Testament de Meslier/Chapitre 4

Cramer (p. 33-39).


CHAPITRE IV.

Conformité des anciens & nouveaux Miracles.



SI nos Christicoles disent que Dieu donnoit véritablement pouvoir à ses Saints de faire tous les miracles rapportés dans leurs vies, de même aussi les Payens disent que les filles d’Anius Grand-Prêtre d’Apollon avoient véritablement reçu du Dieu Bacchus la faveur & le pouvoir de changer tout ce qu’elles voudroient en bled, en vin, en huile, &c.

Que Jupiter donna aux nymphes qui eurent soin de son éducation une corne de la chèvre qui l’avoit allaité dans son enfance, avec cette propriété qu’elle leur fournissoit abondamment tout ce qui leur viendroit à souhait.

Si nos Christicoles disent que leurs Saints avoient le pouvoir de ressusciter les morts, & qu’ils avoient des révélations divines, les Payens avoient dit avant eux, qu’Athalide fils de Mercure avoit obtenu de son Père le don de pouvoir vivre, mourir & ressusciter quand il voudroit, & qu’il avoit aussi la connoissance de tout ce qui se faisoit au monde, & en l’autre vie ; & qu’Esculape, fils d’Apollon, avoit ressuscité des morts, & entre autres qu’il ressuscita Hipolyte fils de Thésée à la prière de Diane, & qu’Hercule ressuscita aussi Alceste femme d’Admet Roi de Thessalie pour la rendre à son mari.

Si nos Christicoles disent que leur Christ est né miraculeusement d’une Vierge, sans connoissance d’homme, les Payens avoient déjà dit avant eux, que Rémus & Romulus fondateurs de Rome, étoient miraculeusement nés d’une Vierge Vestale nommée Ilia, ou Silvia, ou Rea Silvia ; ils avoient déjà dit que Mars, Arge, Vulcain & autres, avoient été engendrés de la Déesse Junon, sans connoissance d’homme, & avoient déjà dit aussi, que Minerve Déesse des Sciences avoit été engendrée dans le cerveau de Jupiter, & qu’elle en sortit toute armée, par la force d’un coup de poing, dont ce Dieu se frappa la tête.

Si nos Christicoles disent que leurs Saints faisoient sortir des fontaines d’eau des rochers, les Payens disent de même, que Minerve fit jaillir une fontaine d’huile, en récompense d’un Temple qu’on lui avoit dédié.

Si nos Christicoles se vantent d’avoir reçu miraculeusement des images du Ciel, comme par exemple celle de Nôtre Dame de Lorette & de Liesse, & plusieurs autres présens du Ciel, comme la prétendüe Ste. Ampoule de Rheims, comme la Chasuble blanche que St. Ildefonse reçut de la Vierge Marie, & autres choses semblables ; les Payens se vantoient avant eux, d’avoir reçu un bouclier sacré, pour marque de la conservation de leur ville de Rome ; & les Troyens se vantoient avant eux d’avoir reçu miraculeusement du ciel leur Palladium, ou leur simulacre de Pallas, qui vint, disoient-ils, prendre sa place dans le Temple qu’on avoit édifié à l’honneur de cette Déesse.

Si nos Christicoles disent que leur Jesus-Christ fut vû par ses Apôtres monter glorieusement au Ciel, & que plusieurs ames de leurs prétendus Saints furent vües transférées glorieusement au Ciel par les Anges ; les Payens Romains avoient déjà dit avant eux, que Romulus leur fondateur fut vu tout glorieux après sa mort ; que Ganimède fils de Tros Roi de Troye, fut par Jupiter transporté au Ciel, pour lui servir d’Échanson ; que la chevelure de Bérénice ayant été consacrée au Temple de Vénus, fut après transportée au Ciel : ils disent la même chose de Cassiopée & d’Andromède, & même de l’âne de Silêne.

Si nos Christicoles disent que plusieurs corps de leurs Saints ont été miraculeusement préservés de corruption après leur mort, & qu’ils ont été retrouvés par des révélations divines, après avoir été un fort long-temps perdus sans sçavoir où ils pouvoient être ; les Payens en disent de même du corps d’Oreste, qu’ils prétendent avoir été trouvé par l’avertissement de l’Oracle &c.

Si nos Christicoles disent que les sept frères dormans dormirent miraculeusement pendant 177 ans, qu’ils furent enfermés dans une caverne ; les Payens disent qu’Épiménides le Philosophe dormit pendant 57 ans dans une caverne où il s’étoit endormi.

Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs Saints parloient encore miraculeusement après avoir eu la tête ou la langue coupées ; les Payens disent que la tête de Gabienus chanta un long poëme, après avoir été séparée de son corps.

Si nos Christicoles se glorifient de ce que leurs Temples & Églises sont ornés de plusieurs tableaux & riches présens, qui montrent les guérisons miraculeuses qui ont été faites par l’intercession de leurs Saints ; on voit aussi, ou du moins on voyoit autrefois, dans le Temple d’Esculape, en Épidaure, quantité de tableaux des cures & guérisons miraculeuses qu’il avoit faites.

Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs Saints ont été miraculeusement conservés dans les flammes ardentes, sans y recevoir aucun dommage dans leurs corps, ni dans leurs habits ; les Payens disoient que les Religieuses du Temple de Diane marchoient sur les charbons ardens pieds nuds, sans se bruler & sans se blesser les pieds, & que les Prêtres de la Déesse Féronie & de Hyrpicus, marchoient de même sur des charbons ardens, dans les feux de joie que l’on faisoit à l’honneur d’Apollon.

