Théâtre de campagne/Les Bossus
LES
BOSSUS,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.
PERSONNAGES.
RONDEAU, Procureur bossu.
Mlle RONDEAU, Fille de Monsieur Rondeau.
DAME DUMONT, Gouvernante de Mademoiselle Rondeau, naine & bossue.
BOURVAL, Notaire.
BOURVAL, le Fils.
LA PIERRE, Laquais de Monsieur Bourval le Fils.
Scène première.
Veux-tu te taire, vilain mâtin. Le Diable emporte le chien.
Mon Dieu, la vilaine bête ! ah, c’est vous, Monsieur la Pierre ?
Oui, vraiment ; j’ai cru que votre chien me mangeroit.
C’est qu’il ne vous connoît pas ; quand j’ai entendu aboyer, je suis venue tout de suite.
Il faudroit du moins l’attacher ce diable d’animal-là.
Notre Monsieur ne veut pas, & puis il n’aboie pas à tout le monde.
Comment ?
Oui, si vous étiez bossu, par exemple, il ne vous auroit rien dit.
Ah, ah ! celui-là est plaisant !
Il est élevé à cela.
Et pourquoi ?
C’est que comme Monsieur Rondeau est bossu, il veut que son chien ne caresse que ceux qui lui ressemblent.
On a bien raison de dire que les bossus sont de drôles de corps.
Comment avez-vous donc découvert que nous étions ici ?
C’est que mon Maître ayant été trois jours sans voir Mademoiselle Rondeau à la fenêtre de votre Couvent, où il lui parloit tous les soirs, il s’est douté…
Que nous étions sorties du Couvent pour passer ici les jours gras.
Oui, & j’ai demandé à la Tourière où vous demeuriez.
Elle vous a dit dans la rue de la Mortellerie ?
Non, auprès de la Grève.
Eh bien ; c’est cela.
Oui, mais je ne savois pas le nom de la rue.
Vous avez trouvé pourtant.
Avec bien de la peine.
Cela ne fait rien.
Ah ça, je m’en vais lui dire que j’ai découvert où vous logez.
Il ne faut pas qu’il vienne ici.
Pourquoi donc ?
C’est que si Monsieur Rondeau savoit qu’il est amoureux de sa Fille…
On ne le lui dira pas ; nous chercherons seulement les moyens de la voir, quand ce ne seroit encore que par la fenêtre.
Non, il ne faut pas qu’il la voie qu’au Couvent.
Et par quelle raison ?
C’est que c’est un secret, ce que je m’en vais vous dire.
Eh bien, parlez ?
Si Monsieur Rondeau savoit cela, il ne me le pardonneroit jamais, & sa Fille seroit malheureuse toute sa vie.
Cela est donc bien sérieux ?
Oh ! mon Dieu, oui ; mais il faut que votre Maître le sache ; parce qu’il pourroit s’y tromper s’il la rencontroit quelque part.
Dites donc ce que c’est.
Notre Monsieur, comme vous savez, est bossu.
Après ?
Je vous ai dit qu’il n’aimoit que ceux qui lui ressembloient ; il ne pouvoir pas souffrir sa Fille étant petite, parce qu’elle étoit trop droite ; pendant qu’il étoit charmé d’une petite Niéce qu’il a, qui est toute tortue. Et moi, je ne suis entrée ici, que parce que Dieu m’a fait la grace de n’être pas trop droite.
Cela est bien heureux.
Quand Madame Rondeau a vu que Monsieur n’aimoit pas sa Fille, elle l’a mise au Couvent avec moi, & elle a fait accroire à son Mari que sa taille se gâtoit, & avec de petits matelas dans ses habits, elle a paru un jour aussi bossue que son Père ; pourlors il l’a aimée à la folie, & quand nous venons ici, elle fait toujours semblant d’être bossue.
On peut bien dire que cet homme-là aime furieusement à donner dans le travers.
