Traité de radioactivité/Tome 1/8

Gauthier (Tome Ip. 384-Tableau_B).


CHAPITRE VIII.

THÉORIE DES TRANSFORMATIONS DES CORPS RADIOACTIFS.



90. Théories de la radioactivité. — De l’ensemble des phénomènes qui ont été décrits dans les chapitres précédents on peut déduire les conceptions générales suivantes :

1o Il existe une série de matières radioactives qui manifestent à divers points de vue les propriétés connues de la matière à l’état gazeux ou solide, et dont la radioactivité n’est pas permanente, mais disparaît plus ou moins rapidement avec le temps. Tels sont le polonium, les émanations radioactives, les dépôts de radioactivités induites.

2o On constate dans certains cas que la radioactivité observée augmente avec le temps. C’est ce qui arrive pour le radium nouvellement préparé, pour les émanations qui viennent d’être introduites dans l’appareil de mesures, pour les dépôts de radioactivités induites dans la phase initiale de leur évolution, pour la radioactivité induite du radium à évolution lente, pour le thorium privé de thorium X, etc.

L’explication la plus satisfaisante de ces phénomènes est celle qui consiste à admettre que chaque fois que l’on observe une diminution de radioactivité, il y a destruction de matière radioactive, et que chaque fois que l’on observe une augmentation d’activité, il y a production de matière radioactive. Quand on observe une augmentation telle que celle qui a lieu, par exemple, pour le radium qui a été ramené à son activité minimum, ou pour le thorium qui a été soumis au traitement ayant pour but de séparer complètement le thorium X, on constate, d’ailleurs, que l’activité qui se reproduit progressivement n’est pas de même nature que celle que l’on n’a pas pu séparer, mais bien de même nature que celle qui a pu être séparée, et qu’elle possède des caractères absolument distincts que nous apprendrons à préciser d’une manière très complète. On peut admettre que toute espèce de rayons déterminée peut servir à caractériser une matière qui en est la source, apparaît et disparaît avec elle.

De plus, il importe d’insister sur ce fait que la radioactivité est une propriété essentiellement atomique, de sorte que toute création, ou destruction, d’une espèce de radioactivité distincte des autres, correspond à une création, ou destruction, d’atomes d’une certaine matière radioactive.

Nous dirons, par exemple, en nous plaçant à ce point de vue, que le radium est la source de production d’atomes d’un gaz nommé émanation ; que les atomes d’émanation sont susceptibles d’éprouver une destruction spontanée accompagnée de production d’atomes de dépôt actif, lesquels se détruisent aussi à leur tour. La formation des atomes de dépôt actif étant liée à la destruction des atomes d’émanation, il est naturel d’admettre que les atomes de dépôt actif se forment aux dépens des atomes d’émanation détruits.

La destruction du radium n’a pas pu être observée directement ; on peut cependant supposer que cette destruction a lieu réellement, tout en étant trop lente pour avoir pu être constatée, et que les atomes de radium donnent lieu, en se détruisant, à la production d’atomes d’émanation.

On peut admettre, d’une manière générale, que tout corps radioactif est en voie de destruction plus ou moins rapide, et qu’aucun état stable ne peut être atteint tant que la transformation donne lieu à la production d’un autre corps également radioactif. La stabilité ne pourrait être réalisée que pour la matière inactive.

La théorie qui vient d’être exposée est une théorie de transmutation d’éléments chimiques. Cette théorie se trouve parmi celles qui ont été proposées pour l’explication des phénomènes de la radioactivité, presque aussitôt après la découverte du rayonnement uranique. La forme précise sous laquelle la théorie est adoptée actuellement est l’œuvre de MM. Rutherford et Soddy[1]. Voici quelle a été la marche de l’évolution des idées à ce sujet.

Dès le début des recherches sur la radioactivité, la spontanéité du rayonnement de l’uranium conduisait à se demander quelle pouvait être la source de l’énergie se manifestant dans les effets produits par ce corps, énergie à débit extrêmement minime selon toute évidence, mais dont l’origine restait pourtant mystérieuse. Diverses hypothèses ont alors été proposées comme pouvant fournir une explication du phénomène. J’ai signalé les diverses hypothèses possibles dans un article très ancien sur cette question[2]. Ces hypothèses étaient les suivantes :

1o Le rayonnement est une émission de matière accompagnée d’une perte de poids des substances radioactives.

2o Le rayonnement est accompagné d’une diminution de l’énergie utilisable des substances radioactives. La radioactivité appartiendrait, par exemple, aux éléments à gros poids atomique dont l’évolution ne serait pas encore achevée.

3o Le rayonnement est une émission secondaire provoquée par des rayons analogues aux rayons Röntgen. Ces rayons excitateurs existeraient dans l’espace et ne seraient absorbés que par les éléments à gros poids atomique.

4o Le rayonnement serait produit aux dépens de la chaleur du milieu ambiant, contrairement au principe de Carnot. On aurait là l’exemple d’un mécanisme suffisamment petit pour transformer en travail extérieur la force vive des molécules. Le rayonnement serait, en quelque sorte, le reflet des mouvements non coordonnés des molécules matérielles.


Les hypothèses 1o et 2o sont admises par la théorie de désagrégation des éléments radioactifs. L’hypothèse 3o a donné lieu à quelques expériences de contrôle qui ont été citées au chapitre IV, et dont le résultat n’a pas été favorable à l’hypothèse.

Une hypothèse analogue à 4o a été proposée par M. Crookes qui supposait que l’énergie dégagée par les substances radioactives était empruntée à l’énergie cinétique des molécules du gaz environnant  [3]. Toutefois MM. Elster et Geitel ont trouvé que le rayonnement n’est pas plus intense dans l’air, sous la pression atmosphérique, que dans le meilleur vide qu’ils aient pu obtenir[4].

L’intérêt théorique de la nature de la radioactivité s’est trouvé considérablement augmenté après la découverte des substances fortement radioactives qui donnent lieu à un dégagement d’énergie beaucoup plus important que celui observé avec l’uranium. Dans une conférence faite en juin 1900, à Paris, j’ai eu l’occasion de revenir sur les causes possibles des phénomènes radioactifs[5], et à insister sur ce fait que l’on pouvait envisager principalement deux hypothèses fondamentales. L’une était celle d’après laquelle le dégagement d’énergie des substances radioactives était considéré comme incompatible avec les principes de l’énergétique, en particulier avec le principe de Carnot. L’autre hypothèse, prise en considération plus spécialement, était celle d’après laquelle les atomes radioactifs sont en voie de transformation. Voici comment elle était exposée : « La matière radioactive serait de la matière où règne un état de mouvement intérieur violent, de la matière en train de se disloquer. S’il en est ainsi, le radium doit perdre constamment de son poids… En adoptant cette théorie il faut nous résoudre à admettre que la matière radioactive n’est pas dans un état chimique ordinaire ; les atomes n’y sont pas constitués à l’état stable, puisque des particules plus petites que l’atome sont rayonnées, et les sous-atomes sont en mouvement. La matière radioactive éprouve donc une transformation chimique qui est la source de l’énergie rayonnée ; mais ce n’est point une transformation chimique ordinaire, car les transformations chimiques ordinaires laissent l’atome invariable. Dans la matière radioactive, s’il y a quelque chose qui se modifie, c’est forcément l’atome, puisque c’est à l’atome qu’est attachée la radioactivité »[6]

On peut d’ailleurs remarquer que la théorie, d’après laquelle toute production ou destruction de radioactivité est liée à la production ou à la destruction d’atomes radioactifs, admet comme base essentielle ce fait expérimental que la radioactivité est un phénomène atomique. À ce point de vue la théorie des transformations des corps radioactifs offre une extension naturelle des idées fondamentales qui nous ont conduits, P. Curie et moi, à la découverte du polonium et du radium.

