages plus bas, que le sang des vieillards a besoin de quelque chose de sulfureux qui en concentre l’acide, & que[8] c’est pour cela que le beurre leur convient : il s’ensuit donc qu’il y a de l’acide dans le sang, & qu’ainsi le sang contient du soufre & de l’acide, ce qui est pourtant tout le contraire de ce que prétend nôtre Auteur. Mais ce n’est pas tout, il dit que[9] si par l’Analyse, on tire de l’acide du sang, cet acide est moins une portion de cette liqueur distilée, que des intermedes qu’on emploïe pour cette operation : & ensuite pour prouver qu’il y a de l’acide dans le sucre, il dit que[10] l’analyse du sucre bien purifié, donne un acide trés-corrosif. Comment s’accorde tout ceci ? Quand l’analyse du sucre donne de l’acide, cet acide vient du sucre ; & quand l’analyse du sang donne de l’acide, cet acide vient des intermedes qu’on emploïe dans l’operation. N’est-ce pas-là se mocquer des Lecteurs ? Enfin, selon l’Anonyme, les analyses chymiques sont de mauvais moïens pour découvrir la qualité des mixtes ; & cependant, c’est sur ces analyses qu’il appuïe tout ce qu’il avance de plus considerable, en faveur des alimens maigres. S’agit-il, par exemple, de faire voir la bonté des lentilles ? « L’observation[11] des Chymistes prouve l’innocence de ce légume, qu’ils trouvent composé d’une matiere terrestre à la verité, mais mêlée de beaucoup d’huile & d’assez peu de sel. Faut-il recommander les tanches & les anguilles ? La Chymie y découvre abondamment d’huile & de volatil ; en sorte que la santé n’a à craindre de ces alimens[12], que leur délicatesse, laquelle venant à augmenter par les assaisonnemens qu’on y mêle, expose les imprudens à des indigestions. » Est-il question de prouver que la chair mollasse du flez & du carelet, n’est point si méprisable qu’on le croit ? « Ces poissons[13], nous dit-on, renferment sous cette apparence de chair mollasse, une grande quantité d’huile & d’esprit, quand on en fait l’analyse. » Faut-il excepter les grenoüilles de la sentence prononcée contre l’usage des amphibies en Carême ? on allegue le témoignage d’un Chymiste, qui prétend avoir connu par l’analyse, que les grenoüilles ont peu de volatil. Faut-il enfin prouver que le lait est chaud ? on nous avertit que, selon M. Lemeri le Chymiste, l’analyse y découvre beaucoup de soufre. Mais passons à l’Auteur toutes ces irregularitez qui choquent ses propres principes, & voïons si effectivement, la raison qu’il allegue, prouve que le lait soit si chaud. Le lait, dit-il, est huileux, plein de soufre ; & c’est ce que fait voir son analyse, selon M. Lemeri. Il est certain, indépendamment de tout ce que M. Lemeri peut avoir écrit la-dessus, qu’il y a du soufre dans le lait ; mais il est constant aussi, qu’il y a encore plus de phlegme. Or ce phlegme en tempere si fort le soufre, que tous ceux qui ont examiné avec attention les effets du lait, conviennent qu’il est rafraîchissant & humectant. Tout lait, dit un celebre Auteur que nous avons déja cité plus d’une fois, tend à rafraîchir & à humecter, pourvû qu’il soit bon : Omne lac, modo probatissimum sit, ad frigiditatem & humiditatem vergit.[14] En effet, il contient un petit lait dont la qualité est trés-froide ; or ce petit lait étant confondu avec les soufres du lait, fait une liqueur temperée qui rafraîchit sans refroidir.

Le lait, quand on en use souvent, & qu’on le prend pur, laisse entre les dents une humeur acide qui les ronge peu à peu, & qui les fait carier, il gâte aussi les gencives en les ramollissant :[15] ce qu’on peut néanmoins prévenir en se lavant la bouche aussitôt aprés avoir pris du lait. Mais quand il est mêlé avec les viandes, on n’en doit pas craindre le même effet, car outre qu’il est en moindre quantité, & que les alimens le corrigent, il s’arrête moins aux dents. Plusieurs Boulangers ont coûtume de paitrir une partie de leurs pains avec du lait, ce qui a son inconvenient pour la santé ; car outre que par ce moïen la farine du plus mauvais froment paroît aussi blanche que celle du meilleur, il s’en faut de beaucoup que le pain qui est paitri au lait, soit aussi sain que l’autre. Il produit un suc grossier & épais qui embarrasse les visceres, & qui cause ordinairement des obstructions dangereuses.[16] Nous en avons vû quelques exemples, & deux entr’autres qui paroissent convainquans ; l’un d’un Vieillard tourmenté d’un asthme violent, dont il fut délivré en s’abstenant seulement de cette sorte de pain, qui étoit son pain ordinaire ; l’autre d’une Dame attaquée depuis plusieurs années de palpitations, & accoutûmée au même régime, laquelle guerit enfin en ne mangeant plus que du pain paîtri à l’eau.

Nous avons dit que le lait cuit resserroit le ventre, mais nous n’en avons point donné de raisons ; voïons si l’Auteur du Traité des Dispenses, qui est là-dessus de même sentiment, nous en pourra fournir quelqu’une. Le lait cuit, dit-il[17], bouche & serre le ventre, apparemment parce que trop développé par l’action du feu, il est emporté dans le sang & à l’habitude du corps. Sans mentir, voilà une raison bien singuliere. Le lait cuit resserre & bouche le ventre, parce qu’il est emporté dans le sang & à l’habitude du corps. Mais s’il est emporté dans le sang & à l’habitude, comment peut-il boucher le ventre où il n’est plus ? disons plûtôt que le lait cuit produit cet effet, parce que la partie sereuse du lait s’est considerablement dissipée par le feu, & qu’il ne reste que la plus épaisse. Il est bon d’avertir que le lait est dangereux aux melancholiques, parce qu’ils abondent en aigre, ce qui fait que cette nourriture se caille aisément.


DU BEURRE.


Le beurre est la créme du lait, laquelle à force d’être foulée & battuë dans un long vaisseau, s’est dépoüillée de la ferocité qu’elle contenait, & a pris une consistance plus épaisse.

Le beurre, pourvû qu’il soit bien frais, & qu’on ne le fasse ni roussir ni frire, est humectant & adoucissant ; mais s’il éprouve trop le feu, il contracte une acreté dangereuse, & devient plus propre à pervertir les alimens qu’à les assaisonner. Aussi remarque-t-on que les sauces au beurre roux, & les fritures, causent, pour l’ordinaire, beaucoup de rapports. Ces sortes de beurres brûlez se tournent tout d’un coup en bile, & excitent dans le sang, des fermentations vicieuses, dont les suites sont toûjours mauvaises. Le beurre est une huile qui a été séparée du lait, & c’étoit anciennement la coûtume chez plusieurs peuples, d’en oindre les enfans nouvaux-nez, pour rendre leurs corps plus souples[18]. Or tout ce qui est huileux s’enflamme aisément dans nos corps, pour peu qu’on l’ait laissé trop exalter sur le feu. Il faut donc que les assaisonnemens qui se font avec le beurre, soient préparez de maniere, ou que le feu qu’on y emploïe soit trés-doux, ou que le feu, s’il est violent, se trouve corrigé par une suffisante quantité d’eau qui l’empêche d’agir trop immédiatement sur une substance aussi inflammable que celle dont nous parlons.

L’Auteur du Traité des Dispenses, prétend comme nous, que le beurre qui a été trop exalté par le feu, est fort malfaisant ; mais tout ce qu’il dit sur ce sujet, est peu soûtenu, & ce n’est qu’un tissu de contradictions. Une des mauvaises qualitez du beurre, selon lui, c’est d’être huileux, d’où il conclut qu’il faut bien se garder de faire passer le beurre par la poële[19], parce que le feu, dit-il, ne serviroit qu’à exalter cette partie huileuse, & à la rendre plus propre à s’enflammer. Cependant quelques lignes devant & quelques lignes aprés, il range parmi les mauvais effets que le feu produit dans le beurre, celui d’en enlever la partie volatile & huileuse, qui en fait, dit-il, la douceur et la sûreté[20]. Puis il remarque que le sang des vieillards, dépoüillé de son volatil, est moins propre à s’enflammer ; & que c’est pour cela, que le beurre, quoique huileux, incommode moins les vieillards. Un peu plus bas[21], pour appuïer le sentiment de ceux qui accusent le gingembre d’être chaud jusqu’à enflammer le sang, & causer des hemorragies, il dit que c’est que le gingembre abonde en sel volatil huileux ; & neanmoins une page aprés[22], pour recommander la canelle, il dit qu’elle est un parfait volatil huileux, fort désiré & fort désirable dans la maladie & dans la santé.

Il ne faut pas faire cuire le beurre, & pourquoi ? c’est que le feu lui ôte son volatil, qui en fait, dit-on, la douceur & la sûreté. Cependant à la page 226. on dit qu’il faut faire cuire le miel, parce qu’il perd de son volatil & de sa fougue par la cuisson, qui est le correctif du miel, en sorte qu’alors il fermente moins. Ici donc, le beurre devient dangereux, parce que le feu lui ôte sa partie volatile, & le rend encore plus capable de s’enflammer, & là le miel devient sain, parce que le feu lui ôte son volatil & l’empêche par ce moïen, de fermenter. Ce seroit quelque chose de curieux qu’une explication qui feroit bien entendre comment le feu peut rendre le beurre plus dangereux en lui ôtant son volatil, & rendre au contraire le miel plus sain, en le dépoüillant de ce même volatil ; comment le beurre est plus capable de fermenter quand le feu en a enlevé le volatil, & le miel moins propre à la fermentation par ce même dépoüillement. On dit encore au même endroit[23], que le sucre passant plusieurs fois par le feu, quand on le prépare, perd beaucoup de son volatil, & que par conséquent il doit être moins inflammable que le miel, où la nature travaille sans feu.

Nuls principes, comme on voit, dans nôtre Auteur, nulle idée suivie, nul raisonnement.

Le beurre n’est pas seulement bon, comme assaisonnement, il est encore trés-bon comme aliment, & comme médicament. Etant mangé sur du pain le matin à jeun, ou à l’entrée du dîner, il adoucit l’estomac & le purge[24], il préserve même de la pierre par un suc doux & glissant qu’il produit, lequel étant porté aux reins, empêche les matieres tartareuses & salées de s’y arrêter[25]. Si on le prend à jeun & qu’on y mêle un peu de sucre, il est excellent pour calmer la toux, & pour aider à cracher[26].

Quand on fait le beurre, on y met quelquefois du suc de soucy, & quelquefois du suc de coqueret ; le beurre ainsi préparé, est fort aperitif, & ne peut être que fort sain. En général quelques bonnes qualitez qu’ait le beurre, soit en assaisonnement, pourvû qu’on observe les conditions que nous avons marquées, soit en aliment, il ne convient pas à toutes les constitutions, & les personnes d’un tempérament bilieux en doivent éviter le fréquent usage.


DE L’HUILE.


L’huile dont il s’agit ici, est un suc gras & onctueux tiré des olives, par expression. On amasse au mois de Novembre & de Decembre, une certaine quantité d’olives bien meures, que l’on met en un tas dans un endroit couvert, où on les laisse s’échauffer pendant dix ou douze jours, ce qui en fait sortir beaucoup d’humidité, & dispose l’huile à s’en séparer plus aisément. Ensuite on les écrase sous la meule, & on les met ainsi écrasées, dans des cabats de jonc ou de palmier, que l’on place au pressoir les uns sur les autres : on en tire une huile excellente, que l’on appelle huile vierge.

Quand cette huile est exprimée, on arrose d’eau chaude les mêmes olives, on les presse de nouveau, & elles donnent une seconde huile qui est fort bonne ; aprés quoi on remuë le marc qu’on arrose encore d’eau chaude, & qui étant pressé fortement, rend une troisiéme huile, beaucoup moins bonne que les deux premieres.

