Théâtre de campagne/La Maladie Supposée
LA
MALADIE
SUPPOSÉE,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.
PERSONNAGES.
M. DE PRÉVIEUX, Tuteur de Mademoiselle de Leurville. | |
Mlle DE LEURVILLE. | |
LE CHEVALIER DE CLERCIN, Neveu de Monsieur de Prévieux. | |
M. DE SOURVAL. | |
CÉCILE, Femme-de-Chambre de Mademoiselle de Leurville. | |
CLÉMENT, | Laquais. |
LE ROUX, |
Scène première.
Tu as raison, mon Neveu.
Mais, mon Oncle, vous avez de l’amitié pour moi ; comment, dans cette occasion-ci ne m’avez-vous pas préféré ? Je conviens que Mademoiselle de Leurville a plus de bien que je n’en devrois espérer dans un établissement ; mais vous êtes son Tuteur, il vous étoit aisé de faire ma fortune & vous m’avez oublié.
C’est parce que je suis chargé de la pourvoir, que j’ai cherché un parti aussi riche qu’elle.
Le bien seul fait-il le bonheur ? Monsieur de Sourval ne l’aura pas épousée qu’il vous fera peut-être des Procès.
Mes comptes sont bien en règle.
Oui, mais il aime à plaider.
Que veux-tu ? Les choses sont avancées au point qu’il n’y a pas à reculer.
Ne croyez pas que ce soit son bien seul qui me feroit desirer d’épouser Mademoiselle de Leurville, & c’est-là ce qui me cause les plus vifs regrets ! j’avois été deux ans sans la voir ; à mon retour, j’ai été ébloui, transporté…
Tant pis pour toi ; car bien loin de vouloir rompre cet engagement, quand cela se pourroit, je crois quelle s’y opposeroit ; Monsieur de Sourval l’aime, il lui plaît…
Il lui plaît ?
Il me le paroît.
Cela n’est pas possible ; il a osé lui dire qu’il l’aimoit ; elle a cru devoir l’aimer, parce qu’il lui étoit destiné, & c’est plutôt un arrangement où la tête a décidé que le penchant.
Pourquoi s’abuser & croire…
Je ne crois pas ; mais je desire.
Quel remède peut-il y avoir quand les choses sont si avancées ?
De rompre tout-à-fait.
Et comment ?
J’imagine un moyen qui, si vous y consentez, détachera entièrement Mademoiselle de Leurville de Sourval.
C’est-là, je te dis, la grande difficulté.
Secondez-moi seulement, & rien ne sera plus facile.
Voyons, que faut-il que je fasse ?
Il faut que vous disiez à Mademoiselle de Leurville que vous avez appris que Sourval étoit soupçonné de…
Je l’entends, il vient sûrement pour voir Mademoiselle de Leurville.
Eh bien, pendant qu’il sera avec elle, je vous dirai mon idée & ce que vous aurez à faire.
Pour qu’il ne se doute de rien, je vais l’assurer qu’il ne tiendra qu’à lui de conclure son mariage quand il le voudra.
Cela est bon.
Scène II.
Monsieur de Sourval demande à voir Monsieur.
J’y vais.
Le Roux, attends.
Scène III.
Qu’est-ce que vous voulez, Monsieur le Chevalier ?
Une chose très-facile, & où je ne veux employer que toi & Clément.
Vous n’avez qu’à dire.
Il faut que tu te munisses d’une corde.
Bien forte ?
Non, & que vous vous teniez prêts pour quand je vous le dirai.
Où faudra-t-il aller >
Pas bien loin, car c’est ici, l’un là tout près, l’autre là-bas. Il lui montre.
Est-ce pour faire tomber quelqu’un ?
Justement.
Oh ! cela est bien aisé.
C’est Monsieur de Sourval.
Ne vous embarrassez pas.
Je vous placerai tous les deux quand il le faudra.
Je m’en vais chercher la corde.
Scène IV.
Ah ! c’est vous, Monsieur le Chevalier ?
Vous croyiez trouver Monsieur de Sourval, Mademoiselle ?
Il est vrai.
Je me sais très-bon gré d’être arrivé ici pour être témoin de votre mariage.