Madame Rondeau, en mourant, m’a recommandé de ne jamais dire à Monsieur Rondeau la ruse dont elle avoit usé pour lui faire aimer sa Fille, que lorsqu’elle seroit mariée.
Et n’y pense-t-il pas à la marier ?
Je n’en sais rien, à moins que ce ne soit pour cela qu’il doit venir aujourd’hui un Notaire.
Comment s’appelle-t-il ?
Monsieur de Bourval.
C’est le Père de mon Maître, il n’y a que lui de Notaire de ce nom-là.
Il m’a dit de l’avertir dès qu’il arriveroit. Le chien aboie. C’est peut-être lui.
Par où m’en irai-je ? je ne veux pas qu’il me voie.
Tenez, par ici ; il y a un passage qui donne sur le Port.
Je vais dire à mon Maître tout ce que je viens d’apprendre. Il sort.
Scène II.
Monsieur Rondeau est-il ici, Madame ?
Oui, Monsieur, il est en affaire ; mais il va venir tout de suite, donnez-vous la peine de vous reposer. Monsieur est, je crois, Monsieur…
Bourval.
Je m’en vais l’avertir.
Dites-lui de ne se pas presser.
Oui, oui.
Scène III.
Pourquoi s’amuser à faire aboyer ce chien ?
Il me tenoit par mon habit.
Oh çà ! vous ne savez pas où vous êtes ici ?
Non, mon Père.
Je vais vous le dire. Je vous ai acheté une Charge de Maître des Comptes, ce n’est pas pour rien.
C’est pour avoir un état.
Oui, & pour pouvoir vous marier.
Mais, mon Père…
Il n’y a point de mais à cela ; Monsieur Rondeau donne cent mille francs à sa Fille, & c’est une affaire que je ne veux pas manquer ; d’ailleurs elle en aura encore davantage après la mort de son Père.
Quoi ! c’est Mademoiselle Rondeau que vous voulez me faire épouser ?
Oui, la connois-tu ?
Ah ! mon Père, vous savez sans doute que je l’aime, & c’est une surprise agréable que vous avez voulu me ménager. Je vous reconnois bien-là.
Non, je n’en savois rien.
Vous plaisantez ?
Non, je t’assure, je craignois même que tu n’eusses de la répugnance à l’épouser.
Moi ? Je la trouve charmante !
On dit qu’elle a un assez joli visage, mais pour la taille…
Elle n’est pas grande.
Et elle est bossue.
Bossue ?
Oui ; mais cela ne fait rien, puisque tu l’aimes ; le bien va avant tout.
Celle que j’aime n’est point bossue.
Celle-ci l’est ; mais cela m’est égal.
Je ne l’épouserai point.
Tu l’épouseras.
Je vous réponds bien que non.
Je saurai t’y forcer.
Non, non, jamais ; si c’est pour cela que vous m’avez amené ici, cela est inutile ; car je n’épouserai jamais que celle que j’aime. Il sort. Le chien aboie.
Veux-tu bien rester ? Il s’en va. Oh ! je saurai bien le mettre à la raison.
Scène IV.
Monsieur Bourval, je suis fâché de vous avoir fait attendre.
Je vous ai fait dire de ne vous pas presser.
Vous avez l’air ému.
Ce n’est rien ; c’est que je me promenois en vous attendant.
Asseyez-vous donc. Ils s’asseyent. Ah, ça parlons de notre affaire. Vous connoissez ma Fille ?
Non, je ne l’ai jamais vue ; mais on m’a dit qu’elle étoit fort jolie.
Jolie ? Elle n’est pas mal ; elle est un peu faite comme moi ; mais c’est le plus joli caractère du monde, & elle joue très-bien du clavecin.
Cela est fort bien.
Voulez-vous que je la fasse descendre ?
Non, non, ne la dérangez pas, & puis je n’ai pas beaucoup de tems.
Vous savez comme je veux que soit fait mon Gendre ?
Je crois que vous en serez content.
