Têtes et figures/Vendredi Saint. Vision

La Compagnie de Publication de "Le Soleil" (p. 88-104).

Vendredi-Saint

VISION

Le firmament était d’un gris lourd ; la neige, une neige humide, pleureuse, tombait en flocons épais et désordonnés, et la bise, par rafales, fouettait les vitres. La nature même semblait vouloir s’associer au grand deuil de l’humanité.

Le temps morose, des tristesses récentes, le lugubre étalage quotidien des injustices et des convoitises humaines, me plongeaient plus que d’ordinaire dans une mélancolie noire et profonde.

Je me sentais l’âme lourdement encrêpée. À demi couché sur une sorte de divan dans ma chambrette, après le repas de midi, mon imagination se balançait de souvenirs en souvenirs plus ou moins sombres.

Ce fut au point que je finis par clore les paupières et tomber dans un assoupissement léthargique.

Je sommeillais ainsi, depuis combien de temps ? Je l’ignore, lorsqu’il me sembla entendre une voix, à la fois tendre et vibrante, murmurer ces paroles :

— « Infortuné habitant de l’astre des douleurs, pourquoi laisser les noirs soucis envahir ton esprit et ton âme, et n’en pas tirer la leçon qu’ils comportent ? Tu souffres ? N’est-ce pas là un indice de la faiblesse, de ta nature ? Cependant, ce qui t’arrive est bien. C’est la souffrance, et, comme l’a dit l’un des vôtres, la bonne souffrance. Par elle la rédemption du genre humain s’est opérée ; c’est aussi par elle que l’homme doit arriver aux plus hautes cimes de la perfection. Au lieu de regimber contre elle, bénis-la » ! .   .   .   .   .   .

En cherchant du regard l’être qui me tenait ce langage, je distinguai une forme semi-lumineuse, quasi aérienne, qui se tenait tendrement penchée au dessus de moi.

— Je suis l’ange de tes rêves, repartit l’apparition qui sembla deviner ma pensée, l’âme de ton âme, qui, depuis longtemps déjà, aux célestes parvis où tout est pur amour, attend le jour de ta glorification suprême dans le sein de la Divinité, pour la consécration de son union éternelle avec la tienne. Je suis venue te prier de me suivre ; j’ai obtenu du Très Haut la permission de lever pour toi un coin du voile qui cache aux humains d’ineffables splendeurs.

Ce disant, la radieuse créature me prit doucement la main, et, d’un vol rapide, s’éleva avec moi dans l’espace.

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Dans cette envolée majestueuse vers les régions sidérales, j’éprouvai une sensation de légèreté extraordinaire. Nouveau papillon, j’avais dépouillé ma chrysalide terrestre ; il me semblait être devenu esprit ; mes sens avaient acquis soudain une sensibilité inouïe, une puissance inexprimable de perception.

Nous traversions des atmosphères d’éclatante lumière, et nous montions toujours, toujours, vers l’infini.

— « Ton nom ? m’écriai-je tout-à-coup.

— Je n’en ai pas, répondit l’apparition. Nous ne portons pas de noms dans les régions où j’habite, comme vous vous en donnez dans votre monde. Nous nous reconnaissons instantanément les uns les autres par un magnétisme dont tu ne comprendrais pas la subtilité. Mais, ô fils de la Terre, pour venir en aide à tes facultés terrestres, je prendrai un nom. Tu m’appelleras Speranza.

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Malgré la sublime grandeur du spectacle, je n’éprouvais aucune surprise ; il me semblait que toute cette splendeur m’était familière, que c’était un milieu déjà vu.

— Regarde derrière toi, me dit Speranza.

Je regardai… Là-bas, j’aperçus la Terre qui paraissait descendre graduellement dans le gouffre béant de l’espace. Je pus observer que les hommes s’agitaient de ça et de là, comme dans une minuscule fourmilière. J’entrevis même ma chambrette et, sur un divan, ma forme indécise, ayant l’apparence d’un mannequin de plâtre, tout frais sorti d’un moule et laissé inachevé. C’était ma chrysalide, ma forme terrestre, toujours endormie.