L’étude des rayons et de leur identité avec les rayons cathodiques a donné lieu à diverses images d’un atome radioactif. C’est ainsi que M. Perrin[7] proposait pour un atome l’image d’un petit système planétaire dans lequel les corpuscules les plus éloignés du centre d’attraction seraient susceptibles de se détacher le plus facilement. Becquerel[8] proposait de considérer l’atome comme composé de particules chargées positivement ou négativement, conformément aux théories de M. J.-J. Thomson ; les particules chargées négativement constitueraient les rayons les particules chargées positivement les rayons , et il y aurait aussi des particules non chargées constituant l’émanation et pouvant former un dépôt matériel de radioactivité induite sur les corps solides ; les particules de ce dépôt subiraient à leur tour une subdivision donnant lieu à une émission de rayons matériels.

M. Rutherford a admis, dès 1900, que les émanations et les dépôts de radioactivité induite étaient de nature matérielle. À la suite de leurs expériences sur la nature chimique des émanations, MM. Rutherford et Soddy assimilaient celles-ci à des gaz inertes de la famille de l’argon. Enfin, au courant de recherches sur la séparation du thorium X à partir du thorium, ces mêmes savants ont admis, en 1902[9], que le thorium X est une matière chimiquement distincte du thorium et produite par celui-ci d’une manière continue, mais éprouvant en même temps une destruction spontanée suivant une loi caractéristique. La radioactivité constante du thorium résultait ainsi d’un équilibre entre la production de thorium X et sa destruction spontanée. MM. Rutherford et Soddy ont dès lors considéré que la radioactivité est due, d’une manière générale, à une désintégration atomique. Il résultait de plus, d’un travail fait par M. Rutherford en 1905, que les rayons sont, selon toute probabilité, des particules chargées positivement, de dimensions atomiques, émises avec une grande vitesse par les corps radioactifs. On pouvait donc admettre que le départ d’une telle particule entraîne la destruction de l’atome dont elle provient. Diverses expériences sur les émanations radioactives (diffusion, condensation à basse température, dissolution dans les liquides, etc.) étaient venues vers la même époque appuyer l’hypothèse sur la nature matérielle des émanations radioactives. Se basant sur l’ensemble de ces faits, MM. Rutherford et Soddy ont exposé, en 1903, une théorie détaillée des phénomènes de la radioactivité, considérés comme résultant de la désintégration des atomes ; ils ont indiqué en même temps diverses conséquences de la théorie proposée[10].

La découverte du dégagement spontané de chaleur par le radium, par P. Curie et M. Laborde, date du début de l’année 1903[11]. Cette découverte très importante est venue montrer combien est considérable le dégagement d’énergie du radium. Un atome-gramme de radium dégage pendant chaque heure une quantité de chaleur comparable à celle dégagée par la combustion dans l’oxygène d’un atome-gramme d’hydrogène. P. Curie et M. Laborde s’exprimaient à ce sujet ainsi qu’il suit : « Le dégagement continu d’une telle quantité de chaleur ne peut s’expliquer par une transformation chimique ordinaire. Si l’on cherche l’origine de la production de chaleur dans une transformation interne, cette transformation doit être de nature plus profonde et doit être due à une modification de l’atome de radium lui-même. Une pareille transformation, si elle existe, se fait avec une extrême lenteur, car les propriétés du radium n’éprouvent pas de variation notable en plusieurs années. Si donc l’hypothèse précédente était exacte, l’énergie mise en jeu dans la transformation des atomes serait extraordinairement grande. » P. Curie et M. Laborde indiquaient dans la même Note que le dégagement de chaleur pourrait aussi s’expliquer en admettant que le radium utilise une énergie extérieure.

Vers la même époque, M. J.-J. Thomson soutenait aussi l’opinion d’après laquelle le dégagement d’énergie du radium devait être attribué à une transformation atomique, et faisait remarquer que les quantités d’énergie mises en jeu dans les contractions d’atomes peuvent être considérables[12].

Enfin, c’est en 1903 qu’eut lieu la découverte par MM. Ramsay et Soddy de ce fait extrêmement important que le radium donne lieu à la production continue de gaz hélium[13]. On obtenait ainsi pour la première fois la formation d’un élément chimique parfaitement défini, l’hélium, à partir d’un autre élément chimique également bien défini et doué de radioactivité, le radium, et il y avait là un argument pour ainsi dire décisif en faveur de la théorie de transmutation des corps radioactifs.

On voit combien est considérable le nombre des faits qui ont été acquis vers l’année 1903, et combien important est le mouvement d’idées qui en fut la conséquence. Une base de plus en plus solide se trouvait établie pour la théorie de transformation atomique des corps radioactifs. Cette théorie, sous la forme précise que lui ont donnée MM. Rutherford et Soddy, s’est montrée d’une grande utilité pour la recherche expérimentale et s’est trouvée vérifiée en détail en un grand nombre de points, dont quelques-uns très importants. On doit à MM. Rutherford et Soddy plusieurs idées hardies et ingénieuses qui ont tout de suite donné une vie concrète à la théorie, et ont ainsi servi de point de départ à de nombreuses recherches. Citons, par exemple, l’opinion que les émanations sont des gaz radioactifs et que les radioactivités induites sont dues à des dépôts de substances solides ; que la radioactivité induite à évolution lente du radium est due à des matières qui peuvent être identifiées avec des corps radioactifs contenus dans les minerais d’urane, et qu’en particulier le polonium est un produit de la désagrégation du radium ; que le radium doit se former d’une manière continue dans les minerais d’urane, que les particules sont des atomes d’hélium. Divers calculs approchés proposés par M. Rutherford, se sont montrés aussi d’un grand secours pour les

progrès de la théorie.

91. Théorie de la transformation d’une seule substance. — Les bases de la théorie peuvent être présentées ainsi qu’il suit :


1o Toute matière radioactive simple se détruit spontanément suivant une loi exponentielle qui lui est propre et peut servir à la caractériser. Si atomes de cette matière existent au temps et atomes au temps on aura


est une constante caractéristique, nommée constante radioactive de la substance considérée, et la base des logarithmes naturels.

On a, en même temps,

Par suite le nombre des atomes qui se détruisent dans l’unité de temps est une fraction toujours la même et égale à du nombre des atomes présents à l’époque considérée.

