Théâtre de campagne/Le Bal de Province
LE BAL
DE PROVINCE,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.
PERSONNAGES.
M. DE SAINT-MARTIAL, ancien Militaire.
Mde DE SAINT-MARTIAL, Femme de Monsieur de Saint-Martial.
Mlle AMÉLIE, Fille de Monsieur & de Madame de Saint-Martial.
LE SÉNÉCHAL.
LE CHEVALIER, Officier.
LE PROCUREUR DU ROI, Oncle du Sénéchal.
CHARLOTTE, Femme-de-Chambre de Madame & de Mademoiselle de Saint-Martial.
LA PIERRE, Laquais de Monsieur de Saint-Martial.
Scène première.
La Pierre ?
Monsieur ?
Écoute bien ce que je vas te dire, & cours, sur-le-champ l’exécuter.
Oui, Monsieur, vous n’avez qu’à parler.
Va-t-en d’abord, chez Monsieur le Procureur du Roi.
Allons. Il s’en va.
Eh bien, où vas-tu ?
Chez Monsieur le Procureur du Roi.
Et qu’est-ce que tu lui diras ?
Ah ! mais vous ne me l’avez pas dit.
Je ne t’y envoie pas pour rien, apparemment.
Oui ; cela est vrai ; mais c’est que je croyois…
Tu croyois… Tu fais toujours le docteur.
Non, Monsieur, je ne suis pas si savant que vous, quoique j’aie fait aussi la guerre.
Parbleu, je le crois bien. Tu iras donc chez Monsieur le Procureur du Roi.
Oui, Monsieur.
Et tu lui diras que je le prie de m’attendre ; parce que j’ai à lui parler, & que je vais aller chez lui dans l’instant.
Cela est bon. Il s’en va.
Eh bien, attends donc.
Mais, Monsieur, vous voulez que je ne perde pas de tems, & vous me retenez.
C’est que j’ai encore à te parler. Je voudrais avoir des violons.
Cela est bien aisé ; j’en ai déjà un dans ma chambre, où il n’y a pas de cordes ; mais cela ne fait rien.
Ce sont des Joueurs de Violon qu’il me faut.
Est-ce que vous voulez donner un bal ?
Oui.
Il faut donc le dire. Je vous en trouverai. Il s’en va.
Mais où vas-tu ? Parbleu, tu es bien pressé.
Vous voulez que j’aille, vous voulez que je reste, accordez-vous donc.
Écoute-moi, au lieu de faire le raisonneur.
Moi, je ne dis rien.
Je voudrois avoir quatre soldats, pour…
Mais, Monsieur, vous savez bien qu’il n’y en a pas ici.
Non ; mais ne pourrions-nous pas en faire ?
Pourquoi pas ?
Et où en prendras-tu ?
Faites-moi leur Sergent seulement, vous verrez que vous aurez une Garde bien montée.
Mais je ne veux pas qu’elle soit à cheval.
Elle sera à pied. Quand je dis bien montée, c’est-à-dire, bien équipée.
À la bonne heure ; & des habits ?
J’en ferai faire comme ceux que nous avions dans le tems des réjouissances.
Tu as raison. Je n’y pensois pas.
Vous aurez tout cela. Il s’en va.
Quoi, tu veux encore t’en aller ?
Mais comment voulez-vous que je me presse, si je reste-là ? N’est-ce pas pour aujourd’hui votre Bal ?
Oui.
Eh bien, j’ai donc raison. Il s’en va.
Je n’ai plus qu’un mot à te dire. Il faudra aussi des lampions.
Vous en aurez. Il s’en va.
Où en prendras-tu ?
Ne vous embarrassez pas. Tenez, voilà Monsieur le Chevalier. Il sort.
Scène II.
Eh ! Chevalier, arrivez-donc ?
Ma foi, mon Général, il m’a été impossible de venir plutôt.
Je le serai en effet aujourd’hui, votre Général.
Vous l’êtes toujours, quand on a, comme vous, l’honneur d’être Brigadier des Armées du Roi…
Je ne le suis pas ; il est vrai que lorsque je me suis retiré, il n’y avoit plus que trente-trois Lieutenans-Colonels à passer avant moi.
Que vous le soyez ou non, votre mérite est toujours le même.
Sans doute, sans doute, j’ai quitté le service pour me reposer, ainsi je n’ai rien à reprocher à la Cour.
Oui, mais elle a à se reprocher de ne vous avoir pas employé, de ne vous avoir pas donné quelque Commandement important, où vous vous seriez distingué par vos talens.
Il est vrai que j’aurois pu… Mais revenons à ce que je voulois dire.
À votre place, je ferois un Mémoire, où je prouverois…
Écoutez mon projet, il vous regarde ; & c’est une idée dont je vous promets le plus grand succès.
C’est sûrement quelque manœuvre que vous avez imaginé, dont vous voulez que je me fasse honneur.
C’est un ordre de marche.
Voila ce que c’est que d’avoir été Major !
Mais cela ne gâte rien quelquesfois.
