Théâtre de campagne/La Chanson

Théâtre de campagneRuaulttome II (p. 167-202).

LA
CHANSON,
COMÉDIE
En un Acte & en Prose.

PERSONNAGES.

LA MARQUISE, Veuves.
LA COMTESSE,
LE VICOMTE.
LE BARON.
LE CHEVALIER DE LA RAISIERE.
LAFRENAYE, Valet-de-Chambre de la Marquise.
La Scène est à la Campagne, dans un Sallon, chez la Marquise.


Scène première.

LA COMTESSE, LE VICOMTE.
La Comtesse.

Savez-vous des nouvelles de la Marquise, Vicomte ? si elle paroîtra bientôt ?

Le Vicomte.

Oui, oui.

La Comtesse.

Oui, oui ; vous n’en savez rien peut-être ?

Le Vicomte.

Pardonnez-moi, j’en suis sûr.

La Comtesse.

Je vais la voir.

Le Vicomte, retenant la Comtesse.

Eh mais, un moment, je vous supplie.

La Comtesse.

Ah, voilà ce que c’est, vous voulez me parler de votre amour, je vous vois venir.

Le Vicomte.

Et quel mal y a-t-il à cela ?

La Comtesse.

Que vous m’ennuyez à mourir, avec tous vos propos de tendresse.

Le Vicomte.

Mais, songez que devant vos femmes, je ne vous en dis pas le moindre mot.

La Comtesse.

Je le crois bien, je vous l’ai défendu.

Le Vicomte.

Il faut donc que je profite du seul instant que j’aurai peut-être dans la journée.

La Comtesse.

Cela est bien nécessaire.

Le Vicomte.

Ah, si vous m’aimiez !…

La Comtesse.

Que je vous aime ou non, je vous épouse ; que voulez-vous de plus ?

Le Vicomte.

Eh, peut-il être de vrai bonheur, sans une tendresse réciproque ?

La Comtesse.

Oui, elle dure long-tems, après le mariage, la tendresse ! il ne faut pas seulement en parler. Je vous préfère à tous ceux qui ont eu les mêmes desirs que vous, vous êtes trop heureux.

Le Vicomte.

Je sentirois bien mieux l’excès de mon bonheur, si du moins vous fixiez le jour où…

La Comtesse.

Ah, nous y voilà ! vous voyez bien que vous me dites toujours la même chose.

Le Vicomte.

Eh, pourquoi changerois-je de langage, puis-que mon amour ne cessera jamais d’être le même.

La Comtesse.

Voilà ce que je ne crois pas.

Le Vicomte.

Vous ne le croyez pas ?

La Comtesse.

Non, & c’est pourquoi je retarde toujours à vous épouser. Vous ne sentez pas toute la délicatesse de ce procédé-là, vous autres hommes, votre amour est si grossier !

Le Vicomte.

Non : mais on craint de voir changer ce que l’on aime, de perdre un espoir que l’on chérit…

La Comtesse.

Vous oubliez sans doute que vous parlez à une veuve, que nous savons par expérience la valeur de tous vos propos, & que c’est-là ce qui nous fait à toutes projetter de ne pas nous remarier.

Le Vicomte.

Voilà donc pourquoi la Marquise tourmente aussi le Baron ?

La Comtesse.

Oui, car je suis sûre qu’elle l’aime.

Le Vicomte.

Il n’ose s’en flatter.

La Comtesse.

Tant mieux.

Le Vicomte.

Pourquoi tant mieux ?

La Comtesse.

Voici la Marquise.


Scène II.

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE.
La Marquise.

Je sors de chez vous, Madame.

La Comtesse.

Et moi, j’allois vous trouver. Vous avez là un joli ruban.

Le Vicomte.

Je n’aime pas trop la raie violette.

La Marquise.

Est-ce que vous vous y connoissez, Vicomte ?

La Comtesse.

Point du tout, ne l’écoutez pas ; les hommes n’ont de goût à rien. Ils s’asseyent tous les trois.

La Marquise.

Eh, bien, comment vous trouvez-vous du parti que nous avons pris de ne pas dîner ?