Une réaction chimique qui se produit suivant cette loi, c’est-à-dire une réaction telle que la vitesse de réaction soit, à chaque instant, proportionnelle au nombre des molécules de la substance qui subit la transformation, se nomme en chimie une réaction monomoléculaire irréversible.

Le temps nécessaire pour que le nombre des atomes diminue de moitié est également une constante caractéristique de la transformation. Ce temps , que l’on peut nommer période, se calcule en écrivant


le signe désignant le logarithme décimal.

On peut enfin définir une troisième constante reliée à et à et pouvant servir également pour caractériser la transformation. Pour cela on peut écrire


la constante est alors un temps qui peut être nommé la vie moyenne de la substance.

Soit, en effet, le nombre d’atomes existant au temps Le nombre des atomes détruits pendant le temps est égal à ces atomes ont existé pendant le temps Par suite la vie moyenne d’un atome se calculera par la formule

L’intégrale représente l’aire comprise entre la courbe et les axes. Le temps est une abscisse moyenne telle que

On a, par exemple, pour l’émanation du radium,


2o Le rayonnement d’une substance radioactive simple est proportionnel au nombre des atomes qui se détruisent dans l’unité de temps, et par suite aussi au nombre des atomes présents à un instant donné.

Une substance radioactive qui est en voie de destruction conserve néanmoins ses propriétés inaltérées jusqu’aux limites d’observation qui peuvent être atteintes. C’est ainsi que la constante radioactive de l’émanation du radium ne dépend pas de la concentration de celle-ci, et ne se modifie pas à mesure que la quantité d’émanation diminue. On doit en conclure que l’émanation qui reste encore après un certain temps est exactement de même nature que l’émanation primitive. On voit ainsi que la transformation ne peut porter sur tous les atomes à la fois, mais sur une fraction du nombre des atomes seulement en un temps donné. On peut imaginer que dans chaque unité de temps un certain nombre d’atomes se détruisent en faisant, en quelque sorte, explosion, pendant que les atomes restants subsistent inaltérés.

Un atome qui fait explosion est un atome qui, pour une raison quelconque, ne réalise plus une configuration stable ; après l’explosion il se produit un réarrangement permanent ou temporaire de l’atome en une configuration nouvelle qui constitue un atome chimiquement différent de celui qui vient de se détruire.

Le rayonnement est l’indice de la transformation de l’atome. Celle-ci est accompagnée de l’expulsion de particules matérielles, portant des charges électriques et animées de grandes vitesses, et d’émission de perturbations électromagnétiques dans l’espace environnant.


92. Cas de deux et de trois substances. — Diverses hypothèses peuvent être faites en ce qui concerne la transformation d’une matière radioactive A en une matière radioactive B. On peut supposer que chaque atome de la matière A donne lieu, en se détruisant, à la production de atomes de matière B. On aura alors, en désignant par les lettres et les nombres des atomes des deux matières au temps , et par et les constantes radioactives des deux matières,


est la valeur de au temps

(I)                                                                                                    

Chaque atome de la matière A produit en se détruisant atomes de la matière B, dont la vitesse de destruction spontanée est d’ailleurs égale à On aura donc pour la matière B

Si la matière A se détruit très lentement, reste sensiblement constant et l’on peut poser

Si de plus on a pour on trouve

          avec          

Ce cas est celui que nous avons déjà traité pour établir la loi d’accumulation de l’émanation du radium dans une enceinte fermée (§ 68).

Quand les vitesses de destruction des matières A et B sont comparables, les nombres d’atomes des matières A et B au temps se calculent en résolvant le système d’équations différentielles

(II)                              
                                        

La valeur de étant connue par la formule (I), la valeur obtenue pour est la suivante :


et étant les valeurs respectives de et de au temps On peut considérer comme la somme de deux termes

Le terme correspond à la quantité de B qui à l’instant résulte de la transformation de la substance A initialement présente. C’est aussi la solution qui se déduit du système quand on admet les conditions initiales

Le terme représente la quantité de B qui reste encore après le temps de la quantité initialement présente. Cette solution est de même forme que la solution (I). Elle représente d’ailleurs la solution complète du système (II) pour les conditions initiales

Dans ces conditions, en effet, le système (II) se simplifie et se ramène à une seule équation analogue à (I)

Examinons maintenant le cas de trois substances A, B, C présentes initialement en quantités et dont chacune provient de la transformation de la précédente. Les valeurs de au temps satisfont au système d’équations différentielles

(III)                                                             
                              
                              


étant le nombre d’atomes de B qui proviennent d’un atome de A, et le nombre d’atomes de C qui proviennent d’un atome de B.

Les valeurs de et de étant connues par le calcul précédent, il suffit de trouver la valeur de On obtient pour celle-ci

Le terme représente la quantité de matière C qui à l’instant résulte de la transformation de la matière A initialement présente.

Le terme représente la quantité de matière C qui à l’instant résulte de la transformation de la matière B initialement présente.

Le terme représente la quantité de matière C qui à l’instant reste de la quantité initialement présente.

On peut remarquer que le terme est la solution d’un système analogue au système (II), et se déduisant du système (III) par suppression de tous les termes relatifs à . De même le terme est la solution d’une équation analogue à (I), à laquelle se réduit le système (III), quand on y supprime tous les termes relatifs à et à .

Il est d’ailleurs évident que si la matière C est seule initialement présente, la quantité de cette substance à l’instant donnée par correspond au problème d’une seule substance ; si la matière C dérive d’une matière B qui était aussi présente à l’instant initial, il faut ajouter à la solution une solution correspondant au problème de deux substances, et si la substance B dérive d’une substance A présente à l’origine du temps, un nouveau terme s’ajoute aux précédents, ce terme correspondant seul au problème de trois substances.

La solution complète pour est une combinaison linéaire de trois fonctions exponentielles


93. Cas général. — Les formules relatives à deux, trois et quatre substances ont été données par P. Curie[14], par M. Rutherford[15] et par M. Grüner[16]. Les résultats obtenus sont susceptibles de généralisation pour le cas d’un nombre quelconque de substances dérivant l’une de l’autre par transformations successives (famille de matières radioactives).

Désignons par


les nombres d’atomes à l’instant  ; par


les constantes radioactives ; par


les nombres d’atomes radioactifs semblables entre eux, produits par la destruction des atomes considérés.

On aura à résoudre le système d’équations

(IV)                                                   
               
                    

La solution qui fournit est une combinaison linéaire de fonctions exponentielles, caractérisées par les coefficients

Cette solution peut se mettre sous la forme d’une somme de termes

(V)                                   

Le terme représente la quantité de qui à l’instant résulte de la transformation de la matière 1. Soit la quantité de cette substance à l’instant 0. On trouve

Le terme suivant correspond au terme qui vient d’être écrit dans la solution d’un problème où interviennent les substances 2, 3, …, On peut donc l’écrire par application de la même formule générale

Les termes suivants s’obtiennent par le même procédé jusqu’au dernier pour lequel on trouve

Les résultats théoriques qui précèdent permettent de trouver la solution de tous les problèmes relatifs aux transformations radioactives. En voici quelques applications :


1o On considère une famille de matières radioactives, dont la première seule existe au temps Quelles seront à l’instant les quantités respectives de toutes les matières ?


