CHAPITRE XXXII.

Perruquiers.


Nos ancêtres ne livroient pas chaque matin leur tête, pendant un tems considérable, à un friseur oisif & babillard. Se faire le poil, imprimer à leurs moustaches, ornement de leurs physionomies mâles, un ton martial, telle étoit toute leur toilette. Il y a deux siecles que nous avons eu la foiblesse d’imiter les femmes dans cet art de la frisure qui nous effémine & nous dénature.

Où est le tems qu’un brave, lorsqu’il avoit besoin d’argent, détachoit sa moustache & la mettoit en gage chez le prêteur, au lieu de lui faire un billet d’honneur ? Point d’hypotheque plus assurée : le prêteur dormoit tranquille, jamais la dette ne manqua d’être acquittée à son échéance.

Nous n’avons plus, il est vrai, le ridicule d’ensevelir notre tête sous une chevelure artificielle, de coëffer le front de l’adolescence d’un énorme paquet de cheveux ; le crâne chauve & ridé de la vieillesse n’offre plus ce bizarre assortiment ; mais la rage de la frisure a gagné tous les états : garçons de boutiques, clercs de procureurs & de notaires, domestiques, cuisiniers, marmitons, tous versent à grands flots de la poudre sur leurs têtes, tous y ajustent des toupets pointus, des boucles étagées ; l’odeur des essences & des poudres ambrées vous saisit chez le marchand du coin, comme chez le petit-maître élégant & retapé.

Quel vuide il en résulte dans la vie des citoyens ! Que d’heures perdues pour des travaux utiles ! Combien les friseurs & les friseuses enlevent de momens à la courte durée de notre existence !

Lorsqu’on songe que la poudre dont deux cents mille individus blanchissent leurs cheveux, est prise sur l’aliment du pauvre ; que la farine qui entre dans l’ample perruque du robin, la vergette du petit-maître, la boucle militaire de l’officier, & l’énorme catogan du batteur de pavé nourriroient dix mille infortunés ; que cette substance extraite du bled dépouillé de ses parties nutritives passe infructueusement sur la nuque de tant de désœuvrés : on gémit sur cet usage, qui ne laisse pas aux cheveux la couleur naturelle qu’ils ont reçue.

Douze cents perruquiers, maîtrise érigée en charge, & qui tiennent leurs privileges de S. Louis, emploient à peu près six mille garçons. Deux mille chamberlans font en chambre le même métier, au risque d’aller à Bicêtre. Six mille laquais n’ont guere que cet emploi. Il faut comprendre dans ce dénombrement les coëffeuses. Tous ces êtres-là tirent leur subsistance des papillottes & des bichonnages.

Nos valets-de-chambre-perruquiers, le peigne & le rasoir en poche pour tout bien, ont inondé l’Europe ; ils pullulent en Russie & dans toute l’Allemagne. Cette horde de barbiers à la main leste, race menteuse, intrigante, effrontée, vicieuse, Provençaux & Gascons pour la plupart, a porté chez l’étranger une corruption qui lui a fait plus de tort que le fer des soldats.

Nos danseurs, nos filles d’opéra, nos cuisiniers ont bientôt marché sur leurs traces & n’ont pas manqué d’asservir à nos modes & à nos usages les nations voisines. Voilà les conquérans qui ont fait prévaloir le nom françois dans toutes les contrées, & qui ont été les vengeurs de nos revers politiques. Nos voisins pourroient donc faire un traité sur la pernicieuse introduction des friseurs parmi eux, & sur l’avantage qui auroit résulté d’une proscription prompte & raisonnée.