La Comtesse.

Ah ! je trouve cela charmant ! on n’est point pressé, on a le tems de faire tout ce qu’on veut.

La Marquise.

Cela ne plaît pas trop aux hommes, j’en demande pardon au Vicomte. Je voudrois que chez moi…

La Comtesse.

Bon ! n’allez-vous pas le gâter ?

Le Vicomte.

Je vous assure, Madame, que tout ce qui vous plaît me convient très-fort.

La Marquise.

Cela est bien honnête.

La Comtesse.

Et le Baron, qu’en avez-vous fait, Madame, aujourd’hui ?

La Marquise.

Mais vraiment, à-propos, je ne l’ai point vu, & je n’en ai pas seulement entendu parler.

Le Vicomte.

Vous l’avez bien tourmenté hier, Madame.

La Marquise.

Est-ce que vous croyez qu’il seroit fâché >

La Comtesse.

Bon ! fâché ; ces Messieurs se plaignent toujours ; quand ce n’est pas pour leur compte, c’est pour celui de leurs amis.

Le Vicomte.

Moi, Madame, je ne prends parti pour personne, j’ai assez de mes affaires.

La Comtesse.

Voilà qu’il abandonne son ami à-présent, pour son intérêt personnel.

Le Vicomte.

En vérité, ma position devient très-embarrassante.

La Comtesse.

La position ! Madame, comment trouvez-vous cela ? Sa position ! Ils veulent, ces Messieurs, que tout ce qui les regarde soit une affaire d’État.

La Marquise.

Vicomte, je suis fâchée de vous avoir attiré cela.

Le Vicomte.

C’est une plaisanterie que fait Madame la Comtesse.

La Comtesse.

Une plaisanterie ? Non, Monsieur, je vous le dis très-sérieusement, & vous ferez bien d’en faire votre profit.

La Marquise.

Ce pauvre Vicomte !

La Comtesse.

Si vous le plaignez, je plaindrai aussi le Baron.

La Marquise.

Cela est différent.

Le Vicomte.

Ma foi, Madame, je ne sais pas ce qu’il a fait toute la nuit ; mais il s’est bien tourmenté.

La Marquise.

À propos, de quoi donc ?

La Comtesse.

C’est peut-être au sujet de cette Chanson que vous vouliez qu’il vous fît pour aujourd’hui.

La Marquise.

Ah ! cela est vrai, je l’avois oublié à propos. Je veux sûrement l’avoir.

Le Vicomte.

Mais je suis sûr qu’il n’a fait de sa vie un vers seulement.

La Marquise.

Eh bien, il commencera pour moi. D’ailleurs le champ que je lui ai donné est vaste.

Le Vicomte.

Si vous lui aviez permis de vous chanter, cela lui auroit été plus facile.

La Marquise.

Oh, je ne veux point de fadeurs. Vicomte, je vous en prie, voyez un peu où il en est, & si ma Chanson est faite.

La Comtesse.

Allez donc.

Le Vicomte

J’y vais, Madame.

La Comtesse.

C’est que je connois votre paresse, quand vous êtes une fois assis. Le Vicomte sort.


Scène III.

LA MARQUISE, LA COMTESSE.
La Marquise.

Vous traitez bien mal ce pauvre Vicomte, Madame.

La Comtesse.

C’est que je ne peux pas le voir, qu’il ne me donne de l’humeur.

La Marquise.

De l’humeur ? Mais vous l’aimez ?

La Comtesse.

Eh vraiment oui, je l’aime, voilà ce qui me désespère !

La Marquise.

Pourquoi ?

La Comtesse.

Parce qu’il faudra tôt ou tard que je l’épouse.

La Marquise, riant.

Voilà un grand malheur, effectivement !

La Comtesse.

Sans doute, c’en est un.

La Marquise.

Que pouvez-vous lui reprocher ?

La Comtesse.

Rien à-présent ; mais dès qu’il sera mon mari…

La Marquise.

Eh bien ?

La Comtesse.

Il sera comme ils sont tous.

La Marquise.

