CHAPITRE CI.

Méchans.


Tandis que l’on fronde, que l’on déchire les talens, que l’on rabaisse les vertus, qu’on affiche l’incrédulité, sur le noble motif des actions généreuses, on use d’une complaisance accueillante envers le vice. On a fait un dialogue en vers, lu à l’académie françoise, sur le traitement que l’on doit dans la société aux gens vicieux. On y examine de quel air on doit aborder un méchant, un fourbe, un fripon. On penche pour des maximes tolérantes & moins séveres que celles qui régnoient chez nos aïeux, qui ne recevoient point avec amitié des gens qu’ils méprisoient. On s’éleve dans ce dialogue contre le moraliste austere qui exigeroit que chaque homme sentît ce zele utile & profond qui proscrit le méchant.

Loin de traiter rigoureusement l’homme diffamé, le poëte a fait ce vers qui est devenu proverbe :

Et je soupe à merveille à côté d’un fripon.

Il me paroît qu’il vaudroit mieux souper chez soi moins délicatement, & souper avec de bonnes gens & d’honnêtes gens. Le voisinage d’un fripon doit nuire, si je ne me trompe, autant à l’appétit qu’à la cordialité. L’auteur du dialogue, on le sent bien, a voulu satisfaire à la fois la morale & la prudence : mais que restera-t-il donc à l’honnête homme, si l’on fait à peu près le même accueil au fripon ?

Au reste, je ne condamne point le poëte, il n’a été dans sa piece de vers que le fidele interprete de ce qu’on appelle la bonne compagnie.