Théorie de la grande guerre/Livre VI/Chapitre 7

Traduction par Marc-Joseph-Edgar Bourdon de Vatry.
Librairie militaire de L. Baudoin et Cie (p. 47-49).

CHAPITRE VII.

action réciproque entre l’attaque et la défense.


Jusqu’ici nous avons étudié de pair l’attaque et la défense, passant alternativement de l’une à l’autre selon le besoin du sujet. Le moment est venu cependant où nous ne pourrions continuer à procéder ainsi, et, pour mieux approfondir chacun des deux sujets, il nous faut maintenant les séparer l’un de l’autre, autant du moins que la chose est possible.

Quel sera ici notre point de départ ?

Il serait évidemment aussi naturel de baser les préparatifs de la défense sur les données de l’attaque que les dispositions de l’attaque sur les données de la défense. Ce n’est donc pas dans l’étude comparative des deux formes de la guerre que nous trouverons un motif déterminant de priorité, mais bien en recherchant philosophiquement quelle est, de l’attaque ou de la défense, celle qui, d’une façon absolue, provoque le premier acte de guerre proprement dit. Or c’est évidemment la défense, car le but de l’attaque est la prise de possession et non la guerre qui est subordonnée et n’éclatera qu’en cas de résistance, tandis que le but de la défense est bien positivement le combat, en ce sens que résister et combattre ne font manifestement qu’un. Si l’attaque ne rencontre pas de résistance, elle atteint son but sans effusion de sang ; elle ne provoque donc pas nécessairement d’acte de guerre. La défense au contraire, uniquement et directement dirigée contre l’attaque, implique en soi la volonté arrêtée de résister, et par conséquent de combattre. C’est donc bien du fait même de la défense que deux adversaires se trouvent en présence, c’est donc bien elle qui met en branle l’élément de la lutte et qui a la priorité dans l’acte de guerre proprement dit.

Si ces conclusions sont justes, à la moindre éventualité d’attaque, avant même de s’occuper de la façon dont cette attaque se produira, le défenseur a des motifs déterminants pour arrêter d’une façon générale son plan de résistance, et pour organiser et disposer ses instruments de combat. L’attaquant au contraire, tant qu’il ne connaît pas les intentions du défenseur, ne peut disposer les siens, et doit se borner, en les emmenant avec lui, à prendre possession du terrain qu’il convoite. Et dans le fait c’est ainsi que les choses se passent tout d’abord, car préparer ses moyens de combat n’est pas encore les employer, et l’attaquant qui s’en fait accompagner dans la supposition absolument générale et peut-être gratuite que la résistance qu’il rencontrera le forcera à en faire usage, et qui s’établit sur le pays avec son armée au lieu d’en prendre possession par ses commissaires et ses agents et d’y répandre des proclamations, ne commet encore à proprement parler aucun acte positif de guerre.

Le défenseur, au contraire, ne se borne pas à réunir ses moyens de combat, mais il les dispose selon la direction qu’il entend donner à la lutte, et commet ainsi, par le fait, une série d’actes qui s’accordent véritablement avec l’idée de la guerre.

Nous avons maintenant à chercher de quelle nature peuvent être, au point de vue théorique, les motifs déterminants qui doivent guider tout d’abord la défense dans la disposition de ses moyens de résistance, avant même qu’elle ne puisse soupçonner la manière dont l’attaque procédera ? Évidemment ces motifs déterminants découlent de la nécessité, inévitable pour l’invasion, de se produire par une marche en avant sur le pays à envahir. La défense devra s’opposer à cette marche et, pour ce faire, tenir compte et tirer parti par avance des moyens défensifs que le pays met à sa disposition. Telles sont les premières données sur lesquelles la défense établit ses bases les plus générales de résistance. Ces bases servent à leur tour de données pour les premières dispositions de l’attaque, et selon que sont ces dispositions elles provoquent de nouveaux principes défensifs. Ainsi se produisent et se succèdent les effets réciproques d’attaque et de défense, effets réciproques que l’étude de la théorie peut suivre aussi longtemps que les nouveaux résultats qui en découlent méritent d’être pris en considération.

Cette courte analyse était nécessaire pour donner plus de poids et de clarté aux considérations qui se succéderont au courant de cette étude. Nous ne nous adressons pas, en parlant ainsi, aux généraux en chef de l’avenir, nous ne visons que la masse des théoriciens qui, jusqu’ici, se sont fait les choses trop faciles.