Quelquesfois ? toujours.
Vous avez envie d’épouser ma Fille, n’est-ce pas ?
Oui, parce que je veux avoir des enfans qui soient d’aussi bons Officiers que leur grand-Père.
Cela est bien honnête, il suffiroit qu’ils tinssent de vous pour cela. J’avois promis Amélie au Sénéchal avant d’avoir l’honneur de vous connoître.
Je sai cela ; & s’il avoit pu se flatter de lui plaire, je crois qu’il ne doit pas me voir de bon œil.
Oui, oui ; la robe ne sauroit nous le disputer… Je me souviens qu’autrefois… Enfin, ma Fille doit vous aimer. Dites-moi là, au vrai, où en êtes-vous vis-à-vis d’elle ?
Mais, comme vous le disiez toute-à-l’heure,
Je vous entends. Et ma Femme, comment vous traite-t-elle ?
Mais avec assez de dignité.
Elle n’a jamais trop été comme cela avec les Militaires, cependant.
Je crois que cela vient de ce qu’elle protège le Sénéchal.
Oui, vous voyez très-bien ; c’est donc contre elle qu’il faut diriger toutes nos batteries. Je m’étois comme engagé avec le Procureur du Roi.
L’Oncle du Sénéchal ?
Oui, pour son Neveu ; mais tant que la Capitulation n’est pas signée avec l’ennemi, on est le Maître de continuer le Siege, & nous pouvons traiter ces gens-là comme des ennemis ; car ils ne nous aiment point ces Messieurs.
Ma foi, nous le leur rendons bien.
Ma Femme m’embarrassoit.
Est-ce que vous n’êtes pas le maître ?
Pardonnez-moi ; mais tout le bien que peut avoir ma Fille est à elle, je n’ai que les bienfaits du Roi.
Cela mérite considération.
Sans doute. Heureusement que je connois le foible de la Place.
Comment ?
La passion de Madame de Saint-Martial a toujours été la danse.
Oui, autrefois.
Non, encore ; & j’ai imaginé de donner ce soir un Bal ici.
Fort bien.
Je vais le lui annoncer. La tête lui tournera de joie, & je vais faire dresser votre Contrat tout de suite ; mais je ne lui proposerai de le signer, qu’après que j’aurai retiré ma parole du Procureur du Roi, chez qui je vais aller.
Et vous croyez qu’elle le signera ?
Je vous en réponds ; cependant il ne faut pas après cela, que le mariage soit long-tems sans se faire.
Je vais dans l’instant écrire à mon Père, pour avoir son consentement & tous les papiers nécessaires ; aussi-bien voici Madame de Saint-Martial.
Revenez promptement.
Je ne serai que le tems d’écrire. Il sort.
Scène III.
En vérité, Monsieur, on ne peut plus vous parler ; quand vous êtes une fois avec votre Chevalier, vous ne finissez point.
C’est un fort honnête Garçon, & un très-grand Militaire.
C’est un petit important, & voilà tout. Les Officiers autrefois étoient plus galans, plus empressés, ils cherchoient à plaire & ils y réussissoient ; mais pour celui-ci…
Vous ne l’aimez pas.
Non, je vous avoue même que je ne le puis souffrir.
Il est pourtant cause que je vous donnerai un bal.
Un Bal ? & quand cela ?
Ce soir même.
Ce soir ! ah, Monsieur, vous êtes charmant ! & comment le Chevalier est-il cause de cela ?
C’est qu’il a entendu dire à son Oncle, que personne ne dansoit autrefois mieux que vous.
Comment ! autrefois ; mais je crois que je danse encore très-bien. Il le verra, il le verra. Et qu’est-ce que c’est que son Oncle ?
C’est Monsieur de Morbiac, le Major de Maubeuge.
Ah ! un bégayeur ?
Justement.
Ah ! la vilaine famille ! comme je vais danser ! & des Allemandes sur-tout, à présent que c’est la mode.
Quoi ! vous danserez des Allemandes ?
Assûrément. Est-ce que personne les danse aussi-bien que moi.
Je ne sais pas.
Comment, vous ne vous souvenez pas comme je les dansois à Haguenau, dans ce Bal à la sortie duquel vous m’enlevâtes ?
Ma foi non.
Mais si vous voulez me donner la main, vous allez voir.
Vous savez que je ne puis pas souffrir la danse.
Pour me faire répéter seulement.
Je ne puis pas.
Vous n’avez guères de complaisance.
C’est le moment de me le reprocher, quand je vous donne un bal sur-tout.
Et à-propos, sera-t-il masqué ce bal ?
Mais comme vous le voudrez.
Ah ! oui, masqué, masqué. Je ne me sens pas de joie !
Vous êtes folle, en vérité.
Vous verrez comme je serai habillée. Et où allez-vous donc ?
Chez le Procureur du Roi, où j’ai affaire.
Bon ! attendez, que je vous dise.
Je n’ai pas le tems.
Un bal, un bal ! Ah ! quel plaisir !
Scène IV.