— Est-il Dieu ! possible, m’écriai-je tout consterné, que c’est là, dans cette momie, que mon esprit habitait il y a quelques moments !.  .  .  .  .  .  .  .

Je ressentis à l’instant la plus profonde humiliation à la vue de ce corps débile, chétif, inerte, que je savais si bien en proie à mille besoins, exposé à toutes sortes d’infirmités.

Le soleil, à ce moment-là, n’avait plus que la taille d’une grosse étoile, et la Voie Lactée dessinait à peine, au firmament, une traînée phosphorescente.

Et, nous nous élevions sans cesse, à travers les constellations les plus extraordinaires, nouveaux systèmes planétaires.

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Soudain, je vis, comme dans une buée immense, des myriades de créatures, en apparence, de forme humaine.

— Quels sont ces esprits, demandai-je ?

— Ces esprits, me répondit Speranza, sont les gardiens des habitants de la Terre. Ils sont chargés d’une mission d’expiation et d’amour. Ce sont eux qui, incessamment, s’efforcent d’attirer les âmes vers le Très-Haut : inspirations, conseils, supplications et prières, tels sont leurs moyens d’action. Comme toi, ils furent mortels ; mais, comme rien d’impur n’entre dans le royaume des cieux, ils expient leurs fautes, en travaillant au salut de ceux qui furent leurs semblables et leurs compagnons de chaîne sur la Terre. Ils se rapprochent du ciel dans la mesure qu’ils gagnent des âmes à Dieu. Leur peine consiste dans le désir intense, mais trop souvent inassouvi, qu’ils éprouvent de ramener au bercail céleste les brebis égarées, et d’atteindre eux-mêmes, par ce moyen, la perfection suprême.

« Tout acte de faiblesse, d’ingratitude, d’égoïsme, d’impureté et de convoitise de la part des hommes, retarde d’autant leur acheminement et leur arrivée définitive au séjour de la paix et du bonheur éternels.

« Mesure, maintenant, si tu peux, l’étendue des souffrances que les hommes leur infligent.

« Leur séjour est un purgatoire.

« Montons encore, montons toujours », me dit Speranza !

Et, sur notre passage, au milieu de flots d’étincelantes lumières, tournoyaient d’innombrables sphères nouvelles, avec leurs satellites, leurs soleils, de fulgurantes comètes produisant l’effet de gigantesques torches embrasées, toutes emportées dans l’espace avec une vitesse vertigineuse.

— Mais, hasardai-je brusquement, en jetant un regard du côté où naguère encore on distinguait la Terre, comment se fait-il, ô Speranza, qu’au milieu de tous ces mondes admirables, la Terre soit le seul astre qui ait démérité, et qui, cependant, ait été jugé digne d’un aussi grand sacrifice que celui du Calvaire ?

— Ton esprit est enclin à une grande curiosité, répliqua Speranza, mais il est droit et pur. Aussi sauras-tu bientôt ce que tu désires connaître. Vois-tu, là-bas, là-bas, cette grande étoile ? Eh bien ! on la nomme Saturne, chez vous. Nous y descendrons.

Bientôt, en effet, nous arrivions en face de Saturne, de ses gigantesques anneaux et de ses huit satellites. Pourquoi donc un monde de cette forme ? me demandai-je à part moi. Pourquoi ces anneaux ? Pourquoi huit satellites à cette planète, tandis que celle-là n’en a que quatre, et cette autre n’en a que deux ? Pourquoi cette grande diversité dans les dimensions, les conditions atmosphériques, et les mouvements des sphères ?

Ah ! voilà bien la sempiternelle question qui se pose depuis le commencement des temps. L’homme restera bien des siècles encore bouche bée devant des « pourquoi » qui demeureront impitoyablement sans réponse !…  .  .  .  .  .  .  .  .  .

______

Sur Saturne, nous descendîmes dans une vaste plaine, présentant les paysages les plus gracieux : bosquets verdoyants, fleurs aux corolles saphir, grenat, turquoise, émeraude ; arbres fruitiers ployant sous le poids de luxuriantes grappes de fruits savoureux ; forêts altières et ombreuses ; rivières majestueuses ; prairies tapissées de gazon tendre, aux reflets de velours.