L’huile est plus susceptible d’exaltation par le feu, que le beurre, comme il est aisé de le voir par la facilité avec laquelle elle s’enflamme. Ainsi, à ne consulter même que la raison, l’huile doit contracter une plus mauvaise qualité par le trop grand feu, que le beurre ; & c’est ce que l’experience confirme. Les fritures à l’huile, quand on n’y est pas accoûtumé, troublent plus la digestion, sur tout si elles sont froides, que ne font les fritures au beurre, dans ceux qui n’y sont pas accoûtumez non plus ; c’est de quoi il est aisé de s’appercevoir, pour peu qu’on veüille être attentif dans ces occasions, à ce qu’on sent qui se passe dans son estomac. J’en atteste ma propre experience, dit un sçavant Medecin, je me suis trouvé tourmenté de rapports brûlans, pendant dix jours entiers, pour avoir mangé des poissons frits à l’huile.[27]. L’Auteur du Traité des Dispenses est sur ceci d’un sentiment bien different. « L’huile, dit-il, étant sortie des fruits, est moins susceptible d’inflammation ou d’exaltation que le beurre, qui vient des animaux. En effet, reprend-t-il, les sucs qui se préparent dans les vegetaux, ont quelque chose de moins vif, & de moins affiné que ceux qui se travaillent dans les corps des animaux, les soufres sur tout, qui en viennent, ont généralement parlant moins de volatil, & c’est ce qui fait le merite de l’huile, qui par-là devient souvent préférable au beurre[28]. »

Il ne manque ici à nôtre Auteur que le suffrage de l’experience ; car si l’huile est une substance moins affinée et moins inflammable que le beurre, d’où vient donc qu’à la presence du feu elle s’enflamme plus aisément ? Il faut ou nier l’experience, ou avoüer que nôtre Auteur n’a pas rencontré juste, de poser comme il fait pour principe, que les sucs qui se préparent dans les vegetaux, sont moins vifs & moins affinez que ceux qui se travaillent dans le corps des animaux : nous ne disons rien ici du camphre qui est si vif, qu’il brûle dans l’eau même ; n’est-ce pas le suc d’un vegetal, & en en peut-on trouver dans les animaux de plus inflammable ? Si l’huile est plus inflammable que le beurre, elle a cet avantage d’être plus à l’épreuve du tems, & de n’avoir pas besoin comme le beurre, du secours du sel contre la corruption[29]. Cette liqueur se conserve d’elle-même, et sert à conserver plusieurs substances. Elle est outre cela, pour le moins, aussi adoucissante que le beurre, & pour cette raison elle ne convient pas moins que le beurre, aux asthmatiques, aux graveleux, & à tous ceux dont les humeurs sont trop acres & trop salées ; mais il en faut user modérément, sans quoi elle pourroit produire un trop grand relâchement dans les organes. Aussi on remarque que ceux qui en font un trop grand usage, sont la plûpart incommodez de descentes. L’huile est composée de parties sulfureuses mêlées d’un sel acide fixe. Or ces soufres & cet acide embarrassent aisément la masse du sang, & de-là peuvent naître quantité d’obstructions ; ajoûtons que cet acide fixe étant coagulant comme il est, sépare de la masse plusieurs serositez qui relâchent les parties, d’où s’ensuivent des descentes & d’autres accidens. Ainsi l’huile est un assaisonnement dont il faut prendre garde d’abuser : il faut outre cela la bien choisir. La meilleure est l’huile vierge, autrement dite de la premiere presse, c’est-à-dire, comme nous l’avons remarqué, celle que l’on tire des olives fraîches, qui n’ont point encore été pressées. L’huile de la seconde presse, n’est pas tout-à-fait si bonne ; & celle de la troisiéme, vaut encore moins. L’eau chaude dont on est obligé de se servir dans ces deux dernieres presses, pour tirer plus facilement le suc des olives, ne contribuë pas à perfectionner l’huile. D’ailleurs comme cette derniere huile est la plus engagée dans la substance du fruit, & que ce n’est que par la violente compression qu’on vient à bout de la dégager, elle ne sçauroit être aussi agréable que la premiere.

L’huile la plus nouvelle est la meilleure ; celle d’un an est encore bonne, pourvû qu’elle ait été conservée dans des vaisseaux de terre ou de verre, & fraîchement. L’huile de noix s’emploïe aussi dans les assaisonnemens ; elle échauffe beaucoup plus que l’huile d’olive, & ne convient nullement aux tempéramens bilieux.


DU MIEL, ET DU SUCRE.


Le miel est un assemblage de particules sulfureuses & balsamiques, que les abeilles succent de diverses fleurs, & dont elles remplissent de petits trous quarrez, formez par elles dans des tablettes de cire, que leurs pattes ont fabriquées, & qu’on nomme ordinairement gâteaux. Il y a de deux sortes de miel : le blanc, & le jaune. Le blanc, qui est le plus emploïé dans les alimens, coule de lui-même, sans expression & sans feu, des gâteaux nouvellement tirez de la ruche : on rompt ces gâteaux, on les pose dans des napes suspendues par les quatre coins, ou sur des claïes, et il en découle un beau miel blanc que l’on appelle miel vierge. Quand ces gâteaux ne rendent plus rien, on les presse, et ils donnent un second miel, qui est blanc aussi, mais qui sent la cire, & qui n’est pas si bon que le premier. Le meilleur miel blanc est celui de Languedoc, si connu sous le nom de miel de Narbonne. Le miel jaune s’exprime de toutes sortes de tablettes de cire, vieilles ou nouvelles, que l’on fait chauffer avec un peu d’eau dans des bassines ou chaudieres, & que l’on met ensuite dans des sacs de toile déliée, que l’on presse fortement. La cire reste dans les sacs, & laisse échapper un miel jaune qui est moins doux, & moins agréable de beaucoup, que le blanc.

Les Anciens emploïoient souvent le miel, & comme médicament, & comme aliment, & comme assaisonnement. Il s’en servoient même quelquefois au lieu de sel, pour conserver certaines viandes ; & Herodote fait mention d’un Cuisinier, qui pour garder long-temps de la chair, n’y emploïoit que le miel[30]. Il s’en faut bien qu’on en fasse, parmi nous, un si grand usage.

Le miel échauffe & desseche, & de quelque maniere qu’on en use, soit en assaisonnement, soit en aliment, il ne convient qu’aux tempéramens pituiteux, aux vieillards, à ceux qui par maladie ou autrement, abondent en humeurs grossieres & visqueuses ; mais les personnes d’un tempérament bilieux, le doivent éviter[31]. Il se mange cuit ou crud. Le miel crud est plus détersif, mais il cause des vents[32], & par les sels picotans qu’il renferme, il lâche plus qu’il ne nourrit[33]. Le miel cuit est plus alimenteux & lâche moins, parce que la coction en a émoussé les sels. Le miel se mange seul ou avec d’autres alimens ; quand on le mange seul, il desseche plus qu’il ne nourrit ; & quand on le mêle avec d’autres alimens, il est plus alimenteux que médicamenteux ; il donne même bonne couleur, ainsi que le remarque Hippocrate[34].

Il faut préferer le miel nouveau au vieux ; celui du Printemps ou d’Esté, à celui d’Automne ; le blanc ou le pâle, au plus foncé ; celui qui écume peu en boüillant, à celui qui écume beaucoup ; l’acre doux, à celui qui n’a que de la douceur ; enfin le miel d’une médiocre odeur, à celui d’une odeur trop sensible, ce dernier étant pour l’ordinaire sophistiqué par le thym, ou autres herbes qu’on y mêle[35].

Le miel est different du miel, selon la qualité des plantes qui abondent dans le païs où on le recuëille. En Languedoc, par exemple, où il croît force romarin, & où cette plante a beaucoup plus de force, le miel est plus spiritueux, & meilleur, comme on le voit par celui de Narbonne, qui est avec raison si généralement estimé, quoique l’Auteur du Traité des Dispenses prétende qu’il est plus mal-faisant, parce qu’il est plus leger & plus délicat ; car c’est-là la raison qu’il en donne. Les païs où il croît force melisse, donnent encore d’excellent miel ; c’est pourquoi celui de la Mingrelie est si bon, comme le remarque un sçavant Historien[36].

Au reste pour pouvoir juger comme il faut, des qualitez du miel, il faut sçavoir que nonobstant la douceur qu’on y remarque, on en tire un sel vitriolique si agissant, que ce sel dissout les perles, les coraux, & plusieurs pierres précieuses, comme fait l’esprit de vitriol : ce qu’il a de commun avec le sucre qui donne tout de même un acide fort corrosif, mais il faut remarquer aussi que cet esprit acide, tant du sucre que du miel, est embarrassé par des parties sulphureuses, qui en moderent considerablement l’action.

Le sucre est un suc doux & agréable, tiré d’un roseau qui vient en plusieurs lieux, & principalement aux Isles de Madere & de Canarie. Les Anciens connoissoient[37] ce suc, mais ils ignoroient la maniere de le condenser, de le durcir, & de l’affiner, comme nous le faisons. Il n’étoit usité de leur tems que dans la Medecine ; & il seroit à souhaiter pour la santé des hommes, qu’il ne se fût pas introduit sur les tables, où il est devenu si fréquent, qu’il n’y a presque plus de mets où il n’entre. On ne se contente pas même d’user de sucre dans les repas, on porte sur soi des sucreries de toutes sortes, pour en pouvoir manger à toute heure ; on y accoûtume même les enfans, & on expose par-là leurs corps tendres & délicats à une infinité de maladies. Mais un abus qu’on ne sçauroit passer ici sous silence, c’est que les collations de Carême ne consistent presque plus qu’en ces sortes de délicatesses, non seulement peu convenables dans un tems où l’on est plus particulierement obligé de mortifier son goût, mais encore trés-contraires à la santé par l’impression de feu qu’elles laissent dans le sang. Il n’y a que de bons effets à attendre du sucre, quand on en sçait faire usage[38] ; & l’Auteur du Livre intitulé, Medicus Euporistus, remarque que le sucre, par un soufre balsamique qu’il renferme, est merveilleux pour conserver le baume du sang, & garentir les vieillards de plusieurs indispositions ordinaires à leur âge : mais il ne conseille pas de le mêler par tout comme l’on fait, & d’en user sans cesse ; il veut qu’on s’en serve comme un médicament, & en la maniere suivante. Mettez, dit-il, une livre de sucre dans un vaisseau de médiocre grandeur, & jettez-y de l’eau jusqu’à ce que cette eau passe le sucre d’un doigt, broüillez le tout, & l’agitez, puis prenez trois onces de cette liqueur, une once d’esprit de vin, & un gros & demi ou deux gros d’eau rose, mêlez le tout, & en buvez une once de temps en temps.

Le sucre est un mixte composé de sel essentiel acide & d’huile, dont le mélange tempéré adoucit les acretez de la poitrine, calme la toux, dissout la pituite épaisse, & fait cracher : mais comme ce mixte ne laisse pas d’être inflammable par sa partie sulphureuse, il allume la bile quand on en use avec excés, il desseche les visceres, & épaissit le sang. L’acide même qu’il contient, venant à se dégager alors des liens du souphre, agit avec toute sa force, & cause des irritations convulsives dans les nerfs, ronge les dents, corrompt les gencives, &c. jusques-là même que le sçavant Willis regarde l’excés qu’on fait du sucre, comme une des principales causes du scorbut[39]. Le sucre est donc dangereux quand il est pris avec excés, & salutaire, quand on en use avec modération. On dira, peut-être, que le sel corrosif qu’il renferme étant capable de ronger les métaux, le sucre en quelque petite quantité qu’on le prenne, ne sçauroit être que pernicieux : mais nous remarquerons avec le sçavant Mundius, qu’il s’en faut de beaucoup que tous les sels qui rongent les métaux, fassent sur nos corps la même impression, témoin, comme il l’observe, le suc de l’ananas, qui ronge en moins de demi-heure la lame d’un couteau, & dont cependant personne n’a jamais senti aucun mauvais effet : Porro salia quæ ab cognationem, metallorum corpora subire & peredere valent, in cibis modicè assumpta innocua sunt, imo salubria. Sic fructus anana dictus ori & stomacho gratissimus est, & adeo salubris, ut neminem ab ejus esu unquam lædi sit observatum. In ejus tamen carne, si cultellum ferreum semi horæ spatio hærentem relinquas, subtilis cujusdam salis acredine semi esum invenies.[40]

L’Auteur du Traité des Dispenses, qui craint toûjours de se tenir dans les bornes du vrai, condamne le sucre comme absolument mauvais, jusqu’à prétendre que c’est un poison ; d’un autre côté il le préfere au miel : c’est quelque chose de singulier que tout ce qu’il nous debite sur cette matiere, nous nous y arrêterons un moment.

