Tao Te King (Stanislas Julien)/Chapitre 76

Traduction par Stanislas Julien.
Imprimerie nationale (p. 279-281).


CHAPITRE LXXVI.



人之生也柔弱,其死也堅強。萬物草木之生也柔脆,其死也枯槁。故堅強者死之徒,柔弱者生之徒。是以兵強則不勝,木強則共。強大處下,柔弱處上。


Quand l’homme vient au monde (1), il est souple et faible ; quand il meurt, il est roide et fort.

Quand les arbres et les plantes naissent, ils sont souples et tendres ; quand ils meurent, ils sont secs et arides.

La roideur et la force sont les compagnes de la mort (2) ; la souplesse et la faiblesse sont les compagnes de la vie.

C’est pourquoi, lorsqu’une armée est forte (3), elle ne remporte pas la victoire.

Lorsqu’un arbre est devenu fort, on l’abat (4).

Ce qui est fort et grand occupe le rang inférieur ; ce qui est souple et faible occupe le rang supérieur (5).


NOTES.


(1) B : Quand l’homme vient au monde, le sang circule dans tout son corps, l’harmonie des esprits vitaux est dans sa plénitude. C’est pourquoi ses nerfs sont souples et sa chair est molle. Quand il meurt, son sang se tarit (littéralement « se dessèche »), ses veines s’oblitèrent, et l’harmonie des esprits vitaux abandonne son corps. C’est pourquoi ses membres sont roides et forts.

Quand un arbre naît, sa vitalité est complète, sa séve est abondante. C’est pourquoi il est souple et tendre. Mais quand il dépérit, sa vitalité se dissipe et sa séve se tarit.


(2) Plusieurs commentaires m’autorisent à rendre le mot tou (vulgo « piéton, disciple »), par « compagne. » E l’explique par louï , « sorte, espèce. » Selon lui, on traduirait : « sont une sorte de mort........ sont une sorte de vie. » (Cf. supra, chap. L, note 2, où Yen-kiun-ping l’explique par « cause, » sens qu’on pourrait aussi admettre dans ce passage.)

Li-si-tchaï : Tout ce chapitre a un sens figuré. Lao-tseu veut dire que celui qui se rapproche du Tao par sa souplesse et sa faiblesse est assuré de vivre, et que celui qui s’éloigne du Tao, en recherchant la force et la puissance, en luttant contre les obstacles au lieu de leur céder, périra infailliblement.


(3) A : Une armée forte tente le combat à la légère ; elle aime à tuer les hommes, à répandre des désastres qui lui attirent de nombreux ennemis. Alors tous ceux qui étaient faibles s’associent ensemble contre elle, et deviennent puissants par leur union. C’est pourquoi celui qui est fort ne remporte pas la victoire.

Liu-kie-fou explique les mots p’ingkhiang 兵強 par « celui qui est puissant par les armes. » Les mots suivants, mou-khiang 木強, « l’arbre est fort, » sont exactement parallèles et montrent que le mot p’ing , « armes, armée, » doit être traduit au nominatif (quando exercitus fortis est), et non au cas instrumental (quando quis exercitu fortis est).


(4) Le mot kong (vulgo « simul ») a beaucoup embarrassé les commentateurs. G conseille de le prendre pour ho-kong 拱合 dans le sens de « entourer. » Tsiao-hong : On entoure l’arbre pour l’abattre, on l’abat. C’est aussi le sens de B, de C et de Liu-kie-fou.


(5) B : Les êtres vivants qui sont durs et forts perdent leur harmonie vitale et meurent. Il est juste qu’ils occupent le rang inférieur. Ceux qui sont souples et faibles possèdent toute la plénitude de l’harmonie et ils vivent. C’est pourquoi ils occupent le premier rang. On voit par là que la roideur et la force sont l’origine, la cause de notre mort ; et que la souplesse et la faiblesse sont ce qu’il y a de plus important pour entretenir notre vie.

Le commentateur D donne un autre sens : par ce qui est dur et fort, il entend ici la partie inférieure du tronc de l’arbre ; par ce qui est souple et faible, il entend les branches minces qui s’élèvent à son sommet.