Théorie de la grande guerre/Livre VI/Chapitre 8

Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. 51-73).

CHAPITRE VIII.

des divers procédés de résistance.


L’idée fondamentale de la défense est la résistance. Or pour qu’il y ait résistance il faut qu’il y ait agression. La défense est donc expectante en principe, et nous avons reconnu que c’était là tout à la fois le trait caractéristique et le principal avantage de cette forme de la guerre.

Mais comme, pour ne pas se borner à supporter la guerre sans prendre aucune autorité sur sa direction, le défenseur doit, au moment opportun, passer de la résistance passive à l’offensive directe, l’expectative de la défense, loin de rester constante, ne peut être que relative. Elle doit tout d’abord se produire et se prolonger jusqu’au premier acte de menace ou d’agression, soit sur la surface du pays à défendre s’il s’agit d’une guerre, soit sur le théâtre des opérations militaires s’il s’agit d’une campagne, soit enfin sur la position choisie pour l’armée s’il ne s’agit que d’une bataille ; mais à partir de ce moment l’expectative a suffisamment caractérisé la défense, et désormais, quelque acte positif et par conséquent plus ou moins de nature offensive que commette le défenseur, l’idée de la défensive restera invariablement attachée au mode d’action adopté par lui.

La défense se compose donc dans son entier de deux parties distinctes, l’attente ou expectative et l’action ou réaction. Il va sans dire cependant, qu’une période de défense, pour peu surtout qu’elle soit de longue durée, telle par exemple que celle qui se poursuit pendant toute une guerre ou pendant une campagne entière, ne se décompose pas en deux grandes portions nettement accusées la première toute d’attente et la seconde toute d’action, mais en une alternative irrégulière et parfois fréquente de ces deux états, de sorte que l’expectative, semblable à un fil qui se déroule, n’en accompagne pas moins, bien que souvent d’une façon latente, l’acte défensif dans son entier, et peut toujours y reparaître selon l’opportunité des circonstances.

En attribuant une si grande importance à l’expectative, nous proclamons une vérité à laquelle jusqu’ici les théoriciens n’ont jamais accordé une suffisante autorité, mais qui néanmoins a sans cesse, quoique bien souvent insciemment, servi de guide à la défense. C’est qu’en effet l’expectative constitue si parfaitement l’élément foncier de cette forme de la guerre, que l’acte défensif paraît presque impossible lorsqu’on se le représente privé de cet élément.

Nous nous réservons de revenir sur cet important sujet, lorsque, dans la suite de cet ouvrage, nous aurons à examiner quels sont les effets que produit l’expectative dans le jeu dynamique des forces. Pour le moment nous ne cherchons qu’à faire clairement ressortir comment le principe expectant pénètre la défense dans son entier, et la gradation qui en résulte dans l’acte défensif lui-même.

La multiplicité des rapports politiques exerce une si grande influence sur le plan de défense du territoire national considéré dans son entier, et en modifie si profondément les rapports stratégiques, que nous n’aborderons cette question que dans le livre où nous traiterons spécialement du plan de guerre. Quant à l’acte défensif sur une position, et par conséquent dans une bataille, c’est un sujet purement tactique qui ne forme que dans son entier seulement le point de départ de l’action stratégique. C’est donc uniquement dans l’étude de la défense d’un théâtre de guerre que nous pourrons trouver, mais cette fois dégagés de tout objet étranger, les véritables rapports stratégiques de la forme défensive.

Nous venons de dire que l’attente ou expectative et l’action ou réaction constituaient les deux parties distinctes et essentielles de toute véritable défense. Sans expectative, en effet, point de défense caractérisée, sans réaction point d’influence directrice sur la guerre. Or nous avons déjà avancé qu’en tant que forme de guerre la défense présentait plus de garantie de victoire que l’attaque. Nous confirmons ici cette assertion, tout d’abord parce que seule elle protège contre l’absurde, puis parce que plus cette conviction sera grande dans l’esprit du défenseur et plus l’acte défensif gagnera en énergie et en puissance.

Si donc cherchant d’avance à fixer des limites à la réaction, second et indispensable élément de la défense, on voulait ne la laisser s’étendre que tout juste autant que l’exigerait la sûreté du pays, du théâtre de guerre ou de la position menacée ; si l’on voulait par suite rejeter, comme un objet étranger ou indifférent à la défense, toute possibilité d’une réaction poussée plus avant et pouvant même tourner à l’occasion en attaque stratégique, cela serait absolument contraire à la manière dont nous avons présenté les choses.

Nous n’admettons pas qu’il soit rationnel d’imposer de semblables restrictions à l’action du défenseur, et nous maintenons que chacune des parades de celui-ci renferme foncièrement en soi l’idée de la riposte. L’équilibre dynamique qui doit toujours exister entre les deux formes de la guerre cesserait en effet d’être complet si, même dans le cas le plus favorable, la défense s’en tenait uniquement au tort causé à l’attaque par la plus heureuse résistance suivie d’une réaction si limitée.

