Terre Promise (Eugène Morel - La Revue blanche)/9

Terre Promise (Eugène Morel - La Revue blanche)
La Revue blancheTome XIV (p. 433-453).

Terre Promise  [1]
cinquième partie
JUSTICE
I

Voici l’heure venue où la Justice se dresse. Homme, rappelle tes actes. Assassin, pèse ton crime. Responsable ! de ce que tu as fait tu vas répondre…

Accusé. — Responsable…

Peut-être, oui… Que l’Océan où s’est englouti le navire accuse la dernière vague qui l’a fait chavirer. Force aveugle, vague de la mer, qui, à son tour de soulèvement, mugit, écume, puis retombe, s’abîme, confondue dans la mer… Cause de désastre, de mort… Il se peut, on ne sait. Le vent, la nuit, l’orage, l’océan, ont-ils une conscience ? Qu’ils répondent.

L’accusé… — Quoi ! Un seul !

Mais la faim, et l’ennui, la misère : les complices ? — Où sont-ils ? La pensée et le bras et la main elle-même se sont enfuis, et c’est le couteau laissé dans la plaie qu’on accuse !

À moins, peut-être que toi, tu viennes les juger tous, toi l’assassin, eux tous, cette foule et ces juges, et ce Christ peint au mur, ces gendarmes près de toi, ces soldats à la porte, et les passants, dehors, — tous venant répondre du meurtre commis ensemble, tous, à la barre du même côté, — comparaissant…

— La Cour, Messieurs, levez-vous et découvrez-vous.

Regarde bien. Voici la Justice qui s’avance.

De la Justice. Tu n’en avais jamais vu ?

Sur ces sièges, dans ces costumes de mascarade — les belles robes rouges ! on s’est fait beau en ton honneur ! car ce n’est plus tous les jours qu’on a le droit de tuer… — la Justice parait devant les malheureux.

Justice ! Justice ! Toi enfin ! Pourquoi si tard ?

Du fond de ma misère, je t’appelais. Où étais-tu ? Je criais : Justice ! Justice, comme on appelle un Dieu… Je croyais bien qu’un jour tu descendrais du ciel. O Justice ! Ma voix a monté jusqu’à toi…

Te voici…

— Il fallait t’écarter du chemin que suivent les hommes. Tu la cherchais dans la pitié et dans l’amour, dans le travail, la famille, chez tes semblables. Ah ! tu pouvais chercher… Elle ne fréquente pas là. Mais tu es venu au crime. Eh bien ! tu l’as trouvée.

Elle se tient bien encore, quoiqu’un peu défraîchie. Elle dure, elle durera autant que la misère, rabatteuse pour elle, et qui travaille bien.

La Justice paraît devant les malheureux…

Vaste salle sonore aux airs de cathédrale, Christ en croix sur le mur, robes du moyen âge, jargon du temps passé, glaive des barbares, lois des Romains, toute l’antiquaille tirée des poussières de musées, pour redorer un peu cet acte ignoble : tuer…

Oui… Vieille comme le crime même, dans son linceul de pourpre, du fond des sociétés dont les afflux nouveaux ne l’ont pas engloutie, l’ancienne Justice, ridée, ridicule et avide, surgit pour témoigner que tant qu’elle préside, elle, l’ancienne, c’est que la nouvelle n’est pas née.

Toi donc que la Misère qui fit le coup avec toi, livra traîtreusement à cette Justice-ci, ne cherche pas cette complice près de toi. On l’excuse. Elle a à faire, — à faire agir d’autres que toi. Mais toi tu peux l’aider en célébrant ton acte.

Parle ! on t’écoute.

Rêveur des choses qui seront, parle.

C’est le passé qui écrit l’histoire de l’avenir, et qui le juge. Explique-lui bien. Dis-lui qu’il doit céder la place, dis à ce Vieillard qui s’est fait beau : tu n’es plus jeune. Mais par-dessus lui, parle à cette foule, au fond.

Que veulent-ils, ces gens ! Ces femmes, entrées de faveur, qui te dévisagent ? Voyons, badauds, petits rentiers, avocats… que veulent-ils ?

Partager ton crime, toi qui osas ! Te mendier un peu de l’extase de mal faire, lécher un peu du sang que tu as fait couler. Boire à pleins verres, ils n’osent ; mais ce qui en déborde, comme ils en sont friands ! Ici, horreur et envie se donnent la main. Ici devant les hommes, et peut-être Dieu, qui est peint, ici les crimes recommencent. Au-dessus des foules, ici, se dresse l’homme qui tua. Carnaval ! Le vieux crime, la justice de jadis qu’on promène. Ici, par la pensée, phrases, témoins, choses même — les reliques ! — le crime revit, il semble que le sang coule à nouveau.

Ce n’est plus la chambre obscure, où, sur le guet, tremblant, la brute fait le coup, c’est devant les grands, les prêtres et le peuple assemblé que le crime officie. Quelle messe va-t-on dire ? La messe rouge, celle du meurtre. Tous n’assisteront pas. Mais chez eux ils prieront ; le sermon sera dans le journal. Et quand tout sera dit sur ton acte de gloire, quand témoins et reliques l’auront fait revivre, lorsque par deux et quatre fois, alternant, un procureur, un avocat l’auront chanté, — tous ensemble, juges, public, journaux, peuple, au nom de Dieu, de la loi, de la société, de la France, de tout ce qui peut rassurer les lâches, se mettront ensemble, pour ce que tu as fait seul : un meurtre. Tu mourras.

Du sang ! Du sang… Les honnêtes gens sont venus voir.

Allons ! triomphateur étale tes conquêtes. Portes du cœur, les oreilles, closes aux raisons, s’ouvrent aux menaces. Parle ! Quelle chaire, quel piédestal plus haut as-tu rêvé ? Impatiente du jeu, déjà la foule trépigne. Donne, donne-lui ton acte sanglant à dévorer. Enthousiaste, héros, criminel, officie ! Missionnaire qui reviens des contrées populaires, homme saint, que la souffrance et la misère ont consacré, les fronts sont prosternés, élève bien haut l’hostie, — car c’est elle que les hommes adorent, — du sang, du sang.

— Mais je n’ai rien voulu que ce bonheur des hommes. On dit qu’il est en eux. Je l’ai cru, je le crois…

Oh ! lever les trappes qui les empêchent de descendre au fond d’eux-mêmes !

— Du sang, du sang. C’est du sang, nous, que nous voulons. Les honnêtes gens t’écoutent et veulent de toi du crime. Ce n’est pas vrai, tu n’as pas tué pour le bonheur des hommes. Tu as tué comme on tue toujours, parce qu’on veut tuer, parce que c’est naturel et que ça fait du bien, comme l’on fait la chasse aux bêtes dans les bois, comme on égorge les petites filles qu’on a violées, comme on défend à coups de fusil des drapeaux, et comme nous allons te tuer tout à l’heure !…

Donc comparais ! cause d’un mal entre tous les maux dont nous saignons, toi assassin entre tout ce dont nous mourons, toi, rebut de la rebutante société, élu de la douleur, gorge de la pauvreté qui s’est mise à hurler, terreur qui vas servir à l’épouvantement, sentinelle perdue des pauvres en campagne, dont la prise va donner l’éveil à l’ennemi, criminel, deux fois criminel, pour avoir tenté, pour avoir échoué, ô criminel du crime immense des vaincus, toi qui secouas tes chaînes et ne les brisas pas, brave qui seul de tous as marché à l’ennemi, — le voici. Du haut de son tribunal, il t’attend. En champ clos, code en main, et toi chaînes aux mains, il relève ton défi au nom de la société, car il est lui, ou se croit, et semble — La Société, — et toi, le Crime, même pas le Crime, un criminel…

Quoi ! pas une voix ne dira ton blason, pas une main ne déliera tes mains ! Pas un des tiens, pour t’assister…

Chevalier des pauvres, champion de la souffrance, seul, comparais ! Tu as les armes des pauvres : pas d’armes, — leur gant de défi : les mains liées. Ainsi tu es bien eux, et devant la Justice, au nom de la souffrance, toi, la Souffrance, — comparais.

