Testament de Meslier/Chapitre 3

Cramer (p. 29-33).


CHAPITRE III.



MAis par quel privilège ces quatre Évangiles & quelques autres semblables Livres passent-ils pour Saints & Divins, plutôt que plusieurs autres qui ne portent pas moins le titre d’Évangile, & qui ont autrefois été comme les premiers publiés sous le nom de quelques autres Apôtres ? Si l’on dit que les Évangiles réfutés sont supposés & faussement attribués aux Apôtres, on en peut dire autant des premiers ; si l’on suppose les uns falsifiés & corrompus, on en peut supposer autant pour les autres. Ainsi il n’y a point de preuve assurée pour discerner les uns d’avec les autres, en dépit de l’Église qui veut en décider, elle n’est pas plus croyable.

Pour ce qui est des prétendus miracles rapportés dans le vieux Testament, ils n’auroient été faits que pour marquer de la part de Dieu une injuste & odieuse acception de peuples & de personnes, & pour accabler de maux, de propos délibéré, les uns, pour favoriser tout particuliérement les autres. La vocation & le choix que Dieu fit des Patriarches Abraham, Isaac, & Jacob, pour de leur postérité se faire un peuple qu’il sanctifieroit & béniroit par dessus tous les autres peuples de la Terre, en est une preuve.

Mais, dira-t-on, Dieu est le maître absolu de ses graces & de ses bienfaits, il peut les accorder à qui bon lui semble, sans qu’on ait droit de s’en plaindre ni de l’accuser d’injustice. Cette raison est vaine ; car Dieu, l’auteur de la nature, le père de tous les hommes, doit également les aimer tous, comme ses propres ouvrages ; & par conséquent, il doit également être leur protecteur, & leur bienfaiteur ; car celui qui donne l’être, doit donner les suites & les conséquences nécessaires pour le bien-être ; si ce n’est que nos Christicoles veuillent dire, que leur Dieu voudroit faire exprès des créatures pour les rendre misérables, ce qu’il seroit certainement indigne de penser d’un Être infiniment bon.

De plus, si tous les prétendus miracles, tant du vieux que du nouveau Testament, étoient véritables, on pourroit dire que Dieu auroit eu plus de soin de pourvoir au moindre bien des hommes qu’à leur plus grand & principal bien ; qu’il auroit voulu plus sévérement punir dans de certaines personnes, des fautes légères, qu’il n’auroit puni dans d’autres de très-grands crimes ; & enfin qu’il n’auroit pas voulu se montrer si bienfaisant dans les plus pressans besoins que dans les moindres. C’est ce qu’il est facile de faire voir, tant par les miracles qu’on prétend qu’il a faits, que par ceux qu’il n’a pas faits, & qu’il auroit néanmoins plutôt faits qu’aucun autre, s’il étoit vrai qu’il en eût fait. Par exemple, dire que Dieu auroit eu la complaisance d’envoyer un Ange pour consoler & secourir une simple servante, pendant qu’il auroit laissé & qu’il laisse encore tous les jours languir & mourir de misère une infinité d’innocens : qu’il auroit conservé miraculeusement pendant quarante ans les habillemens & les chaussures d’un misérable peuple, pendant qu’il ne veut pas veiller à la conservation naturelle de tant de biens si utiles & nécessaires pour la subsistance des peuples, & qui se sont néanmoins perdus & se perdent encore tous les jours par différens accidens. Quoi ! Il auroit envoyé aux premiers Chefs du Genre humain, Adam & Ève, un Démon, un Diable, ou un simple serpent, pour les séduire, & pour perdre par ce moyen tous les hommes ? cela n’est pas croyable. Quoi ! il auroit voulu, par une grace spéciale de sa providence, empêcher que le roi de Géraris Payen ne tombât dans une faute légère avec une femme étrangère, faute cependant qui n’auroit eu aucune mauvaise suite ; & il n’auroit pas voulu empêcher qu’Adam & Ève ne l’offensassent, & ne tombassent dans le péché de désobéïssance, péché qui, selon nos Christicoles, devoit être fatal, & causer la perte de tout le genre humain ? Cela n’est pas croyable.

