CHAPITRE XVI.

Manque de signes.


Montesquieu a dit : Tout va bien lorsque l’argent représente si parfaitement les choses, qu’on peut avoir les choses dès qu’on a l’argent ; & lorsque les choses représentent si bien l’argent, qu’on peut avoir l’argent dès qu’on a les choses. Voilà une de ces vérités fécondes, qui devroit être méditée par les administrateurs des états & par les hommes en place ; mais ils ne lisent pas Montesquieu.

Que de choses invendues faute d’un signe assez multiplié ! & que de choses à vendre qui ne se vendent point ! À peine les journaliers trouvent-ils tout de suite un argent tout prêt.

Pour un acheteur qui puisse payer comptant, cinquante autres vous offriront des billets. C’est donc un grand vice de n’avoir pour signe d’échanges que des métaux. Il manque au vœu de Montesquieu son accomplissement. Il est difficile de vendre, & très-difficile de se vendre. Beaucoup d’hommes restent sans emploi : les travaux privés languissent ; les travaux publics ne vont pas mieux. Tout indique donc le défaut presqu’absolu des signes d’échanges : tout nécessite aujourd’hui une banque qui verse une multitude de signes représentatifs, parce qu’il y a obstruction caractérisée dans la circulation. On a donc un besoin pressant de ces signes qui représentent toute espece de valeur avec une parfaite égalité. Sans la rapidité des échanges, la vie du corps politique languit, & nous languissons.

Des billets de banque, c’est-à-dire, un papier-monnoie, qui proportionneroit l’abondance des signes à la multitude des choses invendues & qui sont à vendre, peut seul parer aux besoins multipliés de la capitale, parce que l’abondance des signes doit répondre à l’abondance des besoins ; & nous sommes dévorés de besoins.

Les lumieres répandues sur ces objets, & qu’on veut méconnoître, attestent que cette banque ne pourroit avoir rien de commun avec le méprisable papier de Laws. C’est son empyrisme même qui servira à nous éclairer ; c’est l’abus outré qu’il a fait de ce remede, qui nous le rendra sain & utile. Qu’on songe à l’activité qu’il imprima, & au bien momentané qu’il fit dans son extravagance. Aujourd’hui que la raison publique préside à tout calcul, & que le calcul ne sauroit s’égarer, il n’y a qu’une terreur enfantine qui puisse interdire en France ce papier-monnoie, dont l’absence empêche le royaume de profiter de tous ses avantages.

Je sais qu’il n’est pas possible en ce point d’imiter l’Angleterre, parce qu’il y aura toujours une énorme différence entre une dette nationale & une dette royale ; mais on pourroit créer, non les billets d’état de Laws, mais des billets de banque, dans une proportion sage, modérée, & qui circuleroient sous l’œil du gouvernement qui consentiroit alors à jouir de la richesse publique, sans porter la main à la machine qui mettroit en action cette banque nationale.

On s’étonnera un jour de notre inattention & de nos préjugés aveugles & opiniâtres, qui rejettent les moyens les plus simples, les plus souples & les plus seconds pour la grande prospérité du royaume. Le parchemin des contrats n’est point le papier-monnoie ; il en est l’opposé. Un emprunt royal n’est pas le signe reproductif.