Et toi. Justice, quand comparaitras-tu ? Toi qu’on n’a rencontrée que le fer à la main, toi que l’on appela vainement du fond de la misère. Justice d’après le crime, absente pour le bien, et qui surgis dès que tu ne peux plus que frapper, ô mère qui caresses de tout le poids de tes mains de fer, manteau qui devrais couvrir, et qui étouffes, flamme qui ne chauffes pas ceux qu’elle ne peut brûler, Justice qui devrais nourrir et ne sais qu’ensevelir, et viens boucher les meurtres par de nouveaux cadavres, rôdeuse des champs de bataille, qui levant un tribut sur la mort achèves les agonies, et serres les pauvres gorges qui demandent à boire, Justice, d’au-delà du crime, toi qui te lèves, ainsi qu’un astre, dans le sang, justice barricadée de meurtres et de vols, sourde aux pauvres qui voudraient d’autres chemins vers toi, — quand comparaîtras-tu, quand viendras-tu répondre, ô responsable ?

Du mal que tu fais, du bien que tu ne fais pas, — viens répondre ! L’espoir en toi, et la confiance, qu’en as-tu fait ! L’honnêteté de tous que l’on t’avait confiée… Le respect même qu’avaient pour toi les pauvres gens, croyant que sur la terre, comme une ombre de Dieu, s’étendait jusqu’à chaque acte de la vie, une défense du mal, un attrait vers le bien…

Mercenaire mal payé qui, révolté, tient la campagne, qu’on appela pour protéger, qui terrifie, — Justice tutélaire, tu fais peur. Tu n’es plus la force respectée, vivant au milieu de nous, rassurante ; — hors la société, au fond de tes cavernes, cours d’assises, à l’orée de la misère, à la lisière du crime, cachée, — tu guettes.

Venge-nous donc, puisque tu ne sais que venger. Des crimes ont été commis. Sors de ta cache. Justice d’au-delà du crime, ton heure est arrivée. Écoute !

On nous a pris notre travail, toute notre vie. On a volé la joie qui mérite qu’on vive, on a volé la peine qui permet que l’on vive. Ils ont tout, nous rien, nos enfants se meurent, nos femmes nous abandonnent… nous avons faim… Justice ! Donne-nous du pain… Ou bien de la vengeance !

Juge donc ! Moi, je t’ai jugée par contumace. Appelles-en si tu peux, viens dire, comme moi : Je vais mourir, j’ai fait ceci, — et voulu ceci — et grâce à moi le monde souffre moins ou davantage.

Car j’ai frappé. Moi le premier. Tu ne fais que suivre. Sans doute un crime de pauvre, sur les cheminées sans feu, fera mieux avec ce pendant : un crime de juge. J’ai tué. À vous ! À d’autres après vous. Encore… Encore ! Mort ni alcool ne désaltèrent.

Joie, Joie ! voir s’écrouler la vie d’une chose… Ah ! surtout si c’était d’un être qu’on aimait ! J’ai fait justice, j’ai donné l’exemple, on va le suivre. — Billot, triangle d’acier, trou où l’on passe le cou… Je savais bien. Ça m’attirait.

Et vous, vous… Tellement que vous y viendrez aussi ! — Je ne me défends pas… J’explique, je vous montre. Vous comprendrez bien… Un exemple sanglant ! J’aurais dressé dessus la société future ! Rêve ! Rêve ! Vous aussi, d’un exemple sanglant, juges, vous espérez étayer ce cauchemar : la société présente… Mon rêve était plus beau. Mais on m’a réveillé…

Dormez-vous donc encore… ou faites-vous semblant ?

Je crois pourtant qu’il va bientôt faire grand jour. Seul, dans la nuit, le vieux coq de France a chanté. Mais d’autres vont répondre. Déjà le bois murmure. Toute la campagne, toute la forêt va s’éveiller.

Et les gens s’en iront au travail en chantant…

Gaîment, gaîment, dans l’allégresse matinale… L’herbe est humide encore des larmes de la nuit.. Mais le soleil monte : bientôt, nos tâches terminées, toute la journée, la belle journée, — pourrons-nous pas nous reposer ?

Il y a assez pour tous. Moi, riche, je vous le dis. Riche… je vais l’être. J’aurais de tout, bientôt, tout ce qu’il faut… Il faut très peu pour ne pas vivre.

Du pain ? Non. Du repos… Oh ! tant que j’en voudrais…

Du pain et du repos, pour vivre, tant qu’on voudrait… Et vous aussi, quand vous voudrez…

Il y a assez pour tous et pour chaque besoin…

Sauf un, celui de nuire…

Mais on le voudra moins quand on aura moins faim… Cri des plèbes romaines, cri des serfs d’autrefois et de toujours, des populaces mal bâillonnées, cri des bombes aujourd’hui, mot que profèrent les murailles même en s’écroulant : Du pain et des loisirs ! À manger et à jouir…

Du recul que donne la mort, — me retournant pour tirer la porte sur ma vie, — je vois la société les mains pleines de richesses, mais les levant très haut pour qu’on ne prenne pas…

Il faudra bien qu’elle baisse les mains pour se défendre. Elle lâchera prise, et il y aura assez pour tous.

Quel Dieu osa dire plus… À chacun selon ses besoins ! — Quel Dieu a tant promis ! — Nous autres on aurait tenu.

Le ciel… Oui, sur la terre, et dès que l’on voudra…

À la sueur de notre front…

Et à tout le sang de nos martyrs, s’il le faut… Nous l’atteindrons.


J’ai crié du fond de la misère, vainement.

Insensé, j’avais cru qu’il suffisait d’avoir raison.

J’ai prêché. Missionnaire chez les sauvages, briseur d’idoles, aux hommes ahuris j’ai dit la bonne parole. J’allais, sûr de moi-même, enseignant le bonheur, moi le plus malheureux de tous. Hélas ! J’aurais voulu donner la foi à toute la terre !

Ils n’ont pas cru que j’étais sincère.

Ils cherchaient les raisons que j’avais, non si j’avais raison. Quel intérêt me poussait ? Le leur ! — Ils ne s’en souciaient.

Ils venaient à moi avec de basses curiosités. Je voulais leur bonheur. Ils voulaient s’amuser.