Venons aux prétendus miracles du nouveau Testament. Ils consistent, comme on le prétend, en ce que Jesus-Christ & ses Apôtres guérissoient divinement toutes sortes de maladies & d’infirmités, en ce qu’ils rendoient, quand ils vouloient, la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la parole aux muets, qu’ils faisoient marcher droit les boiteux, qu’ils guérissoient les paralitiques, qu’ils chassoient les démons des corps des possédés, & qu’ils ressuscitoient les morts.

On voit plusieurs de ces miracles dans les Évangiles, mais on en voit beaucoup plus dans les Livres que nos Christicoles ont faits des vies admirables de leurs Saints ; car on y lit, presque partout, que ces prétendus bienheureux guérissoient les maladies & les infirmités, chassoient les démons presque en toute rencontre, & ce au seul nom de Jesus, ou par le seul signe de la Croix : qu’ils commandoient, pour ainsi dire, aux Élémens : que Dieu les favorisoit si fort, qu’il leur conservoit même après leur mort son divin pouvoir, & que ce divin pouvoir se seroit communiqué jusqu’au moindre de leurs habillemens, & même jusqu’à l’ombre de leurs corps & jusqu’aux instrumens honteux de leur mort. Il est dit que la chaussette de Saint Honoré ressuscita un mort au six de Janvier ; que les bâtons de Saint Pierre, de Saint Jacques & de Saint Bernard opéroient des miracles. On dit de même de la corde de Saint François, du bâton de Saint Jean de Dieu & de la ceinture de Sainte Mélanie. Il est dit de Saint Gracilien qu’il fut divinement instruit de ce qu’il devoit croire & enseigner, & qu’il fit par le mérite de son oraison, reculer une montagne, qui l’empêchoit de bâtir une Église. Que du sépulcre de Saint André il en couloit sans cesse une liqueur qui guérissoit toutes sortes de maladies. Que l’ame de Saint Benoît fut vüe monter au Ciel : revêtüe d’un précieux manteau, & environnée de lampes ardentes. St. Dominique disoit que Dieu ne l’avoit jamais éconduit de choses qu’il lui eût demandées. Que St. François commandoit aux hirondelles, aux cygnes & autres oiseaux, qu’ils lui obéïssoient ; & que souvent les poissons, les lapins & les liévres venoient se mettre entre ses mains & dans son giron. Que St. Paul & St. Pantaleon ayant eu la tête tranchée, il en sortit du lait au lieu de sang. Que le bienheureux Pierre de Luxembourg dans les deux premiéres années d’après sa mort, 1388 & 1389 fit 2 400 miracles, entre lesquels il y eut 42 morts ressuscités, non compris plus de trois mille autres miracles qu’il a faits depuis ; sans ceux qu’il fait encore tous les jours. Que les cinquante Philosophes que Ste. Catherine convertit, ayant tous été jettés dans un grand feu, leurs corps furent après trouvés entiers, & pas un seul de leurs cheveux brûlés ; que le corps de Ste. Catherine fut enlevé par les Anges après sa mort, & enterré par eux sur le mont Sinaï. Que le jour de la Canonisation de St. Antoine de Padoüe toutes les cloches de la Ville de Lisbonne sonnèrent d’elles-mêmes sans que l’on sçût d’où cela venoit ; que ce Saint étant un jour sur le bord de la mer, & ayant appellé les poissons pour les prêcher, ils vinrent devant lui en foule, & mettant la tête hors de l’eau ils l’écoutoient attentivement. On ne finiroit point s’il falloit rapporter toutes ces balivernes : il n’y a sujet si vain & si frivole, & même si ridicule, où les auteurs de ces vies de Saints, ne prennent plaisir d’entasser miracles sur miracles, tant ils sont habiles à forger de beaux mensonges. Voyez aussi le sentiment de Naudé sur cette matière dans son Apologie des Grands-hommes, Tom. 2. p. 13.

Ce n’est pas sans raison, en effet, que l’on regarde ces choses comme de vains mensonges ; car il est facile de voir que tous ces prétendus miracles n’ont été inventés qu’à l’imitation des fables des Poëtes Payens ; c’est ce qui paroît assez visiblement par la conformité qu’il y a des uns aux autres.