CHAPITRE XXV.

Caractere politique des vrais Parisiens.


Paris a toujours été de la plus grande indifférence sur sa position politique. Cette ville a laissé faire à ses rois tout ce qu’ils ont voulu faire. Les Parisiens n’ont guere eu que des mutineries d’écoliers, jamais profondément asservis, jamais libres. Ils repoussent le canon par des vaudevilles, enchaînent la puissance royale par des saillies épigrammatiques, punissent leur monarque par le silence, ou l’absolvent par des battemens de mains ; lui refusent le vive le roi s’ils sont mécontens, ou le récompensent par des acclamations. La halle a là-dessus un tact qui ne se dément jamais. La halle fait la réputation des souverains ; & le philosophe, après avoir bien médité, observé, est tout étonné de voir que la halle a raison.

Les Parisiens semblent avoir deviné par instinct, qu’un foible degré de liberté de plus ne valoit pas la peine d’être acheté par une continuité de réflexions & d’efforts. Le Parisien oublie promptement les malheurs de la veille ; il ne tient point registre de ses souffrances ; & l’on diroit qu’il a assez de confiance en lui-même pour ne pas redouter un despotisme trop absolu. Il a développé beaucoup de patience, de force & de courage, dans la derniere lutte du trône & des loix ; des villes assiégées ont eu moins de courage & de constance.

En général, il est doux, honnête, poli, facile à conduire ; mais il ne faudroit pas trop prendre sa légéreté pour de la foiblesse ; il est dupe un peu volontairement ; & je crois assez le connoître pour affirmer que, si on le poussoit à bout, il prendroit une opiniâtreté invincible : souvenons-nous de la ligue & de la fronde. Tant que ses maux ne seront pas insupportables, il ne se vengera que par des couplets & des bons-mots : il ne parlera pas dans les lieux publics ; mais il se dédommagera amplement dans le secret des maisons.

Paris vit dans l’ignorance des faits historiques les plus importans à méditer. Cette ville a oublié que les Anglois y commanderent dans le quinzieme siecle ; que Marlborough, dans ce siecle même, ayant forcé les lignes de Villars près de Bouchain, s’étoit frayé le chemin de la capitale ; que le sort heureux d’une bataille avoit préservé le chef-lieu de la souveraineté. Il n’a point d’idée plus juste de Londres que de Pékin.