Sur les fondements de la théorie des ensembles transfinis/Premier article

Traduction par Francisque Marotte.
A. Hermann (Extrait des Mémoires de la Société des Sciences physiques et naturelles de Bordeaux, t. IIIp. 3-44).

1er ARTICLE[1]

Hypotheses non fingo.

Neque enim leges intellectui aut rebus damus ad arbitrium nostrum, sed tanquam scribae fideles ab ipsius naturae voce latas et prolatas excipimus et describimus.

Veniet tempus, quo ista quae nunc latent, in lucem dies extrahat et longioris aevi diligentia.


§ 1.La notion de puissance ou le nombre cardinal.

Nous appelons « ensemble » toute réunion M d’objets de notre conception m, déterminés et bien distincts, et que nous nommerons « éléments » de M. Nous écrirons ainsi

(1) M = {m}.

La réunion de plusieurs ensembles M, N, P, …, qui n’ont aucun élément commun, donne un ensemble qui sera représenté par

(2) (M, N, P, …).

Les éléments du nouvel ensemble sont ainsi les éléments de M, de N, de P, etc., considérés comme formant un seul tout.

Nous dirons qu’un ensemble M1 est une « partie » de l’ensemble M, si les éléments de M1 sont aussi des éléments de M.

Si M2 est une partie de M1, M1 une partie de M, M2 est aussi une partie de M.

À tout ensemble M correspond une « puissance » bien déterminée que nous appelons aussi son « nombre cardinal ».

Nous appelons « puissance » ou « nombre cardinal » de M, la notion générale que nous déduisons de M à l’aide de notre faculté de penser, en faisant abstraction de la nature des différents éléments m et de leur ordre.

Nous représentons par

(3) M

le nombre cardinal ou puissance de M, résultat de ces deux abstractions.

Chaque élément isolé m, abstraction faite de sa nature, est une « unité » ; le nombre cardinal M est donc lui-même un ensemble déterminé d’unités qui se présente comme l’image ou la projection de l’ensemble M dans notre esprit.

Nous disons que deux ensembles M et N sont « équivalents » et nous écrivons

(4) M ∼ N ou N ∼ M

lorsqu’il est possible de les associer, de telle sorte qu’à chaque élément de l’un d’eux corresponde un et un seul élément de l’autre.

À chaque partie M1 de M correspond alors une partie déterminée équivalente N1 de N, et réciproquement.

Si l’on a trouvé une telle loi d’association pour deux ensembles équivalents, on peut (sauf le cas où ceux-ci ne comprendraient qu’un seul élément) en trouver plusieurs autres. Notamment, on peut toujours faire en sorte qu’à un élément déterminé m0 de M, corresponde un élément déterminé n0 de N. Car, si la loi d’association primitive ne faisait pas correspondre m0 et n0, c’est qu’à l’élément m0 de M correspondrait l’élément n1 de N, tandis qu’à l’élément n0 de N correspondrait l’élément m1 de M ; il suffit donc de modifier la loi d’association de façon que m0 et n0 et de même m1 et n1 deviennent des éléments correspondants des deux ensembles, et cela sans modifier la correspondance des autres éléments. Nous avons alors atteint notre but.

Un ensemble est équivalent à lui-même

(5) M ∼ M.

Si deux ensembles sont équivalents à un troisième, ils sont équivalents entre eux.

(6) De M ∼ P et N ∼ P il résulte M ∼ N.

Il est d’importance capitale que deux ensembles M et N ont alors et seulement alors le même nombre cardinal lorsqu’ils sont équivalents.

(7) De M ∼ N résulte M = N

et

(8) De M = N résulte M ∼ N.

L’équivalence de deux ensembles est aussi la condition nécessaire et suffisante de l’égalité de leurs nombres cardinaux.

En effet, d’après la définition de la puissance donnée plus haut, le nombre cardinal M reste inaltéré lorsqu’on substitue d’autres objets à un, à plusieurs ou à tous les éléments de M.

Or, si l’on a M ∼ N, il y a une loi d’association qui réalise une correspondance biuniforme de M et N et fait correspondre à l’élément m de M l’élément n de N. Nous pouvons donc substituer à chaque élément m de M l’élément correspondant n de N et par cette opération transformer M en N sans changer le nombre cardinal. Donc

M = N.

La réciproque de ce théorème résulte de la remarque qu’entre les éléments de M et les diverses unités de son nombre cardinal M existe une correspondance biuniforme. Car, comme nous l’avons vu, M résulte de M en ce sens que chaque élément de M devient une unité de M. Nous pouvons donc dire que

M ∼ M.

De même N ∼ N, et comme l’on a M = N, il en résulte, d’après (6), M ∼ N.

De la notion de l’équivalence résulte encore immédiatement le théorème suivant :

Si M, N, P, … sont des ensembles formés d’éléments tous distincts et si M′, N′, P′, … sont des ensembles correspondants analogues, les relations

M ∼ M′N ∼ N′P ∼ P′

ont pour conséquence

(M, N, P, …) ∼ (M′, N′, P′, …).