« Le sucre, dit-il, paroît moins susceptible d’inflammation que le miel ; car au lieu que le miel est comme la fleur des fleurs, parce que c’est des fleurs que les abeilles le tirent principalement, le sucre est une sorte de sel. Le miel donc, comme plus travaillé, aïant passé par toutes les parties d’une plante souvent aromatique, doit être plus disposé à porter l’effervescence & le trouble, au lieu que le sucre se tire de la tige de la plante qui est une espece de canne ou de roseau, & qui par conséquent tient plus du terrestre & de l’aqueux. Le sucre enfin, aïant passé plusieurs fois par le feu, a dû y perdre beaucoup de son volatil, au lieu que le miel, mille fois affiné par les mains de la nature, qui, differente de la Chymie ordinaire, travaille un suc sans feu, & le développe sans le brûler, le miel, dis-je, par toutes ces raisons, doit être plus sujet que le sucre à s’alumer. »

Voilà mot à mot l’étrange raisonnement de l’Auteur. On dit l’étrange, car il s’ensuit de-là que les opérations de la nature sont au dessous de celles de l’art, & qu’un des plus grands défauts de la nature dans les ouvrages qu’elle travaille, c’est de n’y pas emploïer des feux tels que ceux des Chymistes ; ce qui est cependant contraire au sentiment de nôtre Auteur, qui en mille endroits de son Traité vante sans cesse la nature, de ce qu’elle travaille avec une chaleur douce, & bien differente de celle dont les Chymistes se servent. Quoiqu’il en soit, voilà le langage qu’on tient à la page 227. Voici à present celui de la page 228.

On nous y déclare « que le sucre est le produit d’un suc, qui au bout de vingt-quatre heures s’aigrit au point qu’on en pourroit faire un trés-fort vinaigre : Que c’est de cet acide enveloppé & secret, que viennent au sucre ces esprits acres & ardens qu’on en tire par la distillation. Que la moscoüade même, qui n’est encore qu’un sucre brute, donne par la distillation une véritable eau-de-vie ; & que l’analyse du sucre bien purifié donne un acide trés-corrosif, dont il se fait une véritable eau-forte : Que ce n’est pas seulement du sucre passé au feu, que viennent ces liqueurs corrosives & brûlantes : Qu’un sucre bien affiné, gardé trente ans, devient sans autre préparation, un puissant arsenic, marque certaine que le meilleur sucre renferme en soi des semences de poison : Que si on joint à un si mauvais fond dans le sucre, les observations qu’on a faites qu’il n’est point de visceres qu’il n’interesse à la longue ; & que sans compter le foïe & la rate qui en souffrent trés-souvent, & les dents qu’il gâte ordinairement, il altere les poumons, & fait dans les lieux où on en use le plus, comme en Angleterre & en Portugal, des phtisies épidemiques & des scorbuts, on doit plus craindre le sucre qu’on ne fait. »

Nous ne prétendons pas faire passer ces deux langages comme absolument opposez ; l’Auteur pourra dire, que s’il préfere le sucre au miel, & s’il dit que le miel est plus capable que le sucre de porter le trouble dans le corps, c’est à raison du soufre inflammable qui se trouve dans le miel ; & que si ensuite il dit tant de mal du sucre, c’est à raison des particules corrosives du sucre. Mais cela méritoit bien quelque explication, & c’est rendre service à l’Anonyme que de lui fournir celle ci, qui néanmoins ne le disculpe pas tout-à-fait, puisque le miel, ainsi que nous l’avons remarqué, fournit un suc pour le moins aussi corrosif que celui qui se tire du sucre, & que d’ailleurs, on peut aisément se convaincre, en jettant du sucre & du miel dans le feu, que le sucre est encore plus inflammable que le miel. Quoiqu’il en soit, examinons un peu, ce que nôtre Auteur vient de dire, pour faire regarder le sucre comme un poison.

1o. Ce suc au bout de vingt-quatre heures, s’aigrit au point, dit-il, qu’on en pourroit faire un trés-fort vinaigre : mais à ce compte-là, le lait & la pâte qui s’aigrissent si promptement, seroient donc bien dangereux. Il ne faut pas juger de la qualité des choses par les changements qui leur arrivent quand elles se corrompent, ni par la promptitude, avec laquelle elles se corrompent, les meileurs alimens n’étant pas toûjours du nombre de ceux qui se conservent le plus. 2o. La moscoüade, qui n’est encore qu’un sucre brute, donne par la distillation une véritable eau-de-vie. Mais les fruits, mais les grains si vantez dans le Traité des Dispenses, mais le pain même, n’en donnent-ils pas ? L’Auteur ignore-t-il que l’on tire de la biere un esprit sulfureux inflammable, de la nature de l’esprit de vin ? Qu’on fait aussi de l’eau-de-vie de cidre, &c. 3o. L’analyse du sucre bien purifié donne un acide trés-corrosif : mais le sel commun, que l’Auteur vante tant, comme on le verra tout à l’heure, donne par la distillation un acide encore plus fort. D’ailleurs cet acide du sucre, aussi-bien que celui du sel, est un bon remede contre plusieurs maladies, & entr’autres, contre la gravelle & contre l’hydropisie. Comment, au reste, pour le repeter encore en passant, un Auteur qui ne veut pas qu’on se fie aux analyses, peut-il les alleguer comme des preuves ? 4o. Un sucre bien affiné, gardé trente ans, devient un puissant arsenic. Il y auroit bien des choses à dire sur ce point, & ce sont de ces faits qu’il ne suffit pas d’avoir lûs, pour être en droit de les assûrer comme certains. Quoiqu’il en soit, il n’y a rien qui ne se gâte à force de vieillir, & les meilleurs alimens étant gâtez, deviennent quelquefois mortels. S’il falloit regarder comme un poison ce qui le peut devenir en vieillissant, nôtre Auteur seroit obligé de se dédire de tout ce qu’il a avancé plus haut en faveur des panais, puisqu’il prétend que quand ils sont trop vieux, ils font devenir fous ceux qui en mangent, ce qui aprés tout, est une imagination de quelques Auteurs. 5o. On a observé que le sucre nuit aux visceres : mais ces observations ne regardent que l’usage excessif du sucre, comme de mâcher toûjours quelques pâtes, de mêler le sucre presque par tout, &c. Car il est certain, comme nous l’avons remarqué, que le sucre n’est bon qu’en passant & en petite quantité ; c’est un assaisonnement & non une viande : cependant de la maniere qu’on l’emploïe aujourd’hui, il semble qu’on le regarde comme une nourriture, & que les choses où on le mêle ne servent plus qu’à l’assaisonner. C’est à cet abus qu’on doit attribuer la cause d’un grand nombre de maladies[41]. Au reste nôtre Auteur dit que la cassonnade est préférable au sucre pour la santé, parce qu’elle a moins passé par le feu ; & il a raison : mais ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’il ose tenir ce langage aprés ce qu’il vient de dire du sucre par rapport au miel. Tout à l’heure le sucre étoit meilleur que le miel, parce que le sucre a passé plusieurs fois par le feu ; & maintenant il se trouve que le feu gâte le sucre, & que la cassonnade, qui a été moins travaillée par le feu, vaut beaucoup mieux. « Il y a moins à craindre, dit-on, de la cassonnade que du sucre, car le feu aïant moins travaillé la cassonnade[42], en a moins dépoüillé les parties de ce qu’elles ont de terrestre, & les sels qui la composent, en sont moins développez & moins actifs. Ce sera donc un assaisonnement plus sûr à la santé que le sucre. » Quelle contradiction !

Le sucre en général est dangereux quand on en fait un grand usage, & cela, comme nous l’avons déja remarqué, à cause de l’acide corrosif qu’il renferme ; c’est en ce sens que le Proverbe, qui dit que le sucre fait tomber les dents, est veritable, parce que par cet acide il les carie. Le sucre Roïal est le meilleur, parce qu’on le prépare avec la chaux, & que la chaux emporte une bonne partie de l’acide dont nous parlons.


DU SEL.


Le sel est un suc acide mineral, trés-pénétrant & trés-vif, d’abord travaillé dans la terre où il se corporifie, & ensuite transmis dans l’eau, d’où on le tire par évaporation ou par chrystallisation. Cet assaisonnement est le plus necessaire & le plus naturel de tous. On peut aisément se passer des autres, & on ne peut se passer de celui-ci. Rien ne donne aux alimens un goût plus salutaire, rien ne contribuë plus efficacement à la digestion des viandes. Le sel est composé de parties fines actives, mais solides, lesquelles s’unissant avec la salive qu’elles détachent dans la bouche, arment, pour ainsi dire, ce dissolvant, tout puissant qu’il est déja, & lui donnent une nouvelle force pour pénetrer les alimens, & en séparer les differens principes.

Quand on veut extraire les soufres d’une plante, on mêle un peu de sel avec la plante, sans quoi l’on en tire beaucoup moins de soufre ; si tout de même, on veut que les alimens se digerent bien dans l’estomac, ce qui ne se fait que par la désunion de leurs principes, il est necessaire de les assaisonner d’un peu de sel, afin que plus aisez à diviser, ils resistent moins à l’action des levains qui les doivent dissoudre. Le sel ne contribuë pas seulement à la digestion des viandes, ces mêmes parties fines & pénétrantes qui le composent, aident encore à la distribution des sucs nourriciers, & il ne nous seroit pas difficile de citer ici plusieurs exemples de personnes tombées dans d’excessives maigreurs, pour avoir absolument abandonné l’usage du sel, & guéries ensuite parfaitement pour s’être remises à ce même usage. Le sel contribuant, comme il fait, à la digestion des alimens, & à la distribution des sucs, favorise en même tems toutes les fonctions ; aussi remarque-t-on que la plûpart de ceux qui n’usent jamais de sel, ont l’esprit moins[43] pénétrant, l’imagination moins vive, la vûë moins forte, le corps moins robuste ; & pour dire tout ce qui en est, que la fecondité est beaucoup plus rare parmi eux. En sorte que le sel, selon l’expression d’un[44] sçavant Auteur, est dans nos corps comme une nouvelle ame qui en conserve la vie & l’action. C’est pour cette raison, que les Anciens qui l’envisageoient sous cette idée, le regardoient comme quelque chose de sacré, & de si sacré, qu’ils concluoient leurs Traitez les plus solemnels en tenant un doigt de la main dans du sel, ce qui mettoit le dernier sceau à leur engagement, & rendoit leur parole irrévocable.[45]

Mais si le sel est si salutaire au corps, ce n’est qu’autant qu’on en sçait user. Il est composé, comme nous avons dit, de parties fines & penetrantes, qui servent à dissoudre les alimens ; mais lorsqu’il est pris en trop grande quantité, ces mêmes parties, qui sont d’elles-mêmes corrosives, peuvent produire plusieurs effets dangereux. Le premier, c’est de ronger l’estomac & les intestins, le second de rendre le sang acre & brûlant, le troisiéme de consumer l’humeur balsamique du corps. Il s’ensuit donc que le sel pris avec excés, est aussi pernicieux, que ce même sel pris avec moderation peut être salutaire. Il y a même des personnes qui sans faire excés de sel, peuvent s’en trouver incommodées : celles qui sont naturellement maigres & séches, les nourrices qui n’ont pas assez de lait, les femmes grosses, les mélancoliques, les scorbutiques[46], ceux qui sont sujets à des inflammations, ceux qui ont des dartres, ou d’autres maladies semblables, produites par une serosité piquante & corrosive ; toutes ces personnes, aussi-bien qu’un grand nombre d’autres, dont nous ne sçaurions faire ici le détail, ont beaucoup à craindre des parties acres & brûlantes du sel, & ne doivent se proposer autre chose en salant leurs alimens, que d’en corriger seulement un peu la trop grande insipidité. Au reste pour faire mieux connoître les qualitez du sel, nous remarquerons qu’il ne sert pas seulement à assaisonner les viandes, mais qu’il est encore d’un grand usage en Medecine, où il s’emploïe & interieurement & exterieurement. On l’emploïe exterieurement, 1o. contre les morsures des bêtes venimeuses ; & l’experience a appris qu’en ces occasions, étant appliqué à tems sur la partie malade, il consume toute la substance du venin qui s’est introduit dans la blessure.[47] Aussi tous les Auteurs s’accordent à conseiller ce remede.[48] 2o. Contre la brûlure,[49] dont il diminuë presque sur le champ la douleur, tout piquant qu’il est. 4o. Contre la galle & la demengeaison :[50] 5o. contre les contusions : 6o. contre la gangrene : 7o. contre les fluxions de la tête, appliqué à la nuque : 8o. contre la trop grande abondance de lait dans les mammelles : 9o. contre les violentes douleurs de la goutte,[51] sur quoi nous remarquerons que c’est, selon toute apparence, pour cette raison, que le hareng salé appliqué sur l’endroit tourmenté de goutte, est d’un si grand secours, comme nous l’avons observé en parlant du hareng.