Ma Mère, savez-vous…
Oui, ma Fille.
Quelle est donc cette joie ?
C’est pour ce soir.
Quoi ! je serois assez heureuse pour cela ?
Sans doute.
Je craignois cette conversation de mon Père avec le Chevalier.
C’est-là ce qui a tout décidé.
Vous l’avez donc emporté enfin ?
Oui, vraiment, c’est moi seule qui l’y ai engagé, à ce qu’il m’a dit.
Et où est-il, mon Père ? que je le remercie.
Il est allé chez le Procureur du Roi.
Ah ! mon bonheur est donc sûr !
Vous disiez que vous ne l’aimiez pas.
Moi, ne pas aimer le Sénéchal ?
Qui vous parle du Sénéchal ?
Mais, vous, ma Mère, apparemment.
Je ne vous parle que du bal.
Quel bal ?
Un bal que votre Père me donne ici, ce soir, à moi, à moi.
Quelle étoit mon erreur !
Quoi ! vous n’en saviez rien ?
Non vraiment, je croyois que vous parliez de mon mariage avec le Sénéchal.
C’est encore un bal que cela me produira.
Mais si mon Père vouloit me faire épouser le Chevalier ?
Bon ! de quoi allez-vous vous inquieter, un jour comme aujourd’hui.
Mais, ma Mère, promettez moi…
C’est bien-là le moment, & mon habit de bal à quoi je n’ai pas encore pensé.
C’est que si mon Père s’entêtoit du Chevalier…
Comment me conseillez-vous de m’habiller ? En Bergère ? Cela est trop commun ? N’est-ce pas ?
Je meurs de peur que vous ne m’abandonniez.
Vous êtes bien déraisonnable ! dans un moment de joie, vous voulez m’attrister, & puis j’aurai les yeux battus, un jour de bal ; mais voyez donc à quoi vous alliez m’exposer. Il vaut mieux que je songe à mon habit : il me vient mille idées. Il faut que j’aille me déterminer. Allons, venez, vous me conseillerez.
Je vous suis.
Allons, allons, passez.
Je vois Charlotte, permettez-moi de lui parler.
Je le veux bien ; mais ne me faites pas attendre ; car il faut que vous veniez me jouer de votre par-dessus de viole, pour que je répète mes Allemandes. Elle s’en va en chantant & en faisant des pas d’Allemande.
Scène V.
Mademoiselle ?
Eh bien, Charlotte, qu’est-ce qu’il y a ?
J’ai rencontre La Fleur.
Le Valet du Chevalier ?
Oui, Mademoiselle. Il m’a dit des choses qui me font trembler pour vous & pour moi.
Mais quoi encore ?
Qu’il alloit chercher un homme, pour envoyer porter une lettre au Père de son maître, qui demeure à vingt-cinq lieues d’ici.
Eh bien, qu’est-ce que cela fait ?
C’est qu’il a ajoûté qu’il me trouvoit fort jolie.
Après.
Et que comme il demeureroit bien-tôt avec nous, que si je voulois l’épouser, il en seroit charmé.
Comment ! seroit-il vrai que mon Père…
Vous savez que j’aime La Pierre, moi ; vous aimez toujours Monsieur le Sénéchal, vous, Mademoiselle.
Ah ! si je l’aime !
N’épousez donc pas Monsieur le Chevalier, afin que La Fleur ne vienne point nous chagriner, La Pierre & moi.
Ah ! Charlotte, je crains bien que mon Père ne veuille m’y contraindre.
Je vous assure, Mademoiselle, que vous ne seriez point heureuse avec lui.
Non, sûrement !
Il aime toutes les filles déjà. Voilà pourquoi il vous fera accroire qu’il vous aime, mais ce ne sera que pour vous tromper.
Quelle différence de son amour à celui du Sénéchal !
Voilà un homme, par exemple, celui-là.
N’est-il pas vrai ? il est tendre, respectueux ; Ah ! Charlotte, si je ne l’épouse pas, j’en mourrai.
Et vous aurez raison, Mademoiselle. Tenez le voilà, Monsieur le Sénéchal.
Scène VI.
Eh bien, Mademoiselle, que viens-je d’apprendre ? Qu’est-ce que c’est que ce Bal ? À propos de quoi ?
Je n’en sais rien.
Monsieur le Sénéchal, si vous aimez Mademoiselle, empêchez-la d’épouser Monsieur le Chevalier.
Comment épouser le Chevalier ! quoi, il seroit vrai ? Tout ce que nous craignions est-il prêt d’arriver ?
Oui, Monsieur le Sénéchal ; moi, j’aime La Pierre, La Fleur dit qu’il est amoureux de moi, & si son Maître épouse Mademoiselle, nous sommes perdus !
Qu’est-ce que tout cela signifie ? Monsieur de Saint-Martial pourroit manquer à la parole qu’il m’a donnée, qu’il a donnée à mon Oncle.
Je le crains.
Et vous m’abandonneriez ?
Ne le souffrez pas, Monsieur le Sénéchal.