§ 2.Comparaison des puissances.

Si les deux ensembles M et N, dont les nombres cardinaux sont a = M et b = N, remplissent les deux conditions :

1o Il n’y a aucune partie de M qui soit équivalente à N,

2o Il y a une partie N1 de N, telle que N1 ∼ M,

il est tout d’abord évident que celles-ci sont aussi remplies lorsqu’on remplace les ensembles M et N par deux ensembles respectivement équivalents M′ et N′ ; elles expriment donc une relation déterminée entre les nombres cardinaux a et b.

De plus, l’équivalence de M et N, et par suite l’égalité de a et b sont exclues ; car si l’on avait M ∼ N et N1 ∼ M, on aurait aussi N1 ∼ N, et en vertu de l’équivalence des ensembles M et N, il existerait une partie M1 de M telle que M1 ∼ M, et par suite M1 ∼ N, ce qui est contraire à la première condition.

En troisième lieu, la relation de a à b est telle qu’elle exclut la même relation de b à a ; car si l’on permute dans 1o et 2o les lettres M et N, on obtient deux conditions qui sont contradictoires aux premières.

Nous exprimons la relation de a à b caractérisée par les conditions 1o et 2o en disant : a est plus petit que b ou encore b est plus grand que a, ce que nous écrivons

(1) a < b ou b > a.

On démontre facilement que

(2) Si a < b, b < c, on a toujours a < c.

De même, il résulte immédiatement de la définition que si P1 est une partie d’un ensemble P, la relation a < P1 entraîne toujours a < P et P < b entraîne aussi P1 < b.

Nous avons vu que chacune des trois relations

a = b, a < b, b < a

exclut les deux autres.

Au contraire, il n’est nullement évident, et nous ne pourrions que difficilement démontrer actuellement que pour deux nombres cardinaux quelconques a et b, l’une de ces trois relations est nécessairement vérifiée.

Bientôt, lorsque nous aurons jeté un coup d’œil sur la suite ascendante des nombres cardinaux infinis et que nous aurons pénétré leur enchaînement, nous reconnaîtrons l’exactitude du théorème suivant :

A. — Si a et b sont des nombres cardinaux arbitraires, l’on a :

ou a = b, ou a < b, ou a > b.

On déduit très simplement de ce théorème les propositions suivantes dont nous ne ferons provisoirement aucun usage.

B. — Si deux ensembles M et N sont tels que M est équivalent à une partie N1 de N et N équivalent à une partie M1 de M, M et N sont aussi équivalents.

C. — Si M1 est une partie d’un ensemble M, M2 une partie de l’ensemble M1 et si les ensembles M et M2, sont équivalents, ils sont aussi équivalents à l’ensemble M1.

D. — Si deux ensembles M et N sont tels que N n’est équivalent ni avec M lui-même, ni avec une partie de M, il y a une partie N1 de N qui est équivalente à M.

E. — Si deux ensembles M et N ne sont pas équivalents et s’il y a une partie N1 de N équivalente à M, il n’y a aucune partie de M équivalente à N.

§ 3.L’addition et la multiplication des puissances.

La réunion de deux ensembles M et N qui n’ont aucun élément commun a été représentée par (M, N) [§ 1, (2)]. Nous nommons ce nouvel ensemble l’ensemble-somme (Vereinigungsmenge) de M et de N.

Si M′, N′ sont deux autres ensembles sans éléments communs et si M ∼ M′, N ∼ N′, nous avons vu que

(M, N) ∼ (M′, N′).

Il en résulte que le nombre cardinal de (M, N) ne dépend que des nombres cardinaux M = a et N = b.

Ceci nous conduit à la définition de la somme de a et b lorsque nous posons

(1) a + b = (M, N).

Puisque dans la notion de puissance, il est fait abstraction de l’ordre des éléments, nous avons

(2) a + b = b + a

et pour 3 nombres cardinaux a, b et c

(3) a + (b + c) = (a + b) + c.

Arrivons à la multiplication.

La réunion d’un élément m d’un ensemble M et d’un élément n d’un autre ensemble N forme un nouvel élément (m, n). Nous désignerons par la notation (M × N) l’ensemble formé de tous les éléments (m, n) et nous l’appellerons ensemble-produit (Verbindungsmenge) de M et de N. On a ainsi

(4) (M × N) = {(m, n)}.

On voit facilement que la puissance de (M × N) ne dépend que des puissances de M = a et N = b ; car si l’on remplace les ensembles M et N par les ensembles respectivement équivalents

M′ = {m} et N′ = {n}

et si l’on considère m, m′ ainsi que n, n′ comme des éléments associés, on voit que l’ensemble

(M′ × N′) = {(m′, n′)}

est lié à l’ensemble (M × N) par une correspondance biuniforme si l’on fait correspondre les éléments (m, n) et (m′, n′). Ainsi

(5) (M′ × N′) ∼ (M × N).

