CHAPITRE LXXV.

Trésor Royal.


Comme tout est aujourd’hui dans la main du roi, c’est là que vient tout l’argent du royaume ; & d’après la multiplicité des impositions, tout écu de six livres doit s’y rendre par une pente invincible dans le court espace de cinq ou six ans. La loi de l’attraction n’a pas une force plus active, ni plus vigoureuse : c’est un fleuve qui baigne incessamment le pied du trône, & où l’on puise de maniere à le dessécher quelquefois subitement : là, aboutit le denier de la veuve, l’obole cachée des journaliers ; & que de larmes répandues pour former ce fleuve immense, ce fleuve d’or !

Une multitude de trésoriers, comme de vastes seaux qui descendent alternativement dans un puits, tirent les sommes qu’il faut pour la guerre, pour la marine, pour l’artillerie, pour les fortifications, pour les rentes de la maison-de-ville, pour toutes les dépenses enfin que le roi fait dans le royaume, par raison ou par caprice.

La facilité prompte avec laquelle on enleve les grosses sommes qui y sont déposées, fait contraste avec l’effort perpétuel & pénible d’une armée de cent cinquante mille commis qui, l’épée dans une main, la plume dans l’autre, exigent avec violence les parcelles qui doivent composer ce prodigieux amas d’especes, lesquelles se fondent ou s’envolent, dès qu’elles ont touché le bassin du réservoir.

Il est presque toujours à sec, malgré la pompe aspirante & foulante, dont le jeu terrible ne sauroit être interrompu, mais qui fatigue à l’excès le corps politique, jusqu’à ce qu’il tombe de lassitude & d’épuisement.

À cette époque, la France est en nage ; la sueur lui découle du front : supportera-t-elle encore long-tems ce violent exercice ? A-t-on bien calculé le degré de ses forces réelles ? Le jeu qui les met en action ne se ralentit pas, je le sais ; mais, pour me servir d’une expression populaire, (car je les aime beaucoup) ira-t-elle toujours aussi vîte que le violon ?