Allons ; cela est bon. Qu’est-ce que vous lui donnez ?
Sa Charge de Maître des Comptes, qui est payée.
J’entends bien ; mais ne lui donnez-vous que cela ?
Ils seront logés & nourris chez moi. Et vous, n’est-ce pas cinquante mille écus que vous donnez à votre Fille ?
Non, cent mille francs.
Il faut faire un effort.
Oui, dans ce tems-ci. Je n’ai qu’elle, ainsi elle aura tout après ma mort.
Et si vous vous remariez ?
Ah ! ne craignez pas cela. J’ai eu une Femme, elle étoit jolie, bien faite ; mais j’ai payé bien cher la sottise de l’avoir épousée, & tenez, cela n’a pas peu contribué à me faire haïr les gens mieux faits que moi ; si nous ne nous connoissions pas du Collège, je me serois peut-être brouillé avec vous.
Ceci au contraire va nous lier pour toujours. Allons, je vais faire dresser le contrat, je vous amènerai mon Fils ce soir, & vous nous donnerez à souper ?
De tout mon cœur.
Et nous signerons tout de suite. Je vous en donne ma parole.
Et moi, la mienne.
À ce soir.
Votre valet. Je m’en vais parler à ma Fille.
Et moi à mon Fils. Allez-vous me reconduire ?
Non, non, je vous laisse. Adieu, mon ami.
À ce soir, à ce soir. Il sort & le chien aboie.
Scène V.
Dame Dumont ?
Me voilà, me voilà, parce que j’entendois le chien aboyer.
Que fait ma Fille ?
Monsieur, elle joue du clavecin.
Cela est bon.
Si vous vouliez l’entendre c’est une pièce d’Honavre, où elle ne manque pas une note.
Écoutez-moi.
Oui, Monsieur.
Il n’y a que faire de dire oui, pour écouter.
Eh bien, j’écoute.
Encore ?
Allons, allons, parlez.
Il faut avoir bien de la patience !
Eh bien, j’attends.
Et moi aussi, que vous ne parliez plus.
Je…
Paix. Je vais marier ma Fille, & je veux savoir ce que vous pensez là-dessus.
Moi ? rien.
Elle ne parlera pas à cette heure !
C’est selon.
Je veux savoir si le mari que je vais lui donner lui conviendra.
Je ne sais pas.
Je ne vous ai pas dit qui c’est.
Non, cela est vrai.
Eh bien, c’est le Fils d’un de mes amis, un Maître des Comptes.
Un Maître des Comptes ?
Oui, Fils d’un Notaire.
Et comment s’appelle le Père ?
Comme le Fils, Monsieur Bourval.
Ah ! Monsieur, c’est son Père qui vous a dit…
Quoi ?
En vérité, Monsieur, ce n’est pas ma faute.
Que voulez-vous dire ?
Que c’est le hasard qui leur a fait faire connoissance, & ils ne se sont jamais parlé que par la fenêtre.
Qui ?
Mademoiselle votre Fille & Monsieur Bourval le Fils.
Ils se connoissent ?
Vous le savez bien.
Non vraiment.
Oh ! vous dites cela pour…
Pour ?
Me faire parler ; mais vous savez aussi-bien que moi ce qui en est.
Expliquez-vous donc ?
Je veux dire, Monsieur, qu’ils s’aiment à la folie, & si cela vous fâche, ils vont être bien malheureux.
Et pourquoi voulez-vous que cela me fâche, puisqu’on fait actuellement leur contrat, & qu’ils le rigneront ce soir.
Vous ne me trompez point ?
Je vous dis que Monsieur Bourval le père & moi, nous sommes amis dès notre enfance, & que ce mariage-là nous convient également.
Eh bien, Monsieur, j’en suis aussi étonnée que charmée, pour Mademoiselle votre Fille, je craignois…
Dites ?
Cela est inutile.