Nous pouvons maintenant définir le produit a × b par l’équation

(6) a × b = (M × N).

On peut aussi déduire des deux ensembles M et N, dont les nombres cardinaux sont a et b, un ensemble de nombre cardinal a × b par la règle suivante : on remplace chaque élément n de l’ensemble N par un ensemble Mn ∼ M ; si l’on considère les éléments de tous ces ensembles Mn réunis en un seul tout S, on voit facilement que

(7) S ∼ (M × N).

et par suite

S = a × b.

Car si nous désignons par mn l’élément de Mn correspondant à l’élément m de M, on a :

(8) S = {mn}

et, par suite, les ensembles S et (M × N) se correspondent d’une manière biuniforme lorsque l’on associe mn et (m, n).

De nos définitions résultent immédiatement les théorèmes

(9) a × b = b × a
(10) a × (b × c) = (a × b) × c
(11) a × (b + c) = ab + ac

parce que

(M × N) ∼ (N × M)
[M × (N × P)] ∼ [(M × N) × P]
[M × (N, P)] ∼ [(M × N), (M × P)].

L’addition et la multiplication des puissances sont ainsi soumises aux lois commutative, associative et distributive.

§ 4.L’exponentiation des puissances.

Nous disons d’une loi qui, à chaque élément n de N fait correspondre un élément déterminé de M, le même élément pouvant être employé plusieurs fois, qu’elle réalise une représentation (Belegung) de l’ensemble N sur les éléments de l’ensemble M, ou, plus simplement, une représentation de N sur M. L’élément de M associé ainsi à n est, d’une certaine façon, une fonction uniforme de n et peut, par exemple, être désigné par f(n) ; f(n) est la fonction de représentation de n ; la représentation correspondante de N sera désignée par f(N).

Deux représentations f1(N) et f2(N) sont alors, et seulement alors, dites identiques lorsque pour tous les éléments n de N on a l’équation

(1) f1(n) = f2(n)

de sorte que si pour un seul élément particulier n = n0 cette équation n’est pas vérifiée, les représentations f1(N) et f2(N) sont considérées comme distinctes.

Par exemple, si m0 est un élément particulier de M et si l’on suppose que pour tous les éléments n on a

f(n) = m0

on a une représentation particulière de N sur M.

On obtiendra une autre représentation lorsque, m0 et m1 étant deux éléments différents de M, n0 un élément particulier de N, on pose

f(n0) = m0
f(n)0 = m1

pour tous les n différents de n0.

La réunion de toutes les représentations distinctes de N sur M forme un ensemble déterminé dont les éléments sont f(N) ; nous le nommons l’ensemble exponentiel (Belegungsmenge) de N avec M et nous le représentons par la notation (N|M). Ainsi

(2) (N|M) = {f(N)}.

Si M ∼ M′, N ∼ N′, on voit facilement que

(3) (N|M) ∼ (N′|M′).

Le nombre cardinal de (N|M) ne dépend donc que des nombres cardinaux M = a et N = b ; cela nous conduit à la définition de ab

(4) ab = (N|M).

Pour trois ensembles quelconques, M, N et P, on démontre facilement les théorèmes suivants :

(5) [(N|M) × (P|M)] ∼ [(N, P)|M]
(6) [(P|M) × (P|N)] ∼ [P|(M × N)]
(7) [P|(N|M)] ∼ [(P × N)|M]

Il en résulte, si l’on pose P = c, que, pour trois nombres cardinaux a, b, c quelconques, on a :

(8) ab.ac = ab + c
(9) ac.bc = (ab)c
(10) (ab)c = ab.c

On reconnaîtra par l’exemple suivant combien ces formules simples, étendues aux puissances, sont instructives et d’une grande portée.

Désignons par 𝔬 la puissance du continu linéaire X (c’est-à-dire de l’ensemble X de tous les membres réels x qui sont ≥ 0 et ≤ 1. On s’assure facilement que 𝔬 peut être représenté par la formule

(11) 𝔬 = 20.

0 étant le nombre défini au § 6.

En effet, d’après (4), 20 n’est pas autre chose que la puissance de l’ensemble de toutes les représentations

(12) x = f(1)/2 + f(2)/22 + … + f(ν)/2ν + … (où f(ν) = 0 ou 1).

des nombres x dans le système de numération dont la base est 2. Si nous remarquons, de plus, qu’il n’y a pour chaque nombre x qu’une seule manière de les représenter ainsi, sauf pour les nombres

x = 2ν + 1/2μ < 1,

pour lesquels il y a deux manières, nous voyons qu’en représentant par {sν} l’ensemble « dénombrable » de ces derniers on a :

20 = ({sν}, X).