Pouvez-vous penser que mon désespoir n’égaleroit pas le vôtre ?
Ce seroit vous offenser, de douter de votre amour, ce seroit être trop injuste.
Si je n’avois pas eu l’aveu de mes parens pour vous épouser, j’aurois été forcée de vous cacher mes sentimens, mais que n’aurois-je pas souffert !
Puisque vous m’aimez toujours, pourquoi ne pas engager Madame votre Mère, à parler en notre faveur à Monsieur de Saint-Martial ? Vous savez tout le pouvoir qu’elle a sur lui.
Laissons passer ce jour.
Et pourquoi ? Quand ce bal est peut-être fait pour confirmer mon malheur.
Monsieur a raison. Mademoiselle, pourquoi perdre du tems ?
Et c’est ce bal qui nous nuira, peut-être, de toutes les manières ; ma Mère s’en occupe si vivement, qu’elle ne veut pas entendre parler d’autre chose.
Est-il possible qu’à son âge…
Mon Père, sans doute, l’a prévu ; il lui connoît cette manie de la danse, & il n’a que trop bien réussi !
Et où est-il Monsieur de Saint-Martial ? j’irai lui montrer mes craintes, le sommer de sa parole.
Vous ferez bien, Monsieur, il faut agir avant de se désespérer.
Mon Père est allé chez votre Oncle.
Ah ! je tremble ! si c’étoit en effet pour rompre notre engagement ?
Voilà ce que je crains.
Mais qui peut le déterminer en faveur du Chevalier, & le lui faire préférer à moi ?
Le soin qu’il prend de lui plaire, en le louant continuellement sur ses talens militaires.
Et il se moque de lui. Je l’ai bien vu, moi, qui ne suis pas trop fine ; mais notre Monsieur est la dupe de tout cela.
Comment le détromper ? Je vais savoir de mon Oncle quel est l’objet de la visite qu’il lui a faite, & quoi qu’il arrive, je puis bien vous répondre que le Chevalier ne vous épousera pas.
Fort bien, Monsieur le Sénéchal, voilà ce qui s’appelle parler.
Vous m’alarmez ; que prétendez-vous faire ?
Ne craignez rien, ma chère Amélie, en vous empêchant d’être à lui, je compte m’assurer votre possession.
Expliquez-moi…
Eh ! Mademoiselle, ne l’arrêtez pas ; ce seroit autant de tems perdu.
En sortant de chez mon Oncle, je reviens ici ; je verrai Madame votre Mère, je lui parlerai, & j’espère qu’elle nous secondera.
Quel foible espoir vous me donnez-là !
Je ne puis vous en dire davantage.
Vous en avez assez dit, partez, Monsieur, croyez-moi.
Scène VII.
Ah ! Charlotte je me meurs d’inquiétude !
Prenez courage, Mademoiselle, moi, j’espère que tout ira bien.
C’est que tu le desire.
Eh, ne le desirez-vous pas aussi ?
Ah ! si tu aimois autant que j’aime !…
Eh, pourquoi donc n’aimerois-je pas autant ? vous êtes Fille, je le suis aussi ; Monsieur le Sénéchal est fort bien ; mais La Pierre n’est pas laid, & puis il me convient ; c’est tout dire, & ce vilain La Fleur me déplaît ; c’est ma bête à moi.
J’entends, je crois, mon Père.
Moi, j’entends La Pierre.
Scène VIII.
Oui, Monsieur, il y en aura six, & ils seront ici bien-tôt.
Auront-ils une basse ?
Assurément.
Ma Fille, où est votre Mère ? je voudrois lui parler.
Elle est chez elle ; si vous voulez Charlotte ira lui dire que vous êtes rentré.
Eh bien, oui.
Allez, Charlotte.
Qu’est-ce que tu as donc ?
Je te le dirai, quand tu auras fini ici. Elle s’en va.
Que diable est-ce qu’il peut lui être arrivé depuis tantôt. Il reste à rêver.
Scène IX.
Ah ça, & nos hommes ? Où es-tu donc ? La Pierre, La Pierre.
Monsieur.
Eh bien, qu’est-ce que tu fais-là ?
C’est que je pense…
Je te demande si notre garde est en état ?
Si quelqu’un vouloit me l’enlever.
Comment, chez moi ?
Vous n’y consentiriez pas, Monsieur ?
Qui pourroit le tenter ?
Mais je ne sais.
N’en seras-tu pas le Sergent ?
Oui, de la garde.
Eh bien, elle doit se défendre.
Qui ?
La Garde.
Ce n’est pas d’elle que je parle.
Et de qui donc ?
De Charlotte.
Allons, va faire mettre la garde sous les armes, & habille-toi. Je vais aller faire mon inspection.
C’est une bonne idée que vous me donnez-là, oui. Je vous avertis que je ferai tirer sur ceux qui se présenteront.
Quoi, pour entrer au bal ?
Non, pour enlever Charlotte.
Allons, va-t-en. Je crois qu’il est devenu fou.
Scène X.
Ah ! Monsieur, vous serez charmé, enchanté !
