Testament de Meslier/Chapitre 2
CHAPITRE II.
IIe. Preuve tirée des Erreurs de la Foi.
Oute Religion qui pose pour fondement de ses mystères, & qui prend pour règle de sa doctrine & de sa morale un principe d’erreurs, & qui est même une source funeste de troubles & de divisions éternelles parmi les hommes, ne peut être une véritable Religion, ni être d’institution divine. Or les Religions humaines, & principalement la Catholique, pose pour fondement de sa doctrine & de sa morale un principe d’erreurs. Donc, &c. Je ne vois pas qu’on puisse nier la premiére proposition de cet argument ; elle est trop claire & trop évidente pour pouvoir en douter. Je passe à la preuve de la seconde proposition, qui est que la Religion Chrétienne prend pour régle de sa doctrine & de sa morale ce qu’ils appellent foi ; c’est-à-dire, une créance aveugle, mais cependant ferme & assurée, de quelques Loix, ou de quelques révélations divines, & de quelque Divinité. Il faut nécessairement qu’elle le suppose ainsi ; car c’est cette créance de quelque Divinité & de quelques révélations divines qui donne tout le crédit & toute l’autorité qu’elle a dans le monde, sans quoi on ne feroit aucun état de ce qu’elle prescriroit. C’est pourquoi il n’y a point de Religion qui ne
recommande expressément à ses sectateurs[1] d’être fermes dans leur foi. De-là vient que tous les Christicoles tiennent pour maximes, que la foi est le commencement & le fondement du salut, & qu’elle est la racine de toute justice,& de toute sanctification, comme il est marqué dans le Concile de Trente Sess. 6 chap. 8.
Or il est évident qu’une créance aveugle de tout ce qui se propose sous le nom & l’autorité de Dieu, est un principe d’erreurs & de mensonges. Pour preuve c’est que l’on voit qu’il n’y a aucun imposteur en matiére de Religion qui ne prétende se couvrir du nom de l’autorité de Dieu, & ne se dise particuliérement inspiré & envoyé de Dieu. Non seulement cette foi & cette créance aveugle qu’ils posent pour fondement de leur Doctrine, est un principe d’erreurs &c. mais elle est aussi une source funeste de troubles & de divisions parmi les hommes, pour le maintien de leurs Religions. Il n’y a point de méchancetés qu’ils n’exercent les uns contre les autres, sous ce spécieux prétexte.
Or il n’est pas croyable, qu’un Dieu tout-puissant, infiniment bon & sage, voulût se servir d’un tel moyen ni d’une voie si trompeuse, pour faire connoître ses volontés aux hommes ; car ce seroit manifestement vouloir les induire en erreur & leur tendre des piéges, pour leur faire embrasser le parti du mensonge. Il n’est pareillement pas croyable qu’un Dieu qui aimeroit l’union & la paix, le bien & le salut des hommes, eût jamais établi pour fondement de sa Religion, une source si fatale de troubles & de divisions éternelles parmi les hommes. Donc des Religions pareilles ne peuvent être véritables, ni avoir été instituées de Dieu.
Mais je vois bien que nos Christicoles ne manqueront pas de recourir à leurs prétendus motifs de crédibilité, & qu’ils diront que quoique leur foi & leur créance soit aveugle en un sens, elle ne laisse pas néanmoins d’être appuyée par de si clairs & de si convaincans témoignages de vérité, que ce seroit non seulement une imprudence, mais une témérité & une grande folie, de ne pas vouloir s’y rendre. Ils reduisent ordinairement tous ces prétendus motifs à trois ou quatre chefs.
Le premier ils le tiennent de la prétendue sainteté de leur Religion, qui condamne le vice & qui recommande la pratique de la vertu. Sa doctrine est si pure, si simple, à ce qu’ils disent, qu’il est visible qu’elle ne peut venir que de la pureté & de la sainteté d’un Dieu infiniment bon & sage.
Le second motif de crédibilité, ils le tirent de l’innocence & de la sainteté de la vie de ceux qui l’ont embrassée avec amour, & défendue jusqu’à souffrir la mort, & les plus cruels tourmens, plutôt que de l’abandonner : n’étant pas croyable, que de si grands personnages se soient laissés tromper dans leur créance, qu’ils ayent renoncé à tous les avantages de la vie, & se soient exposés à de si cruelles persécutions pour ne maintenir que des erreurs & des impostures.
Ils tirent leur troisiéme motif de crédibilité des oracles & des prophéties qui ont été depuis si long-temps rendues en leur faveur, & qu’ils prétendent accomplies d’une façon à n’en point douter.
Enfin leur quatriéme motif de crédibilité, qui est comme le principal de tous, se tire de la grandeur & de la multitude des miracles faits en tout tems & en tous lieux en faveur de leur Religion.