Supposons que l’on retranche de X un ensemble dénombrable quelconque {tν} et désignons le reste par X1, on a :

X = ({tν}, X1) = ({t2ν − 1}, {t}, X1)
({sν}, X) = ({sν}, {tν}, X1)
{t2ν − 1} ∼ {sν}  {t} ∼ {tν}  X1 ∼ X1

et il en résulte

X ∼ ({sν}, X)

et par suite (§ 1)

20 = X = 𝔬.

En élevant au carré les deux membres de la formule et se reportant au § 6, (6)

𝔬𝔬 = 2020 = 20 + ℵ0 = 20 = 𝔬.

et par des multiplications successives :

(13) 𝔬ν = 𝔬.

ν étant un nombre cardinal fini quelconque.

Élevons les deux membres de (11) à la puissance ℵ0. On obtient :

𝔬0 = (20)0 = 200.

Mais comme d’après § 600 = ℵ0

(14) 𝔬0 = 𝔬.

La signification des formules (13) et (14) est celle-ci : Les continus à ν dimensions ainsi que les continus à 0 dimensions ont même puissance que le continu linéaire. Ainsi, tout le contenu du mémoire du Journal de Crelle, tome LXXXIV, page 242, est obtenu, d’une façon purement algébrique à l’aide des formules fondamentales du calcul des puissances.

§ 5.Les nombres cardinaux finis.

Nous voulons montrer tout d’abord que les principes que nous venons d’exposer, et sur lesquels nous fonderons la théorie des nombres cardinaux actuellement infinis ou transfinis, fournissent aussi l’exposé le plus naturel, le plus court et le plus rigoureux de la théorie des nombres finis.

À un objet isolé e0, considéré comme élément unique d’un ensemble E0 = (e0), correspond comme nombre cardinal celui que nous nommons « un » et que nous écrivons 1 ; nous avons :

(1) 1 = E0.

Si l’on ajoute maintenant à E0 un autre objet e1, l’ensemble somme s’appelle E1, de sorte que

(2) E1 = (E0, e1) = (e0, e1).

Le nombre cardinal de E1 s’appelle « deux » et s’écrit 2.

(3) 2 = E1.

Par l’adjonction successive de nouveaux éléments, nous obtenons la série des ensembles

E2 = (E1, e2),  E3 = (E2, e3), …

qui nous fournissent la suite illimitée des autres nombres cardinaux appelés finis et que nous écrivons 3, 4, 5, … L’emploi que nous faisons des mêmes nombres comme indices se justifie en ce sens qu’un nombre n’est ainsi employé qu’après avoir été défini comme nombre cardinal. Si ν − 1 désigne le nombre précédant immédiatement le nombre ν dans cette série, nous avons

(4) ν = Eν − 1.
(5) Eν = (Eν − 1, eν) = (e0, e1, …, eν).

De la définition de la somme donnée au § 3, il résulte

(6) Eν = Eν − 1 + 1

c’est-à-dire que tout nombre cardinal fini (sauf 1) est la somme de celui qui le précède immédiatement et de 1.

Dans le développement de nos idées, les trois théorèmes suivants viennent maintenant au premier plan.

A. Les termes de la série illimitée des nombres cardinaux finis 1, 2, 3, …, ν, … sont tous différents entre eux (c’est-à-dire que la condition d’équivalence des ensembles correspondants donnée au § 1 n’est pas remplie).

B. Chacun de ces nombres ν est plus grand que tous ceux qui le précèdent et plus petit que tous ceux qui le suivent (§ 2).

C. Il n’y a aucun nombre cardinal dont la valeur soit comprise entre deux nombres consécutifs ν et ν + 1 (§ 2).

Nous basons la démonstration de ces théorèmes sur les deux suivants D et E que nous établirons d’abord.

D. Si l’ensemble M est tel qu’il n’est équivalent à aucune de ses parties, l’ensemble (M, e) qui résulte de M par l’adjonction d’un nouvel élément e, a aussi la même propriété de n’être équivalent à aucune de ses parties.

E. Si N est un ensemble dont le nombre cardinal ν est fini et N1 une partie de N, le nombre cardinal de N1 est égal à l’un des nombres 1, 2, 3, …, ν − 1.

Démonstration de D. — Supposons donc que l’ensemble (M, e) soit équivalent à une de ses parties que nous appellerons N, nous distinguerons deux cas qui conduisent tous deux à une contradiction.

1o L’ensemble N contient l’élément e ; soit N = (M1, e) ; M1 est alors une partie de M, car N est une partie de (M, e). Comme nous l’avons vu au § 1, on peut modifier la loi d’association des deux ensembles équivalents (M, e) et (M1, e) de façon que l’élément e de l’un corresponde à l’élément e de l’autre, et alors les éléments des ensembles M et M1 se correspondent un à un, ce qui est contraire à l’hypothèse que M n’est équivalent à aucune de ses parties.

2o La partie N de (M, e) ne contient pas l’élément e et, par suite, est ou M ou une partie de M. La loi d’association de (M, e) et de N fait correspondre à l’élément e de (M, e) l’élément f de N. Soit N = (M1, f) ; les éléments des ensembles M et M1 se correspondent d’une manière uniforme ; mais M1 qui est une partie de N est aussi une partie de M. M serait donc aussi équivalent à l’une de ses parties, ce qui est contraire à l’hypothèse.

