CHAPITRE LXVI.

Enseignes.


Les enseignes sont maintenant appliquées contre le mur des maisons & des boutiques ; au lieu qu’autrefois elles pendoient à de longues potences de fer ; de sorte que l’enseigne & la potence, dans les grands vents, menaçoient d’écraser les passans dans les rues.

Quand le vent souffloit, toutes ces enseignes, devenues gémissantes, se heurtoient & se choquoient entr’elles ; ce qui composoit un carillon plaintif & discordant, vraiment incroyable pour qui ne l’a pas entendu. De plus, elles jetoient la nuit des ombres larges, qui rendoient nulle la foible clarté des lanternes.

Ces enseignes avoient pour la plupart un volume colossal & en relief. Elles donnoient l’image d’un peuple gigantesque, aux yeux du peuple le plus rabougri de l’Europe. On voyoit une garde d’épée de six pieds de haut, une botte grosse comme un muid, un éperon large comme une roue de carrosse ; un gant qui auroit logé un enfant de trois ans dans chaque doigt, des têtes monstrueuses, des bras armés de fleurets qui occupoient toute la largeur de la rue.

La ville, qui n’est plus hérissée de ces appendices grossieres, offre, pour ainsi dire, un visage poli, net & rasé. On doit cette sage ordonnance à M. Antoine-Raimond-Jean-Gualbert-Gabriel de Sartine, qui, de lieutenant de police, est devenu ministre de la marine.