La solution de ce problème est fournie directement par la théorie. Il suffit de faire dans les formules

On trouve

(VI)



2o On laisse s’accomplir pendant le temps l’évolution considérée dans le problème précédent. Ensuite on sépare la matière primitive restante (portion I) des matières dérivées (portion II). Quelles seront à l’instant à partir de la séparation, les quantités de ces matières dans la portion II ?


Ce problème se ramène au précédent si l’on remarque que l’évolution de l’ensemble des matières dans les portions I et II n’est pas altérée par le fait de la séparation. La quantité d’une substance quelconque dans la portion II à l’instant est la différence de la quantité de cette même matière dans l’ensemble et de la quantité présente dans la portion I. L’évolution de la portion I a d’ailleurs lieu de la même manière que dans le problème déjà traité, la quantité initiale de la matière primaire étant seule modifiée ; cette quantité a pour valeur

La quantité de substance d’ordre présente dans l’ensemble à l’instant est

La quantité de la même substance au même instant dans la portion I est

La différence représente la solution du problème envisagé, en ce qui concerne la substance d’ordre

(VII)                  
                                 
                                             


3o Un cas particulièrement intéressant est celui où la vie moyenne de la première substance est considérablement plus longue que celles des substances dérivées ; autrement dit, la constante radioactive de la première substance est très petite par rapport à toutes les autres constantes de la série. Tel est le cas de l’émanation du radium et des constituants de la radioactivité induite qu’elle produit : radium A, B et C. La quantité de l’une quelconque des substances est, dans le cas le plus général, représentée par une somme de termes exponentiels en etc. Après un temps suffisamment long par rapport aux vies moyennes des substances 2, 3, …, m, toutes les exponentielles deviennent négligeables par rapport à On obtient alors, à partir d’un état initial quelconque, les solutions limites suivantes dérivées des solutions V du problème général :

(VIII)               
               

Toutes les substances de la série ont donc la même loi de décroissance limite qui est celle de la substance primaire. Les quantités de toutes les substances conservent entre elles des rapports constants, et l’on dit alors qu’elles sont en équilibre de régime radioactif.

C’est ainsi que la loi de décroissance de l’émanation du radium a pu être déterminée par la mesure du rayonnement émis par la radioactivité induite qui l’accompagne ; quelques heures sont nécessaires pour que la loi exponentielle simple caractéristique de l’émanation puisse s’établir.

Les formules (VIII) se présentent sous une forme simplifiée si, dans les différences des constantes radioactives, on néglige par rapport aux autres constantes de la série. On obtient ainsi les valeurs approchées

(IX)                                       
               
                       

Les relations suivantes ont alors lieu entre les quantités

Ces relations sont réalisées à un degré d’approximation d’autant plus grand que les rapports sont plus petits.

Dans le cas particulier où c’est-à-dire dans le cas où chaque atome qui se détruit donne lieu à la formation d’un seul atome de la substance suivante, ces relations deviennent

Les nombres d’atomes des substances en présence sont donc alors inversement proportionnels aux constantes radioactives, ou proportionnels aux vies moyennes des substances.

Les nombres d’atomes qui se détruisent par unité de temps sont en ce cas les mêmes pour toutes les substances.

La possibilité d’un équilibre de régime est déterminée par la condition que les vies moyennes des substances dérivées soient courtes par rapport à la vie moyenne de la substance primaire. Le régime s’établit d’autant plus rapidement que les vies moyennes des substances dérivées sont plus courtes.

Quand la vie moyenne de la substance primaire est si longue que sa décroissance ne peut être observée pour aucune valeur accessible du temps, l’équilibre de régime devient un équilibre radioactif pratiquement permanent, c’est-à-dire que les quantités des substances dérivées atteignent elles-mêmes des valeurs limites constantes. L’exponentielle peut en ce cas être égalée à l’unité pour toutes les valeurs du temps, et les formules (IX) deviennent

(X)                               
               
               

Ce cas est applicable aux substances radioactives qui se sont montrées invariables dans les limites de l’expérience (radium, uranium).

Les relations entre les quantités des substances de la série deviennent alors rigoureuses, et ces relations peuvent se déduire directement des équations différentielles (IV), quand on y fait intervenir la condition de régime permanent, en égalant à zéro toutes les dérivées.

Pour chaque substance la vitesse de production est exactement compensée par la vitesse de destruction. Puisque la substance primaire reste constante, le nombre d’atomes de la première substance dérivée, produit par unité de temps, est aussi constant. Soit ce nombre qu’on peut nommer débit de la substance considérée. Quand la substance primaire est seule présente initialement en quantité les quantités des substances dérivées à l’instant s’obtiennent en remplaçant, dans les formules du problème (I), par et par

On trouve ainsi

(XI)

Pour de grandes valeurs de on obtient les solutions limites correspondant au régime permanent

(XII)                      
                                          


Si après le temps on sépare la substance primaire constante des substances dérivées qui se sont accumulées, la loi d’évolution de ces dernières s’obtient par les formules du problème (2) dans lesquelles on a fait


et

On obtient ainsi les formules suivantes :

(XIII)

Si l’on a laissé le régime permanent s’établir avant de séparer la substance primaire, on peut poser et les formules précédentes deviennent

(XIV)

En comparant les formules (XIV) aux formules (XI), on trouve que les termes qui se correspondent ont une somme constante pour toutes les valeurs du temps. Ces sommes représentent les valeurs des solutions limites (XII). Il en résulte la proposition tout à fait générale suivante :

Quand une famille de substances radioactives dérive d’une substance primaire constante, et quand on considère l’évolution de la famille à partir d’un état initial où la substance primaire est seule présente, la quantité de chaque substance dérivée tend vers une limite qui correspond à l’équilibre radioactif, et l’excès de la quantité qui correspond à l’équilibre sur la quantité actuellement présente décroît pour chaque substance suivant une certaine loi. Si, après avoir laissé l’équilibre s’établir, on sépare la substance primaire, la quantité de chaque substance dérivée décroît suivant une certaine loi, et cette loi est la même que la précédente. Les deux évolutions considérées sont dites complémentaires. Si l’on représente par une courbe la loi de variation avec le temps pour l’une des substances dans chacune de ces deux évolutions, la somme des ordonnées relatives, dans les deux courbes, à une même valeur du temps reste constante et mesure la quantité de cette substance dans l’équilibre radioactif. Les deux courbes sont dites complémentaires.

La même proposition s’applique aux équilibres de régime à un degré d’approximation d’autant plus grand que l’évolution de la substance primaire est plus lente.