Démonstration de E. — Supposons le théorème vrai pour un certain nombre ν et démontrons-le pour le nombre suivant ν + 1.

Comme ensemble définissant le nombre cardinal ν + 1, nous avons pris Eν = (e0, e1, …, eν) ; si le théorème est exact pour celui-ci, il résulte du § 1 qu’il est aussi vrai pour tout autre ensemble de même nombre cardinal. Soit E′ une partie quelconque de Eν ; nous distinguerons les cas suivants :

1o E′ ne contient pas l’élément eν et est alors ou Eν − 1 ou une partie de Eν − 1 ; il a donc pour nombre cardinal ou ν ou un des nombres 1, 2, 3, …, ν − 1, puisque nous supposons notre théorème vrai pour l’ensemble Eν − 1 de nombre cardinal ν.

2o E′ se compose d’un seul élément eν, alors E′ = 1.

3o E′ se compose de eν et d’un ensemble E″, de sorte que E′ = (E″, eν). E″ est une partie de Eν − 1 et a, par suite, pour nombre cardinal un des nombres 1, 2, 3, …, ν − 1.

Mais on a E′ = E″ + 1 et par suite E′ a pour nombre cardinal un des nombres 2, 3, …, ν.

Démonstration de A. — Chacun des ensembles que nous avons désignés par Eν a la propriété de n’être équivalent à aucune de ses parties. Car s’il en est ainsi pour un certain nombre cardinal ν, il résulte du théorème D que c’est aussi vrai pour le suivant ν + 1.

Mais pour ν = 1, on reconnaît immédiatement que l’ensemble E1 = (e0, e1) n’est équivalent à aucune de ses parties, qui sont ici (e0) et (e1).

Considérons maintenant deux nombres quelconques μ et ν de la série 1, 2, 3, …, μ étant placé avant ν dans la série ; Eμ − 1 est une partie de Eν − 1, par suite Eμ − 1 et Eν − 1 ne sont pas équivalents et les nombres cardinaux correspondants ne sont pas égaux.

Démonstration de B. — Considérons encore les nombres μ et ν ; μ venant avant ν dans la série des nombres cardinaux finis, je dis que μ < ν. En effet, si nous considérons les deux ensembles M = Eμ − 1 et N = Eν − 1, ils remplissent les deux conditions données au § 2 pour M < N.

La première condition est remplie, car d’après le théorème E, une partie de M = Eμ − 1 a l’un des nombres cardinaux 1, 2, 3, …, μ − 1 et, par suite, d’après le théorème A, ne peut être équivalent à l’ensemble N = Eν − 1. La deuxième condition est remplie, car M est lui-même une partie de N.

Démonstration de C. — Soit a un nombre cardinal plus petit que ν + 1. D’après la deuxième condition du § 2, il y a une partie de Eν qui a pour nombre cardinal a. D’après le théorème E, toute partie de Eν a pour nombre cardinal 1, 2, 3, …, ν.

Donc a est égal à l’un des membres 1, 2, 3, …, ν.

D’après le théorème B, aucun de ces nombres n’est plus grand que ν.

Par suite, il n’y a aucun nombre cardinal qui soit plus petit que ν + 1 et plus grand que ν.

Le théorème suivant sera très important pour la suite.

F. Soit K un ensemble de nombres cardinaux finis et distincts, il y en a un parmi eux κ1 qui est plus petit que tous les autres et est ainsi le plus petit de tous.

Démonstration. — Ou l’ensemble K contient le nombre 1 qui est alors le plus petit κ1 = 1 ; ou il ne le contient pas. Dans ce cas, soit J l’ensemble de tous les nombres cardinaux de notre série 1, 2, 3, … qui sont plus petits que les nombres de K. Si un nombre ν appartient à J, il en est de même de tous les nombres plus petits que ν. Mais J doit contenir un élément ν1 tel que ν1 + 1 et par suite tous les nombres plus grands n’appartiennent pas à J, car autrement J comprendrait l’ensemble de tous les nombres finis, ce qui est impossible car les nombres appartenant à K ne sont pas contenus dans J. Ainsi J n’est pas autre chose que la suite (1, 2, 3, … ν1). Le nombre κ1 = ν1 + 1 est nécessairement un élément de K et il est plus petit que tous les autres.

De F on déduit :

G. Tout ensemble K = {κ} de nombres cardinaux finis et différents peut s’écrire :

K = (κ1, κ2, κ3, …)

κ1 < κ2 < κ3

§ 6.Le plus petit nombre cardinal transfini aleph-zéro.

Les ensembles dont le nombre cardinal est fini s’appellent ensembles finis ; nous appellerons tous les autres des ensembles transfinis et les nombres cardinaux correspondants seront des nombres cardinaux transfinis.

