CHAPITRE DXLVI.

Athenes rétablie.


Qu’entends-je ! Quoi ! Athenes renaîtroit sous la main vivifiante d’un digne empereur, sous celle d’une impératrice à jamais célebre, & dont toutes les idées sont marquées au coin de la vraie grandeur ? Quoi ! un projet neuf, vaste & sublime, rendroit aux orateurs, aux historiens, aux philosophes, aux poëtes leur antique patrie ? L’univers reverroit Platon & Alcibiade, Anacréon & Périclès ? La liberté dirigeant son vol vers ces belles contrées, où tous les arts ont germé comme sur leur sol natal, nous permettroit de rire tout à notre aise des Philippe de Macédoine, & d’écouter encore Démosthenes ?

Vîte, mes amis, embarquons-nous ; allons sous le ciel fortuné où l’esprit est vif & fin, ingénieux & profond. Nos Archontes venus du nord, ont encore la glace aux talons ; ils ne savent pas répondre à nos bons mots ; ils font la guerre à nos brochures. Retournons, nous favoris des muses, retournons aux lieux d’où nous sommes sortis.

Je me sens un peu Athénien, mes amis. Tout pays où l’on ne cause pas en liberté, est un triste pays, & bientôt tout le reste s’en ressent.

Ressaisissons la gloire des talens ; rouvrons le séminaire de l’éloquence, de la philosophie, du goût & de la politesse ; montrons à l’univers le peuple qu’il regrette encore. Nous serons mieux là que dans la ville barbare, où la hache de la sottise coupe les racines de l’arbre des beaux arts ; où l’on veut lier notre langue, fermer notre bouche ; où l’on métamorphose quelquefois en vil carton nos productions les plus ingénieuses !

Adieu, grossier pays, où le génie est obsédé de mouchards. Je vais respirer l’air pur du Prytannée.

Oh, si les bouquetieres d’Athenes avoient avec les fleurs qu’elles vendoient, une ressemblance que les nôtres n’ont pas ; si les courtisannes avoient autant d’esprit que nos filles entretenues sont bornées : si les vendeuses d’herbes étoient douées d’un tact particulier, qui leur faisoit sentir toutes les nuances d’un dialecte : oh, quel plaisir, mes amis, de pouvoir être libres dans nos propos, de souper avec une Aspasie & de rire de nos pesans persécuteurs, qui prennent tout au sérieux, qui ne savent pas plaisanter avec les gens d’esprit, qui vous envoient des exempts à la mine de Sycophante, au lieu de vous décocher finement un trait spirituel qui vous ridiculise, ce qui leur épargneroit des gages de geoliers !

Allons, mes amis, nous avons eu tort de prodiguer nos talens pour ces Visigoths des bords de la Seine, de chausser le soc & le cothurne pour l’amusement de ces ames froides & ingrates. Enfans des Grecs, reportons dans notre aimable patrie le dépôt égaré des sciences & des arts. Fuyons, dérobons-nous à d’impertinentes entraves ; allons parler la langue d’Homere, de Platon & d’Euripide, & laissons les prohibiteurs avec les livres qu’ils approuvent.

Chantera désormais qui voudra sous le privilege scellé de cire jaune. Je vais trouver la place où le gentil Anacréon faisoit résonner son luth, où Socrate ironisoit ; & les Parisiens ne seront plus pour moi que ce qu’étoient pour les Athéniens les peuples qui végétoient au-delà des colonnes d’Hercule.

Grands empereurs, qui voulez tirer les anciennes républiques de la Grece de leur anéantissement, & reproduire le peuple qui honora jadis l’univers, sauvez les arts & nous du régime moderne des barbares !