CHAPITRE DCXXXI.

École de Boulangerie.


Il y a plus de deux mille ans que l’on fait du pain, & il y a deux mille ans qu’on ne sait pas lui donner sa perfection : cela est démontré. C’est parce que tout le monde a cru le bien faire, & que tout le monde l’a fait assez mal.

La panification du froment est une opération chymique, qui doit être éclairée par les chymistes. La routine aveugle la dénature. L’expérience seule peut la conduire au degré de perfection dont elle est susceptible. Les arts de premiere nécessité sont restés dans l’enfance, précisément parce qu’ils étoient abandonnés à la multitude.

Il n’y a point de servante qui ne croie fermement qu’il est impossible de lui apprendre quelque chose sur la maniere de faire le pain. Les servantes pourroient se succéder pendant vingt siecles, & n’avoir aucune idée d’amélioration. C’est ce qui est déjà arrivé.

Le pain se fait mieux à Paris que par-tout ailleurs, parce que d’abord quelques boulangers ont su raisonner leur art. Ensuite les chymistes ont su nous instruire à analyser le bled, & suivre cet art depuis la préparation des levains jusqu’à la cuisson ; & graces à ces professeurs, le pain qu’on mange dans les hôpitaux est meilleur que celui qui est servi sur la table la plus opulente de la Suisse, où l’on ne sait pas faire le pain, parce que toutes les servantes croient le savoir faire.

On laissera les servantes gâter le bled & en diminuer le poids ; mais la Suisse qui a peu de bled, & où le pain en général est très-mal fait, devroit savoir que l’amélioration, loin d’ajouter à la dépense, donne des bénéfices considérables, parce qu’en boulangerie, l’économie marche de front avec la perfection.

L’école de boulangerie est gratuite & doit changer insensiblement la routine pour y substituer des procédés plus simples & plus heureux. Elle enseigne tout ce qui concerne cet art, jusqu’ici méconnu dans ces premiers principes. Elle expose les manipulations différentes qui doivent être employées pour toutes les especes de pains.

Voilà une science toute nouvelle qu’on ne soupçonne point ailleurs, & dont on se moque peut-être avec la bêtise de l’ignorance. Pendant ce tems, le professeur chymiste tire une farine belle & savoureuse de ce qu’on livroit précédemment à l’amidonnier, & de ce qu’on abandonnoit à la nourriture des animaux.

Mais comment recevoir des professeurs dans l’art de faire le pain ? Ne voyez-vous pas tous les mitrons, toutes les servantes, & même leurs maîtresses qui se liguent pour dire qu’il n’y a rien à ajouter à la perfection du pain tel qu’on le fait, & que c’est ainsi que le mangeoient les grands-peres.

Plusieurs villes étrangeres seront peut-être encore un siecle avant de lire l’Avis aux bonnes ménageres des villes & des campagnes. Mais on y lira de sottes gazettes.

Les femmes feront venir de Paris des chapeaux à l’angloise, des rubans & des ariettes ; mais on ne fera pas venir un boulanger instruit à l’école des chymistes. Les étrangers diront : qu’est-ce que la chymie ? Nous prend-on pour des barbares qui ne savent pas faire le pain ? Et ces étrangers, admirateurs de leurs servantes, & n’en sachant pas plus qu’elles, quoiqu’ils aient peu de bled, perdront par leur entêtement & sur la qualité & sur la quantité.

Vous qui mangez de mauvais pain, & qui accueillez avec transport un cor-de-chasse de la capitale, faites venir un disciple de l’école de boulangerie, & votre petite ville y gagnera quelque chose de plus substantiel que le son du flûteur.

On entre à l’école de boulangerie dans tous les détails des soins les plus nécessaires à la subsistance & à la conservation de l’homme. On y joint l’expérience manuelle. Ceux qui enseignent se servent du langage populaire, & les leçons qu’ils donnent sont à la portée des mitrons. Voilà comme on s’éleve en paroissant s’abaisser.

Le pain qu’on mange à Paris est devenu excellent. On a réprimé tout-à-la-fois les fraudes & les inattentions des boulangers. Il est à desirer que dans le reste du royaume on ne néglige rien de ce qui peut ajouter à l’art de la boulangerie, & cet art doit être surveillé ; car le pain est en France le principal aliment du pauvre dans les grandes villes, & il compose à la campagne presque sa seule nourriture. Or qui dit le pauvre, dit la moitié de la nation.

Quand je songe aux huit ou neuf cents mille ames qui peuplent la capitale, & que je tiens des pommes de terre, je ne puis plus les quitter. Les économistes ne les aiment pas ; elles dérangent un peu leur systême. Les pommes de terre, réunissant toutes les propriétés alimentaires, sont susceptibles d’une infinité de préparations & peuvent remplacer les gruaux, la semoule, le salep, le sagou. Quelles ressources ouvertes pour la misere !

Ces végétaux, à ce qu’il paroît, sont tous doués des propriétés nutritives qu’on n’attribuoit ci-devant qu’au froment. Il n’existe point de végétal ni même de partie végétale qui ne recele une substance propre à la nourriture de l’homme, quand l’art aura su l’extraire ; & cet art est bien moins compliqué que celui de faire du pain.

Quelle reconnoissance ne devons-nous pas aux chymistes, tels que MM. Parmentier, Cadet de Vaux, qui, par ces découvertes simples & utiles, auront tué le monstre de la famine, cet enfant de notre ignorance qui domine les empires ! Ils auront justifié la Providence, en montrant aux rois & aux peuples que la stérilité n’est qu’apparente, & que tout ce qui végete offre à la faim une substance nourrissante, que la disette est un mot qui s’effacera des langues modernes, quand on aura appris à extraire des plantes qui nous environnent les propriétés panaires, & plusieurs en sont pourvues plus ou moins.

C’est donc l’ignorance de l’homme qui lui a fait adopter de préférence le froment, & avec une sorte d’opiniâtreté. Le regne alimentaire est par-tout, ainsi que l’eau qui nous sert de boisson.

Probablement le vin est par-tout aussi. Ces substances précieuses qu’on n’attribuoit qu’au bled & à la vigne, répandues avec profusion sur le sein de la nature, n’attendent que la main de l’art pour se développer, nourrir & protéger l’humanité entiere contre la fureur des élémens & le monopole non moins redoutable.

Plus de ces années désastreuses où l’on a vu l’homme, couché sur le ventre, brouter l’herbe à l’exemple des animaux. Plus éclairé, & connoissant mieux toutes les plantes dont on peut tirer de la farine, il ne craindra plus les révolutions physiques ni politiques. Partout où le Créateur a fait lever un végétal, là se trouve de quoi l’adorer & le remercier de ses bienfaits.

Honneur au nouveau Triptolême, qui le premier a développé ces importantes connoissances ! Si les Indiens mangent la cassave, le tapioca, après une certaine préparation ; si d’autres usent du manioc & de l’yuca, plus de plantes pernicieuses. Ce systême qui admet une Providence éternelle & bienfaisante n’avoit pas besoin de ce nouvel appui pour la reconnoître & la bénir. Mais observons que c’est après la composition de l’Iliade &