CHAPITRE IV
ÉTUDE DES INTERFÉRENCES
33. Étude des interférences dans la théorie élastique. —
Lorsque deux rayons lumineux interfèrent, il y a
deux cas à distinguer :
1o Les deux rayons se propagent dans la même direction
ou du moins font entre eux un angle très aigu. S’ils se propagent
exactement dans la même direction, leur superposition
donne encore naissance à une onde plane ; s’ils font entre
eux un petit angle, on peut encore comme première approximation
admettre que l’onde résultante est plane ;
2o Les deux rayons qui interfèrent font entre eux un angle
voisin de 90 ou de 180 degrés : alors l’onde résultante n’est
plus une onde plane.
Nous allons établir analytiquement ces propriétés des
ondes.
34. Rayons faisant entre eux un très petit angle. —
Premier cas. — Nous aurons pour la première onde :
Pour la deuxième
est le même dans les deux expressions car nous supposons
les rayons de même couleur.
Si les rayons se propagent dans la même direction, les deux
plans d’onde coïncident et
S’ils se coupent seulement sous un angle très aigu,
sont des quantités très petites
vis-à-vis de
Pour l’onde résultante
Quand les rayons sont exactement parallèles et de même sens, les coefficients sont constants et l’onde
résultante est une onde plane.
Si l’angle des deux rayons est très petit, étant très
petit, les coefficients varieront, mais lentement, et nous pourrons
les regarder encore comme constants dans un petit
intervalle, celui d’une longueur d’onde, par exemple.
Jusqu’à ces dernières années les expériences se sont bornées
à ce cas, parce qu’autrement les franges seraient trop étroites
pour être observées.
35. Puisque l’onde résultante peut être assimilée à une
onde plane, les deux définitions de l’intensité conduisent au
même résultat. Nous admettons pour la calculer que l’intensité
est proportionnelle à la force vive moyenne.
Considérons deux rayons qui interfèrent en un point déterminé
de l’espace, supposons que le plan d’onde soit parallèle
au plan des
Premier rayon.
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Deuxième rayon.
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Rayon résultant.
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|
36. Plusieurs cas sont à examiner :
1o Les deux rayons peuvent provenir de sources différentes :
alors dépendent de l’état de la première source,
de l’état de la seconde. Ces états varient, et
cela d’une façon irrégulière indépendamment l’un de l’autre ;
les deux séries de coefficients varient donc d’une façon indépendante, ils prennent pendant l’intervalle de de
seconde toutes les valeurs possibles comprises entre deux
limites, et ces valeurs s’associent de toutes les manières possibles.
En vertu de la loi des grands nombres, on aura
en tout seize relations de ce genre.
37. Ceci s’applique aux rayons naturels. Imaginons maintenant
que les deux rayons aient été polarisés dans deux
polariseurs différents, les formules seront encore vraies.
En effet, quand un rayon traverse un polariseur ou une
lame cristallisée, les coefficients qui définissent
l’état du rayon à un instant déterminé, ou les coefficients
qui définissent son état moyen, subissent une
transformation linéaire ; autrement dit leurs nouvelles valeurs
sont fonctions linéaires des anciennes.
Si deux rayons qui interfèrent sont polarisés, les sommes
etc., que nous avons considérées, subiront aussi une
transformation linéaire et, par conséquent, demeureront nulles.
Deux semblables rayons ne peuvent donc interférer.
L’intensité du rayon résultant est en effet donnée par :
en posant
Les deux premiers termes représentent la somme des
intensités des deux rayons. D’après ce que nous avons vu,
il n’y a donc pas interférence, puisque l’intensité
résultante est égale à la somme des deux intensités composantes.
38. Les deux rayons peuvent provenir d’une même source,
et présenter une différence de marche parce qu’ils ont parcouru
des chemins différents.