Quant à l’usage interieur, quelques grains de sel avalez à jeun, sont un excellent remede, 1o. contre la peste ;[52] & Untzerus, aprés plusieurs autres Auteurs, conseille ici pour préservatif, de manger du pain salé :[53] 2o. le sel est bon contre la toux, qui vient d’humeurs visqueuses & grossieres : 3o. contre le trop grand resserrement de ventre :[54] 4o. contre la fiévre quarte :[55] 5o. contre les vers.[56] 6o. Un peu de sel dans la bouche est bon contre les défaillances, contre les syncopes, &c. & ceux qui sont sujets à s’évanoüir quand on les saigne, peuvent prévenir cet accident par le moïen d’une pincée de sel entre leurs lévres : ce que nous pouvons assurer, avec un sçavant Medecin, avoir vû réüssir un trés-grand nombre de fois.[57] 7o. Les femmes que le trop d’embonpoint rend steriles, trouvent souvent dans le sel un remede à leur sterilité : nous en avons vû quelques exemples ; & celui entr’autres d’une jeune Dame extrêmement replette, laquelle n’aïant point eu d’enfans aprés cinq ans de mariage, & s’étant mise ensuite, par l’avis de son Medecin, à prendre tous les matins pendant deux mois, le poids d’un scrupule de sel, enveloppé dans de la conserve, devint grosse de deux enfans, dont elle accoucha heureusement, ce qui fut suivi de trois autres couches dans l’intervalle de quatre ans. La vertu du sel contre la sterilité des femmes, a été reconnuë presque de tout tems ; & elle est si grande, que quelques Auteurs n’ont pas craint de porter l’exageration jusqu’à dire, que les femmes n’avoient qu’à lécher du sel pour devenir grosses[58]. Un fait digne de remarque en cette occasion, c’est que toutes les femmes qui travaillent dans les salines, ont un grand nombre d’enfans ;[59] ce qui vient de ce que les parties pénétrantes du sel, portées par les voïes de la circulation jusqu’à la matrice, consument l’humidité superfluë de cette partie, & la rendent par ce moïen plus propre à la conception ;[60] car il faut convenir que dans les femmes, la cause la plus ordinaire de la sterilité, vient d’une humidité surabondante. On voit par toutes ces observations, que le sel est un mixte trés-résolutif & trés-desséchant : c’est là-dessus que chacun peut se regler pour en user avec sagesse, & conformément à sa constitution & à son tempérament. Au reste l’Auteur du Traité des Dispenses a découvert dans le sel une qualité merveilleuse, que nous n’oublierons pas de remarquer : c’est une extrême docilité à attendre avec soûmission les ordres qu’il plaît aux parties du corps de lui donner. « On doit, nous dit-il dans ce Traité, d’autant plus préferer le sel aux autres assaisonnemens, que la plûpart, tenant de la nature des sels volatils, sont toûjours prêts à s’échapper, & à aller porter d’eux-mêmes le trouble dans toute l’œconomie du corps, au lieu que le sel étant de la nature des fixes, attend, pour ainsi dire, sa mission des parties, qui doivent le mettre en œuvre ; son action est donc lente, soûmise & successive, & il ne fera presque de mal, que ce qu’on lui en laissera faire. »

Sans mentir voilà qui est bien honnête au sel, & on trouvera peu d’assaisonnemens qui aïent autant de discretion.

Chacun connoît la vertu du sel contre la corruption ; mais en cas qu’on en doutât, l’Auteur en apporte une preuve qui lui paroît sans replique. « Le sel sagement emploïé, prévient, dit-il, ou chasse la corruption : aussi fût-ce en jettant du sel dans les eaux püantes ou mal saines de Jéricho, que le Prophete Elisée les rendit salutaires & fecondes. » Quelle preuve ! c’est comme si on disoit qu’il est si vrai que la salive est bonne aux yeux, que ce fut avec un peu de salive mêlée de bouë, que Nôtre Seigneur rendit la vûë à un Aveugle.


DU POIVRE, DU GINGEMBRE,
& du Girofle.


Il y a deux sortes de poivre, emploïé dans les assaisonnemens : le noir & le blanc, tous deux d’un goût extrêmement fort & aromatique. Le premier est un grain rond & ridé, dont la figure approche de celle de la coriandre, mais qui est plus gros, plus dur, & environné de petits raïons faits en forme de côtes. Il vient en grappe longue & déliée, a une plante sarmenteuse comme le lierre, laquelle croît aux Indes, à Malacca, à Sumatra, & à Java. Le second est rond comme le premier, mais uni & plus gros. Quelques-uns prétendent que ce n’est que du poivre noir, dont on a ôté la premiere écorce, & qu’on a fait enfler en le mettant tremper dans de l’eau marine. D’autres, qu’il vient à part sur une autre plante, semblable à celle qui porte le poivre noir, comme le raisin blanc & le raisin noir viennent sur des seps séparez tout semblables. Quoiqu’il en soit, ils sont peu differens l’un de l’autre ; le blanc est moins fort & plus usité : mais soit le blanc ou le noir, le poivre est un assaisonnement rude & piquant, dont l’usage ne sçauroit être trop rare parmi ceux qui ne font pas un grand exercice de corps. On comprend aisément que les gens de la campagne, les ouvriers qui s’exercent à des travaux pénibles, & qui sont accoûtumez à une nourriture grossiere, aïant par conséquent les fibres plus dures & plus fortes, ne sçauroient se sentir incommodez de cette sorte d’assaisonnement, qui fait à peine impression sur eux ; on comprend même, qu’ils ont besoin de mêler dans leur nourriture quelque chose d’agaçant, sans quoi les fibres de leur langue & de leur estomac, fortes & solides comme elles sont, demeureroient comme immobiles ; mais aux personnes d’une constitution ordinaire, le poivre ne peut être que trés-dangereux, en heurtant trop violemment des fibres tendres & délicates, qui n’ont qu’une résistance médiocre. D’ailleurs cet assaisonnement, pour peu qu’il excede, porte avec soi une impression de feu trés-pernicieuse au sang, aux vaisseaux, & à tous les visceres : au sang, en en dissipant la partie la plus subtile : aux vaisseaux, en leur faisant violence, & leur ôtant leur souplesse à force de les dessécher : aux visceres, en en détruisant la tissure.

Le poivre sagement emploïé est bon à ceux qui abondent en humeurs visqueuses ; car il résout par un sel volatil & picquant qu’il renferme, le tartre grossier de l’estomac, & débarrasse les premieres voïes : aussi les Anciens s’en servoient-ils, pour la guérison des fiévres quartes[61]. On emploïe aujourd’hui pour la même fin, une huile qui se tire du poivre, laquelle emporte ordinairement, soit par les urines, soit par les sueurs, la cause du mal[62]. Tout le monde connoît la vertu du poivre contre les gonflemens d’estomac ; on en avale à jeun un grain ou deux, & on ressent presque aussi-tôt du soulagement.

Le gingembre est la racine d’un petit roseau qui croît aux grandes Indes, & aux Isles Antilles. Cette racine est large, longue, noüée, pleine de rejettons, un peu platte, jaunâtre, d’un goût acre, piquant, & aromatique. Elle approche de la nature du poivre ; mais comme le remarquent de sçavans Medecins[63], elle est d’une substance moins volatile, qui la rend plus lente à agir. Les Chymistes en tirent un fort bon extrait, pour provoquer les urines & les sueurs.

Le girofle est le fruit d’un arbre à grandes & longues feüilles, qui croît aux Molucques. Ce fruit est fait comme un petit clou, ce qui l’a fait nommer clou de girofle. Il a une tête terminée par quatre pointes qui forment une espece d’étoile, au milieu de laquelle on remarque un petit point, qui fait le nombril du fruit. Le girofle est brun, fort odorant, & d’un goût aromatique trés-picquant. Il est plus gras & plus huileux que le gingembre & le poivre, & il échauffe davantage. L’huile qu’on en tire est plus grossiere qu’aucune de celles qui se tirent des autres aromates, puisqu’elle va au fonds de l’eau ; & cette grossierté même, fait la qualité brûlante & caustique qu’on remarque dans le girofle ; c’est pourquoi cet assaisonnement demande encore plus de précaution que le poivre & le gingembre.


DE LA MUSCADE, DE LA
Canelle, & du Safran.


La muscade est une noix aromatique produite par un arbre grand comme le Poirier, & dont les feüilles ressemblent à celles du Pêcher, lequel croît en abondance dans l’Isle de Banda en Asie. Cette noix est d’abord revêtuë de deux écorces : la premiere qui est fort grossiere, se fend à mesure que le fruit meurit, & elle laisse paroître la seconde qui enveloppe étroitement la noix, mais qui la quitte quand la noix est séche : cette seconde écorce s’appelle macis, & improprement fleur de muscade. Quant à la noix, c’est un fruit compact & serré, gris en dehors, rougeâtre & veiné en dedans, fort onctueux, d’une odeur agréable, & d’un goût acre picquant. Cette noix est le plus temperé de tous les aromates, & un des plus stomachiques : elle convient particulierement avec le poisson, étant rappée par dessus, & elle en corrige singulierement la crudité. Elle est bonne contre les débilitez d’estomac, & contre les diarrhées ; elle réjoüit le cerveau, elle arrête le vomissement, elle corrige la mauvaise haleine, elle fortifie les femmes grosses, & elle est d’un grand secours contre les défaillances & les palpitations. On tire de la muscade une huile excellente contre les douleurs néfrétiques, & contre la colique. On en prend un peu dans de l’eau chaude. Cette même huile appliquée aux temples, dispose au sommeil ; & mise sur le nombril des enfans, elle appaise leurs trenchées. L’Auteur du Traité des Dispenses se déclare fort contre la muscade, & pour la faire craindre, il remarque que certains oiseaux qui en mangent, païent soudainement le prix de leur friandise, en tombant yvres, & devenant par ce moïen la pâture des fourmis. Cette observation est fondée sur une Histoire vraïe ou fausse, qu’il ne rapporte pas, & que voici. On dit que les oiseaux de Paradis aiment extrêmement la muscade, mais que lorsqu’ils en ont mangé, ils tombent comme morts sur la place, & qu’aussi-tôt les fourmis, dont le païs est plein, leur viennent dévorer les pieds, d’où il arrive qu’on ne voit point de ces oiseaux avec leurs pieds : ce qui a fait croire à quelques Auteurs que l’oiseau de Paradis étoit naturellement sans pieds. Nôtre Auteur effraïé de cette Histoire, propose comme une leçon à tous ceux qui aiment la muscade, le terrible sort de l’oiseau de Paradis. Mais sans examiner si le fait est vrai, supposons-le tel, & voïons si ce qui est pernicieux ou salutaire à certains animaux, doit l’être tout de même à l’homme. La noix vomique est poison pour les chiens, & ne l’est pas pour l’homme. La ciguë tuë l’homme, & engraisse l’étourneau. La caille trouve dans l’hellebore une nourriture innocente, & l’homme un vomitif des plus forts. Les amandes ameres, loin de nous faire du mal, nous font du bien, & cependant elles tuënt les oiseaux qui en mangent[64]. Pourquoi donc conclurre que la muscade est pernicieuse à l’homme, parce qu’elle fait du mal à quelques animaux ? D’ailleurs, à quoi sert l’experience, si depuis tant d’années qu’on emploïe innocemment la muscade dans les assaisonnemens, nous devons encore craindre qu’elle ne nous empoisonne, parce qu’elle empoisonne l’oiseau de Paradis ?