La théorie des transformations radioactives qui vient d’être exposée suppose que la destruction des atomes d’une substance radioactive simple comporte la formation directe d’une seule espèce d’atomes radioactifs. Cette supposition s’est montrée, en général, suffisante ; cependant elle ne semble pas susceptible de rendre compte de la parenté probable entre la famille de l’actinium d’une part, et les familles de l’uranium et du radium, d’autre part. L’activité relative attribuable à l’actinium et à ses dérivés dans les minerais d’urane est plus petite que celle que l’on pourrait prévoir d’après l’hypothèse précédente (voir § 212). On est ainsi conduit à envisager la possibilité d’autres modes de transformation, dans lesquels deux espèces d’atomes radioactifs peuvent dériver directement d’une même substance primaire ; la désintégration est alors dite multiple. On peut concevoir deux modes de désintégration multiple :

1o Un atome radioactif d’une espèce déterminée donne lieu à la production de plusieurs atomes radioactifs d’espèces différentes ; 2o parmi les atomes radioactifs d’une certaine espèce, une proportion déterminée est utilisée pour la production d’un certain élément radioactif, tandis qu’une autre proportion est utilisée en même temps pour la formation d’un élément radioactif différent. M. Soddy[17] a montré que le deuxième mode de désintégration multiple permet d’établir entre l’uranium, le radium et l’actinium une liaison conforme aux résultats expérimentaux déduits de l’étude des minerais d’urane.

Soient le nombre des atomes d’une substance primaire à l’instant et la valeur de pour Supposons qu’un nombre d’atomes est détruit par unité de temps avec formation d’un nombre égal d’atomes d’une matière radioactive A, et qu’en même temps un nombre d’atomes donne lieu à la formation d’atomes d’une matière B. Désignons par et les nombres d’atomes des matières A et B, et par et les constantes radioactives de ces matières. Nous aurons pour la substance primaire

Si la vie moyenne de la substance primaire est longue par rapport aux vies moyennes et des substances A et B, un équilibre radioactif pourra s’établir, et l’on aura en ce cas

Les nombres d’atomes des substances A et B qui subissent pendant le même temps la destruction spontanée sont dans le rapport des constantes radioactives et relatives aux deux modes de désintégration. Ces nombres peuvent être très différents entre eux si les constantes considérées sont elles-mêmes très différentes.


94. Relation entre l’ionisation et les quantités de substances radioactives. — La théorie suppose que le rayonnement d’une substance radioactive est proportionnel au nombre d’atomes détruits par unité de temps. Désignons par les nombres d’ions produits dans un espace déterminé lors de la destruction d’un atome. Le nombre total des ions produits dans cet espace est donné par la formule

Le nombre d’ions ainsi produit dans une chambre d’ionisation et pouvant servir pour l’évaluation de l’intensité du rayonnement, dépend non seulement du nombre des atomes détruits, mais aussi des coefficients qui peuvent varier en valeur relative suivant la forme et les dimensions de la chambre. Ces coefficients se nomment coefficients d’activité des substances dans un appareil de mesures déterminé. Quand il y a équilibre radioactif, les nombres d’ions produits par les différentes substances sont entre eux comme les nombres

Si l’on représente par une courbe la variation de en fonction du temps, la courbe obtenue s’obtient en ajoutant les ordonnées correspondantes des courbes relatives aux diverses substances et représentant les produits en fonction du temps, ces ordonnées ayant été préalablement multipliées par les coefficients d’activité. La courbe qui en résulte pour a une forme qui dépend de la chambre d’ionisation utilisée.


95. Indépendance des constantes radioactives de toutes conditions extérieures. — Le rayonnement d’une substance radioactive étant proportionnel à la quantité de cette substance, tout agent susceptible d’affecter la loi de destruction de la substance doit affecter la loi de variation du rayonnement, exactement de la même manière. Si, en particulier, une substance a une activité constante, cette activité pourrait se trouver modifiée par un agent qui aurait pour effet d’altérer la loi de destruction très lente de cette substance. Si, par exemple, la destruction était rendue deux fois plus rapide, l’activité pourrait encore paraître constante, mais elle serait deux fois plus grande qu’auparavant.

Aucune influence de ce genre n’a encore pu être constatée, et nous devons considérer que, jusqu’à présent, les constantes radioactives se sont montrées insensibles à toute intervention étrangère. Il est remarquable, en particulier, que ces constantes ne semblent pas susceptibles d’être influencées par la température qui est un facteur si important dans les réactions chimiques. Ce fait est bien en accord avec l’hypothèse que la transformation des corps radioactifs ne saurait être de nature moléculaire, mais pourrait être une transformation atomique, les propriétés de l’atome n’étant pas fonction de la température. L’indépendance du rayonnement de la température a été vérifiée par H. Becquerel pour l’uranium et par P. Curie pour le radium (voir § 147).

Des expériences directes faites par P. Curie sur la loi de décroissance de l’émanation du radium ont montré que celle-ci est indépendante de la température entre - 180° et 450° (voir § 59). M. Rutherford a observé que la loi de destruction de l’émanation du thorium n’est pas altérée à la température de l’air liquide.

L’effet de la température sur la radioactivité induite du radium a été l’objet de nombreux travaux (voir § 176, 182). Le dépôt actif du radium est complexe, et les expériences n’ont pas toujours une interprétation simple. Toutefois il n’y a pas jusqu’à présent de raisons suffisantes pour penser que les constantes radioactives des matières qui constituent ce dépôt puissent être altérées par l’action de la température.

Les essais qui ont été faits pour examiner l’influence de très fortes pressions sur les transformations radioactives n’ont pas donné de résultat positif.

Diverses expériences, relatives au traitement chimique des substances radioactives ou des dépôts de radioactivité induite, sont en faveur de l’hypothèse que l’état de combinaison chimique et l’influence d’agents chimiques ne sont pas susceptibles de modifier les constantes radioactives. C’est ainsi que le dépôt radioactif du thorium décroît en solution suivant la même loi que s’il n’avait pas été dissous ; l’émanation du radium conserve sa loi de décroissance ordinaire quand elle est soumise à l’action d’agents chimiques très énergiques. On peut citer bien des exemples de cette nature ; cependant les expériences ne sont pas, en général, d’une très grande précision, et des effets peu importants auraient pu passer inaperçus.

Enfin on peut dire que les constantes radioactives semblent indépendantes de la concentration de la matière active dans de très larges limites. Les expériences sur l’émanation du radium sont particulièrement démonstratives à ce sujet, la concentration utilisée ayant varié dans un rapport de 1 à 1013.

P. Curie a fait remarquer que si les constantes radioactives sont indépendantes des conditions expérimentales d’une manière aussi complète, ces constantes peuvent servir pour établir des étalons de temps absolus.


96. Considérations à l’appui de la transformation atomique des corps radioactifs. — Voici un résumé des considérations qui conduisent actuellement à adopter la théorie de transformation atomique :


1o La théorie d’une transformation atomique des corps radioactifs donne une bonne interprétation du dégagement d’énergie considérable observé pour le radium, et de ce fait que ce dégagement n’est pas influencé par la température et se produit encore à la température de l’hydrogène liquide, à laquelle toute activité chimique est d’ordinaire arrêtée. Cette théorie explique en même temps l’indépendance du rayonnement de la température.

2o Les rayons émis sont de nature corpusculaire. Les rayons absorbables sont constitués, en grande partie, par des particules qui ont des dimensions atomiques. L’expulsion d’une telle particule doit entraîner la destruction de l’atome.

