CHAPITRE LXV.

Réverberes.


Il n’y a plus de lanternes depuis seize ans. Des réverberes ont pris leur place. Autrefois, huit mille lanternes avec des chandelles mal posées, que le vent éteignoit ou faisoit couler, éclairoient mal, & ne donnoient qu’une lumiere pâle, vacillante, incertaine, entrecoupée d’ombres mobiles & dangereuses. Aujourd’hui l’on a trouvé le moyen de procurer une plus grande clarté à la ville, & de joindre à cet avantage la facilité du service. Les feux combinés de douze cents réverberes jettent une lumiere égale, vive & durable.

Pourquoi la parcimonie préside-t-elle encore à cet établissement nouveau ? L’interruption des réverberes a lieu les jours de lune ; mais avant qu’elle soit levée sur l’horizon, la nuit la plus obscure regne dans les rues ; & quand elle brille au firmament, la hauteur des maisons intercepte encore les rayons de cet astre, dont le flambeau devient inutile. Quand il se couche, les mêmes inconvéniens se font sentir, & Paris alors est totalement plongé dans les plus dangereuses ténebres.

L’huile des réverberes est une huile de tripes, qui se fabrique, lors de la cuisson, dans l’isle des Cignes.

On fait payer tous les vingt ans, aux propriétaires des maisons, une somme assez considérable pour le rachat des boues & lanternes. La taxe surpasse de beaucoup les frais qu’il en coûte pendant ces vingt années ; ce qui est une vexation de plus, que supporte le bon Parisien.

Les boues de Paris, chargées de particules de fer que le roulis éternel de tant de voitures détache incessamment, sont nécessairement noires ; mais l’eau qui découle des cuisines, les rend puantes. Elles sont d’une odeur insupportable aux étrangers, par la quantité de soufre & de sel nitreux, dont elles sont imprégnées ; les taches qu’elles font, brûlent l’étoffe.

Des tombereaux enlevent les boues & les immondices ; on les verse dans les campagnes voisines : malheur à qui se trouve voisin de ces dépôts infects. L’enlevement des boues est à l’entreprise & au rabais.

Quand il a neigé, & qu’il faut enlever toutes ces neiges, ainsi que les glaçons des ruisseaux, & que toutes les ordures ont pris la consistance de la pierre, ce n’est pas alors un petit ouvrage, que le charroi de ces matieres endurcies, qu’il faut préalablement détacher des bornes. Les rues deviendroient impraticables au bout de trois jours, & l’on seroit enfermé chez soi, sans la police qui redouble de vigilance & de travail. Il y a des parties si bien traitées, qu’on ne sait pourquoi d’autres sont absolument négligées.