Au reste nous ne nions pas qu’étant prise avec excés, elle ne puisse faire du mal. Un sçavant Auteur rapporte qu’une Dame de qualité, qui étoit grosse, tomba malade dangereusement, pour en avoir mangé jusqu’à douze[65]. Il est même étonnant qu’elle n’en mourût pas, & cette observation tourne à l’avantage de la muscade.

La Canelle est la seconde écorce d’un arbre qui croît dans l’Isle de Ceilan, & que l’on dit être de trois couleurs ; sçavoir, blanc, jusqu’à la hauteur d’un pied ; rouge, un demi pied plus haut ; & noirâtre, au dessus. Cette écorce qui se tire principalement des branches de l’arbre, est d’une odeur agréable, d’un goût aromatique un peu acre, & d’une couleur rougeâtre. Elle renferme des parties extrêmement fines & déliées, ce qui est cause qu’elle ne fait pas sur la langue une si forte impression de chaleur, que plusieurs autres aromates. Cet assaisonnement bien ménagé, fortifie l’estomac, le cœur, & le cerveau ; mais si on le prodigue, il enflamme les humeurs par une huile extrêmement volatile qu’il renferme, laquelle venant à s’exalter, cause une effervescence générale dans la masse du sang. La canelle ne laisse pas de contenir une substance terrestre & styptique, qui la rend propre contre les diarrhées.

Le Safran est un assemblage de petits filamens rouges qui naissent en maniere de houpe, au milieu d’une fleur bleuë, mêlée de rouge & de purpurin, composée de six feüilles, & portée par une plante basse, qu’on appelle de même nom, laquelle croît au Levant, & en plusieurs lieux de France. Ces filamens, quand on les a fait sécher, sont mollasses, odorans, & d’un goût fort agréable.

Le propre du safran, dont l’usage est si commun en plusieurs Païs pendant le Carême, où on en mêle dans presque tous les mets, est d’être bon à l’estomac, & aux poumons, de réjoüir le cerveau, de lever les obstructions, de procurer le sommeil ; mais il faut prendre garde d’en abuser, car il peut produire des effets dangereux, comme nous le remarquerons dans un moment. Nous disons qu’il est bon aux poumons, ce qui est si vrai qu’il facilite la respiration, & que les asthmatiques se trouvent soulagez d’en prendre un peu dans du vin chaud,[66] ce qui l’a fait appeller par Cardan l’ame des poumons. Cet Auteur nous assure avoir guéri par le seul secours du safran, plusieurs malades qui ne pouvoient respirer ; & entr’autres une Dame du premier rang, laquelle étoit si oppressée depuis deux mois, qu’on ne lui esperoit plus de vie[67]. Il leve les obstructions, & on remarque que l’usage du pain safrané,[68] est extrêmement bon contre les pâles couleurs. Le saphran réjoüit le cerveau, mais quelquefois il le réjoüit trop ; & on lit dans un Auteur digne de foi,[69] l’Histoire d’un Marchand, qui en faisoit trafic, lequel, pour en avoir trop mêlé parmi ses viandes, tomba dans un excés de rire, qui pensa lui coûter la vie. Il est bon contre les insomnies, mais on sçait aussi par plusieurs exemples, que si on en prend trop, il jette dans des assoupissemens dangereux ; & on a même trouvé des personnes mortes sur des sacs de safran, pour s’y être endormies pendant la nuit[70].


DU VERJUS, DU VINAIGRE,
& du Jus d’Orange.


Le Verjus est un suc extrait du raisin avant la maturité du fruit, & le Vinaigre un vin qu’on a laissé ou fait aigrir. Mais pour connoître la nature de ces deux substances, il faut remarquer que le verjus est une liqueur cruë, où les soufres, encore trop concentrez, laissent les acides dans toute leur force ; le vin, une liqueur meure, où les soufres suffisamment dégagez, moderent l’action des acides ; & le vinaigre, une liqueur passée, où la grande dissipation des soufres a permis à ces mêmes acides de rentrer dans leur premier état. Il y a néanmoins cette difference entre l’acide du verjus, & celui du vinaigre, que le premier n’aïant encore éprouvé aucune fermentation, est comme un acide brute & engourdi ; au lieu que le second, réveillé par plusieurs sortes de mouvemens qu’il a reçus à l’occasion des divers changemens qui sont arrivez à la liqueur, est beaucoup plus vif & plus actif. Aussi remarque-t-on que le vinaigre dissout les perles, les coraux, & les pierres les plus dures, tandis que le verjus y fait à peine impression : d’où il est aisé de conjecturer que le grand usage du vinaigre dans les assaisonnemens, peut avoir ses dangers, & que celui du verjus doit être plus innocent. Ce qu’il y a de certain c’est que l’experience fait voir que le vinaigre, quand on en use fréquemment, affoiblit considerablement l’estomac, & cause des mouvemens convulsifs : ce qui ne peut venir que du trop grand picotement qu’il fait sur les fibres. Ajoûtons qu’il est contraire aux femmes, sur tout à celles qui sont sujettes à la maladie hysterique ; qu’il séche le corps, & qu’en rafraîchissant en apparence, il brûle en effet.

Le verjus est plus temperé, ainsi qu’il est facile de le voir, par le succés avec lequel on l’emploïe dans la plûpart des maladies, où il est besoin de rafraîchir[71]. Il calme l’ardeur des entrailles, il éteint la soif, il bride l’effervescence de la bile ; & quand on le mêle à propos dans les assaisonnemens, la santé, pour l’ordinaire, n’y gagne pas moins que le goût[72].

Le Jus d’Orange aigre, n’est point inferieur au verjus ; il fortifie la digestion, il donne de l’appétit, il rafraîchit ; mais il en faut user plus sobrement, sans quoi il peut incommoder l’estomac & la poitrine, en les picotant un peu trop rudement. Nous avons dit, en parlant du vinaigre, que cet acide étoit dangereux à la plûpart des femmes, nous l’avons même accusé d’être corrosif ; mais nous remarquerons ici, que l’Auteur du Traité des Dispenses est d’un autre sentiment, lui néanmoins que l’acide du sucre a tant effraïé. Il tâche donc de justifier le vinaigre sur les deux accusations suivantes ; l’une, qu’il est nuisible aux femmes ; & l’autre, qu’il est corrosif. Quant à la premiere, il répond, « qu’il ne faut pas dire du vinaigre, pour le rendre suspect au monde, qu’il en incommode la plus belle partie, parce que s’il nuit aux femmes, comme on le croit, il y a quantité d’autres choses plus dangereuses, dont il faudroit donc ôter la possession au genre humain ; on en sera quitte, continuë-t-il, pour leur en ménager l’usage, en le rendant plus ami des nerfs par le moïen des fleurs de sureau ou d’œillets qu’on y fera infuser. »

On s’étonnera peut être qu’un Auteur, qui fait si fort l’austere, témoigne ici quelque tendresse pour les Dames, en les appellant de si bon cœur, la plus belle partie du monde ; mais outre qu’il souscrit en cela au sentiment commun, cette expression lui est d’autant plus pardonnable, qu’elle pourroit bien être l’effet de quelques[73] panais sauvages, mangez par mégarde, ou de quelques noix qu’il n’auroit pas songé à faire tremper dans de l’eau.

Pour la seconde, il avertit qu’il n’en est pas de l’acide du vinaigre, comme de celui des mineraux. Que celui du vinaigre est vineux, & contient par conséquent assez de parties sulfureuses pour n’être point corrosif absolument ; au lieu que celui des mineraux est caustique ou brûlant, parce que rien d’huileux ne le tempere.

Si cela est, l’acide du sucre ne sera donc pas tel qu’on vient de nous le representer. Car enfin le sucre est un vegetal, & un vegetal des plus sulfureux : mais il n’importe, voïons ce que nôtre Auteur ajoûte. Il conclut que ce qu’on raconte d’Annibal, qui se fit un chemin par les rochers avec du vinaigre, est faux ou exageré. Mais de quoi sert-là ce trait d’Histoire, & en même temps quelle conclusion ? Car enfin, outre qu’il est constant que le vinaigre ronge la pierre, comme on peut s’en convaincre, en laissant tremper pendant quelques heures, de petits cailloux dans du vinaigre ; il ne s’ensuit pas que s’il ne peut ronger des rochers jusqu’au point de donner passage à une armée, il ne s’ensuit pas, dis-je, qu’il ne soit pas corrosif. Il l’est assez pour dissoudre les perles les plus dures, & l’on sçait là-dessus l’Histoire de Cleopatre[74]. Au reste on voit bien que l’Auteur n’a pas consulté ici Tite-Live. Cet Historien ne prétend pas qu’Annibal s’en soit tenu au vinaigre en cette occasion, il s’agissoit de mettre par éclats un rocher qui s’opposoit au passage. Pour en venir à bout, ce Capitaine y fit apporter une quantité prodigieuse de troncs d’arbres, qu’on alluma ; & quand l’incendie eut produit son effet, on jetta sur ce rocher presque calciné, & encore tout ardent, une quantité extraordinaire de vinaigre, qui acheva de le faire éclater en plusieurs endroits. Ensuite, avec des haches, des coins, & d’autres instrumens de fer, on trouva moïen de s’ouvrir un chemin, où l’on pût conduire, non seulement des chevaux, mais encore des élephans. Voilà le fait comme il est rapporté dans Tite-Live[75], par où on voit que le vinaigre, ne fut pas l’unique ressource d’Annibal dans cette rencontre.

On a ignoré jusqu’ici, que Pline fût du nombre des Auteurs qui rapportent qu’Annibal se fit un chemin par les Alpes, à l’aide du vinaigre ; mais l’Anonyme nous avertit à la marge, que cet Historien le dit dans le chap. 20. du Livre 14. Or voici tout ce qu’on trouve dans ce chapitre 14. au sujet du vinaigre : Aceti nequitiæ inest virtus magnos ad usus, & sine queis vita mitior degi non possit. Peut-être que l’Anonyme s’est mépris, & qu’il a voulu citer le Chapitre 1. du 36. Livre, qui est le seul endroit où Pline parle du passage d’Annibal à travers les Alpes ; mais par malheur, Pline n’y fait nulle mention de l’expédient du vinaigre. Annibal, dit-il, & aprés lui, les Cimbres vinrent à bout de traverser les Alpes, ce que nos Ancêtres ont regardé comme une espece de prodige. Cædimus montes, trahimusque, nullâ aliâ quâm deliciarum causâ, quos transcendisse quoque mirum fuit. In portento prope majores habuere Alpeis ab Annibale exuperatas, & postea à Cimbris : nunc ipsæ caduntur in mille genera marmorum, &c. Mais laissons cette digression, & suivons nôtre dessein.


DE LA MOUTARDE.