Nous répétons donc qu’en tant que forme de guerre la défense présente plus de force et de garantie de victoire que l’attaque, mais nous laissons aux circonstances à décider quand il sera opportun de chercher à pousser la victoire au delà du but restreint vers lequel, en principe, elle doit toujours pour le moins tendre.

Il va de soi cependant qu’aussi longtemps que la défense n’est qu’expectante elle ne peut que conditionnellement se proposer de vaincre, c’est-à-dire seulement si l’ennemi attaque réellement. Dans le cas contraire la défense doit se contenter de rester en possession du territoire que son but immédiat est de garantir, et ce n’est qu’en se bornant tout d’abord à cet objectif modeste, qu’elle peut se promettre, s’il lui faut passer à l’action directe, de tirer le plus grand parti possible de la forme de guerre la plus avantageuse.

Cela posé, représentons-nous une armée attendant l’apparition de l’ennemi sur le théâtre de guerre qu’elle a reçu mission de défendre. La défense peut alors faire usage de l’un des quatre procédés suivants :

1o  L’armée attaque l’ennemi dès que celui-ci pénètre sur le théâtre de guerre (Mollwitz, Hohen-Friedberg).

2o  Elle prend position près de la frontière, attend que l’ennemi se porte sur cette position, et, le prévenant alors, passe elle-même directement à l’attaque (Czaslau, Soor, Rossbach).

Dans ce second mode l’action de la défense est déjà manifestement plus passive, et, bien que le gain de temps ainsi obtenu ne soit encore qu’insignifiant, les avantages de l’expectative grandissent néanmoins, car la bataille qui tout à l’heure était certaine l’est déjà moins, l’ennemi, en raison même de la position prise par la défense, pouvant au dernier moment manquer de la résolution nécessaire pour attaquer.

3o  Le défenseur prend position comme dans le cas précédent, mais, au lieu de prévenir l’ennemi, attend que celui-ci effectue lui-même l’attaque. (Citons Bunzelwitz, pour nous en tenir au même général.)

Le défenseur livre alors une véritable bataille défensive, ce qui n’exclut nullement pour lui, nous l’avons déjà dit, la possibilité, au courant de la lutte, d’effectuer des mouvements offensifs partiels.

Dans ce troisième procédé le gain de temps est encore insignifiant mais la résolution de l’ennemi est mise à une nouvelle épreuve, et dans maintes circonstances l’agresseur, qui s’est avancé tout d’abord avec l’intention arrêtée d’attaquer, y renonce parce que, au dernier moment ou après un premier essai infructueux, il reconnaît que la position défensive est trop forte.

4o  Enfin la défense poussant l’expectative jusqu’à ses dernières limites peut se mettre lentement en retraite et transporter ainsi la résistance dans l’intérieur du pays, pour n’adopter le principe de l’action que lorsque le temps et les marches, la longueur des lignes de communications de l’attaque et les garnisons que celle-ci devra nécessairement laisser sur ses derrières auront tellement affaibli l’ennemi, que se sentant désormais dans l’impossibilité de surmonter la résistance qu’on lui oppose, il renoncera de lui-même à pénétrer plus avant.

Cette manière de procéder n’acquiert toute sa valeur que lorsque le défenseur dépasse dans sa retraite une ou plusieurs places fortes que l’attaquant est contraint d’assiéger ou de bloquer. Il est clair, en effet, que cette nécessité de les disséminer affaiblissant les forces que celui-ci conserve en première ligne, les chances augmentent pour le défenseur de l’attaquer avec une grande supériorité sur un point donné.

Cependant, alors même que la retraite dans l’intérieur du pays ne se présente pas dans des conditions si parfaitement favorables, cette manière de procéder est encore propre à procurer peu à peu à la défense un équilibre et parfois même une supériorité de forces qui lui sont nécessaires et qui lui manquent généralement à la frontière. En effet, et sans qu’il soit besoin d’entrer ici dans un développement que nous réservons pour l’étude spéciale de l’offensive, il est clair d’une manière absolue aussi bien qu’en raison du fractionnement qui en résulte, que chaque marche en avant devient une cause d’affaiblissement dans l’attaque stratégique. C’est le gain de temps qui constitue évidemment ici le plus important des avantages de la défense. Or il est certain que si l’attaquant rencontre des places fortes qu’il soit obligé d’assiéger, le défenseur pourra tout d’abord compter sur le temps que durera vraisemblablement la résistance de ces places fortes. Mais même quand l’affaiblissement de l’agresseur et l’épuisement de sa force d’impulsion ne seraient amenés que par la longueur de sa marche en avant et par l’étendue de ses lignes de communications, il en résulterait un gain de temps généralement plus considérable encore pour la défense, qui ne serait plus dès lors astreinte à passer à l’action directe dans un délai déterminé.