L’ensemble de tous les nombres cardinaux finis ν nous donne un exemple immédiat d’un ensemble transfini : nous nommons le nombre cardinal correspondant (§ 1) le nombre aleph-zéro et nous l’écrivons ℵ0, de sorte que

(1) 0 = {ν}.

Ce fait que ℵ0 est un nombre transfini, c’est-à-dire n’est égal à aucun nombre fini μ, résulte de cette simple remarque que, si l’on ajoute à l’ensemble {ν} un nouvel élément e0, l’ensemble somme ({ν}, e0) est équivalent à l’ensemble primitif. Car on établit entre les éléments des deux ensembles une correspondance biuniforme en faisant correspondre à l’élément e0 du premier l’élément 1 du second et à l’élément ν du premier l’élément ν + 1 du second. D’après le § 3 nous avons donc :

(2) 0 + 1 = ℵ0.

Mais nous avons montré au § 5 que μ + 1 est toujours différent de μ ; donc ℵ0 n’est égal à aucun nombre fini.

Le nombre 0 est plus grand que tout nombre fini μ

(3) 0 > μ.

Cela résulte (§ 3) de ce que μ = (1, 2, 3, …, μ) ajouté à ceci qu’aucune partie de l’ensemble (1, 2, 3, …, μ) n’est équivalente à l’ensemble {ν}, tandis que (1, 2, 3, …, μ) est une partie de {ν}.

D’ailleurs ℵ0 est le plus petit nombre cardinal transfini. Si a est un nombre cardinal transfini quelconque différent de ℵ0, on a toujours

(4) 0 < a.

Cela résulte des théorèmes suivants :

A. Tout ensemble transfini T a des parties dont le nombre cardinal est 0.

Démonstration. — Si l’on sépare de l’ensemble T par un procédé quelconque un nombre fini d’éléments t1, t2, … tν − 1, on peut toujours en retirer un de plus tν. L’ensemble {tν} où ν désigne un nombre cardinal fini arbitraire, est une partie de T dont le nombre cardinal est ℵ0, car {tν} ∼ {ν}. (§ 1.)

B. Si S est un ensemble transfini de nombre cardinal 0, S1 une partie infinie de S, on a aussi S1 = ℵ0.

Démonstration. — Nous supposerons que S ∼ {ν} ; si nous désignons par sν l’élément de S qui correspond à l’élément ν de {ν} en vertu d’une loi d’association arbitraire, nous avons

S = {sν}.

La partie S1 de S se compose de certains éléments sκ de S et la réunion de tous les nombres κ forme une partie infinie K de l’ensemble {ν}. Or, d’après le théorème G, § 5, l’ensemble K peut s’écrire

K = {κν}.

κν < κν + 1

et par suite on a aussi

S1 = {sκν}.

Il en résulte que S1 ∼ S et que S1 = ℵ0.

En se reportant au § 1, on voit que les théorèmes A et B démontrent la formule (4).

En ajoutant 1 aux deux membres de l’égalité (2), nous avons :

0 + 2 = ℵ0 + 1 = ℵ0,

et en répétant cette opération :

(5) 0 + ν = ℵ0.

Mais nous avons aussi :

(6) 0 + ℵ0 = ℵ0.

Car d’après l’égalité (1), § 3, 0 + ℵ0 est le nombre cardinal ({aν}, {bν}) parce que

0 = {aν} = {bν}.

Mais on a évidemment :

{ν} = ({2ν − 1}, {2ν})
({2ν − 1}, {2ν}) ∼ ({aν}, {bν})

et par suite

({aν}, {bν}) = {ν} = ℵ0.

L’équation (6) peut aussi s’écrire ;

0.2 = ℵ0,

et en ajoutant un certain nombre de fois ℵ0 aux deux membres de cette équation :

(7) 0.ν = ν.ℵ0 = ℵ0.

Nous avons aussi :

(8) 0.ℵ0 = ℵ0.

Démonstration. — D’après la formule (6) du § 3, 0.ℵ0 est le nombre cardinal de l’ensemble {(μ, ν)}, où μ et ν sont deux nombres cardinaux finis quelconques, indépendants l’un de l’autre. Si λ représente aussi un nombre cardinal fini arbitraire (de sorte que {λ}, {μ} et {ν} sont seulement des modes différents de représenter l’ensemble de tous les nombres cardinaux finis), nous avons à montrer que

{(μ, ν)} ∼ {λ}.

Posons μ + ν = ρ ; ρ prendra les valeurs 2, 3, 4, … et il y a en tout ρ − 1 éléments {μ, ν} pour lesquels μ + ν = ρ, savoir :

(1, ρ − 1), (2, ρ − 2), …, (ρ − 1, 1).