De quoi donc ?
De mon habit de bal, venez le voir.
Eh, Madame, il n’est pas question de cela.
Non, que je vous dise seulement comment il est.
Ce que j’ai à vous dire est sérieux.
Du sérieux un jour de bal ! fi donc, Monsieur, vous conspirez tous contre moi, le Père, la Fille ; car elle vouloit aussi m’entretenir tantôt sérieusement ; c’est une persécution !
Cela justement la regarde.
Si c’est au sujet de son mariage, remettons, ce sera une fête de plus.
J’aurai bien-tôt fait.
Je frissonne.
Vous ne voulez pas savoir comment est mon habit que vous ne connoissez pas ; & vous voulez que j’écoute une chose que je sais, que j’ai arrangée depuis long-tems.
Mais ce n’est pas la même chose.
Tenez, Monsieur, mon habit est de couleur de rose, avec des bouillons de gaze d’argent & des roseaux par-tout.
Madame, je viens de retirer ma parole du Procureur du Roi, & ma fille épousera le Chevalier.
Ah, Ciel !
Cela ne sera pas. Avec cet habit-là, j’aurai un manteau de taffetas bleu, flottant, traînant ou rattaché dans mon écharpe.
Vous signerez donc le contrat ce soir, ce n’est que pour cela que je donne un bal.
Votre Chevalier me déplaît, je vous l’ai déjà dit, je vous le répète ; il n’aura pas ma Fille, & je n’ai pas le tems de vous en dire davantage, parce qu’il faut que je pense à ma coëffure.
Votre coëffure sera inutile, car sans cela il n’y aura pas de bal.
Songeons au bal aujourd’hui, nous songerons à votre contrat demain.
Vous me le promettez pour ce soir ?
Ma Mère !
Oui, oui, je vous promets d’y songer.
Allons, je vais voir si la garde est en bon état, & puis je vais faire faire le contrat par le Notaire qui m’attend chez moi. Il s’en va.
Des roseaux dans ma coëffure, cela seroit bien triste, n’est-ce pas ?
Je me meurs !
Scène XI.
Ah ! Monsieur le Sénéchal, nous sommes perdus !
Je sais que notre malheur est certain, si Madame ne nous seconde. Consentirez-vous que votre Fille que vous m’avez promise, soit sacrifiée, que ces nœuds charmans, qui sont votre ouvrage, soient rompus ? Ah ! Madame !…
Attendez, il me vient une idée.
Parlez, Madame, parlez ?
Que d’obligations nous vous aurons.
Oui ; cela seroit admirable !
Ne nous faites pas languir davantage.
Mais il faut que vous y consentiez, vous !
Ah ! je serai trop heureux !
Ma Mère, parlez, je vous en supplie, vous le voyez tout prêt à exécuter tout ce que vous exigerez.
Tout le monde en sera enchanté !
Je meurs d’impatience !
Je viens d’imaginer pour le Sénéchal…
Quoi donc ?
Rien n’égalera ma reconnoissance.
C’est un habillement de Fleuve qui sera ravissant !
Est-il possible ?
Que dites-vous ?
Il vous ira à ravir ; ces cheveux longs feront à merveille pour cela. Quoi ! vous n’êtes pas content de cette idée ? Songez-donc que je serai en Nayade, & qu’il faut bien que j’aie quelqu’un pour me donner la main ; & que peut-on trouver de mieux pour cela qu’un Fleuve ? Dites-moi, si vous avez un idée meilleure. Sénéchal, parlez-donc ?
Ah ! Madame, dans le désespoir où je suis, je vous prie seulement de ne pas nous nuire.
Au sujet de quoi ?
De notre mariage.
Ah ! vous pensez toujours à cela. Eh bien, je vous le promets, pourvu que vous consentiez à vous déguiser en Fleuve.
Je ferai tout ce qu’il vous plaira.
Je vous protégerai contre mon Mari ; puis-je mieux faire ?
Non, sans doute.
Quelle protection ?
J’ai un moyen sûr d’éloigner le Chevalier.
C’est tout ce que je desire.
Je lui proposerai de se battre.
Et s’il vous tue, je n’aurai point de Fleuve ; non, Monsieur, je ne consens point à cela.
Quel affreux projet !
Au-lieu de vous alarmer, écoutez-moi ; & vous verrez que je n’ai rien à craindre.
Voyons. Vos cheveux sont justement aujourd’hui très-bien arrangés pour cet habillement-là.
J’ai ici deux pistolets…
Ô Dieux !
Chargés seulement à poudre. Quand vous les entendrez tirer, nous n’aurons plus rien à craindre du Chevalier.
Je ne comprends pas…
Vous viendrez donc me trouver tout de suite, pour que nous arrangions votre habillement ?
Oui, Madame. Voici le Chevalier. Mademoiselle, sur-tout n’ayez aucune crainte.
Ah ! rien ne me rassure !
Mon Oncle doit se rendre ici, & j’espère le plus grand succès de mon projet.
Scène XII.
