Théorie mathématique de la lumière/2/Chap.01


Georges Carré (2p. 1-18).

CHAPITRE PREMIER


THÉORIE ÉLASTIQUE DE LA LUMIÈRE

1. Mouvement de l’éther. — Cette théorie attribue les phénomènes lumineux aux vibrations d’un milieu élastique, l’éther, répandu dans tout l’espace, même dans le vide.

Soit une molécule d’éther qui, dans l’état d’équilibre, occupe la position par suite de la vibration, elle viendra occuper une position telle que Le vecteur s’appelle le déplacement de la molécule. Si désignent les coordonnées du point celles du point les projections du déplacement sur les trois axes de coordonnées seront

Les composantes de la vitesse de la molécule suivant les mêmes axes seront :

et les composantes de l’accélération

Considérons (fig. 1) un petit parallélipipède rectangle dont les arêtes soient parallèles aux axes et aient respectivement pour longueur le volume de ce parallélipipède sera : Pendant la vibration,
Fig. 1.
ce parallélipipède se déplace et prend une position telle que , il devient un parallélipipède curviligne, qui peut être assimilé, en négligeant des infiniment petits du second ordre à un parallélipipède rectiligne, mais oblique.

Posons :

On démontre (voir le Cours d’élasticité, page 7) que les longueurs des arêtes du parallélipipède deviennent

Pour cette raison s’appellent les dilatations linéaires.

Les trois angles du trièdre qui étaient tous trois égaux à deviennent respectivement dans le trièdre

s’appellent les dilatations angulaires.

Quant à la diagonale elle devient et sa longueur est fonction des six dilatations.

2. Force vive de l’éther. — Soit la force vive ou énergie cinétique de l’éther. Nous avons comme expression du carré de la vitesse :

La masse du petit parallélipipède est étant la densité de l’éther. Par conséquent

3. Énergie potentielle de l’éther. — On a démontré, dans le Cours d’élasticité, page 43, § 26 et suiv., que l’énergie potentielle avait une expression de la forme :

étant un polynôme du second degré par rapport aux neuf dérivées partielles du premier ordre de

Si nous supposons que le milieu est isotrope et que dans l’état d’équilibre la pression est nulle, nous obtiendrons :

et sont les coefficients de Lamé ; est défini par l’égalité

On démontre qu’un élément de volume devient après la déformation

d’où le nom de dilatation cubique donné à

4. Valeur des forces. — Reprenons le parallélipipède , et considérons en particulier la face
Fig. 2.
perpendiculaire à (fig. 2) : l’aire de cette face est égale à Nous appellerons

les composantes suivant les axes de la pression qui s’exerce

sur cette face par unité d’aire, et nous conviendrons de regarder

les tensions comme positives, les pressions comme négatives.

Les composantes de la pression qui s’exerce sur la face seront donc :

On aura de même pour la face perpendiculaire à

et pour la face perpendiculaire à

D’après la théorie de l’élasticité :

et

5. Équations du mouvement. — En écrivant que la force d’inertie fait équilibre aux forces qui agissent sur l’élément nous obtiendrons les équations du mouvement :

ou :
(1)

et deux autres qu’on obtiendrait par permutation.

D’autre part :

Substituons ces expressions dans l’équation (1), il vient :

Les équations du mouvement seront donc :

(I)

6. Ondes planes. — Dans les cas des ondes planes, et ne dépendent que de et de Par suite :

Les dérivées prises par rapport à et à sont nulles et les équations du mouvement se réduisent à :

Ces équations sont celles des cordes vibrantes.

Supposons que le déplacement soit parallèle à

Le plan d’onde est parallèle au plan des La vibration est transversale.

Il reste donc seulement l’équation

Cette équation a pour intégrale :

et étant des fonctions arbitraires. Cette onde se propage avec la vitesse

Nous aurions obtenu un résultat tout à fait analogue en supposant le déplacement parallèle à

Si le déplacement est parallèle à l’équation

subsiste seule. L’intégrale

représente une vibration longitudinale, puisque le déplacement est perpendiculaire au plan d’onde, et la vitesse de propagation est

L’expérience nous apprend que les vibrations lumineuses sont transversales. En effet, dans les divers phénomènes de réflexion ou de réfraction, on retrouve toute la force vive du rayon incident dans les rayons à vibrations transversales. S’il existait des rayons à vibrations longitudinales, ils absorberaient une partie de cette force vive.