La Moutarde ordinaire est une pâte liquide, acre & picquante, composée de graine de moutarde, d’un peu de farine, & de vinaigre. Ce mélange fait un assaisonnement fort propre pour exciter l’appétit, & pour dissiper les humiditez superfluës. Il convient à ceux dont l’estomac & les intestins sont embarrassez de viscositez, à ceux qui ont le cerveau trop chargé, à ceux qui sont sujets aux fluxions & aux catharres : mais pour les personnes d’un tempérament sec & bilieux, elles n’en doivent attendre que de mauvais effets, comme il est facile d’en juger par la qualité du sel que contient la graine de moutarde, lequel est si acre, qu’un peu de moutarde appliqué sur quelque partie du corps, y excite des vessies & des pustules. Les jeunes gens, pour l’ordinaire, doivent fuir la moutarde ; mais elle est bonne aux vieillards[76], à cause des humiditez de l’âge ; & l’exemple de ce Pape[77], qui ne pouvoit presque se passer de cet assaisonnement, dont il se trouvoit bien d’user tous les jours à souper[78], n’est pas le seul qu’on pourroit alleguer sur cette matiere. Au reste, quand nous parlons de la moutarde, nous n’entendons point parler de celle que l’on prépare avec le vin doux, ou dans laquelle on mêle le vin cuit & le sucre : on l’adoucit par-là ; mais on la dépoüille en même temps de sa principale vertu, & on la rend trés-bilieuse. Ainsi la moutarde de Dijon, quoique la plus agréable au goût, doit être regardée comme la moindre de toutes. Il est vrai qu’elle est fort renommée, mais elle ne mérite guéres ce renom, qui d’ailleurs pourroit bien n’être venu que d’une pure équivoque. On raconte qu’en 1382. Charles, Roi de France, allant avec son oncle Philippes le Hardi, Duc de Bourgogne, au secours de Loüis, Comte de Flandres, contre les Gantois qui s’étoient révoltez, la ville de Dijon leva à ses frais mille hommes, pour grossir l’armée de ces Princes ; & qu’en reconnoissance de ce service, le Duc donna, entr’autres privileges, à la ville de Dijon, celui de porter ses Armes, avec son cri qui consistoit en ces trois mots, Moult me Tarde, disposez de maniere sur un rouleau, que le premier & le dernier mot se trouvoient sur la même ligne, & celui du milieu un peu au dessous : en sorte que plusieurs personnes, soit par ignorance ou par promtitude, ne lisant que les deux mots d’en haut, Moult Tarde, prirent ce cri pour un écriteau, où la Ville annonçoit qu’il se fabriquoit chez elle de meilleure moutarde qu’ailleurs. Quoiqu’il en soit, cette moutarde est plus propre par sa douceur, à faire tourner en bile les alimens, qu’à les faire digerer. La bonne moutarde est celle qui se prépare simplement avec la graine de moutarde, & un peu de verjus ou de vinaigre. Quelques-uns y font broïer des amandes douces ; on la rend par ce moïen plus blanche & plus agréable, mais moins propre à purger le cerveau & à débarrasser l’estomac.

Nous avons dit que la moutarde étoit propre pour purger la pituite, mais l’Auteur du Traité des Dispenses y reconnoît une qualité bien supérieure à celle-là. C’est de donner de l’esprit & du plus solide. Peu de gens ignorent la fable d’Apollon, qui se mit un jour à vendre de l’esprit. Si on est en peine de sçavoir comment il s’y prenoit pour cela, la chose est claire à présent ; c’étoit, sans doute, de la moutarde qu’il vendoit. De quel débit ne seroit point une telle marchandise, si elle donnoit aussi de la mémoire ? Car Apollon, comme on sçait, ne trouva pas grands acheteurs ; tandis que Mercure, marchand de mémoire, vendit plus qu’il ne voulut. Mais il n’importe, comme l’esprit n’est pas moins rare, quoique presque tout le monde s’en croïe pourvû, c’est toûjours beaucoup de sçavoir qu’on en peut acheter, & qu’il n’y a que de la moutarde à demander.

Mais comment la moutarde peut-elle donner de l’esprit ? Nôtre Auteur l’explique. « Tant de belles qualitez, dit-il, se confirment par l’observation qu’on a faite que la moutarde empêche le vin doux de boüillir, & de se fermenter, d’où l’on pourroit esperer qu’elle feroit quelque chose de semblable dans le sang, qu’elle préserveroit peut-être en plusieurs cas d’effervescence & d’ébullition : ce seroit lors, apparemment, qu’il se trouve chargé d’un acide dominant. »

Voilà qui est clair, & il faudroit être bien stupide aprés cela, pour ne pas voir que la moutarde doit donner de l’esprit ; mais en cas qu’on en voulût douter, l’Anonyme a de bons garands. C’est Pythagore parmi les Anciens, & Horstius avec Morison parmi les Modernes. « On a trouvé, remarque nôtre Auteur, la moutarde utile contre les vapeurs des femmes & des gens de Lettres, suivant l’observation d’un célébre Praticien (Horstius, de sanitat. tuend. lib. 2. cap. 1.) qui prétend que la moutarde donne de l’esprit. Aprés cela, poursuit-il, on ne doit plus s’étonner pourquoi Pithagore, lui qui faisoit si grand cas de cette principale partie de l’homme, estimoit si fort la moutarde. Un sçavant Botaniste d’Angleterre (Morison, dans son Histoire des Plantes,) ne lui a pas fait moins d’honneur, en attribuant à l’usage qu’en font les habitans du Nord, la solidité d’esprit qu’ont ces nations. Tant de belles qualitez se confirment par l’observation qu’on a faite, que la moutarde empêche le vin doux de boüillir, &c. » Voilà les garands de nôtre Auteur, mais ces garands ne lui sont pas fort favorables. Horstius, dont il ne cite point les paroles, dit que lorsque l’esprit est appesanti par une quantité excessive de pituite amassée dans le cerveau, laquelle se déclare par des décharges considerables de sérositez, par des tintemens d’oreille, des assoupissemens, des engourdissemens, il faut alors dégager & fortifier le cerveau ; que rien n’est meilleur dans cette occasion, que la muscade, l’oliban, le gingembre, la racine de pyrethre, la conserve de bourrache & la graine de moutarde[79]. Est-ce là dire que la moutarde donne de l’esprit ?

Pour Morison, dont on ne rapporte pas non plus le passage, voici ce qu’il écrit là-dessus. Fit autem ex Synapios femine trito quodvis modo condimentum, quo Germania, Belgium, Anglia, Scotia, aliæque Septentrionales Gentes frequenter utuntur, (proinde sapiunt, ut ait Johannes Ludovicus Vives) ut plurimum cum aceto quandoque verò cum vino, musto, &c. Par où on voit que Morison n’avance pas comme de lui, que les habitans du Nord doivent à la moutarde leur solidité d’esprit ; mais qu’il met cette prétenduë observation sur le compte de vivés. Peut-être Pythagore s’explique-t-il plus ouvertement ; il n’y a, pour s’en éclaircir, qu’à consulter Pline, à qui l’anonyme nous renvoïe. C’est au chap. 22. du Livre 20. à la verité, il nous renvoïe au chap 12. mais c’est qu’apparemment il a pris la citation dans Pierre Gontier, qu’il copie souvent sans rien dire, & qui cite ainsi par mégarde le chap. 12. pour le chap. 22. en rapportant ce que Pline fait dire à Pythagore sur la moutarde. Quoiqu’il en soit, voici ce qu’on trouve dans ce chap. 22. Synapi cujus in sativis tria genera diximus, Pythagoras principatum habere ex his quorum in sublime vis feratur, judicavit, quoniam non aliud magis in nares & cerebrum penetret. C’est-à-dire, qu’entre toutes les choses qui frappent vivement le nez & le cerveau, la moutarde, selon Pythagore, tient le premier rang, n’y aïant rien qui pénétre l’un & l’autre avec plus de force. Qu’y a-t-il là, qui donne lieu de penser que ce Philosophe estimât si fort la moutarde, & sur tout qu’il en fît cas, à cause du cas qu’il faisoit de l’esprit. Si on vouloit se donner la peine de confronter ainsi toutes les citations qui se trouvent dans le Traité des Dispenses, on verroit qu’elles sont la plûpart, ou supposées, ou aussi mal entenduës que celle-là.


DE L’OIGNON.


L’Oignon est une racine bulbeuse qui pousse de terre des feüilles longues d’un pied, étroites, fistuleuses & acres ; du milieu desquelles s’éleve une tige nuë, droite, ronde & creuse, haute d’environ trois pieds, portant en son sommet une grosse tête avec un bouquet de fleurs blanches, & quelquefois purpurines, composées chacune de six feüilles. Cette racine n’a point de grosseur déterminée ; il y a des oignons gros comme des pommes médiocres, & d’autres qui ne le sont pas plus que des noix. Les uns & les autres sont garnis de plusieurs enveloppes : ils ont un goût acre trés-picquant, & une odeur si forte, qu’elle pénétre les yeux jusqu’à en exprimer des larmes. Il y a des oignons rouges, & des oignons blancs ; ces derniers sont les moins forts. On ne croiroit pas que ce fût assez de manger de l’oignon pour se bien porter, c’est pourtant ce qu’on voudroit nous insinuer dans le Traité des Dispenses. « L’oignon, nous dit-on dans ce Livre, convient aux estomacs qu’un aigre vitieux dérange ; car il détruit particulierement les aigres, & par-là, contribuë aux coctions, & subtilise les humeurs, jusqu’au point de les évacuer par l’insensible transpiration. Il ne faut donc pas s’étonner, poursuit-on, si Asclepiade disoit qu’il ne falloit manger que de l’oignon pour se bien porter. » Nôtre Auteur, au reste, n’entend parler ici que de l’oignon blanc, & il avertit que l’oignon rouge n’est pas si bon à beaucoup prés ; il veut même qu’on évite celui-là pour une raison de conscience ; c’est que, dit-il, l’oignon rouge produit des sucs acres, tout propres à agacer les parties, & par conséquent à remuer les esprits ; ce qui doit suffire, ajoûte-t-il, pour le faire craindre aux gens sages, & qui veulent se conserver tels. Il remarque que les Egyptiens traitoient l’oignon de Divinité ; mais que leurs Prêtres, qui auroient dû être plus portez à l’adoration que les autres, étoient au contraire en défiance contre l’oignon, (l’oignon rouge sans doute) & en croïoient l’usage dangereux à ceux qui s’étoient consacrez, comme eux, à la continence.

Il est peu de gens qui veüillent révoquer en doute que l’oignon fasse couler des larmes. L’Anonyme croit néanmoins nécessaire de confirmer cette remarque en citant là-dessus Columelle, avec ces mots à la marge, cæpa lachrymosa : il observe en même tems que quoique l’oignon semble tout fait pour tirer des larmes, les Anciens n’ont pas laissé de le croire bon à la vûë, appliqué extérieurement, sur quoi il cite à la marge Hipp. lib. 2. de Diæta. mais il ne nous avertit pas qu’il a pris ces deux citations dans Pierre Gontier à la page 155. Gontier cite Columelle sans citer l’endroit ; l’Anonyme tout de même, n’en marque pas davantage. Gontier cite Hippocrate, & en même tems le Livre d’Hippocrate ; l’Anonyme n’y manque pas non plus.

Au reste, c’est un peu trop présumer des vertus de l’oignon, que de croire qu’il suffise d’en manger pour se bien porter, & nôtre Auteur lui-même est obligé de se dédire quelques lignes plus bas en avoüant ; « 1o. Que l’oignon n’est supportable que lorsqu’il est doux, qu’il n’est pas trop frais, qu’on l’a fait tremper dans de l’eau, qu’il est cuit, qu’on en prend avec mesure, & qu’on ne le mêle pas par tout ; 2o. Qu’il incommode les personnes délicates, comme feroient les gens d’étude, les estomacs foibles, les personnes vives, les entrailles échauffées, les tempéramens bilieux. »

Quoiqu’il en soit, l’oignon à ses bonnes & ses mauvaises qualitez ; il fortifie l’estomac, pourvû qu’on en use modérément ; il tuë les vers ; on en fait un syrop qui est fort bon contre l’asthme : mais d’un autre côté, l’oignon est rempli d’un sel acide volatil, sujet à enflammer la masse du sang, & à causer des maux de tête. Cet assaisonnement peut être bon aux vieillards, & aux tempéramens flegmatiques ; mais les jeunes gens & ceux qui sont d’un tempérament sec, en doivent éviter le fréquent usage. Nous disons la même chose de la ciboule, de l’échalote, & sur tout de l’ail, dont nous allons parler.