Madame, je viens vous faire mes remercimens.
Sur quoi, Monsieur ?
De la bonté que vous avez de consentir que j’épouse Mademoiselle.
Cela n’est pas encore fait.
Votre impatience de m’avoir pour Gendre, me flatte infiniment : Monsieur de Saint-Martial ne m’avoit pas dit l’excès de mon bonheur ; & je lis dans les yeux de Mademoiselle, une timide expression du plaint que lui fera notre union.
Nous n’avons pas le tems de nous occuper de tout cela à présent.
Comment ! lorsque l’on va signer le Contrat ?
Bon, le Contrat ! Dites-moi plutôt quel sera votre habillement de Bal !
Madame, si vous le permettez, ce fera un Domino que j’ai toujours avec moi pour ces sortes d’occasions.
Un Domino ?
Oui, Madame.
Vous ferez bien mieux que cela, vous, Sénéchal.
Il me semble que Monsieur le Sénéchal a de l’humeur. Le Bal sûrement l’égayera.
Oui ; j’espère y danser, & plus que vous, Monsieur.
Cela seroit difficile ; mais pour mieux, je ne doute pas de vos talens.
Je ne vous prendrai pas pour juge.
Ah ! Monsieur, qui pourroit juger aussi-bien que vous ? Il faut que chacun fasse son métier. Pour moi, je me contente de vaincre.
C’est être modeste.
Ce n’est pas ma faute, si je l’emporte sur vous.
Il ne l’emportera pas au Bal avec son Domino, croyez-moi.
La robe doit céder le pas à l’épée. Je vous plains sincèrement, vous avez du malheur ; vous ne pouviez pas vous attendre que je passerois par ici, il y a pour vous de la fatalité là-dedans.
J’espère que mon sort ne sera pas toujours aussi fâcheux qu’il vous le paroît.
Je le desire de tout mon cœur, vous le méritez ; vous savez prendre votre parti en brave Capitaine, é je vous en révère.
Tous ces complimens-là retardent nos affaires.
Il est vrai.
Allons, Sénéchal ; venez, venez.
Madame me permet-elle de la suivre ?
Mais cela n’est pas trop nécessaire.
Il me semble pourtant que Mademoiselle doit le desirer.
Mademoiselle ne doit faire que ce que je veux.
Eh bien, je vous en demande la permission.
Comme vous voudrez, Monsieur. Elle s’en va avec Mlle Amélie, qui regarde le Sénéchal avec inquiétude.
Scène XIII.
Un mot, s’il vous plaît, Monsieur le Chevalier.
Comment, qu’est-ce que c’est ?
Ces Dames sont-elles sorties ?
Oui, pourquoi ?
Je veux vous dire que vos plaisanteries ne sont point du tout de mon goût.
Ce n’est pas ma faute, je ne le connoissois pas, en êtes-vous fâché ?
Je crois devoir l’être.
Cela seroit plaisant !
Pas tout-à-fait autant que vous pouvez le penser.
Comment donc !
Vous croyez que vous épouserez Mademoiselle Amélie ?
Je m’en flatte.
Et moi, je ne vous ai retenu que pour vous assurer du contraire.
Ah ! cela est excellent ! Et qui m’en empêcheroit ?
Moi ?
Vous ! mais vous m’alarmez ! vous allez sans doute m’intenter un procès, cela ne seroit pas juste, je n’y entends rien, vous auriez l’avantage, & quand on combat, il faut que ce soit à armes égales.
C’est ce que je viens vous proposer.
Quoi, de me battre avec vous ?
Oui, Monsieur.
Ah, ah, ah ; pour celui-là, je ne m’y attendois pas ! C’est sans doute une fête que vous voulez donner pour mon mariage, un tournoi, cela sera fort galant ! Sera-ce à pied, à cheval ? Je romprai volontiers une lance avec vous.
Non, Monsieur, ce sera au pistolet, en voici deux qui sont chargés également. Il montre deux Pistolets. Choisissez.
Vous ne plaisantez pas ?
Non, Monsieur.
À la bonne-heure, il faut vous satisfaire. Il prend un Pistolet.
Il est mort ! profitons des moyens qu’il m’a assuré que j’aurois de me sauver. Lorsqu’il est parti, le Sénéchal se relève.
Scène XIV.
N’Êtes-vous point blessé ?
Non ; mais le Chevalier, à qui j’ai proposé le combat, croit m’avoir tué ; & actuellement il doit se sauver dans une Chaise, qu’il aura trouvée toute prête à partir à la Poste.
Par-là, nous sommes donc délivrés de toutes nos craintes ?
Je m’en flatte.
Oui ; mais avec tout cela, vous êtes tout défrisé, & vous ne serez jamais aussi-bien accommodé que vous l’étiez.
Scène XV.
Qu’est-ce que c’est que cela ? La Pierre, La Pierre.
Monsieur, me voilà.
Qu’est-ce qui a tiré ?
Monsieur, je vais le savoir.
Ne disons rien.
Quoi, ce n’est pas la Garde ?
