CHAPITRE LXXXIII.

La Sorbonne.


Elle rit elle-même de sa théologie, & connoît très-bien le vuide & le ridicule de ses theses & de ses censures. Elle hasarde de dire que Moïse étoit meilleur naturaliste que Buffon ; mais elle n’en croit rien.

La théologie a tout gâté dans le monde ; elle a redoublé les terreurs de l’homme, au lieu de les calmer ; elle l’a rendu superstitieux, au lieu de le rendre raisonnable. La Sorbonne a dû briller dans les siecles de ténebres, parce qu’elle avoit alors des connoissances fort au-dessus du commun des hommes.

Mais dans les siecles de lumiere elle a voulu répondre à tout, & de là sont nés les sophismes les plus extravagans. Elle a défiguré toutes les sciences, en voulant asservir à ses décisions la morale, l’histoire, la physique ; elle a voulu tout arranger, comme la législatrice de toutes les idées ; & ses travaux bizarres ont enfanté les contradictions les plus étonnantes.

Ce seroit un livre curieux, que le rapprochement de tout ce qu’elle a dit & imprimé depuis trois siecles ; jamais le déraisonnement chez les peuples les plus ignorans & les plus superstitieux n’a déployé le tableau d’une plus grande & d’une plus insigne folie : c’est qu’elle a voulu perpétuellement subtiliser, & qu’elle a voulu même en savoir plus que les autres docteurs chrétiens. Ainsi l’on a vu l’extravagance combattre l’extravagance ; qu’on juge du résultat d’une pareille lutte.

Elle auroit entiérement dénaturé dans l’homme la faculté de penser, si quelques sages ne fussent venus rectifier ces viles erreurs, & se moquer de sa théologie, autant que les membres de la Sorbonne s’en moquent intérieurement eux-mêmes. Mais comme ce sont des places lucratives, les argumens de toutes couleurs, les theses & les censures iront leur train. Si tant de gens se font tuer pour quelque argent, faut-il s’étonner que d’autres déraisonnent sciemment à un plus haut prix ?

Tout ce qu’il y a de remarquable aujourd’hui en Sorbonne, c’est le mausolée du cardinal de Richelieu, qui forma la Sorbonne & l’Académie françoise ; deux corps qui pensent aujourd’hui à peu près de même, & qui se combattent ; le tout pour fixer les regards, & pour exister.

Les docteurs musulmans sont plus raisonnables que les nôtres. Ils prétendent que Mahomet a déclaré que de douze mille paroles contenues dans l’Alcoran, il n’y en a que quatre mille de véritables. Quand ils rencontrent quelques passages extravagans, quelques folies palpables, au lieu de s’entêter à justifier ces inepties, ils les rangent au nombre des huit mille mots qui renferment des faussetés. Par ce moyen, ils se sauvent de toute dispute, qui tourneroit à leur confusion ; & révoquant les contradictions & les incompatibilités, ils conservent l’honneur de la raison humaine.

Si la Sorbonne avoit su en agir ainsi, elle n’auroit pas enfanté dans son délire les theses anciennes qui l’ont rendu odieuse, & les theses modernes qui l’ont rendu ridicule ; mais elle consent à passer pour absurde, pourvu qu’on ne discontinue pas de la payer.