CHAPITRE LXXXIX.

Ameublemens.


Quand une maison est bâtie, rien n’est fait encore ; on n’est pas au quart de la dépense ; arrivent le menuisier, le tapissier, le peintre, le doreur, le sculpteur, l’ébéniste, &c. Il faut ensuite des glaces & poser des bonnettes par-tout ; le dedans occupe trois fois plus de tems que la construction de l’hôtel ; les anti-chambres, les escaliers dérobés, les dégagemens, les commodités, tout cela est à l’infini.

On a donné aux ameublemens une magnificence surabondante & déplacée. Un lit superbe qui a l’air d’un trône, une salle à manger ciselée, des chenets travaillés comme un bijou, une toilette d’or & de dentelles, sont assurément d’une ostentation puérile. Je sais qu’un palais où l’on ne voit que glaces, or & azur, m’attriste puissamment.

On place ensuite en sentinelle le Suisse, qui repousse ceux qui ne sont ni veloutés, ni dorés. Il est encore mis là pour écarter les hommes dont le mérite fait tout le patrimoine.

La magnificence de la nation est toute dans l’intérieur des maisons. Le Louvre n’est pas achevé & ne le sera jamais. On a bâti six cents hôtels, dont le dedans semble l’ouvrage des Fées ; car l’imagination ne va guere au-delà d’un luxe aussi recherché. Mais en même tems, gardez-vous bien de chercher ailleurs rien de grand : rien pour le public, rien pour ses plaisirs, ou même pour ses besoins. Ne cherchez pas des bains, un hôpital vaste & ordonné, des réservoirs, des galeries, des promenades couvertes, des salles de spectacles dignes des pieces qu’on y représente : n’y cherchez pas de ces commodités qui entretiennent la santé & la joie, ou qui les font naître. Un luxe particulier & clandestin fait toute la jouissance des riches, mais non leur félicité.

Tel homme à son aise, qui n’a ni enfans ni neveux, a la folie de courir tous les jours dans ces hôtels, chez des seigneurs qui le regardent à peine. Il passe sa vie à frapper aux portes, à jouer le complaisant, & cela pour dîner une fois la semaine dans le palais de l’orgueil, entre l’étiquette & l’ennui. Il est bon d’entrer dans ces hôtels pour en voir l’ameublement ; mais si l’on veut en courtiser le maître, on se dévoue à une vie triste, uniforme & désagréable.