Mais il est facile de réfuter tous ces vains raisonnemens, & de faire connoître la fausseté de tous ces témoignages. Car 1o. les argumens que nos Christicoles tirent de leurs prétendus motifs de crédibilité, peuvent également servir à établir & confirmer le mensonge comme la vérité ; car l’on voit effectivement qu’il n’y a point de Religion, si fausse qu’elle puisse être, qui ne prétende s’appuyer sur de semblables motifs de crédibilité ; il n’y en a point qui ne prétende avoir une doctrine saine & véritable, & au moins en sa manière qui ne condamne tous les vices & ne recommande la pratique de toutes les vertus. Il n’y en a point qui n’ait eu de doctes & zélés défenseurs, qui ont souffert de rudes persécutions pour le maintien & la défense de leur Religion ; & enfin il n’y en a point qui ne prétende avoir des prodiges & des miracles qui ont été faits en sa faveur.
Les Mahométans, les Indiens, les Payens en alléguent en faveur de leurs Religions, aussi-bien que les Chrétiens. Si nos Christicoles font état de leurs miracles & de leurs prophéties, il ne s’en trouve pas moins dans les Religions Payennes que dans la leur. Ainsi l’avantage que l’on pourroit tirer de tous ces prétendus motifs de crédibilité, se trouve à peu près également dans toutes sortes de Religions.
Cela étant, comme toutes les histoires & la pratique de toutes les Religions le démontrent, il s’ensuit évidemment que tous ces prétendus motifs de crédibilité, dont nos Christicoles veulent tant se prévaloir, se trouvent également dans toutes les Religions, & par conséquent ne peuvent servir de preuves & de témoignages assurés de la vérité de leur Religion, non plus que de la vérité d’aucune ; la conséquence est claire.
2o. Pour donner une idée du rapport des miracles du Paganisme avec ceux du Christianisme, ne pourroit-on pas dire, par exemple, qu’il y auroit plus de raison de croire Philostrate, en ce qu’il récite dans le 8e. livre de la vie d’Apollonius, que de croire tous les Évangélistes ensemble, dans ce qu’ils disent des miracles de J. C. parce que l’on sçait au moins que Philostrate étoit un homme d’esprit, éloquent & disert, qu’il étoit Secretaire de l’Impératrice Julie, femme de l’Empereur Sévère, & que ç’a été à la sollicitation de cette Impératrice, qu’il écrivit la vie & les actions merveilleuses d’Apollonius ? marque certaine que cet Apollonius s’étoit rendu fameux par de grandes & extraordinaires actions, puisqu’une Impératrice étoit si curieuse d’avoir sa vie par écrit ; ce que l’on ne peut nullement dire de J. C. ni de ceux qui ont écrit sa vie ; car ils n’étoient que des ignorans, gens de la lie du peuple, des pauvres mercenaires, des pêcheurs qui n’avoient pas seulement l’esprit de raconter de suite & par ordre les faits dont ils parlent, & qui se contredisent même très-souvent & très-grossiérement.
À l’égard de celui dont ils décrivent la vie & les actions, s’il avoit véritablement fait les miracles qu’ils lui attribuent, il se seroit infailliblement rendu très-recommandable par ses belles actions ; chacun l’auroit admiré, & on lui auroit érigé des statues, comme on a fait en faveur des Dieux : mais au lieu de cela on l’a regardé comme un homme de néant, un fanatique, &c.
Joseph l’Historien, après avoir parlé des plus grands miracles rapportés en faveur de sa nation & de sa Religion, en diminue aussi-tôt la créance, & la rend suspecte, en disant qu’il laisse à chacun la liberté d’en croire ce qu’il voudra ; marque bien certaine qu’il n’y ajoutoit pas beaucoup de foi. C’est aussi ce qui donne lieu aux plus judicieux, de regarder les histoires qui parlent de ces sortes de choses comme des narrations fabuleuses. Voyez Montagne & l’auteur de l’Apologie des grands hommes. On peut aussi voir la rélation des Missionnaires de l’Isle de Santorini : il y a trois chapitres de suite sur cette belle matière.
Tout ce que l’on peut dire à ce sujet nous fait clairement voir que les prétendus miracles se peuvent également imaginer en faveur du vice & du mensonge comme en faveur de la justice & de la vérité.
