CHAPITRE CCCXIX.

Enfans devant leur pere.


Rien n’étonne plus un étranger que la maniere leste & peu respectueuse avec laquelle un fils parle ici à son pere. Il le plaisante, le raille, se permet des propos indécens sur l’âge de l’auteur de ses jours ; & le pere a la molle complaisance d’en rire le premier : la grand’-mere applaudit aux prétendues gentillesses de son petit-fils.

On ne sauroit distinguer le pere de famille dans son propre logis : on le cherche ; il est dans un coin, causant avec le plus humble & le plus modeste de la société. S’il ouvre la bouche, son gendre le contredit, ses enfans lui disent qu’il radote ; & le bon homme, qui auroit envie quelquefois de se fâcher, ne l’ose pas devant sa femme. Elle semble approuver les impertinences de ses enfans.

Un pere appelle son fils monsieur, ne le tutoie point, & le petit bourgeois a l’imbécillité d’imiter en ce point le grand seigneur.

Ce singulier & déplorable abus vient de la coutume de Paris. Elle a ôté aux hommes ce que le droit romain leur attribuoit : les femmes, en vertu de la loi, deviennent presque maîtresses. La source de tout le mal, si l’on y prend garde, est donc dans nos loix civiles, & dans notre coutume qui accorde trop aux femmes.

Qu’un homme se marie, qu’il perde son épouse, le voilà ruiné : les enfans viendront demander le bien de leur mere, poursuivront leur pere en justice, le réduiront à la mendicité. Les loix consacreront les indignes poursuites des enfans, & personne ne trouvera extraordinaire ce mépris de l’autorité paternelle. Comment a-t-on pu annuller à ce point le pouvoir du chef de la famille ?

Souvent donc la vie d’un bourgeois se passe à être tyrannisé par sa femme, dédaigné par ses filles, bafoué par son fils, désobéi par ses domestiques, nul dans sa maison : il est un modele de patience stoïque, ou d’insensibilité.