Je parlais d’une œuvre immense à accomplir, à eux qui ne m’écoutaient que pour se reposer. M’écouter ! J’apportais le pain précieux à des ivrognes. Ils voulaient boire, ces crevants de faim, et non manger. Curieux, ils l’étaient de l’homme et non de ses idées. Ils venaient à qui donnait à railler, ne trouvant personne qui osât se moquer d’eux, À défaut de glorieux ils cherchaient du grotesque. Ils voulaient battre, ne pouvant être battus. Ils voulaient être dupes ; je n’avais que des vérités ; ils voulaient de la passion, je n’avais que de l’enthousiasme. Ils voulaient des panaches… Comme eux j’étais en guenilles…

J’ai crié du fond de la misère. Vainement. Mais je me suis hissé, par les fentes, les plaies d’une société si mal unie et qui se craquèle, je me suis hissé…

Alors, puisqu’on ne croit point à ce qui est croyable, et qu’il faut qu’on enfonce dans le corps une idée à coups de bottes, comme un empereur, à coups de gueule comme un pitre, ou, comme une religion nouvelle, à coups de miracles…

J’ai fait des miracles.


Puissent les innocentes victimes que j’ai faites me comprendre et me pardonner !

Innocents, qui font tant de mal, je leur pardonne.

Pitié pour ceux dont l’innocence, patiente et servile, perpétue la douleur ! Victimes résignées, bourreaux… — qui ne savent pas ce qu’ils font…

Pitié, mais gloire à eux, si, frappés du miracle, avant de rendre leur âme d’habitude et de lâcheté, ils ont cru, ayant vu, si, ne fût-ce qu’un instant, ils se sont eux aussi jugés, les innocents ! aux lueurs du brasier de souffrances humaines qui, nuit et jour brûle tandis que rôdent dehors les pauvres qui grelottent, pour la tiédeur des salles somptueuses et vides, et bien closes, comme leur cœur aux souffrances d’autrui, closes comme leur cœur à leur propre bonheur, — leur bonheur d’apparat où ils ne pénètrent même pas…

Ils ont glissé sur les âmes qu’ils écrasaient.

Ils ne voulaient pas… Oh ! certes. Mais nous, toute notre vie, notre misère de vie, stations de souffrances montant au calvaire du crime, qu’en avons-nous voulu ! Rien de rien, pas même naître. Qui donc sait ce qu’il fait ! Révoltes mères de servitude, conquêtes de liberté qui ont fondé des trônes, Messies venus détruire la beauté sur la terre, Rédempteurs demandant pardon pour leurs bourreaux…

Ah ! sur eux-mêmes, victimes, colonnes d’oppression, chaînes d’esclavages, foyers de ténèbres, pardon pour eux, martyrs qui ne savent pas ce qu’ils font !

Haine, toute ma haine, mienne pour ma vie du moins d’humble dépositaire, qu’en ai-je donc voulu, de cette éternelle haine que j’ai trouvée en moi, que j’ai vomie sur vous… Ah ! j’aurais pu peut-être m’en laisser étouffer… — Mauvaise éducation… — que n’en avais-je une autre ! — compagnie détestable ! — que la bonne nous accueille ! — Ivrognerie ! — Le vin ne soûle guère quand on mange. — Ah ! si d’autres sujets de joie étaient venus ! D’autres ivresses… L’amour, peut-être… Oui, je me souviens… Une femme, un enfant. Je les ai bien aimés ; lui, mourut ; elle, — vous l’avez nommée prostituée, Les ventres vendent leur plaisir pour avoir leur mangeaille. En la tuant je l’ai tirée hors le vice et la faim. Car, pas de travail ! Il n’y avait pas de travail. Rien. J’ai cherché, demandé… il n’y en avait pas. Mais quoi ! si tout du moins, malgré tant de misère, un dernier reste d’honnêteté… Non, vous dis-je ! Il n’y en avait pas. La faim avait tout pris. Tout, même l’enfant, la femme, même l’honnêteté. Il n’y avait plus rien de rien à la maison. La vertu, le bonheur ! Donnez-moi de la vertu ! Ou du travail, pour en acheter. Être d’honnêtes gens ! De quoi aimer, de quoi manger, de quoi travailler, de quoi vivre ! Nous sommes des millions voulant être d’honnêtes gens !

Dieu exterminateur des méchants, qui chassas les marchands du temple, qui un jour, dois châtier toutes les fautes de tous les hommes, ceux qui ont mal agi, ceux qui ont mal pensé, ceux qui ont ignoré… — et vous qui comme lui prenez droit de châtier et pour être plus Dieu encore, retenez le bras qui arrêterait la faute et le laissez tomber, elle commise, pour punir, — moi aussi, châtiant plus généreusement, j’ai frappé l’innocence malfaisante et impie, — oh ! plus que celle qui pécha contre la Sainte Église, plus que celle des païens qui ne purent effacer leur faute originelle, ignorant quoi… un homme, un Dieu de Galilée, qui se révéla à d’autres, ailleurs, bien loin, jadis, — celle qui ignora et voulut ignorer la Souffrance de son temps, dans son propre pays.

Humanité, mot vague, multiple, infini, — et que j’aimais, au hasard, en furieux, sans regarder, comme j’ai frappé… Ah ! concentrant toute ta douleur dans la mienne, moi aussi, dévouant ma vie, j’aurais voulu… te délivrer par un sacrifice frénétique. Car je t’aimais immensément, Humanité ! J’aurais voulu… — Aimez, et faites ensuite tout ce que vous voudrez… — Mais je n’ai pas pu faire tout ce que j’ai voulu.

Dieu, moi aussi, je meurs donc pour avoir aimé…

Mais Lui était bien sûr que sa mort sauvait le monde…

Moi, je ne sais pas. J’espère seulement un peu de bien. Je ne ressusciterai pas pour le voir, s’il arrive. Je n’y assisterai pas derrière le rideau des cieux. Et je n’entendrai pas, si, penché sur ma tombe, quelqu’un vient me dire : tu as bien fait.

La foi, je ne suis pas sûr… Mais j’ai la charité, et j’aurai l’espérance. Oui, on a su, on a compris, un peu du moins. On fera attention, peut-être on réfléchira… Il suffit ; je cours à la mort avec joie.

À la mort ! Est-ce vous qui me la donnerez ! À mort ! L’endroit est bon. Le sang se verra bien. Tous ces gens-là, venus pour voir, seront contents.

Tuez-moi donc, puisque vous le croyez juste. Qu’est-ce, une vie, devant la Justice qui se répand !

Une vie ! Demain la vôtre… nous n’hésiterons pas.

J’ai cru, j’ai dit, j’ai agi. Qu’attendez-vous ? C’est votre tour. Mais vous me regardez stupides…

Je suis devant vous. Avez-vous peur ? N’êtes-vous pas en nombre ? Doutez-vous que ce soit juste ? Vous avez beau commander le silence. Je vous dis qu’on m’entend du dehors, et peut-être chaque instant qui hésite tue un des vôtres… — À mort ! — Au fond de votre cœur, voix de l’honneur, de la conscience, devant Dieu et les hommes, — oui ! coupable, la mort. — Eh ! bien donc ! Avec quoi ? Il y a des armes ici. Gardes, vos sabres ! Juges, jurés, prenez donc… — Finissons-en. Frappez vous-mêmes — tout de suite !

Ils n’osent pas.