Quand je veux qu’elle se taise, elle veut parler ; & quand je veux qu’elle parle, elle veut se taire.
Eh bien, Monsieur, je vous fais mon compliment.
Ce n’est pas-là ce que je vous demande.
Pour moi, je trouve que vous êtes devenu bien raisonnable.
De marier ma Fille ? j’en ai toujours eu envie.
Ce n’est pas de cela.
De quoi donc ?
Quand je dis que ce n’est pas de cela, c’est pourtant de cela.
Bourval est riche assez pour elle.
Oui, mais c’est d’autre chose que je veux dire.
Dites-le donc.
C’est de voir que vous donnez votre Fille à un grand Garçon, beau & bien fait.
Comment bien fait ?
Oui, Monsieur, vous le savez bien ; vous l’avez vu apparemment ?
Point du tout. J’ai demandé à Bourval, s’il savoit comment je voulois que fût fait mon Gendre, il m’a dit que oui, & que je serois content de son fils.
Il a bien raison.
Mais point du tout, s’il est comme vous le dites.
Je dis qu’il est fort bien.
Et moi, je dis qu’il est fort mal ; qu’il ne me convient point, & que ma Fille ne l’épousera pas.
Mais, Monsieur, je vous aurai donc crû raisonnable…
Non, je n’aurai point dans ma famille de ces vilaines gens, qui parce qu’ils sont droits & plus grands que nous, nous méprisent & nous rient au nez. Non, non, cela ne sera pas. Faites-moi venir ma Fille. Dame Dumont sort.
Scène VI.
Monsieur Bourval a voulu m’attrapper. Il a peut-être crû que je signerois avant d’avoir vu son Fils ; c’étoit un beau tour à me faire ! Je vais aller chez lui. Dame Dumont. Je lui laverai la tête. Dame Dumont. Je me brouillerai avec lui pour toute ma vie. Dame Dumont. Il faut se méfier des gens droits. Dame Dumont. Et aussi de ceux qui nous ressemblent le plus. Dame Dumont. C’est elle sûrement qui avoit machiné cela avec les deux Bourval. Dame Dumont. Dame Dumont.
Scène VII.
Nous voilà, nous voilà.
Approchez ici, Mademoiselle Rondeau.
Mais, mon cher Papa, vous avez l’air bien en colère.
C’est pour votre bien que je le suis, & je ne veux pas que vous aimiez personne à l’avenir sans ma permission.
Mais on dit que vous ne voulez pas que j’épouse Monsieur Bourval.
Non ; je ne le veux pas.
Je ne saurois pourtant en aimer un autre que lui.
Vous ne sauriez ?
Non, mon cher Papa.
Il le faudra bien.
Non, non, jamais : ah ! mon cher Papa !…
Je n’écoute rien.
Vous me ferez mourir.
On ne meurt pas comme cela.
Je me tuerai plutôt.
Vous ne vous tuerez point.
Eh bien, je me ferai Religieuse.
Vous ne serez point Religieuse, vous vous marierez, & à ma fantaisie.
Je n’aimerai point ce mari-là.
Je ne m’en soucie guère ; qu’est-ce que cela me fait que vous aimiez votre mari ?
Je serai malheureuse toute ma vie !
Oh ! que non, qu’on n’est pas malheureuse pour ne point aimer son mari. En un mot, ne songez plus à Bourval ; & si vous le regardez seulement… Dame Dumont, c’est à vous que je m’en prendrai. Je m’en vais retirer ma parole.
Scène VIII.
Ah ! ma chère Dame Dumont, qu’est-ce que je vais devenir ?
Ne vous affligez point, mon enfant, tout n’est pas perdu.
Eh ! mon Dieu ! si, tout est perdu ; puisque je n’épouserai point Monsieur Bourval.
Que savez-vous ? Il ne faut désespérer de rien.
Puisque mon Père ne le veut pas.
Il sera peut-être forcé d’y consentir.
Et comment ?