Je le prouve par le témoignage de ce que nos Christicoles mêmes appellent la Parole de Dieu, & par le témoignage de celui qu’ils adorent ; car leurs livres qu’ils disent contenir la Parole de Dieu, & le Christ lui-même qu’ils adorent comme un Dieu fait homme, nous marquent expressément, qu’il y a non seulement de faux Prophêtes, c’est-à-dire des Imposteurs, qui se disent envoyés de Dieu & qui parlent en son nom, mais qui nous marquent expressément encore, qu’ils font & qu’ils feront de si grands & si prodigieux miracles, que peu s’en faudra que les justes n’en soient séduits. Voy. Math. 24. 5. 11. 27. & ailleurs.
De plus ces prétendus faiseurs de miracles veulent qu’on y ajoute foi, & non à ceux que font les autres d’un parti contraire au leur, se détruisant les uns les autres.
Un jour un de ces prétendus Prophêtes nommé Sédécias, se voyant contredit par un autre appellé Michée, celui-là donna un soufflet à celui-ci, & lui dit plaisamment, «[2] Par quelle voie l’esprit de Dieu a-t-il passé de moi pour aller à toi ? » Voyez encore 3. Reg. 18. 40. & autres.
Mais comment ces prétendus miracles seroient-ils des témoignages de vérité, puisqu’il est clair qu’ils n’ont pas été faits ? car il faudroit sçavoir 1o. si ceux que l’on dit être les premiers Auteurs de ces narrations le sont véritablement ; 2o. s’ils étoient gens de probité, dignes de foi, sages & éclairés, & s’ils n’étoient point prévenus en faveur de ceux dont ils parlent si avantageusement ; 3o. s’ils ont bien examiné toutes les circonstances des faits qu’ils rapportent, s’ils les ont bien connues, & s’ils les rapportent bien fidélement ; 4o. si les livres ou les histoires anciennes qui rapportent tous ces grands miracles n’ont pas été falsifiés & corrompus, dans la suite du tems, comme quantité d’autres l’ont été.
Que l’on consulte Tacite & quantité d’autres célébres Historiens, au sujet de Moïse & de sa nation, on verra qu’ils sont regardés comme une troupe de voleurs & de bandits. La Magie & l’Astrologie étoient pour lors les seules sciences à la mode ; & comme Moïse étoit, dit-on, instruit dans la sagesse des Égyptiens, il ne lui fut pas difficile d’inspirer de la vénération & de l’attachement pour sa personne aux enfans de Jacob, rustiques & ignorans, & de leur faire embrasser dans la misére où ils étoient la discipline qu’il voulut leur donner. Voilà qui est bien différent de ce que les Juifs & nos Christicoles nous en veulent faire accroire. Par quelle règle certaine connoîtra-t-on qu’il faut ajouter foi à ceux-ci plutôt qu’aux autres ? Il n’y en a certainement aucune raison vraisemblable.
Il y a aussi peu de certitude, & même de vraisemblance, sur les miracles du Nouveau Testament que sur ceux de l’Ancien, pour pouvoir remplir les conditions précédentes.
Il ne serviroit de rien de dire que les histoires qui rapportent les faits contenus dans les Évangiles ont été regardées comme saintes & sacrées, qu’elles ont toujours été fidélement conservées sans aucune altération des vérités qu’elles renferment, puisque c’est peut-être par là-même qu’elles doivent être plus suspectes, & d’autant plus corrompües par ceux qui prétendent en tirer avantage ou qui craignent qu’elles ne leur soient pas assez favorables ; l’ordinaire des auteurs qui transcrivent ces sortes d’histoires étant d’y ajouter, d’y changer ou d’en retrancher tout ce que bon leur semble pour servir à leur dessein.
C’est ce que nos Christicoles mêmes ne sçauroient nier, puisque sans parler de plusieurs autres graves personnages qui ont reconnu les additions, les retranchemens & les falsifications qui ont été faites en différens temps, à ce qu’ils appellent leur Écriture sainte, leur St. Jérôme fameux Docteur parmi eux, dit formellement en plusieurs endroits de ses prologues, qu’elles ont été corrompües & falsifiées, étant déja de son temps entre les mains de toutes sortes de personnes, qui y ajoutoient & en retranchoient tout ce que bon leur sembloit, ensorte qu’il y avoit, dit-il, autant d’exemplaires différens, qu’il y avoit de différentes copies.
Voyez ses prologues à Paulin, sa préface sur Josué, son Épître à Galeate, sa préface sur Job, celle sur les Évangiles au pape Damase, celle sur les Psaumes à Paul & à Eustachium, &c.