Éternelle justice, sur l’honneur, la conscience, devant Dieu et les hommes… Justice enfouie au cœur humain, comme dans une cave, et qui sitôt qu’on la tient à la main, a peur, voyant le jour ! Non ! on ne meurt pas pour elle, on ne tue même pas, on fait seulement tuer… Mais il en est une autre, une qui frappe elle-même et donne sa vie. Pour la crier, on meurt. — Mais on m’a entendu.

Elle est. En quel pays ? En ceux où nous allons…

La Terre Promise !…

— Mais savez-vous… — Je ne sais pas… je ne sais rien.

— Promise ! Qui a promis et doit tenir la promesse ?

— Moi. Je me suis promis à moi-même. Et j’ai tenu.

— Tenu ! C’est donc en rêve !

— Mon acte l’en a jeté hors.

— Si ce n’était un rêve…

— J’ai réveillé du sommeil où on les fait.

— Dormir est doux.

— On en a le temps après la vie.

Et toi que j’appelais du fond de la Misère, que je croyais la Justice, Justice de ce temps-ci ! Justice de sang, toi qui ne sais que frapper, Justice ! Je croyais que tu n’existais plus, tant mes sanglots vainement avaient crié vers toi… — Te voici ! La magique vertu du sang t’a évoquée. Viens tuer, viens verser le sang, viens « juger », comme tu dis… Ton heure est arrivée, Justice d’au-delà du crime. Des crimes ont été commis. Sors de ton repaire ! — Ils ont tout, et nous rien. Ils prennent notre travail, notre manger, nos femmes. Ils laissent mourir de faim nos enfants… Ils nous pillent. Sans raison, toutes les joies de notre vie, ils les gardent… — Siège donc, tribunal où se distribue la mort, baume suprême des souffrances. Viens juger… Viens venger… Non pas un homme, tous ! Élargissant ton geste de barbare, frappe au-delà de moi ! frappe tous les coupables ! tant et tant que ton nom profané de Justice, s’agrandissant au-delà de ces murs, couvrant le monde, il en faille un plus pur… — Viens à nous, Révolution !

II

Pauvre homme, voici le bout de ta colère et de ta vie.

On t’écouta. On s’amusa, On va te tuer.

Ces gens, devant toi, ont fait grandement attention. S’il y avait eu, dans ce que tu as dit, du bonheur pour eux, ils l’auraient vu. Ils ont pensé que même pour toi, il n’y en avait pas. D’ailleurs, ils ne nient pas : cela sera peut-être un jour. Mais mal placés dans leur tombe pour en juger, qu’en verront-ils ! Leur tant parler de l’avenir, les fait trop penser à leur mort. Ils veulent la tienne.

Maintenant c’est bien bien sûr, tu ne la verras pas, — cette Révolution dont le lendemain fameux, doit rendre les hommes tous heureux. Même son hier, ton dernier demain ne le verra pas.

Tu as beau te débattre… — Emmenez le condamné.

Justice suprême ! Révolution, révolution…

J’en appelle… Pour me pourvoir, rien que quelques jours…

Révolution… d’ici ma mort viendras-tu ?


— Fou impatient, feras-tu le tour du monde avant ce soir ? L’évolution de l’homme, fastidieux océan, précipite-la dans ce trou dans le sable : ta vie ; tasse bien, qu’elle tienne toute ! Toi dont la cervelle, forêt touffue de savoir, gazouillante d’idées, est plus vaste que toutes les cervelles des hommes, enfant précoce, découvreur des pays où tu n’as pas été, toi qui veux relever la faillite de Dieu et te promets à toi-même le Paradis, parle-nous donc de la Terre Promise, toi qui sais !

— Moi qui sais ? Non pas ! Non !… Je n’en viens pas, j’y vais.


Ah ! si seulement un seul en était revenu !

O grappes merveilleuses qui vinrent au désert ranimer la confiance lassée d’Israël, prouvant l’au-delà fertile de ce sable infini…

Ah ! si seulement un seul en était revenu !

Alors l’humanité se dresserait en hâte, toute joie de vivre ressuscitée… — Mais pas un. Il faut croire sans avoir vu. Il faut croire sans qu’un seul nous dise : j’ai vu. L’éloquence des meneurs d’hommes s’est tarie, la confiance est séchée que versaient les prophètes, ceux qui vont en avant s’arrêtent, se retournent : nul ne les suit. Dernier effort que fit l’espérance des hommes, par quatre fois, la Révolution s’est ruée. Elle s’est abattue, et a laissé ses os, elle, la dernière de tant et tant de religions qui cheminèrent portant l’homme par les déserts et qu’il abandonnait quand elles tombaient, lasses. Et lasse aussi, l’humanité s’est abattue, ayant continué quelque temps, toute seule, à pied, les yeux au sol, tout mirage dissipé, pas un signe n’animant le cercle qui l’entoure, mer ou désert, du Nord au Nord, par tous les points de l’horizon, du Nord vers l’au-delà du Nord, par l’infini.

Et jamais arrivée.

Et ces paroles-ci qu’un homme tasse sous lui, et remue comme de la cendre où rougeoie quelque espoir — espoir éteint sitôt qu’on le veut ranimer, — ces mots, ces phrases, bêtes de somme, qui plient sous le poids des idées et qui devaient, croyait-il, aux hommes épuisés, fournir encore une journée de chevauchée, — crèveront sous lui ainsi qu’une divinité, — sans jamais arriver.

Atlantides ! Amériques ! Par là… ! On ne sait pas. Là où se rencontrent le ciel et la mer parallèles. Au bout de l’horizon que l’on pousse devant soi… Sans vivres, sans pilote, sur la mer… À bord on n’embarqua que douleur, misère, ennui. Craque la vie ! et qu’ils sombrent, sinistres passagers…

Mais ces choses ont des noms. Un désir se précise. Les capitaines avaient leur méthode de guerre. Le navire a sa boussole ; les Messies ont leurs dogmes. Même les prophètes qui, des siècles à l’avance, lisaient en Dieu la route future des humains, chaque soir, dans les étoiles que tout le monde voit, lisaient pour tous les leurs la route de demain.

Rien. Même le matin quand on lève le camp, les marques faites pour savoir d’où l’on est venu sont effacées. Par où, maintenant ? On tourne sur place depuis longtemps. Efforts vains pour trouer le désert. Parfois un rêve — au loin, montre de l’eau joyeuse… un lac, un fleuve ? — On va. Et vers les lames versées le jour d’avant, vos pas vous ramènent pleurer !


— Plus de lois, plus de règles.

— Des lois ! Des lois de fer !

— La terreur !

— La douceur et la persuasion !

— La Révolte ! Tout jeter bas, tout reconstruire !

— Agir en masse…

— Agir tout seul…

… Brouillard, fumée. Rien ne s’est dissipé.

Enfant, il écoutait, avide… — Il a appris.

La science ! les flambeaux de la science. Des milliers de flambeaux, des étoiles sans nombre, — et la nuit était noire. Comme les autres, à tâtons, il marcha. C’est la vie. Quand donc fera-t-il jour ? Est-ce jamais ! — Alors donc dans du sang et de la flamme, aube factice, à lui seul, devançant le soleil qui tardait, il alluma une chandelle de misère, croyant hâter l’aurore et l’horreur de ta venue, Révolution !

