CHAPITRE LIV.

Nos Grand’-Meres.


Nos grand’-meres n’étoient pas si bien vêtues que nos femmes ; mais elles appercevoient d’un coup-d’œil tout ce qui pouvoit intéresser le bien-être de la famille : elles n’étoient pas aussi répandues ; on ne les voyoit pas incessamment hors de leurs maisons : contentes d’une royauté domestique, elles regardoient comme très-importantes toutes les parties de cette administration. Telle étoit la source de leurs plaisirs, & le fondement de leur gloire : elles entretenoient le bon ordre & l’harmonie dans leur empire, fixoient le bonheur dans leurs foyers, tandis que leurs filles abusées vont le chercher vainement dans le tumulte du monde. Les détails de la table, du logement, de l’entretien, exerçoient leurs facultés ; l’économie soutenoit les maisons les plus opulentes, qui s’écroulent aujourd’hui. La femme paroissoit s’acquitter d’une tâche égale aux travaux du mari, en embrassant cette infinité de soins qui regardent l’intérieur. Leurs filles, formées de bonne heure, concouroient à faire régner dans les maisons les charmes doux & paisibles de la vie privée ; & l’homme à marier ne craignoit plus de choisir celle qui, née pour imiter sa mere, devoit perpétuer la race des femmes soigneuses & attentives.

Que nous sommes loin de ces devoirs si simples, si attachans ! Une conduite réglée & uniforme feroit le tourment de nos femmes ; il leur faut une dissipation perpétuelle, des liaisons à l’infini, tous les dehors de la représentation & de la vanité. Elles ne sont jamais bien dans toutes ces courses, parce qu’elles veulent être absolument où la nature ne veut pas qu’elles soient ; & tant qu’elles auront perdu le gouvernement de la famille, elles ne jouiront jamais d’un autre empire. Autre observation : les domestiques faisoient alors partie de la famille ; on les traitait moins poliment, mais avec plus d’affection ; ils le voyoient & devenoient sensibles & reconnoissans. Les maîtres étaient mieux servis, & pouvoient compter sur une fidélité bien rare aujourd’hui. On les empêchoit à la fois d’être infortunés & vicieux ; & pour l’obéissance, on leur accordoit en échange bienveillance & protection. Aujourd’hui, les domestiques passent de maison en maison, indifférens à quels maîtres ils appartiennent, rencontrant celui qu’ils ont quitté sans la moindre émotion. Ils ne se rassemblent que pour révéler les secrets qu’ils ont pu découvrir : ils sont espions ; & comme on les paie bien, qu’on les habille bien, qu’on les nourrit bien, mais qu’on les méprise, ils le sentent, & sont devenus nos plus grands ennemis. Autrefois leur vie étoit laborieuse, dure & frugale ; mais on les comptoit pour quelque chose, & le domestique mouroit de vieillesse à côté de son maître.