CHAPITRE C.

Condamnation.


Les bons livres dont je parle, sont proscrits. Connoît-on cette fable, emblême des jugemens de la race mortelle ? Une pluie fatale tomba du ciel, & rendit fous tous ceux qui furent mouillés, même assez légérement : c’étoit un jour de fête, & un jour de printems ; tout le monde étoit à la promenade ; un seul homme convalescent, & qui gardoit la chambre, grace au toit qui le couvroit, conserva la raison. Quand il vit rentrer ses chers concitoyens, il alla au-devant d’eux, & fut témoin de toutes les extravagances possibles, variées selon le caractere de chaque individu ; l’un faisoit le roi, l’autre le général d’armée, celui-ci le pontife, parce qu’il avoit été le plus mouillé. L’homme sain & sauf voulut les guérir de leur folie, en leur représentant qu’ils n’étoient pas tout-à-fait dans leur bon sens. — C’est toi, maraud, s’écrierent-ils d’une commune voix, c’est toi qui déraisonnes. Ta fievre quarte, dont tu n’es pas guéri, en est la cause. — Eh, mes amis ! je vous réponds que vous avez besoin d’ellébore. — Nous, nous ! dirent-ils tous en chorus : vois tous les corps qui te condamnent, & résiste à ce poids d’autorités ; allons, rétracte-toi, amende honorable, à genoux, & confesse que c’est toi qui es fou, téméraire, extravagant, maniaque ; que nous sommes sages à la tête des conseils, à la tête des armées, à la tête des tribunaux, & que nous devons te châtier pour ton bien, trop indulgens de ne point t’infliger une peine plus sévere… Que put faire alors celui dont le ciel avoit épargné l’intelligence ? Ce fut d’avouer au milieu du consistoire, qu’ils avoient raison puisqu’ils faisoient des arrêts, & de voir brûler son livre, en remerciant Dieu de n’être pas brûlé lui-même.