Supposons que l’on écrive dans cet ordre d’abord l’élément (1, 1) pour lequel ρ = 2, puis les deux éléments pour lesquels ρ = 3, puis les trois éléments pour lesquels ρ = 4, et ainsi de suite ; on obtiendra tous les éléments (μ, ν) écrits comme il suit :

(1, 1) ; (1, 2), (2, 1) ; (1, 3), (2, 2), (3, 1) ; (1, 4), (2, 3), … ;

et comme on le voit facilement, l’élément (μ, ν) occupe le rang

(9) λ = μ + (μ + ν − 1)(μ + ν − 2)/2.

λ prend successivement les valeurs 1, 2, 3, … ; il existe ainsi en vertu de (9) une correspondance biuniforme entre les deux ensembles {λ} et {μ, ν}.

Si l’on multiplie par ℵ0 les deux membres de l’équation (8), on obtient 03 = ℵ02 = ℵ0, et en répétant l’opération, on obtient l’équation

(10) 0ν = ℵ0,

valable pour un nombre cardinal fini quelconque ν.

Les théorèmes E et A du § 5 nous conduisent à cette proposition sur les ensembles finis.

C. Tout ensemble fini E est tel qu’il n’est équivalent d’aucune de ses parties.

Nous mettrons en regard le théorème suivant relatif aux ensembles transfinis.

D. Tout ensemble transfini T est tel qu’il a des parties T1 qui lui sont équivalentes.

Démonstration. — D’après le théorème A de ce paragraphe, il y a une partie S = {tν} de T dont le nombre cardinal est ℵ0. Soit T = (S, U), de sorte que U est formé des éléments de T qui sont différents des éléments tν. Si nous posons S1 = {tν + 1} et T1 = (S1, U), T1 est une partie de T que l’on obtient en séparant de T le seul élément t1. Comme S ∼ S1 (théorème B de ce paragraphe) et U ∼ U, on a aussi (§ 1) T ∼ T1.

Les théorèmes C et D mettent en lumière la différence essentielle entre les ensembles finis et transfinis, indiquée déjà dès 1877 dans le Journal de Crelle, tome LXXXIV, page 242.

Maintenant que nous avons défini le plus petit nombre cardinal transfini ℵ0 et obtenu ses propriétés les plus immédiates, la question se pose de rechercher les nombres cardinaux supérieurs et leur génération à partir de ℵ0.

Nous montrerons que les nombres cardinaux transfinis se rangent par ordre de grandeur et forment ainsi rangés, comme les nombres cardinaux finis, quoique dans un sens plus étendu, un ensemble bien ordonné.

De ℵ0 résulte, d’après une loi déterminée, le nombre cardinal immédiatement supérieur ℵ1 ; de celui-ci et d’après la même loi résulte le nombre suivant ℵ2, et ainsi de suite.

Mais la suite illimitée des nombres cardinaux

0, ℵ1, ℵ2, …, ℵν, …

n’épuise pas la notion de nombre cardinal transfini. Nous démontrerons l’existence d’un nombre cardinal que nous désignerons par ℵω et qui se présente comme le nombre immédiatement supérieur à tous les nombres ℵν ; de ce nombre résulte de la même manière que ℵ1 résulte de ℵ0, un nombre immédiatement supérieur ℵω + 1, et ainsi de suite indéfiniment.

Ainsi on déduit, par une loi simple, d’un nombre cardinal infini quelconque a, un autre nombre immédiatement supérieur et, de plus, de cet ensemble ascendant illimité et bien ordonné {a} de nombres cardinaux a résulte simplement un nombre immédiatement supérieur.

Pour démontrer rigoureusement ces résultats trouvés en l’année 1882 et déjà publiés dans mon ouvrage : Grundlagen einer allgemeinen Mannigfältigkeitslehre (Leipzig, 1883), ainsi qu’au tome XXI des Mathematische Annalen, nous emploierons la notion de type, dont nous allons d’abord développer la théorie dans les paragraphes suivants.

§ 7.Les types ordinaux (Ordnungstypen) des ensembles simplement ordonnés.

Nous dirons qu’un ensemble M est simplement ordonné lorsqu’on a rangé ses éléments dans un ordre de succession jouissant des deux propriétés suivantes : 1o de deux éléments quelconques m1 et m2, l’un m1 a le rang le plus bas, l’autre le rang le plus élevé ; 2o si de trois éléments m1, m2, m3, m1 a un rang plus bas que celui de m2 et m2 un rang plus bas que celui de m3, le rang de m1 est aussi plus bas que celui de m3.

La relation de deux éléments m1 et m2 qui fait que m1 a un rang plus bas que celui de m2 dans l’ordre de succession adopté sera exprimé par les formules

(1) m1m2,  m2m1.

Ainsi tout ensemble ponctuel défini, porté par une droite illimitée, est un ensemble simplement ordonné, lorsque pour deux points quelconques p1 et p2, appartenant à cet ensemble on attribue le rang inférieur à celui dont l’abscisse est la plus petite (après fixation d’une origine et d’une direction positive).