Ce cas se divise en deux autres :
1o La différence de marche est très grande. Alors les coefficients
etc., dépendent de l’état que présentait la source
au moment où le premier rayon en est parti ; les coefficients
etc., dépendent de cet état au moment où le second en
est parti. Mais entre ces deux instants il s’est écoulé un temps
relativement considérable, les coefficients ont éprouvé des
variations très grandes, et tout se passe comme si les rayons
provenaient de deux sources différentes.
2o La différence de marche est faible. Alors l’état de la
source n’a pas sensiblement varié entre le départ des deux
rayons. Les coefficients et sont liés
par une loi simple. Il suffit de tenir compte de la différence de
phase et de poser :
Calculons
De même :
n’est pas nul, il y aura interférence.
39. Jusqu’ici nous n’avons parlé que de lumière naturelle.
Voyons ce qui arrivera si les rayons sont polarisés.
Supposons qu’ils aient traversé un même polariseur éteignant
les composantes parallèles à à la sortie de ce polariseur,
les coefficients sont nuls ; les autres
ont des valeurs quelconques et
Il y a encore interférence.
Supposons au contraire que le premier rayon ait traversé
un polariseur éteignant les composantes parallèles à et
le second rayon éteignant les composantes parallèles à
Alors
Tous les termes de s’annulent : pas d’interférence. Deux
rayons polarisés à angle droit ne peuvent interférer.
40. Faisons maintenant passer ces deux rayons (déjà polarisés
à angle droit) à travers un même polariseur qui ne
laisse subsister que les composantes parallèles à la direction
faisant avec un angle
Après son passage à travers les équations du premier
rayon étaient :
pour le second après son passage à travers
Le déplacement résultant suivant quand les rayons
auront traversé aura pour expression :
et l’intensité sera :
ou bien :
en posant :
Les deux premiers termes représentent respectivement
l’intensité de chacun des rayons s’il était seul. Il y aura donc
interférence ou non suivant que sera différent de zéro ou égal à zéro. Or :
Donc
Si la lumière primitive est naturelle il n’y a
pas interférence.
41. Si le rayon primitif est polarisé d’une polarisation
rectiligne ou elliptique, il n’en est plus de même et l’interférence
devient possible, ce que vérifie l’expérience. Deux
rayons d’abord polarisés dans un même plan, puis polarisés
dans deux plans rectangulaires, et enfin ramenés dans un
même plan, sont susceptibles d’interférer.
L’état de deux rayons polarisés dans des plans rectangulaires
n’est donc pas le même suivant qu’ils proviennent d’une
lumière primitive naturelle, ou d’une lumière primitive polarisée.
Dans le premier cas, en les recombinant, nous obtenons de
la lumière naturelle ; dans le second cas, nous reproduisons
de la lumière elliptique.
42. Rayons faisant entre eux un angle fini. —
Deuxième cas. — C’est le cas des expériences de Wiener. L’onde
résultante ne peut plus être assimilée à une onde plane ; par
suite, les deux définitions de l’intensité ne sont plus équivalentes,
et il faut les examiner séparément.
Pour obtenir les deux faisceaux, Wiener se sert d’un miroir sur lequel il fait tomber un faisceau de rayons parallèles. Ces
rayons se réfléchissent, et les rayons réfléchis interfèrent avec
les rayons incidents. Là où la différence de marche est assez
faible, c’est-à-dire au voisinage de la surface ; pour observer
les franges on les photographie sur une pellicule sensible
très mince , placée très obliquement par rapport à elles, de
façon à exagérer leur écartement (fig. 6).
Fig. 6.
Dans ces expériences, les faisceaux se coupent sous un
angle de degrés, si l’incidence est normale ; sous un angle
de degrés, si l’incidence est de degrés.