Il a toujours vécu en bonne compagnie ; ainsi vous n’avez pas à craindre qu’il vous préfère des Actrices.

La Comtesse.

Non ; mais il sera froid, dédaigneux ; il aura une volonté qui ne sera pas la mienne & qu’il faudra suivre ; enfin je perdrai ma liberté, rien ne m’en dédommagera.

La Marquise.

Mais son amour…

La Comtesse.

Combien durera t-il ?

La Marquise, rêvant.

Cela est vrai.

La Comtesse.

Ah, que trop vrai ! & je parie que sans cela vous auriez déjà épousé le Baron.

La Marquise.

Vous l’avez deviné ; voilà ce qui m’arrête.

La Comtesse.

Il a une douceur de caractère, une complaisance qui devroit vous rassurer.

La Marquise.

Si l’envie de plaire duroit encore après le mariage.

La Comtesse.

En vérité cela est très-embarrassant !

La Marquise.

Avec de l’amour sur-tout.

La Comtesse.

Sans amour, ce ne seroit rien.

La Marquise.

Et se marier par amour, cela est bien plat à-présent.

La Comtesse.

Tenez, voilà encore ce que je crains le plus, c’est le ridicule.

La Marquise.

Je suis comme vous, afficher la passion conjugale, cela fait parler tout le monde ; une veuve a toujours l’air de s’être laisse duper, rien n’est si humiliant !

La Comtesse.

Il faut rester, après cela, femme à sentiment toute sa vie.

La Marquise.

Et finir par être bel esprit ; les hommes n’aiment pas trop cela, & toutes les femmes deviennent jalouses de vous.

La Comtesse.

Il est vrai ; mais que peut-on faire où l’on ne trouve pas à redire ?

La Marquise.

Quand on ne fait que des choses honnêtes, il me semble que le Public n’est pas à craindre.

La Comtesse.

Je vois que vous épouserez le Baron.

La Marquise.

Si vous épousez le Vicomte, il me sera bien difficile de ne pas vous imiter.

La Comtesse.

J’attendrai que vous soyez déterminée ; & si le Baron fait la Chanson que vous lui avez demandée, c’est un grand acte de complaisance.

La Marquise.

Il m’en faut encore un plus grand.

La Comtesse.

Ce sera donc le dernier.

La Marquise.

Oui, si vous me promettez de m’imiter. Nous nous marierons ici, nous y resterons quinze jours, & quand nous retournerons à Paris, il y aura quelqu’autre histoire qui fera qu’on ne parlera plus de la nôtre. N’est-il pas vrai ?


Scène IV.

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE.
Le Vicomte, en entrant, parlant à quelqu’un qui est dehors.

Ce que je viens d’entendre ici me transporte de joie ! Chevalier, n’entre qu’après que j’aurai annoncé ton arrivée.

La Comtesse.

Je crois avoir entendu le Vicomte : je vous en prie, Madame, qu’il ne sache point notre convention.

La Marquise.

Ne craignez rien.

La Comtesse au Vicomte.

Eh bien, le Baron ?

Le Vicomte.

Il est allé à la chasse.

La Marquise.

Vous voyez, Madame, comme il est occupé de ma Chanson.

La Comtesse.

Ces Messieurs vous disent les plus belles choses du monde, & ne font rien pour prouver tout ce qu’ils avancent.

Le Vicomte.

Madame, est-ce bien fait de blâmer les absents ?

La Comtesse.

Et si je parlois de vous ?

La Marquise.

Vicomte, croyez-moi, ne dites rien.

Le Vicomte.

Je crois que je ferai mieux ; cependant, je ne peux pas vous laisser ignorer qu’il vous arrive quelqu’un ; j’ai vu une chaise dans l’avenue.

La Marquise.

Il faudroit être de bien mauvaise humeur pour trouver cela mauvais : ce pourroit bien être le Chevalier.

La Comtesse.

C’est l’ami de ces Messieurs, ils vont être trois contre nous.

La Marquise.

Vous savez le moyen que nous avons qu’il soit aussi le nôtre.

La Comtesse.

Ah, ne parlez pas de cela, je vous prie.


Scène V.