Du sang, de la flamme. Mais le jour ne vint pas. Fumée encore, louche lueur, qui s’éteignit, sans avoir empêché la nuit d’être la nuit.

Cachots de l’âme, masses d’ombre serrées de murailles épaisse, os du crâne, prison des cervelles bouillantes, murs et murs, percés d’une science barrée de grilles, à force de se heurter contre, ne vous écroulera-t-on ?

— Au lendemain de la Révolution sociale…

— Ah ! que le jour ou que sa veille seulement arrive !

— Tout s’arrangera…

— Que tout se dérange seulement !

— Liberté infinie !

— Non ! Non ! l’autorité ! nous forcerons au bonheur !

— Que comprendre !

— Rien. Agir.

— Alors on partagera…

— Non ! Il y aura tant que chacun prendra ce qu’il veut…

— Je veux tout ! je prendrai tout !

— À chacun selon ses œuvres !

— Non ; suivant ses besoins.

— Mes désirs sont besoins. J’ai, moi, tous les désirs.

— Même celui de nuire.

— Je vous le dis, je les ai tous.

— Dites ! on va chanter…

— Lorsque viendra le jour…

— C’est cela : Sainte Dynamite

— … de la Révolution sociale…

Que l’on danse vite !

— Tout ! tout s’arrangera…

Dynamitons ! Dynamitons

— Oui ! et en chœur ! puisque tout le monde est d’accord ! Dynamitons, dynamitons !

… Et l’on se mettait à chanter…


Cependant l’humanité souffrait toujours…


Et elle souffrait, — qu’elle souffrait ! — et s’ennuyait…

Mais elle chantait ! Sans doute, il n’y avait que ça de baume sur ses souffrances. Chanter. Dans l’ombre, la geôle… pas une lueur, que de la fenêtre grillée… pas d’espérance que la fin d’une perpétuité, — ô mort, viens donc ! — le prisonnier chante. Parler, penser, écrire, chanter aussi ! Pour qui ? Pour soi. Puis, de temps en temps, le dégoût pourrit le chant sur vos lèvres, où, périodique, écume une marée de rage. On se rue contre les murs inébranlables, en avant. Et l’on cassera toujours quelque chose, fût-ce sa tête !

— J’ai agi. J’ai fait toute ma poussée. À vous !

Oui, c’est beau, cela. Nous autres aussi, on se ruerait, on donnerait ! — si seulement le mur branlait à la poussée. Tous ! même les juges, qui te condamnent… Les riches, les bourreaux… tous ! Eux aussi on souffre, on s’ennuie… qu’on sache ! et tous iront avec toi… Iront ! — Se précipiteront. Un dogme ! Quelque chose qu’on croie. Dis, parle ! Tu as agi ! Nous buvons tes paroles, et attendons, anxieux. Tu as agi. Pourquoi ?

Mais rien ! Fumée, brouillard, après ton acte comme avant… La nuit. Idée… — Laquelle ? Terre promise ! Où ? Par qui ? Révolution sociale ! Nous attendons, eh ! bien ?

Un signal ! Je l’attends, tu ne l’as pas donné. Tu as crié le cri de la séculaire misère. Nous le connaissons, nous l’entendions en dedans de nous, alors qu’on se bouchait les oreilles pour le fuir. On ne pouvait rien. Dis-nous ce qu’on peut. Toi, qu’as-tu fait ? Du mal ! Oh ! nous le savions ; on en faisait assez !

Les femmes des marins, en pleurs près du Calvaire, prient, crient, appellent : Au secours ! Là ! sur la mer, leurs hommes, leurs enfants, en détresse… La mort écume, rugit autour d’eux et les lèche, De la mer, de la côte, on s’entend appeler. On se voit pleurer, on se voit mourir. Et on ne peut rien.

As-tu une barque, toi qui veux risquer ta vie ? S’il n’y en a pas, prier, crier, appeler, pleurer, même maudire, — vainement ! Résigne-toi. Meurs…

— À la nage !

Je n’ai pas de dogme. Je n’ai pas de bateau de sauvetage. J’entends des cris, je vais. Rien ne m’attache au sol. Je me livre corps et biens, m’aventure tout entier. Il fait nuit. Je suis las d’attendre qu’il fasse jour. Je ne sais pas où je vais, je ne connais pas la route. Pas de boussole, et je ne sais pas lire aux étoiles. Il y a des théories, des anarchies, des socialismes, que des gens savent. J’ai cherché à comprendre. Brouillard, fumée, vain bruit. Rien n’est sûr. Le hasard n’est pas plus hasardeux que tout cela. Si l’on croyait, tous partiraient. Mais on ne croit pas, et puis l’on ne croira plus jamais… La raison de mon acte… l’idée, dogme ? Néant. Je voudrais… Je ne sais pas.

Il y en a peut-être qui savent et se croisent les bras…

Moi, je ne sais pas… — Marchons.

Est-ce que c’est vrai qu’un homme généreux va mourir, est-ce que c’est vrai qu’un livre douloureux va se clore, et que le livre et l’homme ont souffert vainement, aussi vainement que l’encre et le sang ont coulé, qu’une pensée et une vie qui se sont consumées, n’ont qu’épaissi de leur suffocante fumée, l’air que, près d’étouffer, cherche, avide, la misère ! et qu’il fut tant d’atroces douleurs, et qu’il fut tant de patientes études vainement, tant de martyrs, révoltes, héroïsmes, tant d’utopies, systèmes, — vainement ! — tant d’existences brûlées aux lueurs des batailles, tant d’autres usées lentement à celles de la lampe, — têtes lourdes de pensées qu’a coupées l’échafaud, cœurs remplis d’héroïsme que les balles ont crevés et tant de belles, d’utiles et consolantes choses écrites en les livres qu’on ne lira jamais… — pour qu’ayant fait la somme, actes et idées, le tout, il faille fermer le livre et laisser mourir l’homme, sans une parole d’espoir, un bout de vérité, un rien, un : tenez, là ! vers quelque moins de douleur !

Rien, rien ! Même pas le silence, puisqu’on ne peut pas se taire !

Dans sa prison, le condamné à mort attend.

Il n’espère pas sa grâce ; c’est sa mort, qu’il attend.

Lui ? Et nous ! Qu’est-ce donc d’autre, dans la vie, qu’on, attend ?

Oh ! sortir des quatre murs de cette société !

On gracierait… c’est le bagne. — Que serait l’effet de ta grâce à toi, Révolution ?

Vaincu, emprisonné. Rage, lutte… inutile ! Tout de même, quelle qu’elle soit, la grâce ferait du bien. Ce serait doux, le bagne futur, au sortir de la prison…

Le bagne ne viendra pas. Il n’est pas de délivrance. Il n’y a que la mort. Elle est là, elle, vient. Inutile, aussi vaine que la rage, — la mort. Au moins on avait pensé qu’à d’autres elle servirait ! Non.

Oh ! si le corps du moins avait son content de place ! Se remuer, user de sa rage dans des mouvements, la frotter de vent, la froidir d’air, l’humecter de pluie !… Ou si l’on pouvait boire, oublier… Non.