Non, Monsieur, sûrement. J’ai cru entendre le coup de ce côté-ci, voilà pourquoi je suis monté.
Je ne comprends rien à cela, mais je sens la poudre.
C’est peut-être quelques fusées qu’on aura tiré dans la rue.
Cela peut bien être. Ah ça le Contrat est fait, ainsi, Madame, vous allez le signer.
Je ne demande pas mieux.
Je suis charmé de vous voir raisonnable.
Puis-je faire moins pour vous plaire, quand vous me donnez un Bal ?
Mais où est donc le Chevalier ? Je le croyois ici.
Il y est venu.
Voilà un Amant bien peu empressé ! il aura pour-être voulu se parer pour le Bal à cause de vous, Madame ; voilà comme les Femmes dérangent toujours tout !
Mais quand cela seroit, il n’y auroit point de mal.
Oui, cela est bien nécessaire. La Pierre ?
Monsieur.
Va le chercher, & dis-lui qu’on l’attend.
Oui, Monsieur. Il s’en va, & il revient. Monsieur, voilà Monsieur le Procureur du Roi.
Que me veut-il ? Va donc. La Pierre sort.
Scène XVI.
Monsieur le Procureur du Roi, je suis bien fâché que vous veniez dans ce moment-ci.
Pourquoi donc ?
C’est que je suis en affaire, & pour une chose qui ne vous plaira pas. Je ne sais pas même pourquoi Monsieur votre Neveu est ici.
C’est moi qui lui ai dit de s’y trouver, en cas que vous puissiez changer de résolution.
Monsieur, je vous l’ai dit, mon parti est pris, je veux absolument que ma Fille épouse un Militaire.
Je ne doute pas que le Chevalier ne lui convienne parfaitement ; cependant si en augmentant la fortune de mon Neveu, je pouvois vous déterminer en sa faveur, il en est encore tems, réfléchissez-y.
Ah ! mon Oncle !…
Écoutons.
Monsieur, j’ai donné ma parole ; & entre Militaires, c’est une chose où il n’y a pas à revenir.
Dites entre gens d’honneur. Cependant vous me l’aviez donnée aussi.
Cela est bien différent.
Je ne vois pas pourquoi.
Je n’ai rien à vous dire de flatteur là-dessus ; le Chevalier va venir, & il n’est pas possible de de rien changer au parti que j’ai pris. J’entends, je crois, La Pierre.
Si le Chevalier n’étoit pas parti !
Scène XVII.
Eh bien, La Pierre, le Chevalier vient-il >
Bon ! Monsieur, il est allé à Paris.
Comment ! Qu’est-ce que tu veux dire ? Es-tu ivre ?
Je dis, Monsieur, qu’il vient de monter dans une chaise qui l’attendoit à la Poste, & qui l’est venu prendre chez lui.
J’ai vu en effet un Officier dans une chaise de poste qui alloit fort vîte ; mais comme il se cachoit le visage, je n’ai pu le connoître.
Ah ! je respire.
Il n’est pas possible.
J’ai parlé à son hôtesse.
Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est devenu l’honneur ? Partir au moment de conclure un mariage, cela est inconcevable ! de mon tems… Si je m’en croyois je courrois après lui, & il auroit ma vie, ou j’aurois la sienne.
Vous seriez bien avancé après, & nous aussi ; au-lieu du plaisir qui nous attend, vous nous laisseriez dans l’inquiétude & les larmes. Pour moi je ne veux pas pour un étourdi comme celui-là, perdre mon bal ; vous ferez ce que vous voudrez.
Je croyois qu’il m’estimoit, qu’il m’aimoit ; il sembloit vouloir apprendre son métier d’après mes conseils & d’après mes lumières,
Il se moquoit de vous.
Il se moquoit de moi ? Madame, parlez mieux.
Eh bien, n’en parlons plus, cela sera plutôt fait.
Tenez, Monsieur de Saint-Martial, consentez à ce que je vous proposois.
Vous êtes trop honnête de vouloir bien oublier tous mes torts, Monsieur le Procureur du Roi.
Monsieur, quand vous connoîtrez mieux les gens de notre état, vous les estimerez & vous les aimerez davantage.
Allons, Monsieur, finissez tout cela, & faites venir le Notaire ; car nous avons autre chose à faire.
J’y consens de tout mon cœur ; mais c’est à condition que vous fixerez vous-même un dédit à quoi je me condamne, pour avoir voulu retirer ma parole.
Fi donc ! me croyez-vous capable…
Non, je le veux absolument, sans quoi il n’y a rien de fait. Pour être en sûreté dans sa place, apprenez de moi, qu’il faut toujours en réparer les brèches.
Ah ! mon Père, que ne vous devrai-je pas ?
Je savois bien que tu aimois le Sénéchal ; tu avois raison, c’est moi seul qui avois tort de vouloir vous désunir. L’ennemi fuit & je vous fais compliment à tous deux, sur la victoire que vous remportez.
Vous serez donc toujours mon fleuve ?