3o Il y a production continue d’hélium par le radium et par d’autres corps radioactifs. Il y a donc là certainement formation d’un élément chimique distinct en présence d’un autre élément chimique distinct. De plus il a été établi que les particules sont des atomes d’hélium. On peut donc admettre que les atomes de radium produisent des atomes d’hélium.

4o La théorie comprend toutes les manifestations d’activité temporaire : polonium, émanations radioactives, radioactivités induites, thorium X, uranium X, actinium X, etc., et en donne une explication simple. Elle rend compte également bien des augmentations et des diminutions d’activité qui peuvent être observées. Tous les phénomènes d’activité temporaire ont d’ailleurs un caractère tel qu’ils semblent attachés à des substances matérielles solides ou gazeuses.

5o La théorie est en accord avec l’hypothèse fondamentale d’après laquelle la radioactivité est un phénomène atomique. Elle développe cette hypothèse et l’étend aux phénomènes d’activité temporaire, considérés comme appartenant à des substances chimiquement distinctes. Elle reçoit à ce point de vue une confirmation importante dans les travaux récents qui mettent hors de doute que l’émanation du radium est un gaz susceptible d’être isolé et caractérisé par son spectre.

6o La radioactivité constante de l’uranium, du radium, de l’actinium, du thorium, n’est pas en désaccord avec la théorie. Il suffit d’admettre que la destruction de ces corps est très lente. Les travaux récents sur la production du radium dans les minéraux radioactifs sont venus confirmer la supposition que le radium est soumis à une loi de destruction spontanée.


Remarque. — M. Rutherford a été amené à admettre que certaines transformations radioactives peuvent avoir lieu sans émission de rayons (rayless change). Les expériences tendent à prouver de plus en plus qu’il existe effectivement des transformations qui ne comportent aucune émission de rayons mais qu’il y a toujours au moins émission de rayons . Toutefois la possibilité d’une transformation atomique non accompagnée de rayonnement n’est évidemment pas exclue. Si une substance inactive se transforme en une substance également inactive, ce fait ne pourra pas être constaté par les procédés d’étude de la radioactivité, mais on peut constater la transformation d’une matière inactive en matière active, ce dont nous verrons des exemples dans la suite de cet Ouvrage.


97. Écarts à partir de la loi simple des transformations radioactives. — Nous avons vu que, d’après la théorie adoptée, toute substance radioactive simple se transforme suivant une loi telle que le nombre d’atomes détruits dans l’unité de temps est proportionnel au nombre des atomes présents. Une loi semblable exprime simplement que la probabilité pour qu’un atome se trouve détruit pendant un temps donné est la même pour tous les atomes et indépendante de leur nombre, cette probabilité étant d’ailleurs proportionnelle au temps d’observation. Ce n’est donc autre chose qu’une loi moyenne ou loi des grands nombres, et l’on doit s’attendre à ce qu’elle ne se trouve vérifiée qu’avec une certaine approximation, d’autant plus grande que le nombre d’atomes qui entre en considération est plus grand lui-même.

Ne pouvant préciser les causes qui déterminent à un moment donné la destruction d’un certain atome, nous admettons que ces causes sont régies par la loi des grands nombres, et que la destruction d’un atome individuel est l’effet du hasard.

M. E. v. Schweidler a appliqué à ce problème les formules du calcul des probabilités[18]. Soit la probabilité pour qu’un atome soit détruit pendant le temps si cette probabilité est supposée indépendante de l’instant considéré et du nombre des atomes, est une constante, et si l’on désigne par le nombre d’atomes et par le nombre de ceux qui ont été détruits pendant le temps on aura

(I)
(I)


étant le nombre d’atomes au temps

La loi de destruction ainsi obtenue est donc bien celle que l’on admet pour une substance radioactive simple. Toutefois ce n’est qu’une loi limite pour un très grand nombre d’atomes. Pratiquement, il doit se produire des écarts à partir de cette loi, et la valeur de doit éprouver des oscillations autour de la valeur moyenne au temps qui est fournie par la formule (I). Ces oscillations se traduiront par des oscillations proportionnelles du rayonnement autour de la valeur moyenne au temps qui est donnée par une loi exponentielle simple. L’importance des oscillations peut être évaluée a priori.

Considérons une série d’intervalles de temps égaux à et dont le nombre est suffisamment grand. Si le temps total est petit par rapport à la vie moyenne de la substance considérée, la théorie admet que les nombres d’atomes détruits pendant ces intervalles de temps sont tous égaux entre eux. Il n’en est pas ainsi en réalité, et il se produit des écarts d’autant plus sensibles que le nombre d’atomes mis en jeu est plus petit. Désignons par le nombre total des atomes transformés pendant le temps de sorte que est la valeur moyenne du nombre d’atomes détruit pendant le temps En réalité, dans un intervalle de temps particulier, atomes se trouveront détruits, étant l’écart à partir de la valeur moyenne pour l’intervalle de temps considéré. On nomme écart relatif le rapport

À chacun des intervalles de temps correspond un certain écart relatif, et l’on nomme écart relatif moyen la quantité

L’écart moyen est égal à On peut démontrer que l’on a entre et les relations très simples

La relation précédente peut être soumise au contrôle de l’expérience. Considérons une substance radioactive qui produit l’ionisation de l’air dans un appareil de mesures. Les oscillations de la vitesse de destruction se répercutent sur l’ionisation obtenue, et, si l’on mesure celle-ci par les méthodes ordinaires, on peut chercher à mettre en évidence les irrégularités du courant. Ces irrégularités ont effectivement été observées. Pour les rendre visibles on a avantage à utiliser un appareil de mesures très sensible, tout en compensant aussi exactement que possible le courant d’ionisation que l’on étudie, car l’amplitude des irrégularités n’est en général qu’une petite fraction du courant lui-même.

Supposons que l’on mesure les quantités d’électricité mises en liberté dans la chambre d’ionisation pendant des intervalles de temps égaux Ces quantités sont proportionnelles aux nombres d’atomes détruits pendant les mêmes intervalles. Les écarts relatifs sur les quantités d’électricité recueillies sont les mêmes que les écarts relatifs sur les nombres d’atomes détruits. On peut ainsi déterminer expérimentalement l’écart relatif moyen D’autre part le nombre Z est proportionnel à la quantité d’électricité recueillie en moyenne par intervalle de temps et l’on a


étant le courant moyen.

Si l’on conserve une valeur constante à doit varier en raison inverse de et comme

Si la source de rayons n’émet que des rayons (polonium), et si la destruction d’un atome est accompagnée de l’émission d’une seule particule on a


étant le nombre d’ions produit par une particule et la charge élémentaire ; on suppose que les rayons sont complètement absorbés dans la chambre d’ionisation, et que se trouve ainsi bien défini. On sait, en effet, que toutes les particules émises par une substance radioactive simple, distribuée en couche extrêmement mince, peuvent franchir dans l’air la même distance et produisent le même nombre d’ions le long de ce parcours (voir § 124).