Il faut, en outre, considérer et porter aussi à l’actif du défenseur, qu’alors même que l’agresseur ne serait pas assez complètement épuisé par la prolongation de sa marche en avant pour être hors d’état d’attaquer le gros de l’armée de la défense là où celle-ci jugera enfin devoir s’arrêter, il peut cependant se faire qu’en dernière instance il manque de la résolution nécessaire pour exécuter cette attaque. Cette résolution, en effet, exigera alors beaucoup plus d’énergie qu’à la frontière, tout d’abord parce que les troupes étant moins fraîches et plus disséminées les dangers de l’entreprise seront plus grands, puis parce que, à moins d’une force de volonté qui ne se rencontre pas toujours dans le commandement, la possession du pays sur lequel ils se sont avancés suffit souvent à l’ambition des généraux en chef, soit qu’ils croient réellement ou affectent alors de croire que désormais toute bataille est devenue inutile.

Il va de soi, cependant, que la défense ne tirera de cet abandon tardif des projets de l’attaque qu’un résultat négatif bien inférieur à celui que lui eût valu un succès remporté à la frontière, mais il en résultera néanmoins toujours pour elle un gain de temps considérable.

Nous croyons avoir ainsi démontré que les avantages de l’expectative grandissent avec chacun des quatre procédés défensifs. Or il en est exactement de même, comme progression, de l’appui que les places fortes et le concours des populations prêtent à la défense, et, dans le dernier procédé, c’est particulièrement à l’action de ces éléments réunis qu’il convient d’attribuer l’état d’épuisement auquel peut en arriver l’attaque.

Ces quatre procédés constituent donc bien réellement les degrés successifs de puissance que la défense peut atteindre. Nous sommes ainsi conduit à affirmer que plus la défense sera en mesure de retarder le moment de sa réaction, et plus celle-ci gagnera en vigueur et présentera de garanties de succès. En passant de l’un des degrés défensifs à celui qui lui est supérieur, la défense n’a pas pour but d’affaiblir mais bien de réserver l’action de la résistance pour un moment plus opportun. On comprend, en effet, que cette action ne peut que gagner à se produire sur une position choisie d’avance et judicieusement retranchée, et que le contre-coup aura d’autant plus de puissance que l’attaque se sera déjà en partie épuisée contre une semblable position. Si Daun n’eût pas occupé une très forte position à Collin, il est probable qu’il n’eût pas remporté la victoire, et s’il eût déployé plus de vigueur dans la poursuite des 18 000 hommes que le grand Frédéric parvint à ramener du champ de bataille, cette victoire fût devenue l’une des plus brillantes qu’aient jamais enregistrées les annales militaires.

Cependant cette augmentation progressive de la prépondérance ou, pour parler plus exactement, du contrepoids de l’action de la défense qui résulte du passage d’un procédé défensif à celui qui lui est supérieur est loin d’être gratuite, et le défenseur ne l’achète qu’au prix de sacrifices qui grandissent dans la même proportion.

Dans le premier procédé défensif, en effet, quelque rapproché que soit de la frontière l’endroit où l’engagement se produit, c’est encore sur le territoire national et par conséquent au détriment de celui-ci, tandis qu’en débutant par la forme attaquante on eût porté la guerre sur le sol étranger.

Dans le second procédé le sacrifice augmente déjà quelque peu, car le préjudice causé au territoire national croît en raison de l’espace occupé par l’ennemi et du temps qui est nécessaire à celui-ci pour se porter sur la position choisie par la défense.

Dans le troisième procédé le défenseur se décide à ne livrer qu’une bataille défensive dont il laisse par conséquent la résolution et le moment à la volonté de l’adversaire. Il peut alors arriver que celui-ci reste fort longtemps en possession du terrain sur lequel il s’est avancé, et que la défense paye ainsi le gain de temps que lui vaut l’inaction de l’attaque.

Il est clair, enfin, que ces sacrifices deviennent encore et de beaucoup plus sensibles dans le quatrième procédé défensif, alors que la défense attire l’attaque dans le cœur même du pays.

Il convient cependant de considérer que tous ces sacrifices ne constituent, en somme, pour la défense qu’un moins-perçu de ressources dont elle ne ressent que très tardivement l’influence, et qui n’a généralement qu’une action indirecte à peine sensible sur l’armée. Le gouvernement de la défense peut d’ailleurs, au besoin, parer aux embarras de ce moins-perçu momentané, en émettant un emprunt qu’il amortira plus tard lorsque les circonstances redeviendront normales.

La possession d’un territoire de quelques lieues carrées de superficie n’ayant aucune importance au point de vue stratégique, l’objectif de l’attaque ne peut être que la possession de la totalité, ou pour le moins de la presque totalité du théâtre de guerre. Tant que cet objectif n’est pas atteint, c’est-à-dire tant que l’attaquant redoutant la puissance du défenseur ne se porte pas sur le théâtre de guerre, n’attaque point la position prise ou évite la bataille qu’on lui offre, le but de la défense est rempli.

Ce résultat témoigne tout d’abord de l’efficacité du procédé défensif adopté ; il n’est encore que négatif, il est vrai, et n’a de valeur directe qu’au point de vue de l’expectative, mais indirectement il prépare la puissance du contre-coup, car le temps qui s’écoule ainsi est gagné pour la défense et perdu pour l’attaque. Or nous savons que, pour cette dernière, toute perte de temps se traduit par un affaiblissement proportionnel.

