CHAPITRE XXXVIII.

Mon Grand-Pere.


Je songe à mes ancêtres qui avoient des idées bien différentes des miennes, des préjugés & des usages encore plus opposés. Quand je sors d’une séance de l’académie françoise, le jour de la Saint-Louis, je me dis, il y a deux cents ans que Paris regorgeoit de sang ; que dans la rue Betizy on perçoit de coups l’amiral Coligny, après qu’il eut reçu la veille les protestations d’amitié & les embrassemens de Charles IX. Il fut foulé aux pieds, ce Coligny, l’homme le plus propre à figurer dans une guerre civile, & qui eût donné à la ligue un poids, une majesté & des succès qu’elle n’eut point. Voilà le Louvre, d’où ce même Charles IX tiroit avec une carabine sur ses propres sujets. Les massacreurs de la nuit de la Saint-Barthélemi étoient de terribles catholiques : il vaut mieux aller ce jour-là entendre dans ce même Louvre les plaisanteries saillantes du géometre d’Alembert, qui ont du sel & de la finesse ; & si elles chagrinent un peu le clergé, il ne s’en venge qu’en disant à la cour du mal des philosophes. Passe pour cela : les philosophes s’en moquent ; ils ont l’art de tout dire adroitement pour qui sait bien entendre, & l’on entend aujourd’hui à demi-mot, on dit tout ce que l’on veut dire ; & le premier qui se fâche a toujours tort. Ô mon grand pere ! nous avons des idées toutes nouvelles : elles étoient si loin de vous, que malgré votre esprit vous n’avez jamais pu les soupçonner. Puissent nos neveux en dire autant ! La perfectibilité n’appartient qu’à la race humaine. Nous sommes moins ineptes & moins barbares que du tems de Charles IX : mais voilà beaucoup de gagné en si peu de tems !