On obtient donc la relation

Le produit représente la quantité d’électricité libérée dans le gaz qui absorbe une particule La valeur de ce produit pour une particule du polonium est environ unité E.S. (voir § 135).

La formule indiquée permet de prévoir la valeur de l’écart moyen et de la comparer à la valeur fournie par l’expérience.

La méthode qui vient d’être décrite a été utilisée par M. Kohlrausch[19] qui opérait en opposant sur le même appareil de mesures deux courants d’ionisation de sens inverses fournis par deux échantillons de polonium d’activité très voisine. On constatait que la compensation ne peut pas se maintenir exactement, et l’on observait des irrégularités qui se sont montrées conformes à la théorie. L’intervalle de temps utilisé était égal à une minute, et les courants d’ionisation employés étaient de l’ordre de 10-10 ampère. L’écart moyen observé était en accord avec l’écart calculé.

MM. E. Meyer et E. Regener[20] ont fait des expériences analogues en compensant également l’effet du courant d’ionisation. Dans ces conditions l’électromètre accuse des oscillations autour d’une position moyenne. Ces oscillations sont représentées dans la figure 90. Le temps en minutes est figuré en abscisses, les positions de l’électromètre en ordonnées ;

Fig. 90.


la figure représente seulement les points de renversement du mouvement de l’électromètre, et ces points ont été réunis par des lignes droites ; en réalité le mouvement n’était pas uniforme.

Ces oscillations n’ont pas de signification simple au point de vue théorique. Cependant on peut prévoir que leur amplitude doit varier proportionnellement à la racine carrée du courant, et l’on trouve, en effet, que l’amplitude moyenne des oscillations varie comme quand varie dans le rapport de 1 à 100.

Les oscillations du courant ont été observées avec les rayons et avec les rayons pénétrants.

M. Geiger[21] a essayé de supprimer l’oscillation de l’électromètre en envoyant le même faisceau de rayons du polonium dans deux chambres d’ionisation séparées par une feuille d’aluminium mince que les rayons pouvaient traverser. Les courants obtenus dans les deux chambres étaient égaux et de sens inverse et pouvaient se compenser. Si les oscillations portaient bien effectivement sur l’intensité de la radiation, c’est-à-dire sur le nombre des particules du faisceau, la compensation une fois établie entre les deux courants devait se conserver, puisque les irrégularités de la radiation devaient affecter chacun des courants de la même manière. L’importance des oscillations observées a pu, en effet, être réduite de beaucoup par ce procédé ; cependant celles-ci n’ont pas disparu complètement, ce qui doit être probablement attribué à ce fait que les rayons utilisés n’étaient pas parallèles ; quand la suppression d’un rayon diminuait les courants dans les deux chambres, le rapport des diminutions dépendait de la direction du rayon.

L’oscillation relative du courant d’ionisation est moins importante pour les rayons pénétrants que pour les rayons Ce fait s’explique par cette considération que, pour obtenir la même ionisation, on doit utiliser beaucoup plus de particules que de particules

Deux méthodes de numération directe des particules ont été appliquées récemment par M. Rutherford[22] et par M. Regener[23]. La première de ces méthodes consiste à observer l’effet individuel de chaque particule par une méthode électrométrique ; la deuxième méthode consiste à compter les particules au moyen des scintillations qu’elles produisent sur un écran au sulfure de zinc. Ces expériences, dont il sera question au Chapitre suivant, permettent aussi d’étudier la loi d’émission des particules celle-ci a bien effectivement l’allure d’un phénomène régi par la loi du hasard, et des expériences plus complètes permettront de préciser l’analogie. On peut ainsi déterminer directement le nombre des atomes détruits en un temps donné ; on obtient en même temps, par la valeur de l’écart relatif moyen, une relation entre le nombre des particules fournies par la destruction d’un atome, le nombre d’ions produits par chaque particule dans le gaz, et la charge d’un ion ou charge élémentaire.

98. Causes possibles de destruction des atomes radioactifs. — Si la théorie de transformation des atomes radioactifs rend bien compte de l’ensemble des phénomènes observés, le mécanisme de cette transformation reste encore complètement inconnu. Pour éclaircir ce mécanisme on peut chercher si la propriété radioactive est connexe de certains autres caractères atomiques, c’est-à-dire si les substances fortement radioactives se différencient sous quelque autre rapport de la matière ordinaire. Il est fort remarquable que l’expérience n’ait guère donné à ce sujet d’indications caractéristiques. Parmi les substances fortement radioactives, le radium seul a pu réellement être étudié au point de vue chimique ; ce corps se comporte absolument comme un métal alcalino-terreux ; il en a les propriétés chimiques, et son spectre est tout à fait analogue à ceux des autres éléments de la famille ; les propriétés physiques des sels solides et dissous sont aussi tout à fait comparables. Dans sa famille le radium constitue le dernier élément de sa famille avec le poids atomique le plus élevé.

Les substances radioactives sont, en général, des éléments à poids atomique élevé. L’uranium et le thorium sont les deux éléments qui ont les plus gros poids atomiques. On pouvait supposer que le radium, élément beaucoup plus actif, aurait un poids atomique plus grand encore. On voit qu’il n’en est pas ainsi, cependant le poids atomique est élevé, et le radium vient se placer de suite au-dessous du thorium. Ces trois éléments constituent chacun une fin de série, mais cette remarque ne semble pas susceptible d’une généralisation absolue. Des expériences récentes ont établi l’existence d’une radioactivité très faible du potassium (39), et du rubidium (85,4), tandis que l’homologue supérieur de ces métaux, le cæsium (135) n’a pas été reconnu actif. D’autre part des éléments qui, dans l’ordre descendant des poids atomiques, sont très voisins du radium ne se montrent pas radioactifs (bismuth, plomb, thallium, mercure, etc.).

L’essai suivant a été fait pour découvrir une différence entre la matière radioactive et la matière inactive. On s’est demandé si pour le radium l’accélération due à la pesanteur est la même que pour les autres substances. Des expériences à ce sujet ont été faites par M. J.-J. Thomson[24] qui utilisait les oscillations d’un pendule constitué en partie par un sel de radium. M, Sagnac[25] a comparé les masses de deux ampoules de poids égaux, contenant l’une du baryum, l’autre du radium, en utilisant les oscillations d’une balance de torsion. Ces expériences n’ont conduit à aucun résultat positif.

Pour se rendre compte du mécanisme de la transformation, on peut aussi chercher à influencer celle-ci par des actions extérieures. Nous avons vu qu’en ce sens aucun résultat positif n’a été obtenu jusqu’à présent (§ 95). Les constantes radioactives des substances variables et l’intensité du rayonnement des substances constantes se montrent indépendantes des conditions extérieures dans les limites des observations. Ce résultat peut paraître surprenant surtout en ce qui concerne l’effet possible de la concentration. On pourrait penser, en effet, que le rayonnement émis par certains atomes est de nature à influencer la transformation des atomes qui reçoivent ce rayonnement et, s’il en était ainsi, l’influence de la concentration serait importante.

