Tao Te King (Stanislas Julien)/Chapitre 06

Traduction par Stanislas Julien.
Imprimerie nationale (p. 21-23).


CHAPITRE VI.



谷神不死,是謂玄牝。玄牝之門,是謂天地根。綿綿若存,用之不勤。


L’esprit de la vallée (1) ne meurt pas ; on l’appelle la femelle (2) mystérieuse.

La porte (3) de la femelle mystérieuse s’appelle la racine (4) du ciel et de la terre.

Il est éternel (5) et semble (6) exister (matériellement). Si l’on en fait usage (7), on n’éprouve aucune fatigue.


NOTES.


(1) L’expression kou-chin 谷神 « l’Esprit de la vallée, » désigne le Tao. G : Le mot kou, « vallée, » se prend ici dans un sens figuré. Sou-tseu-yeou : Une vallée est vide et cependant elle a un corps, c’est-à-dire elle existe matériellement. Mais l’Esprit de la vallée est vide et immatériel (litt. et sans corps). Ce qui est vide et immatériel n’a point reçu la vie ; comment pourrait-il mourir ? L’expression kou-chin 谷神, « l’Esprit de la vallée, » est destinée à exprimer sa vertu (la vertu du Tao). Voyez note 7, ligne 7.

L’expression hiouen-p’in 玄牝, « la femelle mystérieuse, » sert à exprimer ses mérites. Cette femelle produit tous les êtres. On l’appelle hiouen , « mystérieuse, » pour dire que si l’on voit naître les êtres, on ne voit pas ce qui les fait naître. Le mot hiouen a le sens de « obscur, profond, impénétrable. » E : Tous les êtres ont reçu la vie, et, en conséquence, ils sont sujets à la mort. L’Esprit de la vallée n’est point né, c’est pourquoi il ne meurt pas.


(2) E : Le mot pin « femelle » veut dire que le Tao est la mère de l’univers.


(3) Sou-tseu-yeou : Cette expression veut dire que toutes les créatures sont sorties du Tao.


(4) Sou-tseu-yeou : Cette expression veut dire que le ciel et la terre sont nés du Tao.


(5) B : L’expression mien-mien 綿綿 veut dire « se continuer sans interruption. »


(6) Sou-tseu-yeou : Il existe et ne peut être aperçu. Wang-fou-sse : Direz-vous qu’il existe (matériellement) ? Mais vous n’apercevez pas son corps. Direz-vous qu’il n’existe pas ? Mais tous les êtres sont nés de lui. C’est pour cela que Lao-tseu dit : Il semble exister.


(7) Sou-tseu-yeou : Si l’homme peut imiter le Tao, quand il en ferait usage tout le jour, il ne se fatiguerait jamais.

Lia-kié-fou : Si nous en faisons usage, et si nous le conservons, nous n’éprouverons jamais aucune fatigue. B : Cette phrase signifie qu’il faut rendre son cœur vide (c’est-à-dire le dépouiller de tout désir, de toute affection sensuelle) et pratiquer le non-agir.

Thou-thao-kien : Le philosophe Lié-tseu donne aussi ce chapitre. Il ne dit point qu’il l’ait tiré de Lao-tseu et l’attribue à l’empereur Hoang-ti. On sait que Lao-tseu cite beaucoup de passages des livres appelés Fen-tien. C’est ce qu’on reconnaît toutes les fois qu’il dit : « C’est pourquoi le saint homme. » Par là il rappelle des axiomes ou des actions appartenant à des hommes saints de la haute antiquité.

C’est aussi ce qu’a fait Confucius en rapportant des actions ou des paroles dont il n’était pas l’auteur.