43. Incidence normale. — Les deux faisceaux se coupent
sous l’angle de degrés. Supposons le plan d’onde parallèle
au plan de et le déplacement parallèle à
Nous aurons :
Rayon incident
|
|
Rayon réfléchi
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|
Rayon résultant
|
|
Si nous adoptons la première définition de l’intensité, cette
quantité sera proportionnelle à la valeur moyenne du carré
de la vitesse, c’est-à-dire à la valeur moyenne de
Dans la seconde définition, l’intensité est proportionnelle à
la valeur moyenne de l’énergie potentielle En général
En se reportant à la définition de ces quantités, on voit
facilement que, dans le cas actuel, elles sont toutes nulles, sauf
qui se réduit à
Donc :
Or
s’annule pour les valeurs de comprises dans la formule :
ou
L’intensité passe donc par une série de minima nuls et de
maxima équidistants.
s’annule pour les valeurs de données par la formule :
ou
ce qui correspond encore à une série de minima nuls et de
maxima équidistants.
Seulement les ventres dans la première hypothèse correspondent
à des nœuds dans la seconde.
Il y a donc dans les deux cas une série d’ondes stationnaires,
et on ne peut savoir a priori quels sont les maxima
indiqués par la photographie. Je reviendrai plus loin sur
cette question.
44. Lorsque l’incidence est de 45 degrés les deux rayons se
coupent à angle droit.
Leurs vibrations peuvent avoir même direction ou être
rectangulaires. En effet, soient une onde parallèle au plan
des perpendiculaire à par conséquent, et une autre onde
parallèle au plan des perpendiculaire à On peut
supposer que pour l’une et l’autre la vibration est parallèle
à ou bien que pour la première elle est parallèle à et
pour la seconde parallèle à
Dans la première hypothèse, les équations du déplacement
résultant sont :
car on a respectivement pour les deux rayons
Dans la seconde hypothèse :
(1)
|
|
|
Dans l’une et l’autre les dérivées
sont nulles, et par conséquent
Cherchons ce que deviennent
Dans le premier cas :
Dans le second cas, comme et ne dépend pas de
Le premier système de valeurs, correspondant au cas où
les deux vibrations sont parallèles à donne pour le
carré de la vitesse :
et pour l’énergie potentielle
Les secondes valeurs relatives au cas où les deux vibrations
sont rectangulaires entre elles donnent
et
Dans le premier cas, la force vive est donc proportionnelle
au carré de la somme des sinus, et l’énergie potentielle à la
somme des carrés de ces mêmes sinus ; dans le second, au
contraire, c’est la force vive qui est proportionnelle à la
somme des carrés, et l’énergie potentielle au carré de la
somme de ces sinus.
45. Cherchons la valeur moyenne de ces quantités :
suivant qu’elle sera constante ou variable, il y aura interférence
ou non.
Premier cas. — La somme des sinus s’annule, quel que soit pour
Aux points correspondants à cette condition, il y aura minimum
de l’intensité définie comme proportionnelle à la force
vive.
La somme des ne peut s’annuler. La valeur moyenne
de chacun des est : donc l’énergie potentielle a une
valeur moyenne constante Il n’y a pas d’interférence.
Deuxième cas. — On trouve de même que dans le second
cas la force vive moyenne est constante, égale à Il n’y a
donc pas interférence quand on définit l’intensité par la force
vive.
Au contraire l’énergie potentielle s’annule quel que soit aux
points pour lesquels
il y a donc interférence quand l’intensité est définie par
l’énergie potentielle.
46. Nous pouvons résumer les résultats de cette discussion
dans le tableau suivant :
Intensité prop. à la force vive
|
|
Vibrat. parall. Vibrat. rectang.
|
Interférences. Pas d'interférence.
|
Intensité prop. à l'énergie potentielle
|
|
Vibrat. parall. Vibrat. rectang.
|
Pas d'interférence. Interférences.
|
47. L’expérience ne nous fait pas connaître la direction de
la vibration, mais seulement celle du plan de polarisation. Or
Fresnel admet que la vibration se fait perpendiculairement au
plan de polarisation. Neumann, au contraire, admet qu’elle
se fait parallèlement à ce plan.