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE CHEVALIER, LAFRENAYE.
Lafrenaye.

Monsieur le Chevalier de la Raisiere.

La Marquise.

Ah, Chevalier, cela est honnête, vous me tenez parole.

Le Chevalier.

Mesdames, je ne crois pas que j’aie un grand mérite à cela. Bon jour, Vicomte.

Le Vicomte.

Bon jour, Chevalier.

Le Chevalier.

Vous aurez du monde ce soir.

La Marquise.

Je le sais bien, mais ce sera fort tard.

Le Chevalier.

Oui, ils ne partiront qu’après l’Opéra.

La Comtesse.

Vous êtes venu de bonne heure, vous, voilà ce qu’on appelle un procédé.

Le Chevalier.

Il y a long-tems que je serois ici, sans une chose assez plaisante qui m’est arrivée.

La Marquise.

Comment donc ?

La Comtesse.

Qu’est-ce que c’est ?

Le Chevalier.

J’ai vu de loin le Baron, assis au coin du buisson du gros Loup. Je me suis arrêté pour aller à lui & pour le surprendre. Je me suis approché tout doucement par derrière, je l’ai entendu qui chantoit, & je l’ai vu écrire.

Le Vicomte.

Vous voyez qu’il faisoit votre Chanson, Madame.

Le Chevalier.

Est-ce que vous lui en avez demandé une ?

La Marquise.

Oui, c’est une plaisanterie que nous lui fîmes hier au soir.

Le Chevalier.

Eh bien, vous aurez votre Chanson ; car elle est faite.

Le Vicomte, avec joie.

Ah, tant mieux !

La Comtesse.

Madame ?

La Marquise.

Paix donc.

Le Chevalier.

Est-ce que vous seriez fâchée de l’avoir ?

La Marquise.

Non, vraiment.

Le Chevalier.

Eh bien, si vous voulez, je vais vous la donner, car je l’ai copiée, pendant qu’il la faisoit.

La Marquise.

Tout de bon ?

Le Chevalier.

Oui, la voilà.

La Marquise.

Ah, cela est excellent ! voyons ? Elle prend la Chanson & la lit.

Le Chevalier.

C’est sur l’air : Eh, mais oui-dà. Il chante. C’est une espèce de ronde sur les mœurs d’à-présent.

La Marquise.

Oui, c’est cela que je voulois.

La Comtesse.

Ah, Madame, chantez donc.

La Marquise.

Je le veux bien. Elle est un peu longue.

La Comtesse.

Il n’y a pas de mal.

La Marquise.

Tout n’est que mode, usages,
À Paris à présent,
Et l’on voit les plus sages
Suivre aussi le torrent,
C’est le bon ton ;
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

La Comtesse.

Madame, j’entends quelqu’un, si c’étoit le Baron.

La Marquise.

C’est lui-même, ne dites rien, Madame.


Scène dernière.

LA MARQUISE, LA COMTESSE, LE VICOMTE, LE CHEVALIER, LE BARON.
La Marquise.

En vérité, Monsieur le Baron, vous êtes tout-à-fait aimable !

Le Baron.

Pourquoi-donc, Madame ?

La Marquise.

Au lieu de faire la Chanson que je vous ai demandée, vous allez à la chasse.

Le Baron.

C’étoit pour la faire, car je n’ai pas chassé.

La Marquise.

Comment-donc ?

Le Baron.

Oui, j’ai passé une partie de la nuit à chercher, sans pouvoir rien trouver.

La Marquise.

Et la chasse…

Le Baron.

La promenade, plutôt, m’a fait espérer que je la ferois.

La Comtesse.

Eh bien ?

Le Baron.

Elle est faite, mais elle ne vaut rien.

La Comtesse.

Voyons toujours.

Le Chevalier.

Baron, je ne te connoissois pas ce talent-là.

Le Baron.

Eh pardy, je ne l’ai pas non plus. Depuis quand es-tu ici, Chevalier ?

Le Chevalier.

De tout-à-l’heure.

Le Baron.

Je n’en savois rien.

Le Chevalier.

Je serai bien aise de voir cet essai de la complaisance.