Çà et là, dans ces paysages enchanteurs, circulaient des êtres de forme mi-humaine, mi-angélique, qui s’empressèrent d’accourir et de nous accueillir avec la plus affectueuse cordialité, en nous couvrant de fruits et de fleurs.

— Ces créatures, me dit Speranza, ont la faculté de se transporter à des distances infinies et de converser avec les esprits de l’air. Elles ne connaissent ni les maladies, ni la vieillesse, et la mort pour elles, n’est qu’un doux sommeil. Quant aux arts et aux sciences, elles les connaissent tous, mais à un degré bien plus élevé que les habitants de la Terre. Chez ces êtres, pas de gouvernement, chacun se gouverne parfaitement lui-même ; le mariage, comme vous l’entendez, n’existe pas, car, en vertu de la loi d’attraction mutuelle des sexes et d’une puissante affinité spirituelle, ils s’unissent dans une fidélité inviolable. Ils ont la foi implicite dans le Créateur des choses visibles et invisibles, et personne, parmi eux, ne s’est encore avisé de mettre en doute l’existence du Dieu tout-puissant.



En quittant Saturne, nous franchîmes l’atmosphère des grands anneaux de la planète, et nous atteignîmes Vénus. Dans ce monde-ci, nous trouvâmes l’amour de la nature uni à l’art ; à ce qu’il me sembla, c’était la formule la plus parfaite de la civilisation. Ça n’est pas à l’artiste, mais bien à l’art lui-même que l’on y rendait hommage.

Entre ces êtres, union exclusivement spirituelle. Et partout, dans ce monde-là, croyance implicite à l’existence de l’Être Suprême.

Même état d’esprit sur les sphères grandioses appelées sur terre Neptune, Uranus, Jupiter ; toutes les créatures de ces mondes gigantesques croyant à la Divinité et l’adorant.

Cependant, malgré leur condition de perfection relative, les créatures de ces mondes sidéraux me parurent chercher encore quelque chose qui leur manquait, quelque chose comme un monde meilleur, expression d’une paix et d’un bonheur plus complets, le séjour de l’ultime perfection, l’union complète avec le grand Maître de la vie.

— C’est étrange, me dis-je, moi, je me contenterais facilement de leur bonheur.


J’allais communiquer mes réflexions à Speranza, lorsque mon guide aérien m’interrompit.

— Ô esprit de la Terre, fit-il, as-tu bien observé ? Es-tu parvenu enfin à te dégager de tes notions terrestres pour pouvoir saisir le sens et la raison de ce que tu viens de voir ? As-tu été bien frappé du fait que, dans toute cette immensité étoilée, il n’est pas un monde où l’on ne croie pas à l’existence d’un Dieu souverain, et où l’on ne se prosterne pas en adoration devant sa toute puissance et ses perfections infinies ? Seule, la Terre, ton malheureux séjour, fait entendre, dans ce concert presque unanime, une note discordante.

« Cependant, qu’est donc la Terre devant toutes les magnificences de la création qu’il t’a été permis d’admirer ? Une chétive étoile peuplée par des nains, embryons physiques et intellectuels, par des créatures ayant en partage une étincelle de la flamme divine, et qui, malgré cela, retournant à la bête, se laissent aller à tous les débordements de l’orgueil, de la concupiscence et de la convoitise. Un monde, où tous les sentiments les plus nobles sont travestis ; où l’amour n’est que mensonge, hypocrisie, et n’existe plus que comme inscription au Décalogue ; où le talent, la vertu, le génie sont supplantés à tous les degrés par l’ignorance et la fatuité dorées, et relégués dans l’obscurité, quand ils ne sont pas exploités sans vergogne ni mesure ; où l’or est le grand dieu ; où la foi religieuse est tournée en ridicule, quand elle n’est pas ouvertement ou hypocritement persécutée, et où l’athéisme a ses coudées franches ; monde pharisaïque, divisé en peuples conspirant les uns contre les autres, sous prétexte de morale et de civilisation, et se disputant, qui un lambeau de pays, qui un roc quelconque, qui quelques grains d’or, une bribe d’influence, des honneurs aussi creux que puérils, qui le gouvernement d’un pays ; monde de perversion, d’anarchie, où le serviteur s’insurge contre le maître, où le vol, l’usure, la rapine, sous de multiples formes, sont prises, sinon comme des actes de vertu, des exploits glorieux, du moins comme des brevets d’intelligence et d’habileté, des facultés maîtresses, et trouvent dans des feuilles publiques la plus coupable des complaisances.

