Têtes et figures/Mater amabilis

La Compagnie de Publication de "Le Soleil" (p. 105-109).

Mater Amabilis


Le sanctuaire se pare de fleurs ; un petit autel, succédant à la niche rose et d’or de l’Enfant Jésus, se dresse en avant de l’hémicycle sacré.

Une statue drapée dans un manteau d’azur, les mains tendues miséricordieusement vers l’humanité, en occupe le centre ; tout autour de la statue, une guirlande de roses ; au pied, des gerbes de fleurs, primeurs de la saison nouvelle, dont les frais calices se tournent vers la Madone, comme pour lui offrir le parfum suprême d’une vie prématurément tranchée.

Dans la famille, on vient de terminer le repas du soir.

Du beffroi s’exhale l’harmonie connue de l’Angelus, éloquente invitation à la prière.

La foule arrive, circule sur le parvis sacré et s’agenouille pieusement.

L’orgue prélude ; les candélabres scintillent dans la pénombre ; et l’homme de la prière monte, revêtu de son blanc surplis, dans la chaire de vérité.

C’est l’heure solennelle où la catholicité toute entière se prosterne aux pieds de la mère de Dieu.

Le premier jour de mai, en tout endroit de la terre, ramène au cœur tout un monde d’espérances et de poésie.

Et le mois, lui-même, peut-il avoir une dédicace plus élevée, plus salutaire, une consécration plus digne qu’à celle que l’on nomme en tous lieux, mater amabilis, stella matulina, causa nostrae laetitiae, dans l’admirable oraison jaculatoire que l’on va réciter et chanter chaque jour du mois dans tous les temples catholiques.

Et, Marie ! Quel nom gracieux ! C’est, disait naguère un journaliste distingué, le nom choisi entre tous pour le poser sur la tête des filles de notre patrie et aussi du Canada français.

Toutes ou presque toutes, ajoutait-il, elles s’appellent Marie, depuis la bonne vieille assise à son rouet, jusqu’à la grande dame du castel.

Quand le berceau a reçu la petite voyageuse, venue du ciel, la mère attache ce nom à son front pour appeler sur cette petite fragilité, un rayon d’étoile.

« Je vous salue, Marie, pleine de grâces. » a dit l’ange, et le poète s’est écrié : Date lilia ! Apportez à pleines mains les roses, les lys de la vallée ! Tressez-lui une couronne ! Jonchez pour elle de fleurs le chemin de la vie ! Date lilia !

De l’orient à l’occident, à travers les siècles, que de femmes ont porté de radieuse façon ce nom de grâce et de lumière !

Quand on évoque leur souvenir, elles apparaissent dans la légende et dans l’histoire comme des bouquets d’astres, des gerbes de roses éternellement vivantes.

Ainsi que le disait tout récemment un écrivain, pour me parler que des plus illustres, dont les noms surgissent instantanément à la mémoire, Marie de l’Incarnation, Marie Alacoque, Marie de la Ferre ne sont-elles pas des modèles d’abnégation, de dévouement et de sainteté ; Marie de la Ferre, l’illustre collaborateur de M. de la Dauversière dans l’institution d’une congrégation d’Hospitalières dans l’île de Montréal, au Canada ? Marie Stuart n’est-elle point la beauté faite femme ? Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, le charme frondeur ? Marie de Rabutin, marquise de Sévigné, l’esprit ? Marie-Thérèse d’Autriche, le courage et la force ? Marie Leckzinska, la bonté ? Marie-Antoinette, la grâce suprême et la suprême infortune ? Marie d’Orléans, le doux génie féminin ?

En Bretagne, les hommes sont filleuls de la Vierge ; c’est, par respect pour cette coutume que le nom de Marie fait partie de leurs noms de baptême.

Au Canada, la coutume apportée par nos ancêtres, s’est transmise et conservée depuis.

On la retrouve surtout dans les familles ouvrières où la dévotion, moins fardée, moins enjolivée qu’ailleurs, se traduit avec franchise, modestie et sincérité.

Ouvriers, qui revenez le soir, courbés sous le poids du labeur, n’oubliez pas, en passant auprès du sanctuaire de la Vierge, d’y entrer, et, déposant dans un coin du temple les outils de votre rude journée, de réciter l’Ave Maria. La Vierge, Mater Christi, vous bénira.

Vous tous qui souffrez dans votre âme et dans votre corps, qui succombez presque à la peine, n’oubliez pas, durant le mois de mai, d’entrer aussi dans le sanctuaire de la Vierge, à l’heure où l’Angelus sonne, et d’y réciter l’Ave Maria. La Vierge, Consolatrix afflictorum, séchera vos larmes !

Vous tous qui traînez encore au pied le boulet d’une passion dégradante, entrez aussi dans le sanctuaire de la Vierge, pour dire l’Ave Maria. La Vierge, Refugium peccatorum, vous délivrera de vos chaînes.

Que tous marquent leur dévotion à la Reine des Anges ! Que ce soit, dans son sanctuaire, brassées de lilas, pluies de roses, avalanches de lys, sourires, chants, larmes joyeuses, promesses et souvenirs ! une ville, un village, transportant des fleurs ! des bouquets partout ! depuis la mansarde jusqu’au salon, depuis l’humble cabane jusqu’au balcon doré !

Et sur cette gaieté épanouie, le beau ciel bleu de la saison nouvelle déploiera son royal azur.