La Comtesse.

Ils vont se faire des complimens à-présent.

La Marquise.

Finissez-donc.

Le Baron.

Allons, Madame, allons ; comme vous ne pourriez pas lire, je vais chanter. Il chante

Tout n’est que mode, usages…

La Marquise.

Qu’est-ce que vous dites donc-là ? C’est une Vieille Chanson.

Le Baron.

Non, Madame, je vous jure que je viens de la faire.

La Marquise.

Je vous réponds, moi, que j’en ai une des rues, qui commence comme cela.

Le Baron.

Des rues ?

La Marquise.

Oui, ma Femme-de-Chambre la chantoit toute la journée, j’ai voulu l’avoir & je crois qu’elle est dans ma poche. Tenez, Madame, voyez si ce n’est pas cela. Elle lui donne la copie du Chevalier.

La Comtesse.

Voyons, continuez Baron.

Le Baron.

Non, je vous prie, dites le couplet, il ne sera sûrement pas en entier de même.

La Comtesse, chante.

Tout n’est que mode, usages,
À Paris à-présent,
Et l’on voit les plus sages
Suivre aussi le torrent ;
C’est le bon ton,
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

Le Baron surpris.

Cela est inconcevable ! c’est mot pour mot la même chose.

La Marquise.

C’est que c’est une réminiscence.

Le Baron.

Il faut bien que cela soit, mais le second ne sera sûrement pas le même.

La Comtesse.

Voyons ?

Le Baron, chante.

À la Grecque on se frise,
L’on se brode en clinquants,
Et même l’on méprise
Filles sans diamants.
C’est le bon ton,
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

La Comtesse.

Ce couplet-là est ici.

La Marquise.

Monsieur le Baron !…

Le Baron.

En vérité Madame… Mais je vous prie, chantez le troisième couplet.

La Comtesse.

Je le veux bien. Elle chante.

De l’Opéra comique
L’on voit blâmer le goût ;
Mais pour cette musique
L’on accourt de par-tout ;
C’est le bon ton,
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

Le Baron confondu.

Je n’y comprends rien, il faut que le Diable…

La Marquise.

Oh, cela est bien fin ! Vous avez cru que nous ne saurions pas cette Chanson-là.

Le Baron.

Je vous jure en honneur…

La Comtesse.

Voyons encore un couplet.

Le Baron, chante.

On fait grande dépense,
On donne, on troque, on vend ;
L’air de magnificence
Ruine promptement,
C’est le bon ton,
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

La Comtesse.

Eh bien, nous avons aussi ce couplet-là.

Le Baron.

Mais je veux mourir…

La Marquise.

Bon, bon ! continuez, Madame.

La Comtesse, chante.

Rien n’est plus agréable
Que d’aimer les chevaux ;

Savoir mener un Diable,
Aux Cochers rend égaux ;
C’est le bon ton,
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

Le Vicomte.

Eh bien, Baron ?

Le Baron.

C’est la même chose. Je m’y perds !

La Marquise.

Continuez, voyons, jusqu’au bout.

Le Baron, chante.

Une petite loge
Est le souverain bien,
Et l’on en fait l’éloge,
Même n’y voyant rien ;
C’est le bon ton,
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

La Marquise.

Toujours de même : cela est fort bien, Monsieur le Baron ; je me souviendrai de cela. Ah, je crois a-présent que vous ne savez pas faire de vers.

Le Baron.

Je vous l’ai dit, Madame ; mais ceux-ci…

La Marquise.

Il y a encore des couplets, voyons jusqu’au bout. Chantez.

Le Baron.

Cela me feroit donner au Diable !

La Comtesse.

Je vais chanter moi. Elle chante.

Jouer la Comédie
Est un très-grand plaisir ;
Mais souvent on ennuie,
Au lieu de divertir ;
C’est le bon ton,
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

La Marquise.

Avez-vous fait celui-là aussi ?

Le Baron.

Oui, Madame, comme les autres.

La Marquise.

Oh, oui, tout de même. Voyons le dernier couplet.

Le Baron, chante.