Touchant les Livres de l’Ancien Testament en particulier, Esdras Prêtre de la Loi témoigne lui-même avoir corrigé & remis dans leur entier les prétendus Livres sacrés de sa Loi, qui avoient été en partie perdus & en partie corrompus. Il les distribua en XXII. Livres selon le nombre des Lettres Hébraïques, & composa plusieurs autres livres dont la doctrine ne devoit se communiquer qu’aux seuls sages. Si ces Livres ont été partie perdus, partie corrompus, comme le témoigne Esdras & le Docteur St. Jerôme, en tant d’endroits, il n’y a donc aucune certitude sur ce qu’ils contiennent ; & quant à ce qu’Esdras dit les avoir corrigés & remis en leur entier par l’inspiration de Dieu même, il n’y a aucune certitude de cela, & il n’y a point d’imposteur qui n’en puisse dire autant.
Tous les Livres de la Loi de Moïse & des Prophêtes qu’on put trouver, furent brûlés du temps d’Antiochus. Le Talmud regardé par les Juifs comme un Livre saint & sacré, & qui contient toutes les Loix divines, avec les sentences & dits notables des Rabins, leur exposition, tant sur les Loix divines qu’humaines, & une quantité prodigieuse d’autres secrets & mystères de la langue Hébraïque, est regardé par les Chrétiens comme un Livre farci de rêveries, de fables, d’impostures & d’impiétés. En l’année 1559. ils firent brûler à Rome, par le commandement des Inquisiteurs de la foi, douze cent de ces Talmuds trouvés dans une Bibliothèque de la Ville de Crémone.
Les Pharisiens qui faisoient parmi les Juifs une fameuse Secte, ne recevoient que les cinq Livres de Moïse, & rejettoient tous les Prophêtes. Parmi les Chrétiens, Marcion & ses sectateurs rejettoient les Livres de Moïse & les Prophêtes, & introduisoient d’autres Écritures à la mode, Carpocrate & ses sectateurs en faisoient de même, & rejettoient tout l’Ancien Testament, & maintenoient que Jesus-Christ n’étoit qu’un homme comme les autres. Les Marcionites & les Souverains réprouvoient aussi tout l’Ancien Testament comme mauvais, & rejettoient aussi la plus grande partie des quatre Évangiles & les Épîtres de St. Paul.
Les Ébionites n’admettoient que le seul Évangile de St. Matthieu, rejettant les trois autres, & les Épîtres de St. Paul. Les Marcionites publioient un Évangile sous le nom de St. Matthias, pour confirmer leur Doctrine. Les Apostoliques introduisoient d’autres Écritures, pour maintenir leurs erreurs, & pour cet effet se servoient de certains actes, qu’ils attribuoient à St. André & à St. Thomas.
Les Manichéens, Chron. page 287. écrivirent un Évangile à leur mode, & rejettoient les écrits des Prophêtes & des Apôtres. Les Etzsaites débitoient un certain Livre, qu’ils disoient être venu du Ciel ; ils tronçonnoient les autres Écritures à leur fantaisie. Origène même avec tout son grand esprit, ne laissoit pas que de corrompre les Écritures, & forgeoit à tous coups des allégories hors de propos, & se détournoit par ce moyen du sens des Prophêtes & des Apôtres ; & même avoit corrompu quelques-uns des principaux points de la doctrine. Ses Livres sont maintenant mutilés & falsifiés, ce ne sont plus que piéces cousues & ramassées par d’autres qui sont venus depuis, aussi y rencontre-t-on des erreurs & des fautes manifestes.
Les Allogiens attribuoient à l’hérétique Cerinthus, l’Évangile & l’Apocalypse de St. Jean, c’est pourquoi ils les rejettoient. Les hérétiques de nos derniers siècles rejettent comme Apocryphes plusieurs Livres que les Catholiques Romains regardent comme saints & sacrés, comme sont les Livres de Tobie, de Judith, d’Esther, de Baruc, le Cantique des trois enfans dans la fournaise, l’histoire de Suzanne, & celle de l’Idole de Bel, la Sapience de Salomon, l’Ecclésiastique, le premier & le second Livre des Machabées ; auxquels Livres incertains & douteux on pourroit encore en ajouter plusieurs que l’on attribuoit aux autres Apôtres, comme sont, par exemple, les actes de Saint Thomas, ses circuits, son Évangile & son Apocalypse ; l’Évangile de Saint Barthelemy, celui de St. Mathias, celui de Saint Jacques, celui de Saint Pierre, & celui des Apôtres ; comme aussi les gestes de Saint Pierre, son Livre de la Prédication & celui de son Apocalypse ; celui du Jugement, celui de l’Enfance du Sauveur, & plusieurs autres de semblable farine, qui sont tous rejettés comme Apocryphes par les Catholiques Romains, même par le Pape Gélase & par les SS. PP. de la Communion Romaine.