Écoutez-moi. Tous les bossus ne pensent pas comme Monsieur Rondeau.
Qu’est-ce que cela me fait ?
Ce que cela vous fait ? qu’il n’y en a pas un, qui ne veuille avoir une grande Femme bien faite.
Cela est vrai ?
Oh, très-vrai, & vous croyant comme vous paroissez, pas un ne voudra de vous.
Ni moi d’eux assurément.
Et pour-lors, Monsieur votre Père sera trop heureux d’en revenir à Monsieur Bourval.
Ah ! je n’ose m’en flatter !
Laissons faire le tems, avec lui on vient à bout de tout.
Je voudrois pouvoir vous croire.
Ce que je vous dis est très-vrai. Tranquillisez-vous donc.
Je vais écrire à Monsieur Bourval.
Eh bien, je lui ferai tenir votre Lettre par La Pierre, qui est déjà venu ici.
Et son maître ?
Je ne l’ai pas vû. On frappe. J’entends quelqu’un. Allez, allez écrire votre Lettre.
Vous viendrez la prendre ?
Oui, oui. On frappe encore. On y va. Elle ouvre la Porte par où La Pierre est sorti.
Scène IX.
Ah ! qu’est-ce que vous voulez ?
Je vous amène mon maître.
Oh ! qu’il n’entre pas.
Pourquoi donc ? je viens chercher mon Père & Mademoiselle Rondeau.
Vous ne pouvez pas lui parler.
Pardonnez-moi, il faut bien que je lui dise que si j’ai refusé tantôt de l’épouser, c’est que je ne croyois pas que ce fût elle qu’on me proposoit ; mais La Pierre m’a instruit, & si je trouvois mon Père, je lui demanderois pardon de lui avoir résisté : & notre mariage…
Ne se feroit pas plus facilement pour cela. Malgré votre résistance est-ce qu’il n’étoit pas arrangé ? On devoit signer le Contrat ce soir, mais tout est rompu.
Et c’est moi qui en suis cause !
C’est vous, sans être vous ; c’est moi, & ce n’est pas moi ; parce que c’est vous.
Cela est fort clair.
Oui. Monsieur Rondeau avoit consenti à tout, vous croyant bossu ; quand je lui ai dit que vous ne l’étiez pas, il est devenu furieux contre Monsieur votre Père, & il est allé chez lui retirer sa parole ; ainsi vous voyez que c’est vous & moi qui en sommes la cause, & que ce n’est ni vous ni moi.
Elle a raison pourtant.
Et vous croyez qu’il ne donnera jamais sa Fille qu’à un bossu ?
Personne ne le fera changer d’avis.
Personne ? Il faut être bien malheureux pour rencontrer un Père comme celui-là dans le monde !
Vous dites que personne ne le fera changer d’avis ?
Non sûrement ; il est trop entêté pour cela.
Eh bien, je vous ferai voir que j’y réussirai, moi, qui vous parle.
Comment donc, La Pierre ?
Vous le verrez. Monsieur Rondeau ne nous connoît pas ; venez chez un de mes amis, un Frippier, qui demeure ici près, & vous saurez mon projet.
Dis un mot seulement.
Allez, allez, ne perdez pas de tems ; je crains que Monsieur Rondeau ne revienne.
Mais Mademoiselle Rondeau, je ne la verrai point ?
J’entends du Monde. Sortez par la porte par où vous êtes venus. Ils sortent.
Scène X.
Eh bien, Monsieur ?
Je ne l’ai pas trouvé, ce diable d’homme-là.
Ainsi il n’y a encore rien de rompu ?
Oh ! parbleu si, tout est rompu, je suis trop en colère. Je crois qu’il se sera douté que je viendrois chez lui, & qu’il a fait dire qu’il étoit sorti ; mais j’ai dit tout haut dans son Étude pourquoi je venois, il ne l’ignorera sûrement pas.
Mais s’il vous fait un Procès ?