Ainsi dans les trois premiers procédés, c’est-à-dire tant que le défenseur reste près de la frontière, le fait seul qu’il ne se produit aucune action décisive est déjà un résultat pour la défense.

Il n’en est plus de même, par contre, dans le quatrième procédé, et dès lors c’est à la défense qu’il appartient de provoquer la solution en passant elle-même en temps opportun à l’action directe. Deux cas peuvent alors se présenter, selon que, dans sa marche en avant, l’attaque rencontre ou ne rencontre pas de forteresses qu’elle soit obligée d’assiéger.

Dans le premier cas l’instant du passage à l’action directe est marqué, pour le défenseur, par la nécessité de secourir ses places fortes avant qu’elles ne succombent sous les efforts de l’ennemi ; dans le second, la résistance passive peut et doit être de plus longue durée. Aussi longtemps, en effet, que les forces de la défense s’accroissent tandis que celles de l’attaque s’affaiblissent, l’absence d’action décisive est dans l’intérêt de la première ; mais, dès que cette augmentation de puissance a atteint son maximum, la défense doit considérer les avantages de l’expectative comme entièrement épuisés, et dès lors le besoin et par conséquent la recherche d’une solution s’imposent à elle. Le moment psychologique de cette transformation de l’acte défensif ne peut être prévu que d’une façon très générale, car une quantité de particularités et de rapports différents concourent à le fixer ; cependant d’habitude l’hiver amène une transition toute naturelle, et il est à remarquer que lorsque la défense ne peut empêcher l’ennemi d’hiverner sur la portion de territoire qu’elle lui a cédée en se retirant, cette portion de territoire est généralement perdue pour elle. Toutefois l’exemple de Torres-Vedras prouve que la règle présente des exceptions.

Recherchons maintenant comment la solution peut se produire. L’esprit est tout d’abord porté à se la représenter sous la forme d’une bataille générale, mais à la vérité cela n’est pas indispensable, et elle peut aussi être le résultat de la combinaison d’une série de combats isolés, soit que ceux-ci se résolvent réellement par les armes à l’avantage de la défense, soit même que l’excellence des mesures stratégiques qui les rendent possibles inspire de si grandes craintes à l’attaque sur leur issue tactique probable, que, loin de les accepter, elle se retire d’elle-même et renonce ainsi à l’exécution de ses projets.

Sur un théâtre de guerre il ne peut pas y avoir d’autre solution ; cela ressort de toute nécessité du point de vue auquel nous nous sommes placé dans cette étude de la guerre. Alors même que l’ennemi ne commencerait son mouvement de retraite qu’en raison de l’impossibilité de pourvoir à l’alimentation de ses troupes, ce n’en serait pas moins encore à la puissance de nos armes qu’il faudrait attribuer ce résultat, car sans notre présence il saurait bien se procurer tout ce qui lui est nécessaire.

Lorsque, arrivé à la fin de sa carrière agressive, succombant aux lourdes conditions de sa marche en avant, affaibli par les détachements et épuisé par les maladies et les privations, l’ennemi renonce enfin de lui-même à l’attaque, c’est toujours en dernière instance aux bonnes dispositions défensives, et par conséquent en principe à la crainte qu’inspirent à l’attaque les armes de la défense, qu’il convient d’attribuer ce résultat. Il faut reconnaître, cependant, que la solution est amenée par des moyens bien différents, selon qu’elle se produit à la frontière ou dans l’intérieur du pays.

À la frontière, en effet, la défense n’a pas encore de points d’appui auxiliaires ; elle doit lutter corps à corps avec l’attaque, et ne peut s’opposer à ses projets qu’en agissant directement sur ses troupes, et en les détruisant par la force même des armes. Parvenue au cœur du pays, au contraire, l’attaque est déjà à demi épuisée par ses propres efforts, et cela constitue un moyen auxiliaire d’une grande puissance pour la défense, car dès lors ses armes ne sont plus le seul, quoique restant néanmoins toujours le principal de ses instruments de solution.

La réaction peut donc tendre à deux solutions différentes, selon que la défense se propose de vaincre directement l’attaque ou de laisser celle-ci s’épuiser par ses propres efforts.

Il est clair que le premier mode de solution prédomine dans les trois premiers degrés de l’action défensive. Quant au second mode, il ne peut se produire dans son entier que lorsque la défense a recours au quatrième procédé, c’est-à-dire à la retraite profonde dans le cœur du pays. Or ce sont précisément les grands résultats que ce second mode de solution peut seul amener, qui justifient le choix d’un pareil moyen défensif et excusent les grands sacrifices que l’on impose au pays quand on y a recours.