Cela est fort honnête à vous. Cela vous fait donc un très-grand plaisir ?
Assurément, c’est un parti qui vous convient, un homme aimable, & qu’il paroît que vous aimez ; comment ne serois-je pas charmé de votre bonheur ?
C’est donc un très grand bonheur d’épouser ce qu’on aime ? Parlez-moi naturellement ?
Oh ! oui, très-grand, très-grand !
Et vous croyez que Monsieur de Sourval est un homme aimable ?
Oui, très-aimable. À part. Qu’est-ce que cela signifie ?
Mais, Monsieur le Chevalier, est-ce que vous n’avez jamais aimé, que vous êtes encore garçon ?
Pardonnez-moi, Mademoiselle ; mais je ne suis pas riche, & cela empêche quelquefois d’épouser ce qu’on aime.
Cela ne devroit y rien faire. Et par cette raison vous avez cessé d’aimer ?
Non, Mademoiselle, j’aime toujours.
Vous aimez toujours ?
Et j’aimerai toute ma vie.
Mais c’est être aussi trop malheureux ; puisqu’il est impossible que vous épousiez celle que vous aimez.
Impossible, si vous voulez, il pourroit arriver…
Comment, auriez-vous quelqu’espérance ?
Mais, je crois que-oui.
Vous n’êtes donc pas si malheureux.
Il semble que vous cessiez de me plaindre ?
Je ne dis pas cela.
Vous avez de l’impatience de voir Monsieur de Sourval, il est avec mon Oncle, je vais vous l’envoyer. Il s’en va très-content.
Comme il vous plaira, Monsieur.
Scène V.
Quoi, Mademoiselle, c’est avec Monsieur le Chevalier que vous étiez ? Voulez-vous que je vous dise ce que je pense ?
Eh bien, qu’est-ce que c’est ?
Vous paroissez fâchée.
Fâchée ou non, dites toujours ?
Je crois m’appercevoir que depuis que Monsieur le Chevalier est ici, vous aimez moins Monsieur de Sourval.
Comment ! qu’est-ce c’est que cette idée-là ?
Tenez, Mademoiselle, puisque le mot est lâché, je ne m’en dédis pas.
Ah ! Cécile !
Vous soupirez ?
Je crains bien de m’être trompée, quand je croyois avoir de l’amour pour Monsieur de Sourval.
Aurois-je deviné ?
Tout ce que j’ai senti en voyant le Chevalier, est bien différent !
Eh bien, Mademoiselle, si réellement il vous aimoit…
Lui, m’aimer ! Ah ! ne m’en parle plus !
Pourquoi ? il seroit peut-être encore tems…
Cécile…
Eh bien, Mademoiselle ? parlez, je vous en supplie.
Le Chevalier, aime ailleurs.
Qui vous l’a dit ?
Lui-même. Il est bien loin d’imaginer ce qui se passe dans mon cœur !
En ce cas-là, Mademoiselle, au lieu de laisser fortifier vos sentimens pour lui, vous devriez presser Monsieur de Prévieux de conclure votre mariage avec Monsieur de Sourval, & oublier Monsieur le Chevalier.
Je le devrois, sans doute !
Il faut vous y résoudre ; voici Monsieur de Sourval, sûrement il vous aime, ne pensez plus qu’à lui. Elle sort.
Scène VI.
Mademoiselle, vous me voyez l’homme du monde le plus heureux ! Monsieur de Prévieux, desire autant que moi de voir terminer notre mariage, c’est à vous de fixer le jour, le contrat sera signé ce soir, si vous y consentez.
Vous êtes le maître, Monsieur.
Quelle froideur ! Quoi, Mademoiselle, me serois-je flatté envain du bonheur de vous plaire ?
Non, Monsieur.
Mais vous ne partagez pas ma joie.
Quelle différence !…
Que dites-vous ? depuis quelques jours vous m’inquiétez. Auriez-vous quelque chose à me reprocher ?
Non, Monsieur, encore une fois.
Quelle aigreur !
Moi, de l’aigreur ?
Je vous demande pardon, si ce mot vous offense, ce n’est pas mon dessein, vous le savez bien.
Vous devez savoir aussi que je n’aime pas les reproches.