Ce qui confirme d’autant plus qu’il n’y a aucun fondement de certitude touchant l’autorité que l’on prétend donner à ces Livres, c’est que ceux qui en maintiennent la divinité sont obligés d’avouer qu’ils n’auroient aucune certitude pour les fixer, si leur foi, disent-ils, ne les en assuroit & ne les obligeoit absolument de le croire ainsi. Or, comme la foi n’est qu’un principe d’erreur & d’imposture, comment la foi, c’est-à-dire une créance aveugle, peut-elle rendre certains les Livres qui sont eux-mêmes le fondement de cette créance aveugle ? Quelle pitié & quelle démence !
Mais voyons si ces Livres portent en eux-mêmes quelque caractère particulier de vérité, comme par exemple, d’érudition, de sagesse, & de sainteté, ou de quelques autres perfections qui ne puissent convenir qu’à un Dieu, & si les miracles qui y sont cités s’accordent avec ce que l’on devroit penser de la grandeur, de la bonté, de la justice & de la sagesse infinie d’un Dieu tout-puissant.
Premiérement, on verra qu’il n’y a aucune érudition, aucune pensée sublime, ni aucune production qui passe les forces ordinaires de l’esprit humain. Au contraire on n’y verra d’un côté, que des narrations fabuleuses, comme sont celles de la formation de la femme tirée d’une côte de l’homme, du prétendu Paradis Terrestre, d’un serpent qui parloit, qui raisonnoit, & qui étoit même plus rusé que l’homme ; d’une anesse qui parloit & qui reprenoit son maître de ce qu’il la maltraitoit mal-à-propos ; d’un Déluge universel, & d’une Arche où des Animaux de toute espèce étoient renfermés ; de la confusion des langues & de la division des nations ; sans parler de quantité d’autres vains récits particuliers sur des sujets bas & frivoles, & que des Auteurs graves mépriseroient de rapporter. Toutes ces narrations n’ont pas moins l’air de fables que celles que l’on a inventées sur l’industrie de Prométhée, sur la boête de Pandore, ou sur la guerre des Géans contre les Dieux, & autres semblables que les Poëtes ont inventées pour amuser les hommes de leur temps.
D’un autre côté on n’y verra qu’un mêlange de quantité de loix & d’ordonnances ou de pratiques superstitieuses touchant les Sacrifices, les purifications de l’ancienne Loi, le vain discernement des animaux, dont elle suppose les uns purs & les autres impurs. Ces Loix ne sont pas plus respectables que celles des nations les plus idolâtres.
On n’y verra encore que de simples histoires, vraies ou fausses, de plusieurs Rois, de plusieurs Princes ou particuliers qui auront bien ou mal vécu, ou qui auront fait quelques belles ou mauvaises actions, parmi d’autres actions basses & frivoles qui y sont rapportées aussi.
Pour faire tout cela, il est visible qu’il ne falloit pas avoir un grand génie, ni avoir des révélations divines. Ce n’est pas faire honneur à un Dieu.
Enfin on ne voit dans ces Livres, que les discours, la conduite & les actions de ces renommés Prophêtes, qui se disoient être tout particuliérement inspirés de Dieu. On verra leur manière d’agir & de parler, leurs songes, leurs illusions, leurs rêveries ; & il sera facile de juger qu’ils ressembloient beaucoup plus à des visionnaires & à des fanatiques qu’à des personnes sages & éclairées.
Il y a cependant dans quelques-uns de ces livres plusieurs bons enseignemens, & de belles maximes de morale, comme dans les Proverbes attribués à Salomon, dans le Livre de la Sagesse & de l’Ecclésiastique ; mais ce même Salomon, le plus sage de leurs écrivains, est aussi le plus incrédule. Il doute même de l’immortalité de l’ame, & il conclut ses ouvrages par dire qu’il n’y a rien de bon que de jouïr en paix de son labeur, & de vivre avec ce que l’on aime.
D’ailleurs combien les Auteurs qu’on nomme profanes, Xénophon, Platon, Ciceron, l’Empereur Antonin, l’Empereur Julien, Virgile &c. sont-ils au-dessus de ces Livres, qu’on nous dit inspirés de Dieu. Je crois pouvoir dire que quand il n’y auroit, par exemple, que les fables d’Ésope, elles sont certainement beaucoup plus ingénieuses & plus instructives, que ne le sont toutes ces grossiéres & basses paraboles, qui sont rapportées dans les Évangiles.
Mais ce qui fait encore voir que ces sortes de Livres ne peuvent venir d’aucune inspiration divine, c’est qu’outre la bassesse & la grossiéreté du style, & le défaut d’ordre dans la narration des faits particuliers, qui y sont très-mal circonstanciés, on ne voit point que les Auteurs s’accordent, ils se contredisent en plusieurs choses ; ils n’avoient pas même assez de lumières ni de talens naturels pour bien rédiger une histoire.