Heureusement, je n’ai donné que ma parole d’honneur ; il n’y a rien de signé, je ne le crains pas.
Ah ! la parole d’honneur ne vaut donc rien ?
Quand j’aurois signé, je suis plus habile que lui. Il n’y a qu’un dédit qui puisse valoir quelque chose dans cette occasion-là.
Mais s’il feint d’ignorer ce qui s’est passé, & qu’il vienne avec le Contrat ?
Il ne me fera pas signer de force apparemment.
Non, mais vous êtes bon Père, votre Fille se jettera à vos genoux, Messieurs Bourval, moi, vous ne pourrez pas nous résister.
Je ne pourrai pas ?
Non, je vous connois, vous avez le cœur tendre.
Je n’ai pas le cœur tendre.
Pardonnez-moi.
Je vous dis que non.
Je voudrois seulement voir arriver Monsieur Bourval.
Il ne viendra pas.
Pourquoi donc ?
Parce que je m’en vais lui écrire qu’il n’a que faire de se présenter jamais devant moi, après ce qu’il a fait. Il s’assied.
C’est un grand crime !
Donnez-moi de l’encre !
Il y en a dans la Table.
Où cela donc ?
Dans le Tiroir.
Dans le Tiroir ? voyez vous-même.
Ah ! cela est vrai ; c’est qu’on a pris l’Ecritoire. Elle cherche.
Eh bien, finissez-donc.
Je cherche.
Peut-on impatienter comme cela !
Ah ! je me souviens qu’elle est sur la cheminée.
Apportez-la donc.
Je ne peux pas la prendre, je ne saurois y atteindre ; venez vous-même.
Vous êtes bien insupportable !
Dame ; je ne suis pas assez grande.
Où est-elle ?
Quelque part là. Elle montre.
Ah ! La voici. Du papier à présent. Il s’assied.
Il y en a sur la Table.
Il est écrit.
Il y a du blanc d’un côté.
Vous avez raison, cela est assez bon pour lui. Il se met à écrire. On frappe. Il y a quelqu’un-là.
C’est peut-être lui.
Le chien n’a pas aboyé.
Ah. Oui, il faut que ce soit un bossu. Elle va ouvrir.
Scène XI.
Quoi ! c’est encore vous, Monsieur de la Pierre ?
Oui, c’est moi. Dites à Monsieur Rondeau que je veux lui parler.
Eh bien, qui est donc-là ?
C’est un Monsieur qui demande à vous parler.
Qu’il entre.
Entrez, Monsieur.
Je ne sais pas si Monsieur me reconnoît ?
Non, car je ne vous ai jamais vû.
C’est que Monsieur ne m’a pas regardé ; car je suis toujours dans l’Étude de Monsieur Bourval, je suis un de ses Clercs.
Si c’est lui qui vous envoie, je vais vous donner une Lettre que je lui écrivois.
Bon ! Monsieur, il ne sait pas que je suis ici.
Que voulez-vous donc ?
Monsieur, c’est que c’est moi qui porte ordinairement le linge de son Fils l’Abbé, au Collége où il demeure.
Il a un Fils Abbé ? Je ne savois pas cela.
Monsieur, il est bien malheureux, parce qu’il voudroit être marié, & que son Père l’a fait Abbé malgré lui, aussi il n’est point avancé dans ses études.
Et pourquoi le faire Abbé ?
C’est pour qu’on ne le connoisse pas ; parce que…
Parce que ?…
Je ne sais trop comment vous dire cela.
Dites comme vous voudrez.
C’est que sur votre respect, il est bossu.
Comment ! son Père le cache à cause de cela, & ne veut pas qu’il se marie ?
Oui, Monsieur.
C’est être bien inhumain !
Bien barbare même !
Oui, ma chère Dame. Enfin donc, Monsieur l’Abbé a sçu la colère de Monsieur, contre son Père.
Elle durera long-tems.
