CHAPITRE LXXIV.

La Douane.


La douane, sous les ordres de Nicolas Salzard, est un pays peuplé de commis lourds, de porte-faix au visage rouge, au corps enviné, courant sur des ballots confusément épars ; là, un pauvre étranger se perd, ne sait à qui s’adresser : il implore en vain tous ceux qui passent, on ne l’écoute pas ; il est réduit à n’avoir ni bas, ni chemises, pendant huit jours ; il faut qu’il déterre sa valise ou sa malle, ensevelie sous trois à quatre mille caisses qui portent les unes sur les autres. On diroit que le feu a pris dans la ville, & qu’on a entassé pêle-mêle tout ce qu’on a pu sauver : à peine pourra-t-il la reconnoître ; elle aura changé de physionomie ; elle sera déchirée & entr’ouverte, couverte de boue & sans adresse : il reste debout du matin jusqu’au soit, avant de la revoir & de la posséder ; & il risque encore de la perdre sur les épaules du porte-faix agile & robuste, qui, dans le labyrinthe des rues, court & oblige l’étranger à le suivre, au lieu de marcher sur ses traces.

Il faut donner dix fois sa signature, & payer dans six bureaux avant de tenir son juste-au-corps & son bonnet de nuit. Votre garde-robe est soumise à l’inspection la plus sévere ; & le commis de Nicolas Salzard saura combien vous avez de culottes.

C’est la mort du commerce que cette redoutable douane ; on diroit que tous les effets de l’univers lui appartiennent, & qu’elle vous fait grace en vous rendant vos coffres & vos balles.

C’est un grand plaisir que de voyager en France ! Votre valise est ouverte à la frontiere de chaque province ; on la retourne sens-dessus-dessous, dès que vous avez fait trente lieues, & le tout pour satisfaire l’infatigable curiosité de Nicolas Salzard.