Voici quelques exemples des contradictions qui se trouvent entr’eux. L’Évangeliste Matthieu fait descendre J. Ch. du Roi David par son fils Salomon, jusqu’à Joseph, père au moins putatif de J. Ch., & Luc le fait descendre du même David par son fils Nathan jusqu’à Joseph.
Matthieu dit, parlant de Jesus, que le bruit s’étant répandu dans Jérusalem qu’il étoit né un nouveau Roi des Juifs, & que les Mages étant venus le chercher pour l’adorer, le Roi Hérode, craignant que ce prétendu Roi nouveau ne lui ôtât quelque jour la couronne, fit égorger tous les enfans nouvellement nés depuis deux ans, dans tous les environs de Bethléem, où on lui avoit dit que ce nouveau Roi devoit naître, & que Joseph & la mére de Jesus ayant été avertis en songe par un Ange, de ce mauvais dessein, ils s’enfuirent incontinent en Égypte, où ils demeurèrent jusqu’à la mort d’Hérode, qui n’arriva que plusieurs années après.
Au contraire Luc marque que Joseph & la mère de Jesus demeurèrent paisiblement durant six semaines dans l’endroit où leur enfant Jesus fut né, qu’il y fut circoncis suivant la Loi des Juifs, huit jours après sa naissance, & que lors que le tems prescrit par cette Loi pour la purification de sa mère fut arrivé, elle & Joseph son mari le portèrent à Jérusalem pour le présenter à Dieu dans son temple, & pour offrir en même tems un sacrifice, ce qui étoit ordonné par la Loi de Dieu ; après quoi ils s’en retournèrent en Galilée dans leur Ville de Nazareth, où leur enfant Jesus croissoit tous les jours en grace & en sagesse, & que son père & sa mère alloient tous les ans à Jérusalem, aux jours solemnels de leur fête de Pâques. Si bien que Luc ne fait aucune mention de leur fuite en Égypte, ni de la cruauté d’Hérode envers les enfans de la province de Bethléem.
À l’égard de la cruauté d’Hérode, comme les Historiens de ce tems-là n’en parlent point, non plus que Joseph l’Historien qui écrit la vie de cet Hérode, & que les autres Évangelistes n’en font aucune mention, il est évident que le voyage de ces Mages conduits par une étoile, ce massacre des petits enfans, & cette fuite en Égypte, ne sont qu’un mensonge absurde. Car il n’est pas croyable que Josephe, qui a blâmé les vices de ce Roi, eût passé sous silence une action si noire & si détestable, si ce que cet Évangeliste dit eût été vrai.
Sur la durée du temps de la vie publique de J. C., suivant ce que disent les trois premiers Évangelistes, il ne pouvoit y avoir eu guères plus de trois mois depuis son baptême jusqu’à sa mort, en supposant qu’il avoit trente ans lorsqu’il fut baptisé par Jean, comme dit Luc, & qu’il ait été né le 25 Decembre. Car depuis ce baptême qui fut l’an 15 de Tibère Cesar, & l’année qu’Anne & Caïphe étoient grands prêtres, jusqu’au premier Pâques suivant, qui étoit dans le mois de Mars, il n’y avoit qu’environ trois mois ; suivant ce que disent les trois premiers Évangelistes, il fut crucifié la veille du premier Pâques suivant, après son baptême, & la premiére fois qu’il vint à Jérusalem avec ses Disciples ; car tout ce qu’ils disent de son baptême, de ses voyages, de ses miracles, de ses prédications, & de sa mort & passion, se doit rapporter nécessairement à la même année de son baptême, puisque ces Évangelistes ne parlent d’aucune autre année suivante, & qu’il paroît même, par la narration qu’ils font de ses actions, qu’il les a toutes faites immédiatement après son baptême, consécutivement les unes après les autres, & en fort peu de tems, pendant lequel on ne voit qu’un seul intervalle de six jours avant sa transfiguration, pendant lesquels six jours on ne voit pas qu’il ait fait aucune chose.
On voit par là qu’il n’auroit vécu après son baptême qu’environ trois mois ; desquels si l’on vient à ôter six semaines de 40 jours & 40 nuits qu’il passa dans le désert immédiatement après son baptême, il s’ensuivra que le tems de sa vie publique, depuis ses premières prédications jusqu’à sa mort, n’aura duré qu’environ six semaines ; & suivant ce que Jean dit, il auroit au moins duré trois ans & trois mois, parce qu’il paroît par l’Évangile de cet Apôtre, qu’il auroit été pendant le cours de sa vie publique, trois ou quatre fois à Jérusalem à la fête de Pâques, qui n’arrivoit qu’une fois l’an.