Je ne vous en fais pas non plus, je cherche à pénétrer…
Voilà ce que je ne veux pas.
Je respecte votre volonté.
Vous voulez m’épouser, j’y consens ; je voudrois même que ce fût déjà une chose faite. De quoi pouvez-vous vous plaindre ?
Je ne me plains pas, Mademoiselle.
À la bonne heure.
Mais, je crains…
Dites donc ?
Que votre santé ne soit altérée.
Et par où jugez-vous cela ?
C’est que vous paroissez souffrir.
Il est vrai que je ne suis pas bien ; mais il ne faut pas pour cela vous inquiéter. D’ailleurs, malade ou non, je vous épouserai, Monsieur ; je vous le promets, je crois que vous devez être content.
Ah ! très-content ! À part. Quel changement ! je m’y perds.
Scène VII.
Je vous demande pardon, mon cher Sourval, d’interrompre ainsi un tête à tête, mais j’ai un mot à dire à Mademoiselle.
Je vais chez mon Notaire, je reviens sur-le-champ, je l’amènerai, s’il est possible.
Allez, allez.
Scène VIII.
Je crains de vous affliger, Mademoiselle ; mais mon devoir de Tuteur, m’empêche de vous laisser ignorer ce que je viens d’apprendre.
Qu’est-ce que c’est ?
Il ne faut pourtant pas vous alarmer ; parce que ce que j’ai à vous dire, pourroit n’être pas vrai.
Vous m’inquiétez réellement, Monsieur.
Je sais combien vous aimez Monsieur de Sourval…
Ah !
Je n’avois pas besoin de ce soupir pour me le confirmer. Voici donc ce que je viens d’apprendre, mais je vous le répète, je ne saurois le croire.
Eh ! Monsieur, vous me faites languir.
Il n’est permis d’hésiter, mais non pas de me taire. On vient de m’assurer qu’il avoit ressenti plusieurs attaques d’épilepsie ; ce mal affreux ! on croit souvent en être guéri, mais envain ; cependant comme je ne crois pas qu’il veuille vous le cacher, si cela étoit, il ne me paroît pas vraisemblable qu’il se fût proposé pour vous épouser.
Vous me faites frémir !
Cette confidence est cruelle, quand il est question, sur-tout, de quelqu’un, qu’on aime.
Rien n’épouvante autant !
Il seroit possible d’éclaircir ce soupçon, je le dois même pour vous tranquilliser. Et si vous le jugez à propos, je consulterai son Médecin, ou bien vous le lui demanderez à lui-même, si vous le préférez.
Je suis bien tentée de vous croire, & sans examiner davantage…
Non ; il ne faut pas moins que la certitude pour consentir à perdre un Amant qu’on aime.
Un Amant qu’on aime ! & ne le perd-on pas sans le vouloir ?
Que dites-vous ?
Monsieur, ne perdez pas de tems pour vérifier ce que vous venez de m’apprendre.
Je l’entends, je vais lui dire d’attendre mon retour. Il sort.
J’aurois dû saisir cette occasion de rompre mon mariage ; mais pourquoi !… Si le Chevalier m’aimoit !… Quelle cruelle situation que la mienne !
Scène IX.
Mademoiselle, mon Notaire… Il tombe en rencontrant la corde que tiennent Clément & le Roux.
Ah ! ciel. Elle s’enfuit.
Elle me croit mort, rassurons-la. Il suit Mlle de Leurville.
Scène X.
Ah, ah, ah, nous n’avons pas manqué notre coup.
Comme il est tombé tout à plat ?
Ah ! je n’en puis plus à force de rire.
C’est un bon tour que celui-là !
Je lui en voulois depuis long-tems.
C’est un vilain avare, & je serois bien fâché que notre Demoiselle fût sa Femme.
Il n’aime que son bien.
Oh ! j’en suis bien sûr.
Scène XI.
Cela a-t-il réussi ?
Oh ! Monsieur, je vous en réponds
Il est entré avec vivacité, & il est tombé de même.
Et Mademoiselle de Leurville ?
Elle a eu une si grande peur, quelle s’est enfuie tout de suite.
Et Monsieur de Sourval ?
