CHAPITRE XXXI.

Escrocs polis, Filoux.


Les escrocs de toute espece, répandus dans les différentes provinces se rendent une fois en leur vie dans la capitale, comme sur le vaste & grand théatre où ils pourront déployer tout leur talent, frapper de plus grands coups & rencontrer un plus grand nombre de dupes.

Comme ils ont fait une étude des moyens de tromper la crédulité, ils s’attachent aux jeunes gens qui, dans l’âge des passions & de la confiance, ouvrent une ame plus docile aux insinuations artificieuses. Ils savent qu’il faut que l’œil soit d’abord frappé des couleurs de l’opulence, & ils ne négligent pas ces dehors qui peuvent en imposer.

Attentifs à saisir l’esprit des différens états, ils caressent indifféremment leurs préjugés ; ils n’ont pas d’amour-propre ; on les voit changer de langage selon les hommes à qui ils s’adressent. Jamais contrarians, toujours souples, patiens, flatteurs, leur langue est dorée, comme dit le peuple ; & le peuple souvent saura mieux les reconnoître que la bonne compagnie.

Leur unique but est de s’approprier l’argent ; ils reconnoissent du premier coup-d’œil celui qui le possede. Ils ont toujours quelque projet, quelqu’entreprise qui doit rendre la mise au centuple. Éloquens sur ce chapitre, ils parlent de votre fortune comme d’une chose assurée, & la leur n’est jamais incertaine.

On les entend prononcer à propos le nom des hommes en place. Ils sont instruits des anecdotes qui peuvent piquer la curiosité. Ils ne sont ni médisans ni calomniateurs ; ils ont une plaisanterie qui n’a rien d’amer, parce qu’il entre dans leur systême de joindre l’artifice des manieres à l’artifice de l’esprit, & qu’ils n’en veulent à la réputation de personne, mais à la bourse des gens faciles.

L’un se mêle avec des joueurs, amorce l’un d’entr’eux par des pertes volontaires, & après l’avoir alléché, le ruine par des fraudes hardies & méditées.

L’autre loue un bel hôtel, de beaux carrosses, descend chez les marchands, paie d’abord sans difficulté, puis suppose des commissions pour les pays étrangers. Bonne pratique. On lui offre toutes sortes de marchandises ; il en use. Il vend le tout secrétement. On apporte les mémoires ; cherchez, il n’y a plus personne.

Celui-là dit jouir d’un grand crédit, montre des lettres réelles ou supposées, promet des emplois, & emprunte à ce titre.

Le plus perfide a des plans & des projets à moitié vus, à moitié adoptés par les hommes en place ; il les approche quelquefois ; on le sait, on lui prête de côté & d’autre des sommes pour une plus facile exécution. Un jour il fait sa main, leve le pied & se sauve en Hollande, où il change de nom, & où il jouit de ses vols, qu’il a accumulés sous les dehors de l’aisance & sous le masque de la probité.

Un hypocrite, caissier des postes, il y a quelques années, vola toute la ville. Chacun perdit son argent, & n’eut d’autre satisfaction que de le voir au carcan. Échappé du collier de fer, il a acheté du côté de Liege de superbes terres, où il vit en seigneur suzerain.

On a vu derniérement un escroc déjà flétri se donner pour un baron étranger qui faisoit un commerce immense. Il se logea dans un hôtel renommé, prit à ses gages des commis, fit venir des marchands, & parut d’abord dédaigner leurs offres ; il lui falloit des étoffes plus rares & plus précieuses.

Le lendemain, son valet-de-chambre, son complice, alla trouver les marchands éconduits, & faisant le portrait le plus séduisant de son maître, parla de son crédit, de sa fortune, de ses relations étendues, & le représenta comme pouvant enrichir les maisons avec lesquelles il traiteroit.

On est si peu accoutumé à entendre les valets parler bien de leurs maîtres, que l’on conçut un grand respect pour le faux baron. On lui apporta les marchandises les plus rares ; il n’eut qu’à choisir dans les boutiques des magasiniers.

Par réflexion tout lui convenoit, parce que, disoit-il, ayant reçu de nouvelles commissions, tous ces objets ne devoient passer que par ses mains, étant destinés pour les pays étrangers.

Des revendeurs & des revendeuses, toujours prompts à favoriser la friponnerie & à effacer les traces du vol, achetèrent à vil prix ces mêmes marchandises. Et c’étoient là ce Madrid, ce Vienne, cette Lisbonne, ce Copenhague, toutes ces places de commerce enfin, dont il enfloit ses discours.

Démasqué, il fut condamné aux galeres pour neuf ans, fouetté, marqué, & préalablement attaché au carcan pendant trois jours consécutifs. Son valet-de-chambre assista à l’exécution, & fut banni.

Tous ces escrocs consommés en ruses habiles, prennent le titre de comte, de marquis, de baron, & sur-tout de chevalier. Voilà pourquoi l’on dit de tel homme qui vit sans travail & sans revenus, c’est un chevalier d’industrie.

Après ces escrocs, viennent les filoux, lesquels font avec la main ce que les autres font avec la langue. Ils trouvent le moyen, ou de fixer votre attention sur un objet, ou de vous susciter un embarras, ou de vous imprimer un mouvement favorable à leur coup de main, & le voleur adroit & subtil a déjà pincé votre tabatiere, votre montre, votre bourse ; vous vous en appercevez, vous criez : il reste auprès de vous sans témoigner la moindre émotion ; la montre & la boîte ont déjà passé dans d’autres mains. Le filou se met à déclamer hautement contre le peu de sûreté qui regne dans les assemblées.

Quand on fait la visite chez l’un de ces drôles-là, on lui trouve cinquante-six montres, trente tabatieres, vingt étuis ; c’est une boutique de la foire. Il n’en veut qu’aux bijoux ; il laisse le vol des mouchoirs à ces petits misérables, qu’on tolere d’abord, pour les enrégimenter ensuite comme mouchards. Pour lui, il est chef d’une horde qui agit sans violence dans les parterres des spestacles & sur-tout à la sortie.

Quelquefois dans la rue, un de ces filoux se met à courir de toutes ses forces, vient à votre rencontre, se précipite dans vos bras ; vous le recevez pour n’être pas renversé du coup. Il vous fait mille excuses, vous lui répondez avec politesse, & pendant ce mouvement rapide il a tiré votre montre & court encore. Vous ne vous en doutiez pas, car cet homme étoit bien mis.

Quand on vous a volé un effet de quelque valeur, vous vous adressez à un bureau de la police. Il y a des moyens ingénieux pour le ravoir ; & telle tabatiere, après avoir fait deux cents lieues, est revenue dans la poche du propriétaire. Comment ? Ah, comment ! Suis-je fait pour vous dire tout ?

Une autre fois on compose avec le voleur ; on affiche l’effet comme perdu, on promet une récompense. Le bijou vous est rapporté, & vous acquittez fidélement votre promesse, ainsi qu’il convient.

On a imprimé une brochure intitulée : les Astuces de Paris, ou anecdotes Parisiennes, dans lesquelles on voit les ruses que les intrigans & certaines jolies femmes mettent en usage pour tromper les gens simples & les étrangers. Cet ouvrage renferme une partie des tours que la fainéantise & l’audace emploient journellement pour tromper l’inexpérience. J’y renvoie. Porter le flambeau sur tant de friponneries obscures, c’est, pour ainsi dire, les mettre en déroute, & c’est en même tems donner un avis aux administrateurs des états, qui verront de quelle maniere honteuse les hommes cherchent à subsister, quand on ne leur laisse pas les moyens de le faire honnêtement.