On rencontre dans l’histoire des exemples où la recherche de l’une ou de l’autre de ces deux solutions s’est présentée dans la pratique avec la netteté et l’individualité d’un principe élémentaire. Ainsi lorsque Frédéric le Grand prévint l’attaque des Autrichiens à Hohenfriedberg, en 1745, en se portant à leur rencontre au moment où ils voulaient descendre des montagnes de Silésie, il ne les écrasa que par la puissance seule de ses armes, car évidemment leurs forces ne pouvaient encore être sensiblement affaiblies ni par des détachements ni par des efforts précédents. Par contre, lorsque Wellington, immobile dans la position retranchée de Torres-Vedras, attendit que la misère, le froid et la faim contraignissent l’armée de Masséna à se mettre en retraite, les armes du défenseur n’eurent aucune part à l’affaiblissement effectif de l’attaquant.

Dans d’autres circonstances les deux modes de solution se trouvent réunis de maintes façons différentes dans l’action défensive ; mais néanmoins l’un des deux prédomine toujours.

Il en fut ainsi en 1812 en Russie. Il s’est présenté dans cette campagne célèbre des combats à la fois si nombreux et si meurtriers, que dans d’autres circonstances cela suffirait à faire attribuer la solution au mode de réaction défensive basé sur l’emploi exclusif des forces armées. Néanmoins on ne trouve dans aucune campagne un exemple aussi frappant de l’épuisement où les propres efforts de l’attaque la peuvent conduire. Des 300 000 hommes qui formaient le centre de l’armée française, il n’en arriva que 90 000 à Moscou ; or, comme on n’en détacha qu’environ 13 000, la perte totale monta à 197 000 hommes, et l’on ne peut vraiment attribuer aux combats que le tiers de cette perte.

Toutes les campagnes qui se distinguent par ce qu’on nomme la temporisation, telles par exemple que celles du célèbre Fabius Cunctator, sont particulièrement calculées sur la destruction de l’ennemi par ses propres efforts. Il en est un grand nombre cependant où, bien que ce principe ait joué le rôle principal, l’histoire n’en fait nullement mention, et dans lesquelles ce n’est en somme qu’en scrutant profondément les événements et en évitant de se rendre aux raisons factices imaginées par les historiens, que l’on en arrive à découvrir cette cause véritable d’un grand nombre de solutions.

Nous croyons avoir ainsi suffisamment développé les principes fonciers de la défensive. Cette forme de la guerre comprend quatre degrés successifs de résistance et deux modes de réaction. L’expectative, qui en est le trait caractéristique quoique intermittent, débute avec l’acte défensif, puis le pénètre dans son entier, tantôt à l’état visible, tantôt à l’état latent, et se combine de telle sorte avec la réaction, que celle-ci apparaît plus ou moins tard, mais toujours au moment même où les avantages de la première paraissent être épuisés.

Il va sans dire que la défensive embrasse encore d’autres sujets qui, par l’importance qu’ils acquièrent dans certaines conditions, constituent des centres nouveaux d’idées, et doivent comme tels être spécialement étudiés. Nous en ferons donc l’objet de chapitres spéciaux. C’est ainsi par exemple que nous nous occuperons prochainement de l’influence que les places fortes, les camps retranchés, les actions sur les flancs, les montagnes et les fleuves exercent sur la défense, et de l’appui qu’ils lui prêtent. Mais, en somme, ces sujets ne constituent que le développement, ou pour mieux dire l’application à des localités spéciales ou dans des conditions particulières, des idées fondamentales que nous venons d’exposer.

Cependant la défense peut, selon les éventualités de la lutte, avoir recours à un si grand nombre de combinaisons stratégiques différentes, et ces combinaisons, moins encore lorsqu’elles se résolvent par des engagements sanglants qu’alors qu’elles atteignent leurs effets par la seule probabilité menaçante de ces engagements, impriment à la résistance par les armes un caractère et des aspects si divers, que l’esprit est involontairement porté à croire qu’entre les résultats sanglants d’une bataille et les effets moins meurtriers des combinaisons stratégiques, il doit exister un degré sur lequel on pourrait baser quelque nouveau principe d’action défensive. C’est par un raisonnement à peu près semblable que les astronomes, en raison du grand espace qui sépare Mars de Jupiter, ont conclu à l’existence probable de planètes intermédiaires. Les découvertes faites depuis par la science ont prouvé la justesse de ces prévisions astronomiques, mais l’expérience et l’étude de l’histoire démontrent péremptoirement qu’en dernière instance la victoire ne peut être, pour la défense, que le résultat de la puissance effective de ses armes ou celui de la crainte qu’elles inspirent à l’attaque.

Soit que l’agresseur trouve la défense établie sur une position qu’il ne croit pas pouvoir enlever ou derrière un fleuve qu’il ne croit pas pouvoir franchir, soit même qu’il ne s’arrête uniquement que parce qu’il redoute de ne pouvoir plus assurer la subsistance de ses troupes s’il continue à se porter en avant, ce n’en est pas moins, en somme, aux armes de la défense qu’il convient d’attribuer ce résultat, car ce n’est toujours que la crainte d’être vaincu par celle-ci, soit en bataille rangée, soit sur des points particulièrement importants, qui paralyse ainsi l’élan de l’attaque.

