CHAPITRE XXXVII.

Antiquités.


Dans Rome on ne sauroit faire un pas sans fouler un monument antique & qui vous commande l’attention & le respect, sans voir autour de soi de ces objets qui vous rappellent les conquérans des arts de la Grece, & les dominateurs du monde. Il n’en est pas de même à Paris : cette ville n’a pas été fondue dans un moule républicain, ni formée sous la main du génie des Grecs : rien n’y retrace ce génie éloquent, attentif à parler aux yeux des citoyens, à élever leurs ames. Le luxe des arts n’est point dans les monumens publics, il se cache & se rappetisse dans les maisons des particuliers. Pour ceux qui connoissent l’histoire, il y a loin de la Seine & du Louvre au Tibre & au Capitole.

Les antiquités de Paris ont toutes une physionomie gothique, pauvre & mesquine ; notre grossiere origine est empreinte dans les monumens qui nous en restent : vous voyez le tombeau de Clovis dans l’abbaye de Sainte-Genevieve, dont il fut le fondateur ; mais il est aisé de voir que le monument est moderne, & il n’en a pas plus de dignité : cela ne ressemble guere au temple de Romulus.

Les Normands ayant pillé, brûlé & saccagé à plusieurs reprises l’église & l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, il n’y reste plus que des sépulcres vuides & des inscriptions incertaines. Ce qui s’offre de la sculpture ancienne donne l’idée de la barbarie la plus révoltante : la religion chrétienne ne fut jamais riante, même dans son berceau ; on le voit trop dans ces débris des siecles passés, siecles malheureux & bizarres, marqués par tout ce que l’erreur & l’ignorance ont de honteux & de funeste.

Qui sera curieux de visiter les tombeaux de Childebert & d’Altrogotte, de Chilperic & de Frédégonde sa femme, pourra les voir. Les inscriptions de Chilperic prient les vivans de ne point enlever ses ossemens du lieu où ils reposent ; priere qui semble avoir été adressée à ces brigands du nord, qui venoient fondre sur le royaume & sur l’abbaye. Precor ego Ilpericus non auferantur hinc ossa mea.

D’anciens noms sans splendeur, de tristes sarcophages nus, des images d’un sombre sans intérêt, un ciseau dur & grossier, voilà les antiquités qui remplissent les églises : le génie de l’homme y semble terrassé sous l’empire de la terreur, & sa main tremblante n’a plus su que tracer des images lugubres & monotones. Contemplez les ruines d’Herculanum & de Portici ; elles ne portent pas l’empreinte d’une imagination aussi noire.

Ce qu’il y a de plus curieux à Paris, ce sont les restes du palais où les Romains avoient des bains avant l’arrivée des Francs ; il est enclavé dans une maison de la rue de la Harpe, qui a pour enseigne la Croix de fer. Ces restes ont tous les caracteres d’une haute antiquité. Il paroît que ce palais avoit une certaine étendue ; nos rois de la premiere race y logerent ; les filles de Charlemagne y furent reléguées après sa mort, lorsque Louis le Débonnaire, ami du plein-chant & ennemi de la galanterie, eut fait tuer leurs amans. Il croyoit sans doute, rapporte le P. Daniel avec la plus grande naïveté, que l’exemple intimideroit, & qu’elles n’en trouveroient plus ; il paroît qu’il se trompa, elles n’en manquerent jamais.

Anciennes républiques ! vos débris affectent ce que vous fûtes ; les monumens les plus superbes des monarchies ne valent pas vos restes échappés à la fureur des tems & des barbares. Dieu ! que nous sommes petits devant les majestueux travaux d’une constitution libre !

Les antiquaires regrettent beaucoup une statue de la déesse Isis, qu’on avoit laissé subsister à la principale porte de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, à raison de son antiquité. En 1514, une bonne femme ayant pris cette figure pour celle de la Vierge Marie, & étant venue y brûler une toufée de chandelles, l’abbé de Saint-Germain, dans un pieux courroux, la fit mettre en pieces, afin de prévenir l’idolâtrie, & l’on mit à sa place une grande croix qui y est encore.