CHAPITRE XXVII.

Petites Bourgeoises.


Faire l’amour à une fille, en style bourgeois, c’est la rechercher en mariage. Un garçon se présente le dimanche après vêpres, & joue une partie de mouche. Il perd & ne murmure pas ; il demande la permission de revenir, elle lui est accordée devant la fille qui fait la petite bouche.

Le dimanche suivant, il arrange une partie de promenade, pour peu qu’il fasse beau. Déclaré épouseur, il a la liberté d’entretenir sa future à cinquante pas géométriques devant les parens. À l’issue d’un petit bois, se fait l’importante déclaration, qui ne surprend point la belle.

Le prétendu est toujours bien frisé & d’une humeur charmante ; aussi la fille parvient-elle à l’aimer un peu. Puis elle sait que le mariage est pour elle la seule porte de de liberté. Toute la maison ne parle devant l’épouseur que de la vertu intacte, qui regne de tems immémorial dans la famille.

Mais il survient un petit inconvénient. Les parens du garçon ont trouvé un parti plus avantageux : on rompt ses habitudes. La fille est piquée, mais elle se console. C’est pour la troisieme fois que cela lui arrive ; & forte des leçons de sa mere, elle s’arme d’une noble fierté contre les infideles.

Quelques autres se présentent ; mais l’histoire du contrat fait toujours obstacle. Cependant la fille court sur son vingt & unieme ; il n’y a plus à balancer, il faut que le pere se décide, car il sait que marchandise gardée perd de son prix, sans compter les accidens.

La fille devient boudeuse ; le premier qui vient faire des propositions est accepté. En trois semaines on bâcle l’affaire. La fille aura le plaisir de dire qu’elle a été recherchée au moins par cinq partis ; mais elle n’ajoutera pas qu’elle a été remerciée par quatre.

Les parens qui raisonnent, trouvent qu’elle est encore assez jeune pour amener à la maison une foule de marmots qu’il faudra tenir sur les fonts de baptême.

La mere, jalouse de sa fille depuis qu’elle est grande, voulant la marier pour se défaire d’elle, & ne pas la marier pour prolonger son autorité, endoctrine son gendre, lui peint sa fille comme une étourdie, n’ayant aucune de ses qualités personnelles, & demandant à être surveillée par les yeux attentifs d’une mere.

Elle s’offre à diriger les affaires du ménage. Le gendre ne sait pas que Juvenal a dit en latin : si vous voulez avoir la paix dans la maison, ne souffrez pas que votre belle-mere y donne des conseils. Il est tout étonné de voir la discorde au bout de trois mois se déclarer entre la mere & la fille. Le mari prend le parti de sa femme, renvoie sa belle-mere, & conte son chagrin à tout le quartier. La belle-mere a parlé de son côté ; les avis sont partagés.

On se raccommode au second enfant ; les larmes coulent de part & d’autre ; les voisins sont édifiés, & la boutique prospere. C’est en vieillissant que la mere oublie un pouvoir qu’elle vouloit pousser trop loin. Elle fait ligue alors avec sa fille contre son gendre qu’elle ménage & qu’elle n’aime point. Ses petits-enfans sont charmans, spirituels ; mais ils ne tiendront, dit-elle fréquemment, que du grand-pere & de la grand-mere.

Au reste il faut beaucoup de courage & de vertu dans une petite bourgeoise, pour qu’elle n’envie pas secrétement l’opulence & l’éclat de telle courtisanne, qu’elle voit parée & dans l’abondance. Elle seroit bien fâchée d’être une fille entretenue ; mais elle soupire quelquefois en songeant à la liberté qu’elles ont de prendre & de choisir des amans. Il n’y a point de vertu sans combat. La petite bourgeoise qui combat & triomphe mérite l’estime publique. Aussi en sont-elles réellement plus jalouses dans ce rang que dans tout autre.