DE L’AIL.


L’Ail est une racine qui pousse une plante presque semblable à celle de l’oignon. Cette racine est bulbeuse, presque ronde, composée de quelques tuniques, dans lesquelles sont enveloppez plusieurs tubercules charnus, longs & pointus, d’un goût acre, & d’une odeur insupportable : c’est ce qu’on appelle ordinairement cosses ou gousses d’ail.

Sans l’odeur insupportable dont l’ail infecte l’haleine, cette racine mériteroit d’être regardée comme un présent de la nature. En effet nous n’avons guéres de meilleur rémede contre la malignité de l’air, & contre la corruption des humeurs. L’ail modérément pris, fortifie l’estomac & tous les visceres, il purifie la masse du sang, il résout les sucs trop visqueux, facilite le cours de tous les fluides : aussi trouve-t-on dans l’ail un excellent secours contre les fiévres tierces, & contre les fiévres quartes. Plusieurs personnes, pour se rendre le corps plus sain & plus vigoureux, prennent pendant le mois de Mai, tous les jours à jeun, un peu de beurre frais avec de l’ail & du sel, & on remarque que cette pratique n’est point sans succés. Le poisson le plus visqueux assaisonné d’un peu d’ail, en est plus ferme & de meilleur goût. L’anguille même qui est si mal faisante, trouve dans l’ail un puissant correctif ; & les légumes les plus grossiers, deviennent, par le moïen de l’ail, moins lourds sur l’estomac, & moins rebelles à la digestion. Les gens de mer, les ouvriers, ceux qui habitent des Païs froids, & marécageux, ceux qui vivent au milieu des neiges, se garantissent de mille infirmitez par le moïen de l’ail[80]. Ce qui ne doit point paroître étonnant à ceux qui sçavent que l’ail est une des choses qui contribuent le plus à la transpiration[81]. Cette racine, à la vérité, infecte l’odorat ; mais toute insupportable qu’elle est par sa mauvaise odeur, elle renferme peut-être ce qu’il y a de plus salutaire dans les meilleurs baumes. Un Auteur digne de foi[82], rapporte l’Histoire d’un vieillard réduit à l’extrêmité, pour avoir voïagé long-tems parmi les neiges, lequel fut enfin heureusement rétabli par l’usage d’un peu d’ail & de miel, mêlez ensemble, sans que ni les élixirs de vie, ni les vrais baumes, ni les eaux de canelle, ni tous les autres remedes semblables qu’on emploïa, eussent pû rappeller un peu en lui la chaleur naturelle. L’Auteur qui rapporte cette Histoire, est le Medecin même qui traita le malade : il ajoûte que le vieillard étant guéri, continua avec succés, pendant quelques jours, l’usage de l’ail, corrigé avec un peu de sucre, & déguisé en forme de dragée. Quelque sain cependant que soit l’ail, il s’en faut de beaucoup qu’il convienne à tout le monde. Il n’est propre qu’à ceux qui sont d’un tempérament flegmatique, à ceux qui sont accoûtumez à de grands travaux de corps, à ceux qui passent leur vie dans des climats froids & humides, &c.

L’Auteur du Traité des Dispenses, effraïé de la mauvaise odeur de l’ail, ne peut s’imaginer que cette racine puisse être bonne à quelque chose ; il ne songe qu’à la décrier, & ses déclamations sur ce sujet, sont accompagnées de certains traits d’érudition, qu’on ne sera peut-être pas fâché de voir ici. Il ne se contente pas de dire que l’ail est quelque chose de pernicieux ; mais il s’écrie avec un Auteur du cinquiéme siécle[83], dont il rapporte le nom à la marge, sans donner avis qu’il a pris dans Pierre Gontier[84] cette citation qui lui a paru quelque chose de beau sans doute : Heureux le nez qui n’est point exposé à se sentir empoisonné par l’horrible odeur des aulx ! Mais il cite les Grecs qui excommunioient ceux qui mangeoient de l’ail : mais il cite les Egyptiens qui s’étoient fait une divinité de l’ail, aimant mieux, nous dit-il, s’obliger à l’adorer, qu’à le manger : mais il cite l’exemple des Juifs qui mangent beaucoup d’ail, en punition peut-être, remarque-t-il, de leur infidélité, & de leur perfidie. Sur quoi fonde-t-il cette édifiante conjecture ? Sur un point d’antiquité que voici. « Puisqu’autrefois, reprend-il, on punissoit de grands crimes, en condamnant les criminels à vivre d’ail :

Parentis olim, si quis impiâ manu
    Senile guttur fregerit,
    Edat cicutis allium nocentius.


Ne pourroit-on pas croire que ce seroit par une juste punition du ciel, que ces malheureux se trouveroient comme condamnez à manger de l’ail, pour les rendre horribles au reste du genre humain ? Leur puanteur seroit donc la marque de leur anatheme. »

Certes voilà un curieux trait d’antiquité ! on punissoit autrefois de grands crimes, en condamnant les criminels à vivre d’ail. Et quels crimes ? les parricides : c’est Horace qui le dit, parentis olim, &c. Seroit-ce là un échantillon de la grande litterature de nôtre Auteur ? Comment s’est-il pû tromper de la sorte sur le sens d’un passage si connu ? Que ne consultoit-il quelqu’un ? il n’y a petit novice en fait de belles Lettres, qui n’en eût sçû assez pour lui apprendre que c’est ici une plaisanterie d’Horace, qui voulant marquer combien il déteste l’ail, pousse l’hyperbole jusqu’à dire, qu’il le croiroit plus propre à faire le supplice de quelque malheureux, qui auroit arraché la vie à son pere, qu’à être servi sur les tables des honnêtes gens : ce qui est une allusion à la coûtume des Atheniens de donner du poison aux criminels. Ce Poëte se trouva incommodé pour avoir mangé de l’ail dans un mets qui lui fut servi à un soupé chez Mecenas. Là-dessus il crie contre l’ail, à peu prés dans le même sens que Martial crie contre l’eau chaude, lorsque fatigué d’en avoir bû long-tems par l’ordonnance des Medecins, il dit que s’il a quelque ennemi, il le condamne à boire de l’eau chaude,

Et potet calidam qui mihi livet aquam[85].

Aprés la preuve que nôtre Auteur nous donne ici de son habileté à découvrir dans Horace de nouveaux traits d’Histoire, il n’y a pas à douter que si on le consultoit sur ce commencement de l’Ode 13. du second Livre :

Ille & nefasto te posuit ide
Quicunque primùm & sacrilegâ manu

Produxit arbos, in nepotum
Perniciem, opprobriumque pagi.
Illum & parentis crediderim sui
Fregisse cervicem, & penetralia
        Sparsisse nocturno cruore
                Hospitis.

Il n’y a pas, dis-je, à douter qu’il ne trouvât dans ces Vers un autre trait d’antiquité, & qu’il n’y vît clairement que l’on condamnoit autrefois à planter des arbres, ceux qui avoient tué leurs peres, ou égorgé leurs hôtes. Il est fâcheux pour un Auteur qui veut paroître si habile en tout genre, d’y réüssir si mal. Que ne lisoit-il l’Ode d’Horace[86], la suite du discours l’auroit peut-être éclairci, ou si le langage d’Horace lui étoit étranger, que ne cherchoit-il quelque Commentaire, quelque Traduction ? il y en a tant. Ce qui l’a trompé, c’est qu’il a crû que le mot olim signifioit-là autrefois ; puis voïant edat, qu’il a jugé être mis-là par syncope pour ededat, il n’a nullement douté qu’edat allium ne signifiât il mangeoit de l’ail ; & qu’ainsi le sens du passage ne fût, qu’autrefois, lorque quelqu’un étoit convaincu de parricide, on lui faisoit manger de l’ail en punition de son crime : Edat cicutis allium nocentius. Voïons cependant s’il n’y auroit pas moïen de l’excuser sur cette méprise. Pierre Gontier qu’il copie sans cesse, & dans le Livre duquel nous avons découvert par hazard qu’il a pris le passage en question, traite de l’ail dans un Chapitre exprés, où il rapporte les trois Vers Parentis, &c. en avertissant qu’ils sont d’Horace, sans marquer néanmoins de quel endroit ; & en marge vis-à-vis la citation, il met en étiquette, pour avertir de quoi il s’agit dans le texte : Allii usus in pœnam criminis. Cela supposé, voilà, ou peu s’en faut, nôtre Anonyme à couvert. Nous lui reprochons d’avoir cru bonnement que ces Vers d’Horace signifioient qu’on punissoit autrefois de grands crimes, en condamnant les criminels à vivre d’ail ; mais n’est-il pas excusable de l’avoir cru, en voïant à côté de l’endroit où il a pris le passage, Allii usus in pœnam criminis. Il est vrai que Gontier ajoûte à la même marge, & à côté des mêmes Vers, Horatii Jocus ; mais nôtre Auteur aura lû, sans doute, Horatii locus. Nous lui reprochons encore de n’avoir pas consulté le passage dans Horace même : mais outre qu’il ne croïoit pas se tromper, il ne trouvoit pas dans Gontier de quel endroit du Poëte le passage étoit tiré. Aussi ne l’a-t-il pas marqué non plus, dans le Traité des Dispenses.

L’Anonyme, au lieu de dire que l’on condamnoit autrefois à vivre d’ail ceux qui avoient tué leurs peres ou leurs meres, auroit pû remarquer que l’ail, chez les Anciens, a été long-tems regardé comme quelque chose de divin, qui avoit la vertu de purifier l’homme de ses soüilleures : ensorte que plusieurs voulant appaiser leurs Divinitez, quand ils les croïoient en colere contr’eux, se mettoient à manger de l’ail pour se purifier : ce qui fait dire à Perse[87] :

Tunc nigri lemures, ovoque pericula rupto,
Tunc grandes Galli, & cum sistro lusca sacerdos,
Incussere Deos inflantes corpora, si non
Prædictum ter mane caput gustaveris alli.


C’est-à-dire, On ne se contente pas de vous faire peur de l’apparition des esprits, ni de vous intimider sur les prétendus dangers qui vous menacent lorsqu’un œuf vient à crever ; mais les grands Prêtres de Cybelle & la Prêtresse d’Isis vous effraïent encore en vous annonçant que leurs Divinitez sont en colere, si vous ne mangez de l’ail trois matins de suite.

L’ail est un des plus grands poisons qu’on ait à craindre, s’il en faut croire l’Anonyme ; mais cela est exageré. A la vérité l’ail est d’une odeur insupportable, & échauffe considérablement ; mais loin d’être un poison, il est même un antidote contre plusieurs poisons, & contre la malignité de l’air, comme nous l’avons remarqué. Ceux qui en ont examiné avec le plus de soin les effets, prétendent que c’est un excellent remede contre la morsure[88] des chiens enragez. L’ail est caustique, continuë-t-on, & par conséquent pernicieux à la santé. Mais à la santé de qui ? si ce n’est des personnes d’un tempérament trop sec, ou qui sont d’une compléxion délicate. Car les gens replets, & ceux qui font de grands exercices de corps, se trouvent bien d’en user. D’ailleurs, la moutarde que nôtre Auteur recommande tant, n’est-elle pas caustique ? Ajoûtons que lorsque que l’ail est mêlé avec une suffisante quantité d’alimens, ou qu’il est cuit, il n’est plus si caustique[89]. Le feu le corrige même, jusqu’à lui ôter sa mauvaise odeur. Et à propos de cette odeur, nous remarquerons en passant, que lorsqu’on le prend crud, rien n’empêche mieux l’haleine d’en être infectée, que de manger d’abord ensuite un peu de racine de persil, ou de racine de poirée cuite sous la cendre[90].

