CHAPITRE CCCXX.

De la Langue du Monde.


La langue du monde est la langue des complimens ; mais on y oublie celle qui exprime quelque sentiment. Les mots y sont bien, on les prodigue même ; mais ils n’ont point de sens. On parle enfin comme on s’habille, avec un certain luxe agréable, mais vuide & superflu.

Les indifférens s’épuisent tellement en protestations, en assurances de services, que l’ami se trouve réduit à ne dire qu’un mot, pour n’être pas confondu avec eux.

Le monde polit plus qu’il n’instruit. Il ne faut point être dans son tourbillon, pour bien le connoître & sur-tout pour l’apprécier. Voulez-vous être spectateur ? Placez-vous à une certaine distance. C’est ainsi que, pour bien voir la marche d’un régiment, il ne faut point porter le fusil, mais être sur la ligne où il défile.

Dans le monde il n’y a que deux classes d’hommes. Les uns songent à leurs affaires, & les autres à leurs plaisirs : les uns se tuent à travailler, les autres à jouir.

Les gens du monde, quand ils voient qu’ils ne peuvent avoir de l’esprit, témoignent hautement que c’est par leur propre choix qu’ils n’en ont point.