On nous objectera sans doute que lorsque la solution se produit sans effusion de sang, c’est-à-dire par la crainte seule des combats sans cesse offerts par la défense et toujours refusés par l’attaque, les combats ne peuvent être que la cause morale des résultats ainsi obtenus, et que par conséquent la combinaison stratégique de leur ensemble constitue alors seule la cause efficiente de la solution. Ce raisonnement est parfaitement logique et nous conduit précisément au point que nous voulions atteindre, à savoir que cette prépondérance de la combinaison stratégique dans l’action défensive ne se présentant jamais que lorsque les résultats tactiques qu’elle peut amener inspirent une si grande crainte à l’attaque que celle-ci n’ose en affronter l’issue, il est toujours possible, et par conséquent toujours à craindre, que réunissant en dernière instance tous ses efforts pour obtenir lui-même ces résultats tactiques partiels, l’attaquant n’y réussisse et ne parvienne ainsi à renverser toute la combinaison stratégique du défenseur. On ne saurait donc, par suite, tenir celle-ci pour une grandeur indépendante, et l’on doit se rendre compte qu’elle n’a de valeur que lorsque, par un motif ou par un autre, la défense peut d’avance être parfaitement tranquille au sujet des résultats tactiques.

Nous allons évoquer les figures historiques de Bonaparte et de Daun et exposer brièvement notre pensée à cet égard. Le premier a toujours marché droit au but sans se préoccuper en rien du plan stratégique de l’ennemi. Sachant que tout dépend des résultats tactiques et ne doutant jamais de les obtenir, il a sans cesse et partout recherché les occasions de combattre.

Aussi voyons-nous que sur tous les champs de bataille où la stratégie de ses adversaires n’est pas parvenue à opposer à Bonaparte une extrême supériorité de puissance, et à plus forte raison partout où elle a osé s’engager avec lui dans des conditions inférieures, elle a toujours été rompue comme une toile d’araignée. Daun, au contraire, n’a jamais su tirer parti des circonstances de combat les plus favorables et s’est toujours laissé arrêter par les combinaisons les plus audacieuses de ses adversaires. C’est là ce qui explique comment, pendant la guerre de Sept Ans, l’armée prussienne a pu maintes fois offrir le combat à Daun dans des conditions où il y eût eu folie manifeste à s’engager avec un général tel que Bonaparte.

En résumé, nous posons en axiome que les combinaisons stratégiques doivent sans cesse tendre aux résultats tactiques, et que ceux-ci sont la cause foncière de toute solution heureuse, que cette solution se produise d’ailleurs avec ou sans effusion de sang. Ce n’est que lorsque l’on ne conserve aucune appréhension au sujet des résultats tactiques, soit à cause du caractère ou de la situation de l’adversaire, soit en raison de l’équilibre qui se présente entre les deux armées opposées, soit enfin et surtout à cause de la supériorité des troupes que l’on commande, que l’on est en droit d’attendre quelque résultat des combinaisons stratégiques isolément considérées.

L’histoire relate un nombre infini de campagnes dans lesquelles l’attaque a échoué sans solution sanglante, et où, par conséquent, les combinaisons stratégiques sont restées l’agent principal de l’acte défensif. On en pourrait donc arriver à croire que ces combinaisons ont pour le moins une grande force intrinsèque, et que là où on n’aurait pas à redouter une supériorité incontestable de l’attaquant dans les résultats tactiques elles pourraient généralement à elles seules conduire à la solution. Il faut bien se garder cependant de tomber dans cette erreur. Ce n’est pas, en effet, sur le théâtre même de la lutte qu’il convient de rechercher l’origine de l’inefficacité de la plupart des attaques, mais bien dans des rapports d’un ordre plus élevé et absolument étrangers aux choses de la guerre proprement dite.

Dans l’un des chapitres précédents, nous avons reconnu qu’il existe entre les nations civilisées un équilibre politique amené par le temps, basé sur la généralité des intérêts collectifs, et tendant sans cesse au maintien du statu quo. Or la première conséquence d’une guerre est la rupture entre les belligérants des rapports internationaux qui naissent de cet équilibre et qui l’entretiennent. La guerre, lorsqu’elle vient à se produire entre deux peuples, constitue donc toujours plus ou moins une atteinte à l’état de choses existant, et par conséquent une menace pour les autres nations. Dans ces conditions (et cela pour l’attaquant bien plus généralement et bien plus impérieusement encore que pour le défenseur, en ce sens que le premier a la priorité d’action et vise un but positif), les belligérants sont astreints à des compromis tels pour ne pas surexciter les craintes des autres gouvernements, que les guerres modernes, obligées de se poursuivre sans froisser les susceptibilités internationales, en arrivent la plupart du temps à la proportion de demi-mesures. Il n’y a donc vraiment pas trop à s’étonner qu’il suffise parfois d’une simple pression de doigt ou de la seule apparence d’une résistance vigoureuse, pour faire reculer une attaque si peu libre de ses premiers mouvements et ainsi paralysée dès son origine.

