CHAPITRE III.

Grandeur démesurée de la Capitale.


Vu politiquement, Paris est trop grand : c’est un chef démesuré pour le corps de l’état ; mais il serait plus dangereux aujourd’hui de couper la loupe que de la laisser subsister ; il est des maux qui, une fois enracinés, sont indestructibles.

Les grandes villes sont fort du goût du gouvernement absolu : aussi fait-il tout pour y entasser les hommes ; il y appelle les grands propriétaires par l’appât du luxe & des jouissances ; il y précipite la foule, comme on enclave des moutons dans un pré, afin que la gueule des mâtins ayant une moindre surface à parcourir, puisse les ranger plus facilement sous la loi commune. Enfin Paris est un gouffre où se fond l’espece humaine ; c’est là qu’elle est sous la clef ; on n’entre, on ne sort que sous des guichets où regnent des yeux d’Argus. Des barrieres de sapin, plus respectées que ne le seroient des murailles de pierres bordées de canons, arrêtent les denrées les plus nécessaires à la vie, & leur imposent une taxe que le pauvre supporte seul ; car, dispensé de tous les plaisirs, il ne l’est pas du besoin de manger. Il ne tiendroit qu’au prince d’affamer la ville ; il tient en cage ses bons & fideles sujets ; & s’il étoit mécontent, il pourroit leur refuser la béquée : avant qu’ils pussent forcer les barreaux, les trois quarts se seroient mangés, ou seroient morts de faim.

Il faut que tout le monde vive ; car la premiere loi est de subsister. Je vois cette ville florissante, mais aux dépens de la nation entiere. Ces maisons à six étages tous peuplés, aspirent les moissons & les vignes à cinquante lieues à l’entour ; ces laquais, ces baladins, ces abbés, ces batteurs de pavé ne servent ni l’état ni la société ; il faut cependant que tout cela subsiste, comme le dira mon premier chapitre sur la législation, intitulé, De l’estomac de l’homme. Il y a des maux politiques qu’il faut tolérer, tant qu’on ne peut y remédier d’une maniere sûre ; telle est l’étendue de la capitale : on ne fera pas refluer sur les terres ceux qui habitent les chambres garnies & les greniers. Ils n’ont rien, pas même des bras, puisqu’ils sont énervés. Arrêterez-vous aux portes ceux qui entrent ? Conservez donc l’énorme loupe, puisque vous ne pouvez l’extirper sans mettre en danger le corps politique ; d’ailleurs… Mais n’anticipons point sur ce que nous avons à faire sentir sur cette ville qui sera toujours chere à un gouvernement dont la tête est aussi disproportionnée que la capitale l’est au royaume.