Nous admettrons donc qu’il n’existe pas de vibration longitudinale dans le rayon lumineux et par suite que :

7. Intensité lumineuse. Définition expérimentale. — Pour pouvoir comparer à l’expérience les conséquences des équations, il est indispensable de bien définir la quantité qu’on mesure dans les expériences, c’est-à-dire l’intensité lumineuse.

Il faut même donner de cette intensité deux définitions, l’une expérimentale, et l’autre théorique ; car nous voulons comparer la théorie à l’expérience, et, pour que cette comparaison soit possible, il faut bien en définir les deux termes.

Expérimentalement l’intensité se mesure à l’aide de trois sortes de phénomènes : 1o les effets physiologiques ; 2o les effets chimiques (photographiques) ; 3o les effets calorifiques de la lumière. À chacune de ces classes de phénomènes correspond une définition de l’intensité. Il n’est pas évident a priori que ces trois définitions sont équivalentes, et de fait il n’en est rien. Nous savons par exemple que l’intensité de l’action chimique d’un rayon varie avec sa couleur. Lorsqu’il s’agit de comparer deux rayons homogènes de même couleur, il est possible que l’effet physiologique soit proportionnel à l’effet chimique et il paraît bien en être ainsi dans le cas d’une onde plane ; mais dans les cas plus délicats, comme dans les expériences récentes de M. Otto Wiener, un seul mode d’évaluation est possible, c’est celui qui est fondé sur la photographie.

Nous sommes maîtres cependant d’adopter l’une de ces définitions et d’en examiner les conséquences.

Nous conviendrons donc de dire que deux lumières ont une égale intensité quand elles produisent dans le même temps la même action sur une plaque photographique ; qu’une lumière a une intensité plus grande ou plus petite qu’une autre suivant que, dans le même temps, elle produit sur une plaque sensible une action plus grande ou plus petite que cette autre.

Cette définition est purement expérimentale.

8. Définition théorique. — Au point de vue théorique, on a regardé souvent l’intensité comme proportionnelle à la force vive moyenne ou énergie cinétique de l’éther.

Cette force vive de l’éther, pour l’élément de volume est égale à :

soit par unité de masse

Supposons, par exemple, que la vibration soit rectiligne et prenons la direction de vibration au point considéré pour axe des alors :

la force vive sera :

et l’intensité sera proportionnelle à la valeur moyenne de cette expression.

Le mouvement étant périodique, nous pouvons poser :

en choisissant comme origine du temps l’instant où est la période ; a pour maximum en valeur absolue ; est l’amplitude.

L’intensité sera donc proportionnelle à :

elle est donc proportionnelle au carré de l’amplitude

Il n’est nullement évident que l’on définisse ainsi la même chose que par la définition expérimentale. Nous sommes tout aussi bien en droit de supposer que l’action photographique est proportionnelle, non pas à l’énergie cinétique moyenne, mais à l’énergie potentielle ou à l’énergie totale moyenne.

9. Ces diverses définitions de l’intensité, équivalentes dans certains cas, comme nous allons le voir, correspondent à des façons différentes d’envisager le mécanisme de l’action photographique.

Considérons en effet les molécules d’éther qui, dans leur
Fig. 3.
position d’équilibre, occupent une sphère infiniment petite Lorsque l’éther entrera en vibration, le centre de gravité de la sphère oscillera de part et d’autre de et en même temps la sphère se déformera : elle prendra une forme assimilable à celle d’un ellipsoïde (fig. 3) ; les axes de cet ellipsoïde exécuteront aussi une série d’oscillations.

L’intensité dépend-elle de l’amplitude des oscillations de ou est-elle en relation avec l’amplitude des oscillations des axes de l’ellipsoïde ? Nous ne le savons pas.