Dans l’expérience les deux plans de polarisation peuvent
être ou parallèles ou rectangulaires.
48. 1o Les plans de polarisation sont parallèles entre eux,
tous deux parallèles au plan des par exemple. L’expérience
nous montre qu’il y a interférence. Si nous admettons avec
Fresnel que la vibration est perpendiculaire au plan de polarisation,
nos deux vibrations seront dans ce cas parallèles
toutes les deux à Il nous faudra admettre que l’intensité
chimique de la lumière est proportionnelle à la force vive de
l’éther.
Si nous acceptons la théorie de Neumann, c’est-à-dire que
nous regardions la vibration comme parallèle au plan de
polarisation, le premier rayon parallèle à aura sa vibration
dirigée suivant le second parallèle à aura sa vibration dirigée suivant Puisque chaque vibration est
perpendiculaire au rayon correspondant, les deux vibrations
sont rectangulaires, et il y a interférence. Il nous faut donc
définir l’intensité par l’énergie potentielle.
49. 2o Les plans de polarisation sont rectangulaires, l’un
est par exemple parallèle au plan des l’autre parallèle au
plan des L’expérience montre qu’il n’y a pas interférence.
D’après la théorie de Fresnel, les vibrations seraient rectangulaires
et, par suite, l’intensité proportionnelle à la force vive.
D’après celle de Neumann, les vibrations seraient parallèles
et, par suite, l’intensité serait proportionnelle à l’énergie
potentielle.
Les expériences de Wiener ne préjugent rien en faveur de
l’une plutôt que de l’autre théorie. Elles montrent seulement
que la théorie de Fresnel nécessite la proportionnalité de
l’intensité de l’action chimique de la lumière à la force vive
moyenne de l’éther, celle de Neumann au contraire entraîne
la proportionnalité de cette intensité à l’énergie potentielle
moyenne de l’éther.
50. Étude des interférences dans la théorie électromagnétique.
— 1o Supposons les plans de polarisation
parallèles au plan des étant la direction du premier
rayon, celle du second. On est conduit à admettre, nous en
verrons plus loin la raison, que la force électrique est perpendiculaire
et la force magnétique parallèle au plan de polarisation.
Les directions des divers éléments peuvent donc être
résumées dans le tableau ci-dessous.
|
Rayons
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Plans de polar.
|
Forces élect.
|
Forces magn.
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1
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|
2
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|
|
Pour l’onde résultante :
L’énergie électrostatique a pour expression :
pour l’unité de volume, elle est donc proportionnelle à :
c’est-à-dire au carré de la force électrique.
L’énergie électromagnétique
est proportionnelle au carré de la force magnétique :
Dans le cas que nous avons considéré, ces expressions se
réduisent respectivement à :
et :
Et il faut prendre les valeurs moyennes de ces expressions.
La première proportionnelle au carré de la somme des
cosinus s’annule en même temps que cette somme, c’est-à dire,
quel que soit le temps aux points qui satisfont à la
condition :
L’énergie électrique présentera donc des maxima et des
minima.
Au contraire, l’énergie électromagnétique proportionnelle à
la somme des aura une valeur moyenne constante.
Les expériences de Wiener montrent qu’il y a alors interférence.
Il faut en conclure que l’action photographique dépend
de l’énergie électrique.
Le seconde série d’expériences, dans lesquelles les plans de
polarisation sont rectangulaires conduit aux mêmes conclusions.
Il n’y a pas alors d’interférence, et on voit facilement
que la valeur moyenne du carré de la force électrique est
constante, tandis qu’elle est variable pour la force magnétique.
Pour le détail des expériences de Wiener, voir la traduction de son mémoire. Annales de chimie et de physique, 6e série, XXIII, 1891, et Bulletin des sciences physiques, Tome III, page 469.