— Force m’est bien d’en convenir, fis-je en m’inclinant ; mais, puisqu’il en est ainsi, encore une fois, peux-tu, ô Speranza, m’expliquer l’acte sublime du Fils de Dieu descendant sur la Terre et se laissant crucifier entre deux larrons, pour le rachat d’êtres aussi misérables ?

— Ô créature de l’astre du Péché et de la Douleur, répondit Speranza, qui veut sonder le secret de toutes choses, comment peux-tu me demander de te définir le Dieu de l’éternel amour ? Penses-tu, en vérité, qu’il puisse être en mon pouvoir de te décrire ses perfections infinies et les secrets de la Providence ?

Le messager angélique s’arrêta tout à coup dans une immobilité complète. Nous planions tous deux dans l’espace, par une force mystérieuse.

— Voyons un peu, reprit-il. Je suppose pour un instant que le pouvoir de créer te soit dévolu, et, qu’à la faveur de cette puissance créatrice, ton imagination enfante un pays d’incomparable beauté, comme devait l’être le paradis terrestre, un pays aux coteaux toujours verts, aux vallées toujours riantes, aux moissons toujours renaissantes, aux bosquets de riches verdures sous lesquels gazouillent ici et là des ruisseaux d’eau fraîche et pure, aux majestueuses nappes d’eau limpide, baignant des rives enchanteresses, aux brises parfumées, aux bois ombreux, aux odorantes feuillées où des myriades d’êtres ailés aux plumages multicolores, prendraient leurs ébats et feraient entendre des notes mélodieuses, des trilles éblouissants, au soleil toujours resplendissant, animant et vivifiant cette généreuse et ravissante nature.

Supposons que, seul à jouir de cette merveilleuse création, le désir intense de voir ton bonheur partagé, te pousserait à peupler cette terre délicieuse, d’êtres comme toi ; et que, ton désir accompli, ces êtres de ta création finiraient par rendre hommage à la créature plutôt qu’au Créateur, par oublier tout ce qu’ils doivent à leur auteur, et même par étouffer chez eux, toute notion de l’existence d’une puissance supérieure à laquelle ils seraient redevables de tous leurs biens.

Supposons que, dans leur aveuglement et leur malice, ils ne tiendraient nul compte des avertissements qui leur seraient donnés et qu’ils attireraient sur leurs têtes les maux et les châtiments les plus terribles.

Mettons qu’au lieu de s’amender et se purifier, ces créatures, dans leur course affolée après les faux bonheurs, iraient plutôt se livrant à toutes les convoitises, se vautrant dans toutes les concupiscences inhérentes à leur nature, n’obéiraient plus qu’aux instincts de la bête, et, foulant aux pieds toute dignité personnelle, tout honneur, tout amour d’autrui, tout respect pour l’éternelle justice, se diviseraient en groupes divers, au fond tous acharnés les uns contre les autres, qui, tout en prônant bruyamment, d’un côté la liberté, l’égalité, la fraternité, en réclamant des prétendus droits au mépris des plus simples devoirs, se prendraient sans cesse de querelles, commettraient les injustices les plus criantes, les plus abominables forfaits, pousseraient la méchanceté jusqu’à s’égorger sans merci pour un méprisable colifichet, que ferais-tu alors, ô habitant du globe obscur, devant cet épouvantable chaos ? Crois-tu qu’il ne vaudrait pas mieux tout anéantir ?

— Tout anéantir, balbutiai-je !… Anéantir ces malheureuses créatures, dévoyées, il est vrai, mais pas toutes, et dans chacune d’elles sentir une parcelle de mon être ?… Ah !… vraiment, ô Speranza, je… je ne le pourrais pas ! N’en resterait-il pas au moins quelques-unes dignes de sympathie, à cause de leur foi et de leur inébranlable fidélité ?… Tout anéantir ?… Non !…Je n’en serais pas capable… Je m’efforcerais, je crois, d’étendre ma miséricorde aux coupables, en faveur des innocents. J’essaierais de les ramener à nouveau du chemin des ténèbres, dans les sentiers de lumière, de justice et de pureté où ils auraient été d’abord conduits.