Si nous admettons que l’intensité est proportionnelle à la force vive moyenne, comme les composantes de la vitesse sont l’intensité dépendra de la variation de avec le temps, c’est-à-dire du déplacement du point Admettons au contraire que l’intensité est proportionnelle à l’énergie potentielle moyenne dépend des dilatations et ou bien encore des axes de l’ellipsoïde (Cf. Théorie de l’Élasticité, page 9) ; l’intensité dépendrait alors de l’amplitude des déformations de la sphère, autrement dit des variations périodiques qu’éprouve la distance de deux molécules, lesquelles variations sont fonctions des et des

Nous ignorons la nature des actions chimiques dont les plaques photographiques sont le siège. Sans doute les atomes matériels correspondants éprouvent le même déplacement et on pourrait être tenté de raisonner comme il suit :

Supposons que le déplacement du point soit considérable, et les déformations de l’ellipsoïde très petites. Notre sphère sera soumise seulement à un mouvement de translation ; la distance de deux molécules d’éther demeurera invariable pendant la vibration, et il en sera de même de la distance de deux atomes matériels puisque nous avons supposé que le déplacement de l’éther est le même que celui de la matière pondérable. Dans cette hypothèse on comprend difficilement la dislocation de la molécule chimique. Il ne pourrait donc y avoir d’action chimique, quelque grand que soit le déplacement du point quand l’ellipsoïde ne se déformerait pas. On conclurait donc que l’intensité dépend des variations des et des et non pas de celles de

Mais cette manière de voir ne s’impose pas.

Rien n’empêche de supposer que le déplacement de l’éther et celui de l’atome matériel sont seulement proportionnels, le coefficient de proportionnalité variant d’un atome à l’autre, et on arriverait à une conclusion inverse.

Dans le premier ordre d’idées, l’intensité serait proportionnelle à l’énergie potentielle moyenne ; dans le second cas, à la force vive moyenne.

Mois, répétons-le, aucune de ces hypothèses ne s’impose nécessairement.

D’ailleurs, dans la plupart des cas, et ce sont justement les seuls que, jusqu’à ces dernières années, nous ayons réussi à réaliser dans la pratique, les deux définitions sont équivalentes, c’est quand il s’agit d’ondes planes.

10. Ondes planes. — Prenons le plan de l’onde comme plan des

seront fonctions de et de seulement. Si la vibration est transversale, nous aurons :

Le premier terme dans chacune de ces expressions représente une perturbation se propageant vers les positifs.

Le second, une perturbation se propageant vers les négatifs. Nous supposerons qu’une seule de ces perturbations existe, sans quoi il y aurait interférence, et nos raisonnements ne seraient plus valables.

Nous poserons donc :

par suite :

L’intensité définie par l’énergie cinétique moyenne est proportionnelle à la valeur moyenne de

Calculons maintenant l’énergie potentielle en considérant l’énergie localisée dans un élément de volume et la rapportant à l’unité de volume :

Dans le cas actuel toutes les dérivées prises par rapport à et sont nulles, de plus ainsi que toutes ses dérivées. Donc :

Puisque et sont proportionnels à et les intensités données par les deux définitions sont donc proportionnelles.

11. Autres formes des équations du mouvement. — Nous avons trouvé pour représenter le mouvement de l’éther les équations :

Pour que les vibrations longitudinales aient une vitesse constamment nulle, il faut que

Introduisons cette condition, et les équations deviennent :

(II)

Si les vibrations sont transversales, on a à l’origine du temps,

et reste nul à une époque quelconque. En effet, différencions les équations (2) par rapport à et ajoutons, il vient :

et étant indépendants du temps. Si donc on a pour

et

est identiquement nul. C’est ordinairement ce qu’on suppose et les équations du mouvement prennent alors la forme :

(III)

Posons :

(IV)

Cette relation ne définit qu’à une constante près, nous supposerons que pour on a:

Nous poserons de même :

(IV)

Formons l’expression :

Additionnons membre à membre :

Donc :

Intégrons par rapport à  :

D’après l’hypothèse que nous avons faite sur les conditions initiales, la constante d’intégration est nulle.

Les équations du mouvement pourront donc être mises sous la forme :

(V)

Sous cette forme, on voit qu’elles ne changent pas quand on permute

Effectuons en effet cette permutation sur la première des équations, qui définit il vient :

et en l’effectuant sur la première des équations (IV), nous obtiendrons :

Ces équations ne donnent qu’une première approximation dans les milieux transparents ordinaires, à cause des phénomènes de dispersion : elles présentent une plus grande exactitude dans le vide.