Or s’il est vrai qu’il y ait été trois ou quatre fois depuis son baptême, comme Jean le témoigne, il est faux qu’il n’ait vécu que trois mois après son baptême, & qu’il ait été crucifié la première fois qu’il alla à Jérusalem.
Si l’on dit que ces trois premiers Évangelistes ne parlent effectivement que d’une seule année, mais qu’ils ne marquent pas distinctement les autres qui se sont écoulées depuis son baptême, ou que Jean n’entend parler que d’une seule Pâques, quoiqu’il semble qu’il parle de plusieurs, & que ce n’est que par anticipation qu’il répète plusieurs fois que la fête de Pâques des Juifs étoit proche, & que Jesus alla à Jérusalem, & par conséquent qu’il n’y a qu’une contrariété apparente sur ce sujet entre ces Évangélistes, je le veux bien ; mais il est constant que cette contrariété apparente ne viendroit que de ce qu’ils ne s’expliquent pas avec toutes les circonstances qui auroient été à remarquer dans le récit qu’ils font. Quoi qu’il en soit, il y a toujours lieu de tirer cette conséquence, qu’ils n’étoient donc pas inspirés de Dieu lorsqu’ils ont écrit leurs histoires.
Autre contradiction au sujet de la premiére chose que Jesus-Christ fit incontinent après son baptême ; car les trois premiers Évangelistes disent qu’il fut aussi-tôt transporté par l’Esprit dans un désert, où il jeûna quarante jours & quarante nuits, & où il fut plusieurs fois tenté par le Diable : et suivant ce que dit Jean, il partit deux jours après son baptême pour aller en Galilée, où il fit son premier miracle, en y changeant l’eau en vin aux nôces de Cana, où il se trouva, trois jours après son arrivée en Galilée, à plus de trente lieues de l’endroit où il étoit.
À l’égard du lieu de sa première retraite après sa sortie du désert, Matthieu dit ch. 4. ℣. 13. qu’il s’en vint en Galilée, & que laissant la ville de Nazareth, il vint demeurer à Capharnaum ville maritime. Et Luc ch. 4. ℣. 16. & 41. dit qu’il vint d’abord à Nazareth, & qu’ensuite il vint à Capharnaum.
Ils se contredisent sur le tems & la manière dont les Apôtres se mirent à sa suite ; car les trois premiers disent que Jesus passant sur le bord de la mer de Galilée, il vit Simon & André son frère, & qu’un peu plus loin il vit Jacques & Jean son frère avec leur père Zébédée. Jean au contraire dit, que ce fut André, frère de Simon Pierre, qui se joignit premiérement à Jesus, avec un autre Disciple de Jean Baptiste, l’ayant vû passer devant eux, lorsqu’ils étoient avec leur Maître sur les bords du Jourdain.
Au sujet de la Cène, les trois premiers Évangelistes marquent que Jesus-Christ fit l’institution du Sacrement de son corps & de son sang, sous les espèces & apparences du pain & du vin, comme parlent nos Christicoles Romains : & Jean ne fait aucune mention de ce mystérieux Sacrement. Jean dit, ch. 13. ℣. 5. qu’après cette Cène Jesus lava les pieds à ses Apôtres, qu’il leur commanda expressément de se faire les uns aux autres la même chose, & rapporte un long discours qu’il leur fit dans ce même tems. Mais les autres Évangelistes ne parlent aucunement de ce lavement de pieds, ni d’un long discours qu’il leur fit pour lors. Au contraire ils témoignent qu’incontinent après cette Cène, il s’en alla avec ses Apôtres, sur la montagne des Oliviers, où il abandonna son ame à la tristesse ; & qu’enfin il tomba en agonie, pendant que ses Apôtres dormirent un peu plus loin.
Ils se contredisent eux-mêmes sur le jour qu’ils disent qu’il fit cette Cène ; car d’un côté ils marquent qu’il la fit le soir de la veille de Pâques, c’est-à-dire le soir du premier jour des Azimes, ou de l’usage des pains sans levain, comme il est marqué dans l’Exode 12. 18. Lévit. 25. 5. dans les Nomb. 28. 16. & d’un autre côté ils disent qu’il fut crucifié le lendemain du jour qu’il fit cette Cène, vers l’heure de midi, après que les Juifs lui eurent fait son procès pendant toute la nuit & le matin. Or suivant leur dire, le lendemain qu’il fit cette Cène, n’auroit pas dû être la veille de Pâques. Donc, s’il est mort la veille de Pâques vers le midi, ce n’étoit point le soir de la veille de cette fête, qu’il fit cette Cène. Donc il y a erreur manifeste.