Et comme il voudroit bien être marié, si Monsieur vouloit le voir, & qu’il pût le trouver assez bossu pour épouser Mademoiselle Rondeau ; il en seroit charmé.
Comment ! si je veux le voir ? Assûrement. Où est-il ?
Dans votre Cour avec votre Chien, qui lui lèche les mains, ce qui le rend bien content, car il n’est pas accoutumé à être caressé.
Le pauvre Garçon ! faites-le entrer, ou plutôt je vais au-devant de lui.
Oh, Monsieur, ne vous donnez pas cette peine-là.
Mais voyez un peu ce vilain Monsieur Bourval, comme il méprise les bossus ! Rougir d’un Fils, dont il devroit se faire honneur !
Cela est affreux à lui, qu’un bossu étouffe le cri de la nature, la voix du sang !
Scène XII.
Venez par ici, Monsieur l’Abbé.
Je viens, je viens.
Monsieur l’Abbé, je suis au désespoir que vous ayez attendu comme cela dans la Cour.
Oh ! je ne m’ennuyois pas ; parce que je m’amusois avec Monsieur votre Chien, qui est bien bon & bien honnête, assûrément.
Dame Dumont, donnez-donc un siège à Monsieur l’Abbé.
Oh ! Monsieur, je resterai bien debout.
Non pas, s’il vous plaît, je ne vous parlerai que quand vous serez assis.
Allons, je suis fait pour vous obéir. Ils s’asseyent.
Vous me voyez très en colère contre Monsieur votre Père.
Ah ! Monsieur, s’il a tort, ce n’est sûrement pas sa faute.
Quoi ! Monsieur, vous l’excusez après la maniere dont il vous traite ?
Monsieur, il n’en est pas moins mon Père, quoi qu’il ne veuille pas me marier.
Vous me paroissez un bien honnête Garçon, bien estimable ! êtes-vous l’aîné de votre frère ?
Oui, Monsieur, cependant je n’en sai rien ; parce que nous sommes gémeaux, & l’on dit comme cela…
Cela m’est égal ; parce que entre Bourgeois, la Coutume rend les parts égales.
Monsieur, la mienne sera bien petite, je crois.
Je ne le souffrirai point. Vous m’avez gagné le cœur, & vous verrez ce que je ferai pour vous. Le Chien aboye.
Qu’est-ce qui est-là ?
Scène XIII.
C’est moi.
Ah ! c’est la voix de mon Père.
Eh bien, cachez-vous dans la Chambre à côté ; & vous, Dame Dumont, faites descendre ma Fille, & vous entrerez tous quand je vous appellerai.
Allons, venez tous les deux. Ils suivent.
Peut-on entrer ?
Oui, oui.
Scène XIV.
Qu’est-ce que c’est donc, Monsieur Rondeau, vous êtes venu chez moi, dire que je vous avois trompé.
Assûrément.
Et sur quoi ?
Ne me parlez plus de cela, tout peut se réparer. Donnez-moi votre Fils l’Abbé, à la place de l’autre.
Je n’ai point de Fils Abbé.
Je sai bien que vous ne voulez pas le produire dans le monde.
Je ne sai ce que vous voulez dire.
Voilà une belle chose que vous faites-là ! Sacrifier un malheureux, parce qu’il n’est pas fait comme vous !
Comment ?
Oui, c’est parce que celui qui devoit épouser ma Fille vous ressemble, que je préfère son Frère qui me ressemble à moi, qui est un bien honnête Garçon.
Mais je crois que la tête vous a tourné.
Oh ! je savois bien que vous ne conviendriez pas de ce Fils-là ; mais je l’ai vû, je lui ai parlé.
À mon Fils l’Abbé ?
Oui ; à votre Fils, l’Abbé.
Vous êtes plus avancé que moi ; car je ne le connois pas.
Vous m’impatientez ! mauvais Père que vous êtes. Renier son Fils !
Je crois qu’il est devenu fou.