C’est ici moins grand que chez toi… Es-tu bien sûr ? Si tu mesurais ? Tu étais libre. À l’atelier !… Es-tu bien sûr ? Mangeais-tu mieux, couchais-tu mieux ? Libre, dis-tu ? Les cloisons sociales n’avaient guère d’écart ; si tu sortais, la faim, geôlier, montait la garde… As-tu cru t’échapper ? La prison. Désespère ! Tu ne peux plus rien. Que pouvais-tu ? Tu te plains. Tu te plaignais. Tu pensais, penses-tu… Maintenant que fais-tu d’autre ? Cela ne sert à rien. Quand cela servit-il à quelque chose ? Et quand la vie fut-elle moins murée par la mort ?

C’est l’illusion que tu regrettes !

Que parlais-tu de dissiper celle des autres ?

Toi, toujours toi ! L’autorité que tu hais et qui pèse sur toi, contrainte, haine, châtiment, tu l’aurais écroulée de toutes les hauteurs sociales avant de l’extirper de ton cœur où elle plonge… Prêtre qui voulus par le fer et le sang forcer à la Religion neuve, rédempteur par la terreur, c’est peu qu’une juste mort vienne à temps nous sauver de ton inquisition, il serait trop beau encore que toi, tu ne doutes pas !

Monde futur, monde d’autre monde, promesses à bon marché, tout ce que tu as promis… on n’y croit pas, et tu n’y croiras pas toi-même. Sur cette terre-ci, qu’importe, ou sur l’autre, c’est de même, — on ne passe pas ; il y a la mort entre, la mort qui barre la route, muraille forte et têtue, — et tu t’y vas cogner.


— Songez à Dieu, mon fils. Préparez-vous à la mort.

— J’y suis prêt. C’est à la vie que je n’étais pas prêt !


Religions d’un jour, fumée de bivouac que laisse l’humanité qui marche… Oh ! que de cendres ! On s’est chauffé une nuit, c’est tout. À d’autres camps, à d’autres flammes. Rêves d’un jour ! Terre promise ! Cela prépare à la mort mais non pas la vie !

Dieu, c’était notre orgueil figé par devant nous. Mais le temps nous a enseigné l’humilité.

Dupe que tu es, meurs. Mais ai-je cru ? Comme j’ai agi : en semblant. Pas un acte qui serve, pas un dogme, qu’on croie ! Si j’avais seulement eu ma franche duperie ! L’illusion à pleins bords !

Non. Petites gorgées ! et mourir presque à jeun. Pas la consolation d’être un exalté. Martyr. Mais non, on n’y croit plus, ils sont trop, maintenant, tout le monde voudrait l’être. Martyr sans effet. Un homme va mourir, cela est tous les jours. Désespoir ! Immense désespoir… non, pas immense, et d’autant plus douloureux qu’il est plus petit, tout petit, pas plus grand que toi-même, qui tiens en cette prison. Les Barbares ne déborderont pas sur la planète, la vieille société n’en sera pas rajeunie ; — le sang est une semence !… — plus maintenant, c’est du sang tout bonnement. L’humanité ne se va pas régénérer. Elle continue. Tu trouves la vie mauvaise, d’autres bonne, d’accord ! Toi, cesse, eux poursuivent… Messie ! Libérateur ! Libère-nous de toi.

Il se débat, il ne veut pas… Fanatique ! — Lâche donc cette pauvre humanité. Tu l’ennuies.

Se débattre ! Orgueil d’insecte qui agite ses pattes dans l’eau.

Alors ne plus même croire à ce pour quoi l’on meurt ?… O pauvre homme crédule, plein d’illusion que tu es, toi qui te donnes encore la peine de réfléchir…

Résigne-toi, Meurs.

Se résigner — dernière limite de la foi — est-ce être assez au fond de l’incrédulité ?

Encore la dernière heure, au théâtre de l’échafaud, un peu de comédie vous donnera du courage. On a une attitude ! Mais seul devant les murs de la prison, yeux d’aveugles, seul… — pas même l’attitude, pose qui est un effort, presque une joie, un prétexte de lutte contre le désespoir ! — Rien, à vau-l’eau, inerte, chiffe, attendre la mort, pour dormir.


Au fond de la société, devant les lois, yeux d’aveugles, inerte, Veule, l’homme s’est-il résigné tout à fait ? Il ne pense plus, il joue aux dés, parfois, avec un de ses gardiens, ou à des revues, parfois, avec les ministres de la guerre. A-t-il une attitude ? Il pourrait tout au moins signer un recours en grâce. Non, il ne vote même pas.

Si les Barbares, à défaut de la Révolution…

Non. L’histoire, qu’est-ce qu’elle prouve ! Le soleil qui paraît chaque matin depuis si longtemps, ce n’est pas sûr qu’un jour il ne cesse de luire. La révolte, les barbares qui sont venus une fois, quelle raison y a-t-il qu’ils reviennent ! Orbite démesuré de comètes… — si grand qu’elles se perdent. L’infini, c’est très grand, on peut ne pas se rencontrer.

Et il n’y a rien, hélas ! et il n’y aura rien.

Il y a eu des révolutions, et les Barbares.

Il y a eu des élections, et des espoirs.

Il y a eu des tyrans, des rêveurs, des arriveurs.

Il y a eu des religions. On adora des bêtes, des hommes, des choses, des esprits, des mots, des drapeaux, des républiques.

Il y a eu les anarchistes.

Et il n’y aura plus rien.

Rien, des soldats qui gardent les choses qui sont. Rien, de la misère qui se tait. Rien, des bourgeois qui jouissent. Rien, des réformateurs, des révoltés, du crime. Rien, de l’humanité qui souffre, qui souffre…


La mer est calme. Les bateaux sont au port. Les passagers sont sur les quais, attendent…

Il n’y a pas de vent, on ne peut pas partir. Quand le vent soufflera on n’osera plus partir.

On attend, tout pourrit, tout languit, tout s’ennuie.

Rêves évaporés, mirages tâtés du doigt, voyages mirifiques où l’on resta chez soi, espoir éventé, et port ensablé, vaisseaux appareillés qui au port sont restés, cervelles avariées, et dieux démodés, — aube de la Révolution sociale, Terre Promise !

On espérait l’orage et c’est la lente pluie, c’est le ciel gris, et l’eau qui noie — toutes les joies, — le ciel morne qui ne sera plus jamais bleu, — la pluie encore ! — et c’est l’ennui, et c’est la nuit, sans pain, sans feu, où tout s’endort, jusqu’à la mort.

III

La Révolution, est-ce pour aujourd’hui ?

Aujourd’hui, on ne va plus à l’église que par genre ; même la guerre, dieu tenace, on n’y croit plus beaucoup. On va à la caserne pourtant !… Faire comme tout le monde ! On parle aussi de revendications sociales. On fait la charité. Mais une révolution sociale…

— Vieillard, toi qui as tant vu, crois-tu à cela ?

— J’ai vu bien des promesses, des luttes, des batailles. J’ai vu la guerre, hélas ! Et des gouvernements, même des républiques… Et des révolutions, oui, des révolutions…

— Une qui fasse du mieux sur la terre…

— Jamais. Cela n’existe pas. Je ne l’ai jamais vu.

