CHAPITRE IV.

Physionomie de la grande Ville.


Voulez-vous juger Paris physiquement ? Montez sur les tours Notre-Dame. La ville est ronde comme une citrouille ; le plâtre qui forme les deux tiers matériels de la ville, & qui est tout à la fois blanc & noir, annonce qu’elle est bâtie de craie, & qu’elle repose sur la craie. La fumée éternelle, qui s’élève de ces cheminées innombrables, dérobe à l’œil le sommet pointu des clochers ; on voit comme un nuage qui se forme au-dessus de tant de maisons, & la transpiration de cette ville est pour ainsi dire sensible.

La riviere qui la partage, la coupe presque réguliérement en deux portions égales ; mais les édifices se portent depuis quelques années du côté du nord.

Je passerai sous silence la position topographique, ainsi que la description de ses édifices, de ses monumens, de ses curiosités en tout genre ; parce que je fais plus de cas du tableau de l’esprit & du caractere de ses habitans, que de toutes ces nomenclatures qu’on trouvera dans les Étrennes mignonnes.

C’est au moral que je me suis attaché ; il ne faut que des yeux pour voir le reste. Je dois seulement considérer que son ciel en général est sujet à la plus grande inconstance, & beaucoup plus humide que froid. L’eau de la Seine est légérement purgative ; & l’on dit proverbialement, qu’elle sort de la cause d’un ange. La fibre y est molle & détendue ; l’épaisseur de l’athmosphere en relâche le ton, & les couleurs vives sont rares sur les visages.

Le quartier le plus sain est le fauxbourg Saint-Jacques, habité par le petit peuple ; & le quartier le plus mal-sain est celui de la Cité.

Pourquoi cette superbe ville n’est-elle pas située au lieu où est Tours ? Elle serait d’ailleurs au centre du royaume. Le beau ciel de la Touraine serait plus convenable à sa population : placée sur les bords de la Loire, elle aurait des avantages infinis qu’elle n’a pas, & que les richesses & le travail ne sauraient lui apporter.

Ses environs sont variés, charmans, délicieux ; c’est la nature cultivée, sans que l’art l’étouffe ; on y trouve une foule de jardins, d’allées, de promenades, qu’on ne trouve que près de la capitale. À quatre lieues à la ronde, tout est orné par les mains de l’opulence ; & le cultivateur qui en féconde les terres, n’est pas absolument malheureux.

Mais on ne saurait aussi, à huit ou dix lieues à la ronde, tirer un coup de fusil. Les plaisirs du roi & les terres des princes ont envahi tous les droits de chasse. Les loix arbitraires faites à ce sujet, portent une empreinte de sévérité, pour ne pas dire de cruauté, qui contraste avec les autres loix du royaume. Tuer une perdrix, devient un délit que les galeres seules peuvent expier. Les gardes-chasse poursuivent les braconniers avec plus de vigilance & d’ardeur, que la maréchaussée ne poursuit les voleurs & les assassins. Enfin les gardes-chasse tuent, & (chose épouvantable !) ces meurtres demeurent impunis. Oserai-je dire qu’on les a vu récompensés, & par un prince qui d’ailleurs passe pour humain ? Les princes sont durs, inexorables, sur l’article de la chasse, & exercent une véritable tyrannie.