Je m’en vais vous confondre. Il est ici l’Abbé ; vous allez le voir.
Ah ! celui-là sera plaisant.
Venez, venez, Monsieur l’Abbé. Entrez aussi, ma Fille.
Scène dernière.
Que vois-je ?
Êtes-vous confondu ?
Je n’y comprends rien.
Est-ce-là votre Fils ?
Oui, Monsieur, je le reconnois ; mais par quelle aventure ?…
Je vous l’expliquerai, mon Père.
Voici celui que je veux pour ma Fille.
Si vous le voulez absolument…
À condition que vous lui donnerez une pareille charge qu’à son Frère.
Il l’aura.
Et je les garderai chez moi, parce que c’est un Garçon que j’aime beaucoup.
Vous en serez le maître. J’ai ici le Contrat, les noms sont en blanc ; parce que je ne savois pas ceux de Mademoiselle Rondeau, il n’y a qu’à les remplir.
Je m’en vais vous les dire.
Mais comme on ne peut compter sur votre parole, il faut que vous signiez aussi un dédit de cinquante mille francs.
Tout ce que vous voudrez, je suis bien sûr de ne pas me dédire ; écrivez, écrivez. Isabelle-Charlotte Rondeau.
Allons. Il écrit.
Je ne saurois vous remercier assez de toutes les obligations que je vous ai.
Je savois bien que je lui ferois faire ce qui convient. Cela est-il fait ?
Oui. Vous n’avez qu’à signer.
Allons, ma Fille, mon Gendre. Ils signent tous.
À présent, Monsieur, que vous ne pouvez pas vous en dédire, quoique je ne sois pas bossu, je crois que vous n’aurez pas lieu de vous plaindre de moi. Il déboutonne sa Soutane, & il paroît droit.
Ni de moi non plus. Il se redresse.
Que vois-je ?
Que vous avez donné à votre Fille un Mari aussi bien fait qu’elle. Elle ôte son Manteau, & paroît droite.
Qu’est-ce que tout cela signifie ? Ma Femme m’avoit donc trompé ?
Oui, Monsieur.
M’en aimerez-vous moins, mon cher Papa ?
Non, mais je suis outré d’avoir été votre dupe à tous.
Vous ne l’avez été que de votre déraison & de votre manie.
Je serai donc exposé à passer ma vie avec des gens droits !
Et devenez-le vous-même.
Mettez-vous entre les mains de Valdageou, il vous redressera.
Vous le croyez ?
Tous les jours il fait des cures admirables.
Allons, j’y consens ; il vaut mieux se corriger, que de vouloir corriger les autres.
VAUDEVILLE.
En voulant pour ma chère Enfant
Un Epoux mal-fait, dégoûtant ;
C’étoit bien donner dans la bosse !
Avec un esprit à l’envers
On donne dans tous les travers.
On donne dans tous les travers.
C’est le bien, c’est la qualité,
Qu’on recherche par vanité,
Et tout se mange en équipages.
Avec un esprit à l’envers
On donne dans tous les travers.
On donne dans tous les travers.
On voit arriver les Amans ;
Sans amour, même, ils sont pressans,
Et du Mari l’exemple engage.
Avec un esprit à l’envers
On donne dans tous les travers.
On donne dans tous les travers.
La mode & l’exemple des sots,
S’exposeroit à bien des maux ;
Suivons les traces des gens sages.
Avec un esprit à l’envers
On donne dans tous les travers.
On donne dans tous les travers.
Que je n’ai jamais eu d’appas ;
Un Amant, nommé Nicolas,
M’aima pourtant & fut parjure.
Avec un esprit à l’envers
On donne dans tous les travers.
On donne dans tous les travers.
On dit, il faut beaucoup d’argent,
Mais le plaisir fuit très-souvent
Ceux qui font beaucoup de dépense ;
D’amuser se donner les airs,
Sans de grands frais, est-ce un travers ?
Sans de grands frais, est-ce un travers ?