Critiquer & médire
Amuse tout le jour.
Des autres l’on peut rire,
On est sûr du retour ;
C’est le bon ton,
Chacun se moque du qu’en dira-t-on.

La Marquise.

Fort bien, fort bien !

Le Baron.

Madame, il est impossible…

La Marquise.

Non, Monsieur, je n’entendrai rien ; vous avez cru que je serois la dupe de cette plaisanterie & je vous avoue que j’en suis très-piquée ; je savois bien que je pousserois votre complaisance à bout.

Le Baron.

Mais, Madame…

Le Chevalier.

Madame la Marquise, je crois…

La Marquise.

Non, Monsieur, je ne lui pardonnerai qu’à une condition.

Le Baron.

Madame, quoique je ne sois pas coupable…

La Marquise.

Tout au contraire ; c’est de quoi je veux que vous conveniez.

Le Baron.

Quoi ?… Je suis désespéré !

La Comtesse, bas à la Marquise.

Madame, c’est la seconde complaisance, prenez-y garde.

Le Chevalier, au Baron.

Eh bien, avoue : que diable cela te fait-il ?

Le Baron.

Mais je ne saurois convenir d’une chose qui n’est pas.

Le Vicomte, bas au Baron.

C’est de la que dépend ton bonheur, nous avons entendu tout-à-l’heure une conversation… Je te réponds de tout.

Le Chevalier, bas.

Qu’il se fasse un peu prier.

Le Vicomte.

Sans doute.

La Marquise.

Eh bien, Messieurs, il ne veut donc pas ?

Le Vicomte.

Madame, il dit qu’en honneur…

La Marquise.

Monsieur le Baron, vous n’êtes pas plus occupé que cela de réparer votre faute ?

Le Baron.

Madame…

La Marquise.

Je vois à quel point je devois compter sur vous.

Le Baron.

Eh bien, Madame, vous le voulez. Il se jette à genoux. Je vous demande pardon & je conviens de tout.

La Marquise.

Allons, je vous pardonne, & je suis bien-aise que vous vous soyez soumis à ce que je voulois. Levez-vous. Je vous rends justice, je suis très-sûre que la Chanson est de vous, c’est un tour que je vous ai joué.

Le Baron.

Comment ?

La Marquise.

À l’aide du Chevalier qui vous a vu faire votre Chanson, sans que vous l’ayez apperçu, & qui m’avoit donné cette copie. Voyez si ce n’est pas là son écriture.

Le Baron.

Quoi, Chevalier ?…

Le Chevalier.

Oui, mon ami ; mais je veux que tu sois bien récompensé de toute la peine que je t’ai causée. Madame la Comtesse, je crois cette secondé épreuve assez forte ; le Vicomte & moi, nous avons entendu la convention que vous avez faite avec Madame.

La Comtesse.

Les traîtres !

Le Chevalier.

Il faut qu’elle vous tienne parole.

La Marquise.

Je le veux bien, pourvu que Madame tienne aussi la sienne.

La Comtesse.

Je crois qu’après ce qui nous arrive, il n’y a plus à hésiter.

Le Vicomte.

Oui, car toutes vos craintes ne sont point fondées. Je vous le jure par tout l’amour que vous m’avez inspiré. Il baise la main de la Comtesse.

Le Baron.

Ah, Vicomte, que tu es heureux

Le Chevalier.

Tu l’es aussi.

Le Baron.

Comment ?

Le Chevalier.

Madame la Marquise consent à t’épouser.

Le Baron.

Seroit-il bien possible ?

La Marquise.

Oui, Baron, je vous aime & je me plais à vous le prouver.

Le Baron.

Mon bonheur est au-dessus de mes espérances ! Il baise la main de la Marquise.

Le Vicomte.

Chevalier, que ne vous devons-nous pas !

La Comtesse.

Il est notre ami à tous, il ne faut plus trouver qu’une pareille occasion de lui marquer notre reconnoissance.

La Marquise.

Allons au-devant de celle qu’il aime ; peut-être le moment de nous acquitter n’est-il pas loin & qu’elle suivra notre exemple.

FIN.