Il a couru après elle pour la rassurer ; mais je crois qu’elle étoit déjà bien loin.
Pourvu que…
J’entends Mademoiselle de Leurville.
C’est elle-même.
Scène XII.
Cécile, ne me suit-il pas ?
Non, Mademoiselle, il ne nous a pas vues prendre par le petit escalier.
Qu’est-ce que c’est ? Qu’ayez-vous donc, Mademoiselle ?
Monsieur, ce que vous m’aviez dit n’est que trop vrai, il est tombé-là, à mes pieds.
Qui donc ?
Monsieur de Sourval.
Je ne comprends pas…
C’est qu’on dit qu’il est sujet à tomber d’un mal…
Non, Monsieur, je n’épouserai jamais cet homme-là. Ah ! le voilà !
Scène XIII.
Monsieur, ne m’approchez pas !
Messieurs, je n’y comprends rien. Mademoiselle, écoutez-moi.
Non, Monsieur, non, non, jamais. Allez-vous-en.
Comment ?
Vous me faites une peur horrible !
Mais, Mademoiselle.
Je n’en puis plus. Elle tombe évanouie dans un fauteuil.
Oh, ciel ! La secourant.
Mais que lui avez-vous donc fait ?
Rien, Monsieur ; mais dès tantôt j’ai bien vu qu’elle n’avoit plus sa tête.
Comment ?
Rien n’est plus vrai.
Expliquez-vous ?
Vous devez m’entendre, Monsieur.
Je ne sais ce que vous voulez dire.
Je veux dire, Monsieur, que vous vouliez me faire épouser une folle, & que cela est très-mal fait à vous.
Monsieur de Sourval ?
Monsieur de Prévieux, écoutez-moi ; j’aime Mademoiselle de Leurville, & je la plains bien sincérement ; mais si vous voulez me rendre ma parole, je vous promets le plus grand secret.
Monsieur, vous vous repentirez peut-être un jour de m’y avoir forcé.
C’est mon affaire ; je ne crois pas que vous deviez hésiter.
Monsieur, puisque vous le voulez, vous êtes libre.
Adieu, Monsieur. Je vais emmener le Notaire.
Non, laissez-le attendre, j’aurai peut-être besoin de lui.
Comme vous voudrez. Il sort.
Scène DERNIÈRE.
Et vous aimiez cet homme-là, Mademoiselle ?
Non, Monsieur, non, je ne l’aimois plus.
Comment, il est bien vrai ?
Oui, Monsieur, je l’avois cru ; mais j’en ai été détrompée lorsque j’y pensois le moins.
Il falloit donc me le dire, & nous n’aurions pas pris tant de soins pour vous détacher.
Je ne vous comprends point.
Mon Neveu, explique toi-même…
Mademoiselle, me pardonnerez-vous ? Je croyois Monsieur de Sourval aimé de vous, j’étois jaloux de son bonheur ; pour vous engager à vous en détacher, j’ai employé la ruse, mon Oncle a bien voulu me seconder, la maladie dont on vous a dit qu’on le soupçonnoit n’est pas vraie.
Mais il est tombé…
Une corde tendue par le Roux & Clément a causé sa chûte.
J’en suis ravie ! Mademoiselle, Monsieur le Chevalier vous aime !
Tu te trompes, Cécile.
Non, Mademoiselle, elle ne se trompe pas ; je vous ai déjà dit que j’aimerois toute ma vie, souffrez que je vous renouvelle cette promesse ; daignez approuver mon amour, & vous allez me rendre le plus heureux des hommes.
Chevalier, que vous m’avez fait souffrir !
Moi, Mademoiselle ?
Oui, tantôt, j’ai cru que vous aimiez ailleurs.
Ô ciel ! quel est mon bonheur ! vous m’aimeriez ? Ah, Mademoiselle, daignez me le confirmer !
Monsieur votre Oncle vous seconde, ainsi je crois qu’il m’approuvera.
Je vous en réponds ; puisqu’il a pu vous plaire, voilà l’établissement qui vous convient. J’ai bien fait de ne pas renvoyer le Notaire. Venez, passons dans mon cabinet.
Ah ! Mademoiselle ! toute ma vie je ne serai occupé que de mériter le bien dont je vais jouir.