Tom Jones ou Histoire d’un enfant trouvé/Livre 04/Chapitre 07

Imprimerie de Firmin Didot frères (Tome 1p. 222-224).

CHAPITRE VII.



LE PLUS COURT DE CE LIVRE.

La mère de Molly s’aperçut la première du changement survenu dans la taille de sa fille. Pour le cacher à ses voisins, elle s’avisa de l’affubler de cette robe que Sophie lui avoit envoyée, ne soupçonnant guère que la pauvre femme auroit la sottise de la faire porter à ses filles, sans en changer la forme.

Molly fut enchantée d’avoir une occasion de montrer sa beauté dans tout son lustre. Si elle prenoit plaisir, vêtue de haillons, à se regarder dans un miroir, si elle avoit, sous la livrée de la misère, gagné le cœur de Jones, et peut-être celui de plusieurs autres, il lui sembloit que la richesse de son ajustement alloit donner un nouvel éclat à ses charmes, et multiplier le nombre de ses conquêtes.

Parée de la robe de Sophie, d’un bonnet neuf garni de dentelles, et de quelques autres dons de son amant, Molly se rend à l’église, le dimanche suivant, un éventail à la main. Les grands se trompent, s’ils croient avoir le privilége exclusif de l’ambition et de la vanité.

Ces nobles passions ne se manifestent pas moins sous le porche et dans l’intérieur d’une église de village, que dans les salons et les boudoirs de la capitale. La sacristie d’une humble paroisse voit éclore des intrigues, dont s’honoreroit un conclave. Ici est le parti du ministère, là celui de l’opposition, et des deux côtés se forment des complots, des intrigues, des factions comme dans les cours.

Les villageoises ne sont pas moins exercées aux ruses les plus subtiles de leur sexe, que les belles dames, leurs supérieures en rang et en fortune. À la porte du lieu saint, règnent la pruderie et la coquetterie : on aime à y étaler sa parure ; on s’y permet les œillades, la fausseté, l’envie, la malice, la médisance ; en un mot, tout ce qu’offrent d’ordinaire les cercles les plus polis et les plus brillantes assemblées. Que les grands cessent donc de mépriser l’ignorance du peuple, et le peuple d’insulter aux vices des grands.

Molly étoit assise depuis quelque temps, sans que ses voisines l’eussent reconnue. Chacune se demandoit à l’oreille : « Qui est cette demoiselle ? » Quand on sut que c’étoit la fille de Black Georges, il s’éleva du banc des femmes de telles risées et un tel bruit, que M. Allworthy fut obligé d’interposer son autorité, pour rétablir l’ordre et le silence.