Tableau de la France. Géographie physique, politique et morale/Le Bourbonnais.- Le Berry.- L’Orléanais.- Le Vermandois.- La Touraine


Pour trouver le centre de la France, le noyau autour duquel tout devait s’agréger, il ne faut pas prendre le point central dans l’espace ; ce serait vers Bourges, vers le Bourbonnais, berceau de la dynastie ; il ne faut pas chercher la principale séparation des eaux, ce seraient les plateaux de Dijon ou de Langres, entre les sources de la Saône, de la Seine et de la Meuse ; pas même le point de séparation des races, ce serait sur la Loire, entre la Bretagne, l’Auvergne et la Touraine. Non, le centre s’est trouvé marqué par des circonstances plus politiques que naturelles, plus humaines que matérielles. C’est un centre excentrique, qui dérive et appuie au Nord, principal théâtre de l’activité nationale, dans le voisinage de l’Angleterre, de la Flandre et de l’Allemagne. Protégé, et non pas isolé, par les fleuves qui l’entourent, il se caractérise selon la vérité par le nom d’Île-de-France.

On dirait, à voir les grands fleuves de notre pays, les grandes lignes de terrains qui les encadrent, que la France coule avec eux à l’Océan. Au Nord, les pentes sont peu rapides, les fleuves sont dociles. Ils n’ont point empêché la libre action de la politique de grouper les provinces autour du centre qui les attirait. La Seine est en tout sens le premier de nos fleuves, le plus civilisable, le plus perfectible. Elle n’a ni la capricieuse et perfide mollesse de la Loire, ni la brusquerie de la Garonne, ni la terrible impétuosité du Rhône, qui tombe comme un taureau échappé des Alpes, perce un lac de dix-huit lieues, et vole à la mer, en mordant ses rivages. La Seine reçoit de bonne heure l’empreinte de la civilisation. Dès Troyes, elle se laisse couper, diviser à plaisir, allant chercher les manufactures et leur prêtant ses eaux. Lors même que la Champagne lui a versé la Marne, et la Picardie l’Oise, elle n’a pas besoin de fortes digues, elle se laisse serrer dans nos quais, sans s’en irriter davantage. Entre les manufactures de Troyes, et celles de Rouen, elle abreuve Paris. De Paris au Havre, ce n’est plus qu’une ville. Il faut la voir entre Pont-de-l’Arche et Rouen, la belle rivière, comme elle s’égare dans ses îles innombrables, encadrées au soleil couchant dans des flots d’or, tandis que, tout du long, les pommiers mirent leurs fruits, jaunes et rouges sous des masses blanchâtres. Je ne puis comparer à ce spectacle que celui du lac de Genève. Le lac a de plus, il est vrai, les vignes de Vaud, Meillerie et les Alpes. Mais le lac ne marche point ; c’est l’immobilité, ou du moins l’agitation sans progrès visible. La Seine marche, et porte la pensée de la France, de Paris vers la Normandie, vers l’Océan, l’Angleterre, la lointaine Amérique.

Paris a pour première ceinture, Rouen, Amiens, Orléans, Châlons, Reims, qu’il emporte dans son mouvement. À quoi se rattache une ceinture extérieure, Nantes, Bordeaux, Clermont et Toulouse, Lyon, Besançon, Metz et Strasbourg. Paris se reproduit en Lyon pour atteindre par le Rhône l’excentrique Marseille. Le tourbillon de la vie nationale a toute sa densité au Nord ; au Midi les cercles qu’il décrit se relâchent et s’élargissent.

Le vrai centre s’est marqué de bonne heure ; nous le trouvons désigné au siècle de saint Louis, dans les deux ouvrages qui ont commencé notre jurisprudence : Établissements de France et d’Orléans ; — Coutumes de France et de Vermandois[1]. C’est entre l’Orléanais et le Vermandois, entre le coude de la Loire et les sources de l’Oise, entre Orléans et Saint-Quentin, que la France a trouvé enfin son centre, son assiette, et son point de repos. Elle l’avait cherché en vain, et dans les pays druidiques de Chartres et d’Autun, et dans les chefs-lieux des clans galliques, Bourges, Clermont(Agendicum, urbs Arvernorum). Elle l’avait cherché dans les capitales de l’église Mérovingienne et Carlovingienne, Tours et Reims[2].



  1. À Orléans, la science et l’enseignement du droit romain ; en Picardie, l’originalité du droit féodal et coutumier ; deux Picards, Beaumanoir et Desfontaines, ouvrent notre jurisprudence.
  2. App., 39.