Dans le cas où la solution se produit sans effusion de sang, il convient donc bien plus fréquemment d’attribuer le succès de la défense au manque d’énergie et au caractère hésitant de l’attaque qu’à la valeur même des combinaisons défensives ou à la crainte qu’inspirent les fortes positions que l’on rencontre partout dès que des chaînes de montagnes et des fleuves traversent un théâtre de guerre.

Il est certain, cependant, que ces objets peuvent et doivent être pris en considération, et qu’ils constituent de véritables contre-poids en faveur de la défense, mais il ne faut les tenir que pour ce qu’ils sont réellement et ne leur attribuer que la part d’efficacité qui leur revient en propre.

Nous allons rechercher maintenant quelle est la forme habituelle de l’attaque et de quelle manière elle procède généralement dans les campagnes où la solution se produit sans effusion de sang.

L’agresseur avance sur le territoire ennemi, repousse quelque peu les troupes de la défense, mais trouvant trop scabreux de laisser les choses en arriver à une bataille décisive, se contente de rester en présence de son adversaire. Agissant alors comme s’il avait déjà fait une conquête qu’il n’a plus d’autre mission que de couvrir, il paraît abandonner au défenseur la liberté d’engager ou non la lutte par les armes. En somme, ce ne sont là que de faux motifs que le général en chef cherche à imposer à son armée, à son gouvernement, à l’opinion publique et bien souvent à lui-même. La véritable raison de son inaction est qu’il trouve la situation de la défense trop forte. Il va de soi que nous ne visons ici que le cas où l’agresseur interrompt tout à coup sa marche vers une conquête projetée, et nullement celui où ayant déjà remporté un véritable succès ou fait une véritable conquête, il ne pousse pas plus loin son attaque, parce que, dès lors, il ne saurait plus faire aucun usage de la victoire, ou que, parvenu à la fin de son élan, il ne se sent plus assez d’haleine pour pénétrer plus avant.

Plus tard la même comédie se prolonge, sous le prétexte de laisser naître des occasions spécialement favorables. Or rien n’autorise à supposer que ces occasions se présenteront à bref délai, car le fait seul que l’on a commencé l’attaque démontre surabondamment qu’on n’a rien de mieux à attendre d’un avenir prochain.

Enfin si, comme cela a lieu généralement, l’attaque est multiple, c’est-à-dire doit se produire par des combinaisons simultanées sur plusieurs théâtres de guerre différents, chacun des commandants en chef abandonne aux autres le soin de faire ce qu’il ne veut pas accomplir lui-même, et, attribuant sa propre inaction au manque d’appui et d’entente commune, parle de difficultés insurmontables ou cherche des motifs dans les relations les plus subtiles et les plus compliquées. C’est ainsi que peu à peu les forces de l’attaque se consument dans une activité insuffisante et par cela même improductive. La défense gagne du temps, par contre, et acquiert par conséquent chaque jour une puissance nouvelle. La mauvaise saison arrive enfin, l’agresseur de plus en plus affaibli abandonne l’attaque, et, par crainte de la réaction de la défense, en est réduit à aller prendre ses quartiers d’hiver sur son propre théâtre de guerre.

Ce tissu d’idées fausses passe dans l’histoire et, bien que l’insuccès final ne soit incontestablement et uniquement ici pour l’attaque que le résultat de la crainte que lui ont inspirée les armes de la défense, les historiens s’évertuent à attribuer à de tout autres causes ce manque de solution par les armes. C’est ainsi que lorsque la critique veut approfondir un pareil sujet, elle s’épuise dans la recherche d’une quantité de motifs et de contre-motifs qui, par la raison que le mobile qui a dirigé l’action est toujours resté inavoué, ne concluent à rien de logique. Ce n’est donc qu’en reprenant l’étude de ces campagnes dès leur origine, qu’on peut arriver enfin à la découverte de la vérité.

Il faut reconnaître d’ailleurs que bien souvent les gouvernements se voient contraints par la nature même des circonstances à égarer ainsi l’opinion publique. Nous avons déjà parlé de l’influence incontestable que les rapports politiques internationaux exercent sur les guerres modernes. Les nécessités que ces rapports créent aux belligérants constituent parfois de véritables raisons d’État qui, comme telles, doivent rester un secret pour le monde et pour l’armée, et dont fréquemment le général en chef lui-même n’a pas la clef. Quel est, en effet, le gouvernement qui osera jamais avouer qu’il interrompt tout à coup l’attaque qu’il a entreprise parce qu’il a tout d’abord trop présumé de ses propres forces et qu’il craint de se créer de nouveaux adversaires ou de rendre ses alliés trop puissants ? Cependant, pour que ces raisons restent longtemps secrètes ou le demeurent toujours, il faut nécessairement en trouver d’imaginaires dont l’habile présentation puisse donner le change à l’opinion publique. C’est ainsi que le général en chef est souvent obligé, soit pour son propre compte, soit pour celui de son gouvernement, de livrer parfois des combats, véritables levers de rideau, qui n’ont d’autre but que d’amuser la galerie et de l’empêcher de voir comment les choses se passent dans les coulisses. Cette fausse dialectique a pour conséquence d’égarer la théorie qui, croyant à la sincérité de ces combats et leur attribuant par conséquent la cause des résultats obtenus, crée des systèmes nécessairement aussi faux que la base sur laquelle ils reposent. Or la théorie ne peut rester dans la vérité qu’en agissant comme nous le faisons nous-même ici, c’est-à-dire en étudiant la connexion intime dans laquelle les événements se tiennent, et en les suivant pas à pas dans leur développement successif. Ce n’est, en effet, qu’en apportant cette grande circonspection dans l’étude de l’histoire, que l’on en arrive à dégager l’attaque et la défense de tout l’appareil phraséologique dont on s’est plu à les entourer. La question se présente alors enfin sous son véritable aspect, et telle, croyons-nous, que nous l’avons exposée dans les pages précédentes.