Ah ! toute, ma vie, si vous le voulez, Madame.
Scène XVIII.
Madame, la salle de bal est prête, voulez-vous venir la voir ?
Sans doute. Allons, Monsieur de Saint-Martial, signons promptement.
Je ne demande pas mieux ; passons dans mon Cabinet.
Après, nous irons déterminer ma coëffure & l’habit du Sénéchal. Je reviendrai par ici ; Charlotte, attendez-moi là.
Oui, Madame.
Enfin, vous allez être à moi, quel est mon bonheur !
Toi, La Pierre, tu donneras l’ordre de laisser entrer tous les masques qui se présenteront pour le bal.
Je l’ai déjà dit, Monsieur.
Scène XIX.
Qu’est-ce qu’ils vont donc signer ?
Le contrat de mariage de Monsieur le Sénéchal avec Mademoiselle Amélie.
Et Monsieur le Chevalier ?
Il est parti pour Paris, pour tout-à-fait.
Ah ! tant mieux ! nous ne craindrons plus ce vilain La Fleur. Mais qu’est-ce que je vois ?
C’est un masque. Ah ! pardi celui-là vient de bonne heure.
Scène XX.
La Pierre ?
Eh bien, qu’est-ce que vous voulez ? Le bal n’est pas prêt de commencer, ce n’est qu’après souper, & l’on n’a pas encore seulement pensé à se mettre à table.
Je ne viens point pour danser.
En ce cas-là, allez-vous-en.
Non je ne le puis pas ; je voudrois parler à Monsieur de Saint-Martial, tout à l’heure.
Il est en affaire.
Ce que j’ai à lui dire est très-pressé.
Et qui êtes-vous ?
Je ne saurois vous le dire ; mais ne perdez pas un moment.
Je vais voir s’il voudra venir. Toi, Charlotte, attends-moi ici.
Non pas, j’ai trop peur des masques, je veux aller avec toi.
Scène XXI.
Quelle affreuse aventure !… On m’auroit attrapé, si j’étois parti… J’aurai encore le tems… Mais si l’on me reconnoissoit… Je meurs de peur !… Quelle vengeance Un Chef de Justice tué !… Qu’ai-je fait !… Pourquoi troubler deux personnes qui s’aimoient ?… Si Monsieur de Saint-Martial… Mais il est homme d’honneur, je peux compter sur lui ; il n’abusera sûrement pas de ma confiance, & il m’aidera… Mais pourquoi ce bal ? Cacheroit-on la mort du Sénéchal ?… Je m’y perds !…
Scène XXII.
Qu’est-ce donc qui me demande ? Que voulez-vous ?
C’est moi, Monsieur.
Ah ! vous vous êtes repenti apparemment de m’avoir manqué de parole.
Ah Monsieur, vous ignorez sans doute quel est mon malheur.
Eh, parbleu, non, puisqu’on vous a vu partir.
On le croit donc que je suis parti ?
Sûrement.
Eh bien, ce n’étoit pas moi, c’étoit mon valet ; parce que si on le suit cela me donnera du tems.
Je ne vous conçois pas.
Je suis au désespoir !
Il est trop tard.
Ciel ! va-t-on m’arrêter ?
Comment vous arrêter ?
Ah ! Monsieur, j’ai compté sur vous.
Je vous dis qu’il est trop tard.
Ô Dieux ! quelle affreuse situation !
Vous vous êtes moqué de moi.
Ah ! Monsieur, pardonnez-moi mes torts.
Non ; il falloit se comporter en homme d’honneur.
Monsieur, de côté-là, l’on n’a rien à me reprocher
Quoi ! venir chez moi pour…
J’y ai été forcé.
Comment forcé ! & par qui ?
Par le Sénéchal.
Et à quoi ?
À me battre ; il est vrai que j’avois trop insulté à son malheur, il a voulu s’en venger, & je l’ai tué.
Vous avez tué le Sénéchal ?
Ignoreroit-on que c’est moi ? ne me trahissez pas, ma fuite sera plus sûre, & j’aurai le tems de gagner la frontière. Mon inquiétude me punit bien du malheur que j’ai causé.
Scène dernière.
Que vois-je ?
Que ceux que vous tuez, se portent bien.
Seroit-il bien possible !… Serois-je assez fortuné !
Oui, Monsieur, vous avez été la dupe de mon stratagême, il n’y avoit point de balles dans les pistolets.
Je suis plus heureux que je ne le mérite. Pardonnez-moi, Monsieur, d’avoir voulu troubler votre bonheur.
Je ne vous en veux point, puisque j’épouse Mademoiselle.
En ce cas, je vous souhaite toutes sortes de prospérités ; & je pars.
Vous ne voulez pas rester au bal ?
Je vous suis bien obligé. Il sort.
Je crois qu’il n’a pas envie de danser.
J’avois bien prévu qu’il ne brilleroit pas avec son Domino.
Si tous les avantageux & les importans étoient punis de même, il n’y auroit pas de mal ; ils seroient trop heureux d’en être quittes pour la peur.