— Mais, interrompit Speranza, si ces malheureux persistaient à se livrer à leurs débordements, à n’user de leur intelligence que pour éteindre la flamme du pur amour qui pouvait les distinguer de l’animal. S’ils continuaient à rester l’opprobre de leur création, un outrage à l’Éternelle Lumière, encore une fois, que ferais-tu ?

Loin d’avoir été dictée par un mouvement de fantaisie, cette création, ô Speranza, si j’en avais été capable, aurait été une œuvre d’amour, un acte d’hommage envers l’Éternelle Beauté. Je garderais l’espoir, tant que du sein de cette multitude infortunée, du fond de cet abîme de ténèbres opaques, se manifesterait une prière vraie, un acte d’adoration pure, envers le Saint des saints. Quant à tout détruire, eh bien !… non, en vérité, je ne le pourrais pas. Plutôt souffrir toutes les ignominies comme expiation pour tous, pour l’amour d’une seule, rien que d’une seule créature fidèle, que de tout vouer au néant ! Je compterais toujours que ces créatures finiraient par s’orienter dans le droit chemin. Je travaillerais à leur donner l’intelligence des âpres et saines jouissances de l’abnégation et du renoncement.

Je leur apprendrais les satisfactions inexprimables de la sagesse, le bonheur de la pureté, les extases de la foi dans l’immortalité de l’âme.

Et s’il le fallait…

— Irais-tu, interrompit Speranza, jusqu’au sacrifice de ta vie ?

— Il y a déjà eu sur la terre, dis-je, des créatures qui ont versé leur sang pour le Christ ; il en est encore qui sont prêtes à accepter le martyre…

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Speranza se redressa de toute sa taille ; ses traits s’animèrent d’une expression plus radieuse, et la céleste phosphorescence de sa personne se fit plus lumineuse.

— Voyageur errant, mortel de la Terre, dit mon cicerone céleste, tu as bien parlé. Si toi, être formé du limon de la Terre, être imparfait, être tellement borné, que tu ne peux dépasser certaines limites sans perdre l’équilibre physique et intellectuel, fragilité et poussière tout ensemble dans l’immensité de la création, si, toi, tu pleurais sur les méfaits du genre humain, et, malgré l’ingratitude, les méfaits, les outrages et les crimes de tes semblables, de ceux que tu aurais eu la faculté de créer, tu leur gardais toujours ta sollicitude, ton dévouement, ton amour, que penses-tu donc de ce que peut accomplir le Dieu de tout amour, de toute justice, de toute miséricorde, le Dieu Immanent, l’Alpha et l’Omega de tout ce qui fut, est, et sera, l’Infiniment parfait ?…

Comprends-tu maintenant le Christ, la Rédemption ?… Comprends-tu le Calvaire, ce phare lumineux qui se dresse depuis deux mille ans aux confins des mondes et domine l’humanité entière ?…

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La vision disparut.

Dans l’effort désespéré que je fis pour m’attacher à ce qui me paraissait être les plis flottants de son vêtement, je me réveillai en sursaut. Il était trois heures de la journée, justement l’heure à laquelle, dans maint temple de la chrétienté, du haut de la chaire sacrée, on retraçait en termes émus, la navrante agonie du jardin de Gethsémani, les dernières phases du lugubre et sublime drame du Golgotha…

J’étais à demi couché sur le divan dans ma chambrette, toujours emprisonné dans ma chrysalide de grossière argile…

Au dehors, le firmament était encore d’un gris lourd ; la neige, une neige humide, pleureuse, tombait en flocons épais et désordonnés, et la bise, par rafales, fouettait les vitres…

J’entends toujours, vibrant à travers les régions éthérées ces paroles suprêmes du séraphique messager :

— Comprends-tu maintenant le Christ, le Rédempteur ?…

Comprends-tu le Calvaire ?…