CHAPITRE XVIII.

Gaieté.


On ne trouve plus chez les Parisiens cette gaieté qui les distinguoit, il y a soixante ans, & qui formoit pour l’étranger l’accueil le plus agréable & le compliment le plus flatteur. Leur abord n’est plus si ouvert, ni leur visage aussi riant. Je ne sais quelle inquiétude a pris la place de cette humeur enjouée & libre, qui affectoit des mœurs plus simples, une plus grande franchise, & une plus grande liberté. On ne se réjouit plus en compagnie ; l’air sérieux, le ton caustique, annoncent que la plupart des habitans rêvent à leurs dettes, & sont toujours aux expédiens.

Les dépenses qu’entraînent le luxe & la manie des superfluités ont rendu tout le monde pauvre, & l’on s’intrigue perpétuellement, pour parer aux frais de représentation. Affaires, embarras, servitudes, projets ; tout cela se lit sur les visages. Dans une société de vingt personnes, dix-huit s’occupent des moyens d’avoir de l’argent, & quinze n’en trouveront point.

Les ris naissent de la modération des desirs : on ne la connoît plus : on tombe dans la réserve, de là dans la sécheresse ; & l’abus de l’esprit vient encore rétrécir les cœurs. Les visages voudroient se montrer épanouis ; mais une vraie inquiétude trahit le tourment intérieur de l’ame. Si l’on jouit encore, c’est dans des parties obscures & secretes, où l’on est seul, où le libertinage prend la place de la volupté ; on y est quelquefois distrait, jamais heureux.