— La mort, vieillard ; — pas celle des autres, la tienne. Il y a longtemps que tu vis. Tu ne l’as jamais vue…

— La mort… Moi ! Pas encore… Pourquoi… Mourir ! Je sais… J’y songe, je me prépare… Un jour…

— Tout de suite… tout de suite…


O terre ! terre ! verra-t-on la terre aujourd’hui ?

On ne peut pas… le brouillard ! Elle serait là, à deux pas, on ne la verrait pas ! À quel point de l’horizon, quelle heure, paraîtra-t-elle ? Dans des années peut-être, ou dans une minute. Encore si l’on savait où l’on est… Impossible. Pas souffle de vent ! Immobile, sur place, depuis un temps infini, l’on reste… Cependant…

Oui, subitement, comme une ville sort des flots, comme d’un règne de fête une révolte, comme la Mort…

Elle peut surgir…


Terre Promise !

Postulat de tout ce qui vit,

Vague et humble,

Vraie, bonne, toi qui fais ce que tu peux,

Charitable espérance qui nous tiens lieu de foi.

Terre promise, ô Terre à terre, espoir très résigné, idéal très près de nous, simple raison de tâcher de faire mieux qu’on ne fait, horizon à peine brumeux des choses qu’on peut…

Ô non pas élan forcené vers l’impossible, mais borne visible de loin, qui nous marques jusqu’où l’espérance peut aller !

Religion, la nôtre,

La dernière, la plus timide, la plus facile,

Et la plus orgueilleuse, la plus inaccessible : celle que l’homme doit chercher son bonheur sur la terre !

Crise périodique des peuples, phénomène mystique, ordinaire, nécessaire.

Toi qui fus annoncée par les philosophies, et par les utopies, et les réformateurs, et les systèmes de bonheur ;

Toi qui te révélas au jour de la Révolution,

Toi qui te révélas aux jours des Révolutions,

Terre promise que nous promit la République,

Torche qui nous éclaires d’ici la tombe,

Patrie outre-patrie,

Terre Promise !

Toi qui es sur la terre,

Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien,

Et notre repos après le travail de chaque jour,

Et le travail de chaque jour.

Confonds les docteurs,

Laisse venir à toi les petits enfants,

Donne le doute à notre âme faible, étayée de croyances pourries qui croulent. Doute, non pas mensonge ; doute ! le seul appui qui ne craque pas sous nous, — apprenons à nous tenir sur lui solidement.

Terre Promise, que ton règne arrive ; Terre Promise ! ou que la Révolte nous mène à toi !

Pardonne à tous ceux qui nous ont opprimés, et pardonne, si nous ne pouvons pas ne pas nous venger !

Délivre-nous du mal, — ambition, autorité…

Rends-nous la joie de vivre que nous avons perdue,

L’espoir en nous-même qui a sombré,

Qu’en nous la volonté de quelque chose soit faite…

Certitude inconnue,

Flamme dévastatrice, ou foyer hospitalier, quoi que tu sois, lumière !

Toi seule qui redonneras un peu de tiède abri au pauvre être écorché de toutes ses croyances, à nu des mensonges chauds qui l’enveloppaient…

Lueur qui peux dissiper les ténèbres, surgir au ras de terre et du ciel… — bientôt !

Déjà ne fait-il pas plus clair autour de nous ?


… J’ai froid. Nuit éternelle. Un coq avait chanté. Nul autre n’a répondu.

Il fait clair cependant… J’ai cru la nuit passée ; j’ai rejeté les draps qui me couvraient, et j’ai froid. J’ai regardé vers l’Est, en me frottant les yeux…

Et j’attends le soleil.

Oh ! quand donc ! oh ! quand donc… Le soleil ! le soleil !

Aube froide. La nuit pâlit, et les étoiles, comme moi grelottantes, tremblotent ; une brume gerce la face du ciel. L’air humide gèle sur la peau, glace les os. Les couvertures que j’ai rejetées… où sont-elles  ! Là, à mes pieds… Mais je ne peux plus les atteindre. Engourdi, je ne peux plus… À moi, à moi ! Crier… je ne peux même plus, mes lèvres sont figées.

Et j’attends le soleil. Quand viendra le soleil !

— Debout ! lâche. Le soleil est là. Il fait grand jour.

Lève-toi, secoue tes membres, frotte tes chairs… Debout !

Le soleil. Peut-être bien qu’il ne se lèvera pas.

Entre toi et lui c’est tant de nuages et tant d’ombre ! Il est si las, depuis si longtemps qu’il chemine… Il ne percera pas cette brume glaciale qui le cache…

Mais va vers lui. Les monts dominent les nuages. Élève-toi, va vers lui ! Quand le soir, au bout de sa journée, il lave dans la mer ses pieds ensanglantés… bien au-dessous de toi tu verras le soleil !

Alors, douce sera la fraîcheur de la nuit, venant calmer ton front et tes membres brûlants… — non du soleil, mais d’avoir été vers lui.


— La Révolution, est-ce pour aujourd’hui ?

— Qui appelle ? Où es-tu ?

— Rien… laisse-moi… laisse-moi.

— Pourquoi t’es-tu levé en sursaut ? Que disais-tu ?

— Rien ! Laisse-moi… laisse-moi.

— Révolution ! Tu parlais de Révolution. Oh ! dis-moi… quel cauchemar…

— Rien… J’ai sommeil… Laisse ! Dors… Moi aussi, je vais dormir… Laisse-moi me rendormir…

« La Révolution, est-ce pour aujourd’hui ? »

Oh ! Dieu ! Croyant bien faire, l’entraver à jamais, peut-être je la déchaîne, rien qu’à tuer cet homme ! J’ai peur… Non ! Je n’ai pas peur. Je ne dois pas avoir peur. Est-ce que je risgue quelque chose ? Rien. On veille sur moi. Il y a une police. Vengeance ! Des menaces. Ils parlent de m’assassiner… — mais je n’ai pas peur… seulement je tremble, j’ai froid… Je commets peut-être un acte d’une portée inouïe. Mais je ne commets rien, non ! je laisse commettre. Je ne signe pas… Alors… Ce n’est pas moi qui frappe ! Je ne dis pas qu’on frappe… Mais je n’empêche pas qu’on frappe ! Et on exécutera. Du sang ! Moi, je n’aime pas ça. Et puis… — Non, ils n’oseront pas. — Ah ! je voudrais… Enfin, pourtant, puisqu’il le faut… Oui, dans l’ombre, avant l’aurore, pas sur la place publique, — dans la prison, entre quatre murs… pas de journalistes… On profitera d’un jour de fête, ou d’un lendemain. Paris joyeux, ou bien vanné, est calme. Alors, comme cela… on peut… oui… on osera — faire justice.

Allô ! Allô ! Eh ! bien, tout est prêt ?

— Tout est prêt.

— La police est sur pied ?

— Les brigades renforcées, la troupe consignée…

— Tout est tranquille ?

— Pas l’ombre d’une émeute à craindre.

— Oui… alors… la justice… Mais vous répondez de tout !

— Absolument de tout.

— Comme cela, ma conscience est tranquille. Je signe.

C’est fait. Irrévocable. On va faire justice.

Maintenant tâchons de dormir…

Non ! non on ne dort pas comme cela ; on a la fièvre, on se lève, on tourne, on rôde, et le palais silencieux et menaçant dans la nuit, voit votre ombre qui erre dans les salles vastes et vides, voit votre ombre et la prend pour un spectre, déjà.

