CHAPITRE XXX.

Du tems.


Les uns vivent tout le jour ; ce sont les sages, ceux qui pensent ; ils sont rares. Les autres, une moitié de la journée ; ce sont les gens d’affaires. Plus de la moitié de la ville ne vit à peine que trois ou quatre heures par jour, & ce sont les femmes ; elles ne s’amusent bien que le soir.

Il faut avoir de l’esprit pour ne pas s’ennuyer, ou du moins pour s’ennuyer moins que les autres. Un homme qui juge sainement des choses, tire parti de toutes les liaisons auxquelles il est assujetti par la situation ou par son état. Ici il trouve à s’instruire & à se former ; là il goûte les douceurs de la société ; ailleurs il se ménage, s’intrigue, conduit des espérances, cultive des services ; dans cet endroit il s’anime d’une émulation nécessaire pour acquérir une fortune honnête ; dans celui-ci il se sent piqué de l’aiguillon propre à cultiver, à orner son esprit ; dans cet autre il étudie le cœur humain, il en voit jouer les ressorts ; il met sagement à profit les découvertes qu’il en tire ; il apprend à connoître l’homme.

Mais ce que Pline disoit de Rome, on peut le dire de Paris. Mirum est, quàm singulis diebus in urbe ratio aut constet aut constare videatur, pluribusque junctis non constet. C’est une chose étonnante de voir comment le tems se passe. Prenez chaque journée à part, il n’y en a point qui ne soit remplie ; rassemblez-les toutes, vous êtes surpris de les trouver si vuides.

Il y a des personnes désœuvrées qui ont bien de la peine à tuer leurs vingt-quatre heures, & qui emploient tous les artifices imaginables pour en venir à bout.