Voilà ce que nous avions à observer sur la nature des assaisonnemens en particulier, il ne nous reste plus, dans cette seconde Partie, pour suivre la division que nous avons faite, qu’à examiner par quels moïens ceux que le maigre incommode, peuvent se le rendre plus supportable ; comment, quand on est absolument obligé de rompre l’Abstinence, on doit se conduire pour profiter de l’usage de la viande, sans rien donner à la sensualité ; & enfin à éclaircir plusieurs Questions concernant la matiere de l’Abstinence, lesquelles n’ont pû aisément entrer dans la premiere Partie.



  1. pag. 191. de la 1e. édit. & p. 338. de la 2e. tom. 1.
  2. Dissertation sur la boisson, pag. 15.
  3. Dissertation sur la saignée, & Dissertat. sur la boisson.
  4. Il dit néanmoins page 196. que le sang des vieillards contient un acide qui a besoin d’être concentré.
  5. p. 475. de la 1e. édit. & p. 308. de la 2e. tom. 2.
  6. pag. 191. de la 1e. édit. & p. 338. de la 2e. tome. 1.
  7. Le chyle & le lait sont la même chose, & l’Auteur en convient, pag. 475.
  8. pag. 196. de la 1e. édit. & p. 317. de la 2. tom. 1.
  9. pag. 216. de la 1. édit. & p. 380. de la 2. tome. 1.
  10. pag. 228. de la 1. édit. & p. 399. de la 2. tom. 1.
  11. pag. 62. de la 1. édit. & p. 106. de la 2e. tom. 1.
  12. pag. 152. de la 1. édit. & p. 253. de la 2e. tom. 1.
  13. p. 127. de la 1. édit. & p. 213. de la 2e. tom. 1.
  14. Petr. Gont. lib. & cap. 17. de cibis qui ex carnibus sumuntur.
  15. Ludov. Nonn. de re cibar. lib. 1. cap. 15. Petr. Gont. lib. 10. c. 18.
  16. Lud. Nonn. lib. 1. cap. 2.
  17. pag. 190. de la 1e. édit. & p. 335. de la 2e. tom. 1.
  18. Pline, lib. 11. cap. 41.
  19. Pag. 195. de la 1e édit. & p. 346. de la 2e, tom. 1.
  20. Pag. 195. & 196. de la 1e édit. & p. 346. de la 2e, tom. 1.
  21. Pag. 200. de la 1e édit. & p. 353. de la 2e, tom. 1.
  22. Pag. 201. de la 1e édit. & p. 355. de la 2e, tom. 1.
  23. Pag. 226. de la 1e édit. & p. 397. de la 2e, tom. 1.
  24. Petr. Gont. lib. 10, cap. 9.
  25. Quercet. in consil. de Nephrit.
  26. Quercet. Diætet sect. 3. cap. 6.
  27. Hofmannus suo ipsius exemplo probat quam facile oleum in ventriculo corrumpatur, ubi testor fidem meam inquit cum patavii initio quadragesimæ edissem pisces frigidos in oleo frixos sensisse me per totum decenium ructus nidorosos. Sim. Paul. Quadr. Botan. class. 3.
  28. P. 257. de la 1e édit. & p. 446. de la 2e, tom. 1.
  29. On met environ quatre onces de sel sur chaque muids d’huile, pour qu’elle soit plus de garde, mais ce n’est rien en comparaison de ce qu’il en faut pour conserver le beurre.
  30. Herodot. in Thal. Petr. Gont. lib. 9. cap. 10.
  31. Galen de Simpl. Medicam. Falcult. lib. xj. Quercet. Diæt. sect. 3. cap. 8.
  32. Galen, ibid.
  33. Nonn. de re cibat. lib. 1, cap. 40.
  34. τὸ μέλι, ξὺν μὲν ἐτέροις ἐστἱόμενον, καὶ τρέφει, καὶ εὔχροιαν παρέχει. Hipp. de affectionib.
  35. Ludov. Nonn. de re cibar. lib. 1. cap. 40.
  36. Le Pére Lamberti, Relat. de la Mingrelie.
  37. Dioscor. lib. 11. cap. lxxv. Galen. lib. 7. de Simpl. Medic. Fac. Theophr. in Fragm. libel. de melle. Plin. lib. 12. cap. 8. Senec. Epist. 84.
  38. Voïez Angel. Sala in Saccarolog. lib. 1. cap. 4. Isaacus Hollandus, dans un Traité particulier du Sucre. Conrad. Kunrath medull. distillator. tract. 13. part. 1.
  39. Vvillisius noster, in Sacchari esum, sed enormem scorbut grassantis causam rejicit. Mund. de escul. & potul. cap. x.
  40. Mund. de oleo, saccharo, & melle.
  41. Qui avidiores sunt ad saccharum, & saccharatas confectiones immodicè deglutiunt, sanguinem sibi retorrent, perpetuam sitim incurrunt, ac fœdam dentium nigredinens contrahunt ; at juvenibus præsertim nocentissimum est qui calido & bilioso temperamento esse solent. Quercet. Diætetic. Polyhistor. sect. 3. cap. 8.
  42. P. 229. de la 1e édit.& p. 401. de la 2e. tom. 1.
  43. Mundius, de Esculentis, cap XI. de sale.
  44. Matth. Untzer. de sale. cap. 28.
  45. C’est à quoi l’Ecriture fait allusion dans ces paroles du chap. 18. des Nombres : Omnes primitias sanctuarii quas offerunt filii Israël Domino, tibi dedi & filiis ac filiabus tuis jure perpetuo. Pactum salis est sempiternum coram Domino tibi ac filiis tuis ; & dans celles-ci du second Livre des Paralipomenes, Num ignoratis quod Dominus Deus Israël dederit Regnum David super Israël in sempiternum ipsi & filiis ejus in pactum salis. cap. 8.

    Cette coûtume s’est même conservée pendant quelque tems, en certains endroits d’Allemagne, sur quoi on peut voir Vvigandus, in consid. Meth. & Theol. de sale, où il s’explique en ces termes : Apud senes Germanos nostrâ memoriâ moris erat, quando aliqui consentirent in aliquam rem quam communiter vellent exequi, ut posito acervulo salis in mensam, quilibet adsentiens, digitum in illud sal insereret, donec omnes haberent digitos suos in sale, nec fas erat posteà cuiquam impunè mutare sententiam ; ea verò consuetudo à priscis majoribus desumpta est, nunc verò novum sæculum, novique mores exorti sunt gravitati, fidei & constantiæ majorum, in rebus istis politicis parum respondentes. Voïez Untzer. de Sale, p. 147.

  46. Mundius de Esculentis cap. xi. de sale. immodicus ciborum salitorum usus scorbutum & cachexiam sæpe parit.
  47. Galen. comment. 6. in lib. Epidem. text. 5.
  48. Vincentius in speculo alchym. cap. 18. Æginet lib. 2. de re med. Lonicer. in herbar.

    Dioscor. lib. 5. Lemn. lib. 3. occult. cap. 9. Vitalis à furno lib. de venen. Guillelm. Fabric. cent. 2. observ. 98

  49. Lemnius lib. 3. occult. cap. 9.
  50. Gall. Etscheurent, libell. de Therm.
  51. Thom. Minadeus, Tract. de arthritid. item, Platerus, Forest. Vidusvidius, Ant. Fumanel.
  52. Joh. Vvittichius in Halilog. Augenius lib. 9. Epist. Joubertus tract. de peste cap. 13.
  53. Untzer. de lue pestiferâ.
  54. Agricola lib. 3. Fostil. cap. 8. Untzer. de Sale.
  55. Id. ibid.
  56. Id. ibid.
  57. In lipotimia cùm ex resolutione spirituum, tùm ex eorumdem oppressione, sal præstantissimum esse remedium si labra eo tricentur, aut æger id masticaverit, adfirmare ausus sum, millies enim in his in quibus vena incidenda aut incisa fuerit, cum fructu observavi, neque ullum hactenus remedium inveni, quod citiùs effectus suos edat. Guillelm. Fabricius in Epist. ad G. Horstium. Vide Untzer, de Sale cap 28.
  58. Plutarch. Plin. apud Math. Untzer. lib. de Sale, cap. 28.
  59. Videmus in nostris salinariis, mulieres salinarias plurium prolium esse feraces, cæteris ejusdem patriæ nostræ fœminis. Math. Untz. de Sale cap. 28.
  60. Docuit quoque experientia, obesas mulieres, ut Lemnius Lib. 2. occult. cap. 63. tradit, quæ magna ex parte effætæ sunt, moderato salis, in condimento, usu, fœcundas fieri ac conceptui idoneas, cum sal abstergat omnem uliginem, vulvamque plus satis udam ac madidam exsiccet, efficiatque ut genitale semen facilius utero minus lubrico adhærescat. Math. Untz. de Sale cap. 28.
  61. Ætius tetr. 4. Serm. lib. 6. cap. 104. Actuar. lib. 5. Matth. Medendi. Nicol. Myreps. de antidot. sect. 1. cap. 116. apud Joh. Quercet. Diœt.
  62. La dose de cette huile est de deux ou trois gouttes dans quelque liqueur convenable.
  63. Ætius tetr. Serm. 1. Oribas. Med. Coll. lib. 15.
  64. Fascicul. Dissert. Medicar. Theodor. Zuinger. Dissert. 4. de amygdalar. fructu.
  65. Mathias Lobelius tract. de Balsamo.
  66. Camerar. Syllog. memorab. Medicin. centur. 3.
  67. Apud Camerar. ibid.
  68. En plusieurs Païs on fait du pain où il y a du safran.
  69. Lusitan. comm. ad c. 25. lib. 1. Dioscor.
  70. Zwing. Phys. lib. 2. c. 26. Camerar. cent. 3.
  71. Omphucium, calidis morbis omnibus, feliciori juvamento est, quàm acetum quod præter refrigerandi vim, & caliditate acri pollet, secùs ac omphucium. Schrod. Pharm. class. 2.
  72. Petr. Gont. lib. 9. cap. 4. Omnibus intinctibus accommodatur, & his tam ad voluptatem quàm ad sanitatem admisceri solet.
  73. Il dit que les panais sauvages sont propres à attendrir les cœurs, p. 77. & que les noix, à moins qu’on ne les fasse macerer dans l’eau, sont telles, que les personnes trop sensibles ou trop tendres, doivent s’en garder, p. 382.
  74. Plin. lib. 9. cap. 35.
  75. Tite-Live Liv. 21.
  76. Galen. de Atten. Diæt. cap. 4. Ludov. Nonn. de re cibar. lib. 1. cap. 14. Petr. Gont. lib. 9. cap. 5.
  77. Clement VII.
  78. Pontan. Syntagm. 3. lib. 2. Atticar. bell. p. 177. Sim. Paul. Quadripart. Botan. class. 3.
  79. Horstius, de sanitate tuendâ studiosor. lib. 2. cap. 1.
  80. Si quis illis allii esu interdixerit, summopere nocebit. Ludov. Nonn. de re cib. lib. 1. cap. 19.
  81. Sanctor. Medic. Stat.
  82. Zacut. Lusitan. Prax. l. 1. observ. 31.
  83. Sydonius Apollinaris.
  84. Petr. Gont. lib. 6. cap. 19. p. 158. Felicem libeat vocare nasum cui non allia sordidæ quæ cœpæ ructant mane novo, inquit Sydonius Apollinaris. p. 261.
  85. Martial. lib. 6. Epigr. 86.
  86. Horat. Epod. 3.
  87. Satyr. v.
  88. canis rabidi morsum sanat. Pisanel. de esculent. & potul. facultat.
  89. Omnem cocturâ deponit malignitatem. Pisanell. de esculent. & potul. facult. Petr. Gont. lib. 6. cap. 19.
  90. Hanc internam mephitim radicibus Betæ sub cineribus coctis, vel rurâ, vel fabâ crudâ, vel radice odorâ angelicæ, vel apii aut petroselini, aut eorumdem foliis, restingui, atque obtundi & castigari experientiâ certum convicitur. P. Gont. lib. 6. cap. 19. Si radicem betæ in pruna tostam superederint, odor allii extinguitur ut autor est Alexander apud plinium. Lud. Nonn. de re cibar. lib. 1. cap. 19.