CHAPITRE XXXVI.

L’Orthographe publique.


Elle est extrêmement vicieuse sur les enseignes, les écriteaux & dans les autres inscriptions des boutiques ; là l’ignorance est gravée en lettres d’or.

Peut-être seroit-il à propos de suivre l’idée d’un personnage de Moliere, & de créer sérieusement un censeur qui rectifiât ces fautes grossieres.

Le peuple s’accoutumeroit à respecter l’orthographe, & la langue n’y perdroit pas. Il est important que cette langue qui est devenue celle de l’Europe, ne souffre aucune altération, sur-tout dans ses principaux signes ; car à la longue le peuple qui fait loi quant à l’idiôme, peut corrompre une langue & lui substituer un jargon misérable.

Les premieres erreurs consistent dans l’orthographe : d’ailleurs l’étranger, certain de trouver par-tout des inscriptions exactes, prendroit une leçon en se promenant dans la ville ; & cette distinction flatteuse pourroit facilement appartenir à la capitale d’un peuple dont toutes les nations étudient la langue.

L’ignorance produit quelquefois des rapports bizarres, & dont on s’amuse, parce que les riens ont droit avant tout d’intéresser le Parisien. Un nommé Ledru a fait sa fortune avec l’inscription de son enseigne, laquelle portoit : Ledru pose des sonnettes dans le cul de sac. L’écrivain, perché sur sa haute échelle, avoit mis un gros point après le mot cul, & avoit rejeté de sac à l’autre ligne, ce qui parut facétieux ; & tout le monde voulut employer le sieur Ledru, qui posoit des sonnettes dans le cul. Il n’en fallut pas davantage pour lui attirer la vogue.

Tout Paris a vu un chirurgien, près de la place Maubert, faire graver sur son tableau : Un tel, reçu à S. Côme, oculiste pour les yeux.

Mais ce qui est bien pis que des fautes d’orthographe ou des expressions ridicules, c’est l’impudence de certains polissons qui barbouillent nos blanches murailles de figures indécentes & de mots obscenes. La police, qui fait enlever les boues & les ordures, devroit faire effacer en même tems ces turpitudes ; car ce n’est pas assez que le tombereau des immondices nettoie la ville, il ne faut pas encore que l’œil de nos femmes & de nos filles, en sortant de chez elles, rencontre de pareilles images, beaucoup plus révoltantes que des rues mal balayées.

Les marchands d’estampes étalent aussi des gravures d’une indécence caractérisée ; & je ne sais pourquoi dans nos maisons nous commençons à adopter, sous les yeux de la jeunesse, ces images licencieuses. Nous en écartons encore les livres propres à allumer l’imagination, & nous tapissons nos demeures de ces travaux d’un burin peu circonspect.

En me promenant sur les quais, j’ai vu une gravure représentant des patineurs, & au-dessous de l’estampe j’ai lu ces vers sans nom d’auteur, & qui me paroissent mériter d’être conservés.

Sur un mince crystal l’hiver conduit leurs pas,
Le précipice est sous la glace.
Telle est de nos plaisirs la légere surface,
Glissez, mortels ! n’appuyez pas.