Spectre ! Lequel ? Celui de l’homme qui va mourir demain ?

— Mon ami ! Tu ne dors pas ! Tu vas être malade. Écoute ta femme. Tu ne te vois pas, tu maigris. Tu n’es déjà pas fort. Tu es jaune, pâle. Tu souffres. Tu ne le dis pas ! Tu devrais te soigner. Qu’est-ce qui te préoccupe ?

— Je vais bien. Rassure-toi. Moi, je vais bien, oui…

— Est-ce que quelqu’un t’ennuie ?

— Il ne m’ennuiera plus.

— Un de tes amis, malade…

— Non, pas de mes amis…

— Aurais-tu quelque chose sur la conscience…

— Quelle heure est-il…

— Mon Dieu ! Je sais ! C’est l’assassin… Tu as…

— J’ai signé.

— Tu n’as pas fait grâce !

— On m’aurait traité de lâche.

— Ils se vengeront ! ils te tueront, ô malheureux !

— La police me protège !

— Le peuple va se soulever…

— Le peuple ne se soulève plus.

— Qu’en sais-tu ! Une révolte…

— Eh ! bien, quoi, une révolte ! Ça se dompte ; on a des troupes.

— Ah ! tu as eu tort ! malheur t’arrivera. La clémence est si belle ! L’histoire est favorable à ceux qui furent cléments.

— Les temps sont durs pour eux. La réussite est favorable aux sans pitié.

— Mais tu n’es pas méchant, toi. Tu ne veux pas sa mort.

— Moi non, mais songes-y, la presse, le public… Un devoir supérieur…

— Lui aussi… Un devoir, comme tu dis… supérieur… il le croyait, le malheureux…

— On dirait que j’ai peur ! C’est de ça que j’ai peur…

— Ah ! les précautions ont beau être prises… Crois-moi…

— Regarde !

— Quoi ! qu’y a-t-il ? Tu pâlis…

— Regarde… L’aurore !

— L’aurore… eh ! bien, l’aurore…

— L’aurore ! C’est chose faite ! Laisse-moi… Allô ! Allô !…

— Tout est fini, monsieur.

— Eh bien ?

— Il s’est levé joyeux. Il est mort en chantant.

La Révolution, est-ce pour aujourd’hui ?

Non. C’est la mort. Pourtant, à la longue… si longtemps !…

Il avait bien pensé qu’on allait faire grâce !

Eh ! bien chantons ! Il y a des choses qui arrivent : la mort. Las de la mauvaise journée, heureux qu’elle soit finie. Mourir ! cette nouvelle clôt sa désespérance. Il ne songe pas à la vie qu’il quitte ; adieu misères ! Il songe aux rêves qu’il ne fera plus. D’autres les feront. Et il est bon de se dire qu’il y en a de ces rêves, qui durent un peu plus que le temps qu’on les rêve.

Allons ! la prison s’ouvre. Il se met à chanter.

Quoi ? Rien, un refrain quelconque, obscène, chanson gaie ; comme on en fredonne une en se rendant au travail, s’étant levé matin, frais, dispos, alerte, vif, jouissant de l’heure, d’ici l’atelier, et chantant.

La belle matinée ! Le soleil, sur les casques et le couperet, brille. C’est gai… Jouissons de la belle matinée. Entre la porte de la prison et la bascule, un petit air. Il y en a bien qui entre le berceau et la tombe, se trouvent heureux !

Il chante… Pose ? Non… Il aurait fait une phrase. Toute cette martyraille est usée. Formalité sans importance à accomplir ; la mort. Les conscrits partent en chantant. Mourons de même. C’est pour tout le monde, n’est-ce pas ?

En somme l’on a fait ce qu’on a pu pour bien faire. On s’est intéressé à la cause sociale. On n’a pas été heureux. Mais le soleil brille, il se lève radieux, il est clair, comme l’espoir d’une société meilleure, il réchauffe, comme la certitude qu’on a bien fait, et il monte dans le ciel comme l’homme vers l’avenir.

Et cet avenir-là, c’est peut-être aujourd’hui…


Peut-être il viendra si tard, que tous l’ayant oublié s’étonneront qu’il vienne si tôt…

Comme on s’étonne qu’elle vienne, — elle qu’on attend, — la mort. Car le criminel ne l’attendait plus.

Dans sa prison, pas de travail, double ration. On le traite bien, on lui tolère tout : il doit mourir. Il peut lire, causer, fumer, jouer, et il pourrait dormir si à l’aube qui vient, ou à celle de demain, ou à celle d’après, la porte n’allait peut-être s’ouvrir subitement : Debout ! Votre pourvoi est rejeté… Rappelez tout votre courage…

Alors les gueux qui se pressent et reviennent tous les matins, avides de voir un peu de sang diront : c’est donc enfin pour aujourd’hui ! — Et le bourgeois, qui recevra la nouvelle toute chaude avec son chocolat, dans son lit, le matin, rassuré, pourra dire : Voilà qui est bien fait.

Car il est heureux, lui. Pas de travail, triple ration ! On le traite bien, on lui tolère tout. Est-ce pour toujours ! Bah ! autant que lui, n’est-ce pas, cela durera, et que ses fils ! Qui sait, peut être toujours ! Il a des rentes, des femmes, des plaisirs, sports, villégiatures… et il pourrait dormir… si des furieux de basse classe… Mais non ! il dort ; et il dort bien, dort en ronflant, il dort profond. Au nez des revendications sociales son somme s’étale. Et le condamné à mort aussi s’endort. Depuis le temps qu’on parle de choses épouvantables, et qui ne viennent jamais, on s’est habitué. On y pense sans terreur ; ce n’est pas pour demain.

Demain est venu. Ce n’est pas encore pour demain.

Après demain, c’est fête. On peut être tranquille.

Cela fait bien du temps… Pourquoi tarde-t-on tant ?

Des demains se suivent. On tarde toujours. Pour quelle raison ?

Il n’y a qu’une : on veut faire grâce !

On n’osait pas tout de suite. On laissait oublier. Petit à petit les colères s’éteignent. On pardonne.

Est-ce que par hasard on pourrait espérer…

Oui, oui ! on peut. On espère toujours. On espère… On se donne jusqu’à tel jour ; si tel jour, à telle heure, le bourreau ne vient pas, c’est que l’on a fait grâce ! — Tel jour ! Et le jour vient, et non pas le bourreau…

Alors, il a vu libre !

Si l’heure fatale devait venir, elle serait déjà venue. C’est trop longtemps maintenant. Ils ont fait grâce.

Peut-être ils ont oublié. Ils n’oseront plus. Il y a prescription. Sauvé !

Et maintenant, oublions aussi nos crimes ! Ils pardonnent, rachetons ! Vivre, vivre ! Il fait bon vivre. Oui, on peut être heureux. Je voudrais que tous le soient. Je ferai beaucoup de bien !… Je ferai la charité…

Dormons tranquillement.

Et c’est alors, dans le somme très tranquille et très doux, que la porte s’ouvre, à l’aube, subitement : — Bourgeois… !

… Votre charité a été rejetée. Rappelez tout votre courage.

Eugène Morel
FIN


  1. Voir La revue blanche depuis le 15 août 1897.