Il ne nous reste plus maintenant qu’à rechercher quelles sont les causes qui, dans l’application, déterminent l’emploi de l’un plutôt que de l’autre des procédés défensifs.

Ces procédés constituent dans leur ensemble quatre degrés progressifs de puissance et correspondent chacun à un accroissement proportionnel de sacrifices. Cela seul paraîtrait tout d’abord devoir fixer le choix du défenseur qui, adoptant alors le procédé défensif qui lui semblerait devoir assurer à ses moyens une puissance de résistance suffisante, s’en tiendrait désormais strictement à ce procédé, et éviterait ainsi tout sacrifice inutile. Mais les choses se posent autrement dans la pratique, et généralement, soit par suite de causes préexistantes, soit en raison de circonstances capitales qui surgissent au courant d’une campagne, cette liberté de choix a de très grandes limites.

C’est ainsi, par exemple, que la retraite dans l’intérieur du pays ne peut se produire que sur des espaces très considérables ou dans les circonstances spéciales où se trouvait le Portugal en 1810, alors que l’Angleterre assurant les derrières de la défense, l’Espagne, par les dimensions de son territoire, amoindrissait la force d’impulsion de l’attaque. Les places fortes, selon qu’elles se trouvent en plus grand nombre à l’intérieur ou à la frontière du pays envahi, plaident aussi pour ou contre l’adoption de ce procédé défensif, moins encore cependant que la nature même du sol et le caractère, les mœurs et le degré de patriotisme des habitants.

Le plan de l’ennemi, les qualités réciproques des armées opposées, le mérite personnel des généraux en chef, le plus ou moins de valeur d’une position ou d’une ligne de défense peuvent également décider de la forme offensive ou défensive à donner à une bataille ; bref, il suffit d’indiquer ici ces objets, sur chacun desquels nous reviendrons d’ailleurs avec plus de détails quand nous traiterons spécialement du plan de guerre, pour faire sentir que dans bien des cas ils exercent plus d’influence à ce propos que les rapports existant entre les forces opposées.

Ce sont cependant ces rapports qui, en général, et surtout lorsqu’ils s’accusent par une grande disproportion numérique entre les belligérants, deviennent déterminants en dernière analyse, et l’histoire des guerres prouve qu’il en a été ainsi de tout temps, non que l’on soit passé pour cela par toute la série d’idées que nous venons de développer, mais par la force seule des choses et d’instinct, ainsi d’ailleurs que la plupart des résolutions se prennent à la guerre. C’est le même général et la même armée, par exemple, qui, sur le même terrain, ont dans une circonstance combattu offensivement à Hohenfriedberg, et dans l’autre occupé le camp retranché de Bunzelwitz. Ainsi Frédéric le Grand qui, au point de vue du combat proprement dit, peut certainement passer pour celui de tous les généraux qui a le plus affectionné la forme offensive, s’est vu, par suite de la grande disproportion de ses forces, réduit à adopter enfin lui-même la défensive. Et Bonaparte qui comme Frédéric ne procédait jamais que par l’attaque, ne le voyons-nous pas en août et septembre 1813, lorsque le rapport des forces commence à tourner contre lui, inquiet et hésitant et comme enfermé déjà dans un cercle infranchissable, se porter tantôt d’un côté et tantôt d’un autre, au lieu de se précipiter comme jadis tête baissée sur l’un de ses adversaires ? Puis enfin le mois suivant, quand sa faiblesse numérique atteint ses dernières limites, semblable à un lutteur qui se place dans un angle pour faire face à de trop nombreux adversaires, ne le voyons-nous pas prendre position à Leipzig, entre la Parthe, l’Elster et la Pleisse ?

Nous ne saurions terminer ce chapitre sans faire remarquer que plus encore peut-être que tous ceux qui le précèdent, il fait ressortir que nous n’avons nullement la prétention de tracer ici une méthode nouvelle de guerre, mais que nous cherchons à réunir en un seul faisceau tous les principes déjà connus de l’art militaire, pour ramener ensuite chacun d’eux à sa simplicité élémentaire.