Si les Anges bâtirent une chapelle à Saint Clément au fond de la Mer, la petite maison de Baucis & de Philemon fut miraculeusement changée en un superbe Temple, en récompense de leur piété.

Si plusieurs de leurs Saints, comme Saint Jacques, Saint Maurice &c. ont plusieurs fois paru dans leurs armées, montés & équipés à l’avantage, combattre en leur faveur ; Castor & Pollux ont paru plusieurs fois en bataille combattre pour les Romains contre leurs ennemis.

Si un belier se trouva miraculeusement pour être offert en sacrifice à la place d’Isaac, lorsque son Père Abraham le vouloit sacrifier ; la Déesse Vesta envoya aussi une genisse pour lui être sacrifiée à la place de Metella fille de Metellus : la Déesse Diane envoya de même une biche à la place d’Iphigénie, lorsqu’elle étoit sur le bucher pour lui être immolée, & par ce moyen Iphigénie fut délivrée.

Si Saint Joseph fuit en Égypte, sur l’avertissement de l’Ange ; Simonides le Poëte évita plusieurs dangers mortels, sur un avertissement miraculeux qui lui en fut fait.

Si Moïse fit sortir une source d’eau vive d’un rocher en le frappant de son bâton ; le Cheval Pégase en fit autant, en frappant de son pied un rocher, il en sortit une fontaine.

Si Saint Vincent Ferrier ressuscita un mort haché en pièces, & dont le corps étoit déjà moitié cuit & moitié roti, Pelops fils de Tantale Roi de Phrygie, ayant été mis en pièces par son père, pour le faire manger aux Dieux, ils en ramassèrent tous les membres, les réunirent & lui rendirent la vie.

Si plusieurs Crucifix & autres images ont miraculeusement parlé & rendu des réponses, les Payens disent que leurs oracles ont divinement parlé, & rendu des réponses à ceux qui les consultoient, & que la tête d’Orphée & celle de Policrates rendoient des oracles après leur mort.

Si Dieu fit connoître par une voix du Ciel, que Jesus-Christ étoit son fils comme le citent les Évangelistes, Vulcain fit voir par l’apparition d’une flamme miraculeuse que Cœculus étoit véritablement son fils.

Si Dieu a miraculeusement nourri quelques-uns de ses Saints ; les Poëtes Payens disent que Triptolème fut miraculeusement nourri d’un lait divin par Cérès, qui lui donna aussi un char attelé de deux dragons, & que Phénée fils de Mars, étant sorti du ventre de sa mère déjà morte, fut néanmoins miraculeusement nourri de son lait.

Si plusieurs Saints ont miraculeusement adouci la cruauté & la férocité des bêtes les plus cruelles ; il est dit qu’Orphée attiroit à lui par la douceur de son chant & l’harmonie de ses instrumens, les lions, les ours & les tigres, & adoucissoit la férocité de leur nature ; qu’il attiroit à lui les rochers, les arbres, & même les riviéres arrêtoient leur cours pour l’entendre chanter.

Enfin, pour abréger, car on en pourroit rapporter bien d’autres, si nos Christicoles disent que les murailles de la ville de Jéricho tombèrent par le son des trompettes ; les Payens disent que les murailles de la ville de Thèbes furent bâties par le son des instrumens de musique d’Amphion, les pierres, disent les Poëtes, s’étant agencées d’elles-mêmes par la douceur de son harmonie ; ce qui seroit encore bien plus miraculeux & plus admirable, que de voir tomber des murailles par terre.

Voilà certainement une grande conformité de miracles de part & d’autre. Comme ce seroit une grande sotise d’ajouter foi à ces prétendus miracles du Paganisme, ce n’en est pas moins une d’en ajouter à ceux du Christianisme, puisqu’ils ne viennent tous que d’un même principe d’erreur. C’étoit pour cela aussi que les Manichéens & les Ariens, qui étoient vers le commencement du Christianisme, se moquoient de ces prétendus miracles, faits par l’invocation des Saints, & blâmoient ceux qui les invoquoient après leur mort, & qui honoroient leurs reliques.

Revenons à présent à la principale fin que Dieu se seroit proposée en envoyant son fils au monde, qui se seroit fait homme ; ç’auroit été, comme il est dit, d’ôter les péchés du monde & de détruire entiérement les œuvres du prétendu Démon &c. c’est ce que nos Christicoles soutiennent, comme aussi que Jesus-Christ auroit bien voulu mourir pour l’amour d’eux, suivant l’intention de Dieu son Père, ce qui est clairement marqué dans tous les prétendus saints Livres.

Quoi ! un Dieu tout-puissant & qui auroit voulu se faire homme mortel pour l’amour d’eux, & répandre jusqu’à la dernière goutte de son sang pour les sauver tous, auroit voulu borner sa puissance à guérir seulement quelques maladies & quelques infirmités du corps, dans quelques infirmes qu’on lui auroit présentés, & il n’auroit pas voulu employer sa bonté divine à guérir toutes les infirmités de nos ames, c’est-à-dire à guérir tous les hommes de leurs vices & de leurs déréglemens, qui sont pires que les maladies du corps ? Cela n’est pas croyable. Quoi ! un Dieu si bon auroit voulu miraculeusement préserver des corps morts de pourriture & de corruption, & il n’auroit pas voulu de même préserver de la contagion & de la corruption du vice & du péché, les ames d’une infinité de personnes qu’il seroit venu racheter au prix de son sang, & qu’il devoit sanctifier par sa grace ? Quelle pitoyable contradiction !