Faute d’indications expérimentales, on est réduit à des conceptions purement théoriques sur le mécanisme de la transformation et sur les causes possibles de celles-ci. On rencontre d’ailleurs une difficulté réelle à concevoir pourquoi certains atomes se détruisent presque aussitôt formés, tandis que d’autres persistent sans modification pendant un temps pour ainsi dire indéfini. Il est difficile d’échapper à la conclusion que, ou bien les atomes formés ne sont pas absolument semblables entre eux, ou bien leur destruction est amorcée par des circonstances accidentelles venant de causes extérieures. Dans la première manière de voir on pourrait espérer trouver des opérations, susceptibles de partager une matière radioactive simple en deux portions de vies moyennes différentes. Dans la deuxième manière de voir on devrait réussir à modifier les constantes radioactives par l’action d’agents extérieurs tels que la température, la pression, le champ magnétique ou électrique, l’action de radiations, les actions chimiques, etc. L’expérience ne s’est encore prononcée en faveur d’aucune des deux hypothèses.

Un essai de théorie a été fait en vue d’expliquer la destruction des atomes par la diminution progressive de leur énergie interne, en vertu de l’émission constante de radiation électromagnétique liée au mouvement des électrons qui constituent l’édifice atomique. M. J.-J. Thomson[26] a étudié théoriquement les configurations stables que peuvent prendre des électrons négatifs en nombre déterminé, contenus à l’intérieur d’une sphère ayant une charge positive distribuée uniformément dans son volume et effectuant, autour du centre de la sphère, des mouvements de rotation uniforme dans un même plan ; ces électrons se trouvent distribués à intervalles réguliers sur des anneaux concentriques. La radiation émise par un semblable anneau est, toutes choses égales d’ailleurs, d’autant plus faible que le nombre des électrons est plus grand ; ce rayonnement serait nul si la charge négative des électrons était distribuée uniformément sur le pourtour de l’anneau. On conçoit ainsi que la perte d’énergie par radiation électromagnétique puisse être très variable d’un atome à un autre. Cependant cette perte d’énergie amène nécessairement une diminution plus ou moins rapide des vitesses de rotation et, comme la stabilité d’une certaine configuration n’est réalisée que pour des vitesses supérieures à une certaine vitesse critique, il en résulte qu’à un moment donné l’arrangement devient instable et doit se modifier brusquement. Une telle modification brusque correspondrait à la transformation de l’atome. Il resterait cependant nécessaire d’expliquer la différence des vies des atomes individuels et la loi exponentielle de destruction.


TABLES DE FONCTIONS EXPONENTIELLES
RELATIVES À L’ÉMANATION DU RADIUM[27]




Ces Tables contiennent, pour différentes valeurs du temps les valeurs des fonctions et est la constante radioactive de l’émanation. Elles permettent, par conséquent, de calculer :

a. La fraction d’une quantité d’émanation qui reste après un temps d’une quantité initialement présente, subissant la destruction spontanée suivant la formule

b. La quantité d’émanation accumulée en un temps dans un vase clos qui contient la substance radifère, la quantité produite par heure étant supposée connue et égale à et la quantité initialement présente étant supposée nulle. On a en ce cas

La fonction égale aussi à est la vie moyenne, représente le temps réduit (voir § 69).

Les Tableaux A et B ont été établis en posant


ce qui correspond à une période jours.

Dans chacun des Tableaux A et B, l’intervalle de l’argument augmente vers la fin ; mais les différences, inscrites dans des colonnes spéciales, sont toujours données par heure. Si donc est l’argument proposé et l’argument immédiatement inférieur qui se trouve dans les Tables, on aura :


le signe se rapportant à la Table A et le signe à la Table B ; est la valeur de la différence donnée dans les Tables, prise sans égard au signe. Soit, par exemple, à trouver pour

On a et l’on obtient par le calcul

En interpolant de cette façon on introduira une erreur qui ne dépassera jamais 4 à 5 unités de la dernière décimale pour la Table A, et 6 à 7 unités de la dernière décimale pour la Table B. En pratique, on supprime généralement la dernière décimale après avoir fait l’interpolation ; mais si l’on veut que l’erreur ne dépasse pas une unité de la dernière décimale, on aura recours aux différences du deuxième ordre données dans la dernière colonne, et l’on fera usage de la formule


et étant pris sans égard au signe et désignant la valeur, en heures, de l’intervalle de à l’endroit correspondant, c’est-à-dire, suivant le cas, ou heures. En revenant à l’exemple ci-dessus, on a


et l’on calcule aisément

Il faut remarquer qu’au début de chaque Table les différences et sont données avec le même nombre de décimales que les valeurs des fonctions mais à partir de jours il y a pour une décimale en plus et, à partir de jours, deux décimales en plus ; des dispositions analogues ont lieu dans la colonne des Pour éviter toute chance d’erreur, les décimales supplémentaires sont inscrites en caractères différents.

Tableau A.
Tableau A (suite).
Tableau B.
Tableau B (suite).
  1. Rutherford et Soddy, Phil. Mag., 1903.
  2. Mme Curie, Rev. gén. des Sc, 1899.
  3. Crookes, Comptes rendus, 1899.
  4. Elster et Geitel, Wied. Ann., 1898.
  5. Mme Curie, Revue scientifique, 1900.
  6. Ces lignes écrites par moi en 1900, d’accord avec P. Curie, prouvent manifestement que, déjà à cette époque, une théorie de transmutation atomique des éléments radioactifs nous paraissait parfaitement probable. Si P. Curie a continué à envisager aussi la possibilité d’autres interprétations, c’est que la question était encore loin d’être résolue au point de vue expérimental. P. Curie a conservé pendant quelques années, dans ses publications, une forme très générale de la conception des phénomènes radioactifs.
  7. Perrin, Revue scientifique, 1901.
  8. Becquerel, Comptes rendus, 1901.
  9. Rutherford et Soddy, Phil. Mag., 1902.
  10. Rutherford et Soddy, Phil. Mag., mai 1903.
  11. Curie et Laborde, Comptes rendus, mars 1903.
  12. Thomson, Nature, 1903.
  13. Ramsay et Soddy, Nature, 1903.
  14. P. Curie, Comptes rendus, 1903 et 1904.
  15. Rutherford, Radioactivity.
  16. Grüner, Arch. des Sc. phys. et nat., 1907.
  17. Soddy, Phil. Mag., 1909.
  18. E. v. Schweidler, Congrès de Radiologie, Liège, 1905.
  19. Kohlrausch, Acad. Vienne. 1906.
  20. Meyer et Regener, Deutsch. phys. Gesell., 1908.
  21. Geiger, Phil. Mag., 1908.
  22. Rutherford, Proc. Manch. Phil. Soc. 1908.
  23. Regener, Deutsch. phys. Ges., 1908.
  24. J.-J. Thomson, Int. El. Congress., Saint-Louis, 1904.
  25. Sagnac, Journ. de Phys., 1906.
  26. J.-J. Thomson, Phil. Mag., 1904.
  27. Les calculs relatifs à ces Tables ont été effectués par M. Kolowrat.