Ils se contredisent aussi sur ce qu’ils rapportent des femmes qui avoient suivi Jesus depuis la Galilée ; car les trois premiers Évangelistes disent que ces femmes & tous ceux de sa connoissance, entre lesquelles étoient Marie Madeleine, & Marie mère de Jacques & de Joses, & la mère des enfans de Zébédée, regardoient de loin ce qui se passoit, lorsqu’il étoit pendu & attaché à la Croix. Jean dit au contraire 19. 25. que la mère de Jesus & la sœur de sa mère, & Marie Madeleine, étoient debout auprès de la croix, avec Jean son Apôtre. La contrariété est manifeste ; car si ces femmes & ce Disciple étoient près de lui, elles n’étoient donc pas éloignées, comme disent les autres.
Ils se contredisent sur les prétendües apparitions qu’ils rapportent que Jesus-Christ fit après sa prétendüe résurrection ; car Matthieu ch. 28. ℣. 16. ne parle que de deux apparitions ; l’une, lorsqu’il s’apparut à Marie Madeleine, & à une autre femme nommée aussi Marie, & lorsqu’il s’apparut à ses onze disciples, qui s’étoient rendus en Galilée sur la montagne qu’il leur avoit marquée pour le voir. Marc parle de trois apparitions, la premiére lorsqu’il apparut à Marie Madeleine, la seconde lorsqu’il apparut à ses deux Disciples qui alloient à Emaüs, & la troisiéme lorsqu’il apparut à ses onze Disciples, à qui il fit reproche de leur incrédulité. Luc ne parle que des deux premiéres apparitions comme Matthieu, & Jean l’Évangeliste parle de quatre apparitions, & ajoute aux trois de Marc, celle qu’il fit à sept ou huit de ses Disciples, qui pêchoient sur la mer de Tybériade.
Ils se contredisent encore sur le lieu de ces apparitions ; car Matthieu dit que ce fut en Galilée sur une montagne ; Marc dit que ce fut lorsqu’ils étoient à table ; Luc dit qu’il les mena hors de Jérusalem, & qu’il les mena jusqu’en Béthanie, où il les quitta en s’élevant au Ciel : & Jean dit que ce fut dans la ville de Jérusalem, dans une maison dont ils avoient fermé les portes ; & une autre fois sur la mer de Tybériade.
Voilà bien de la contrariété dans le récit de ces prétendües apparitions. Ils se contredisent au sujet de sa prétendüe Ascension au Ciel ; car Luc & Marc disent positivement qu’il monta au Ciel en présence de ses onze Apôtres ; mais ni Matthieu ni Jean ne font aucune mention de cette prétendüe ascension. Bien plus, Matthieu témoigne assez clairement, qu’il n’est point monté au Ciel, puisqu’il dit positivement que Jesus-Christ assura ses Apôtres qu’il seroit & qu’il demeureroit toujours avec eux jusqu’à la fin des siècles : « Allez donc, leur dit-il dans cette prétendüe apparition, enseignez toutes les Nations, & soyez assurés que je serai toujours avec vous jusqu’à la fin des siècles ».
Luc se contredit lui-même sur ce sujet : car dans son Évangile ch. 24 ℣. 50. il dit que ce fut en Béthanie qu’il monta au Ciel en présence de ses Apôtres ; & dans ses Actes des Apôtres, supposé qu’il en soit l’Auteur, il dit que ce fut sur la montagne des Oliviers. Il se contredit encore lui-même dans une autre circonstance de cette Ascension ; car il marque dans son Évangile que ce fut le jour même de sa résurrection, ou la premiére nuit suivante, qu’il monta au Ciel ; & dans ses Actes des Apôtres, il dit que ce fut 40. jours après sa résurrection. Ce qui ne s’accorde certainement pas.
Si tous les Apôtres avoient véritablement vu leur Maître monter glorieusement au Ciel, comment Matthieu & Jean qui l’auroient vu comme les autres, auroient-ils passé sous silence un si glorieux mystère, & si avantageux à leur Maître, vu qu’ils rapportent quantité d’autres circonstances de sa vie & de ses actions, qui sont beaucoup moins considérables que celle-ci ? Comment Matthieu ne fait-il pas mention expresse de cette Ascension, & n’explique-t-il pas clairement de quelle manière il demeureroit toujours avec eux, quoiqu’il les quittât visiblement pour monter au Ciel ? Il n’est pas facile de comprendre, par quel secret il pouvoit demeurer avec ceux qu’il quittoit.
Je passe sous silence quantité d’autres contradictions ; ce que je viens de dire suffit pour faire voir que ces Livres ne viennent d’aucune inspiration divine, ni même d’aucune sagesse humaine, & par conséquent qu’ils ne méritent pas qu’on y ajoute aucune foi.