Tableau de Paris/090
CHAPITRE XC.
Abbés.
Paris est rempli d’abbés, clercs tonsurés, qui ne servent ni l’église ni l’état, qui vivent dans l’oisiveté la plus suivie, & qui ne font que des inutilités & des fadaises.
Robinson Crusoé dit qu’on gâte souvent un excellent corps de crocheteur, en masquant d’un habit ecclésiastique ses membres souples & nerveux. Mais c’est un sauvage qui parle.
Dans plusieurs maisons on trouve un abbé à qui l’on donne le nom d’ami, & qui n’est qu’un honnête valet qui commande la livrée. Il est se complaisant soumis de madame, assiste à sa toilette, surveille la maison, & dirige au dehors les affaires de monsieur. Ces personnages à rabat se rendent plus ou moins utiles, caressent leur protecteur pendant plusieurs années, afin d’être mis sur la feuille.
Ils y parviennent, & en attendant ils jouissent d’une bonne table & des petits avantages qui se rencontrent toujours dans une maison opulente.
La femme-de-chambre leur dit tout ce qui se passe, ils sont instruits des secrets du maître, de la maîtresse & des valets.
Ensuite viennent les précepteurs, qui sont aussi des abbés. Dans les maisons de quelqu’importance, on ne les distingue guere des domestiques. Pendant le cours de l’éducation on les ménage un peu : dès qu’elle est finie, on leur donne une pension modique, ou on leur fait avoir un bénéfice ; puis on les congédie. Le peu d’estime qu’on leur accorde, est cause qu’ils négligent leurs éleves ; mais comment s’est-on imaginé qu’un mercenaire, pour douze cents francs par an, vous formera un homme ? On lui a imposé la tâche la plus difficile & la plus incertaine. D’ailleurs, nemo dat quod non habet. Il n’y a qu’un homme supérieur, qui puisse réellement donner des sentimens à un autre être, & réformer son ingrate ou perverse nature.
On voit sous le nom d’abbés beaucoup de petits housards, sans rabat ni calotte, avec un petit habit à la prussienne, des boutons d’or, & chapeau sous le bras, étaler une frisure impertinente & des airs efféminés. Piliers de spectacles & de cafés, ou mauvais compilateurs de futiles brochures, ou faiseurs d’extraits satiriques, on se demande comment ils appartiennent à l’église ; car on ne devroit appeller ecclésiastiques que ceux qui servent les autels. Ils n’en usurpent pas moins ce nom, parce que de tems en tems ils en portent l’habit.
Au grand scandale de la religion, tout cela se souffre : & pourquoi ? Je n’en sais rien. Prend l’habit ecclésiastique qui veut, & même sans tonsure.
On ne leur permettoit pas, il y a vingt-cinq ans, d’aller voir des Laïs. La courtisanne qui les dénonçoit au commissaire avoit cinquante francs qui lui étoient payés par *****. Cette odieuse inquisition, qui réunissoit le double vice de la perfidie & du scandale, a cessé.