Il est clair que le même ensemble peut être simplement ordonné de différentes façons. Considérons par exemple l’ensemble R de tous les nombres rationnels positifs p/q (où p et q sont premiers entre eux), qui sont plus petits que 1 ; on peut les ordonner en les rangeant par grandeur croissante. Mais ils peuvent aussi être ordonnés de la façon suivante (et nous appellerons R0 l’ensemble ainsi ordonné) : des deux nombres p1/q1 et p2/q2 pour lesquels les sommes p1 + q1 et p2 + q2 sont différentes, celui-là aura le rang inférieur qui correspond à la somme la plus petite ; si ces deux sommes sont égales, on attribuera le rang inférieur au plus petit des deux nombres.

Comme à une seule et même valeur de p + q ne correspondent toujours qu’un nombre fini de nombres rationnels différents, notre ensemble ainsi ordonné aura la forme

R0 = (r1, r2, …, rν, …)(1/2, 1/3, 1/4, 2/3, 1/5, 1/6, 2/5, 3/4, …)

rνrν + 1.

Lorsque nous parlerons d’un ensemble M simplement ordonné, nous nous représenterons toujours ses éléments placés dans un ordre de succession déterminé au sens qui vient d’être précisé.

Il y a des ensembles ordonnés d’ordre deux, d’ordre trois, d’ordre ν, d’ordre a, mais nous ne nous en occuperons pas provisoirement. Par suite il nous sera permis d’employer dans la suite l’expression plus courte « ensemble ordonné », alors que nous aurons en vue un « ensemble simplement ordonné ».

À tout ensemble ordonné M correspond un type ordinal (Ordnungstypus) déterminé que nous désignerons par

(2) M

Nous entendrons par là la notion générale qui résulte de M lorsque nous faisons abstraction de la nature des éléments m, mais non de leur ordre de succession.

D’après cela, le type ordinal M est lui-même un ensemble ordonné, dont les éléments sont des unités perceptibles, qui ont entre elles le même ordre de succession que les éléments correspondants de M, dont elles résultent par abstraction.

Deux ensembles ordonnés M et N, sont dits semblables quand on peut établir entre leurs éléments une correspondance réciproque à sens unique (correspondance biuniforme) telle que m1 et m2 étant deux éléments quelconques de M, n1 et n2, les éléments correspondants de N, la relation de m1 et m2 dans l’ordre de succession de M soit toujours la même que la relation de n1 et n2 dans l’ordre de succession de N. Une telle correspondance de deux ensembles semblables sera appelée une « application » (Abbildung) de l’un sur l’autre. À chaque partie M1 de M (qui apparaît évidemment comme un ensemble ordonné) correspond une partie semblable N1 de N.

Nous exprimerons la similitude de deux ensembles ordonnés M et N par la formule

(3) M ≃ N.

Tout ensemble ordonné est semblable à lui-même.

Si deux ensembles ordonnés sont semblables à un troisième, ils sont aussi semblables entre eux.

Une simple réflexion montre que deux ensembles ordonnés ont alors, et seulement alors, le même type ordinal, lorsqu’ils sont semblables ; de sorte que l’une quelconque des deux formules

(4) M = N  M ≃ N

est toujours une conséquence de l’autre.

Si dans un type ordinal M, on fait encore abstraction de l’ordre de succession des éléments, on obtient (§ 1) le nombre cardinal M de l’ensemble ordonné M, qui est également le nombre cardinal du type M.

De M = N résulte toujours M = N, c’est-à-dire que deux ensembles ordonnés de même type ont toujours la même puissance ou le même nombre cardinal. La similitude des ensembles ordonnés entraîne toujours leur équivalence ; au contraire, deux ensembles ordonnés peuvent être équivalents sans être semblables.

Nous emploierons pour désigner les types ordinaux les petites lettres de l’alphabet grec.

Si α est un type ordinal, nous désignerons par

(5) α

le nombre cardinal correspondant.

Les types des ensembles simplement ordonnés finis n’offrent aucun intérêt particulier. Car on voit facilement que tous les ensembles simplement ordonnés qui correspondent à un nombre cardinal fini ν, sont semblables, et ainsi ont un seul et même type. Ces types sont donc soumis aux mêmes lois que les nombres cardinaux finis et il sera permis d’employer pour eux les mêmes signes 1, 2, 3, …, ν, …, bien qu’ils soient une notion différente de celle des nombres cardinaux.

Il en est tout autrement des types des ensembles infinis, car à un nombre cardinal unique correspondent une infinité de types différents d’ensembles simplement ordonnés dont l’ensemble constitue une « classe de types » (Typenclasse).

Chacune de ces classes de types est ainsi déterminée par un nombre cardinal infini a qui est commun à tous les types isolés appartenant à la classe ; ce sera la classe de types [a].

Celle de ces classes qui se présente tout d’abord naturellement et dont l’étude complète doit être le but immédiat de la théorie des ensembles transfinis est la classe de types [ℵ0], qui comprend tous les types qui ont le plus petit nombre cardinal infini ℵ0.

Il importe de distinguer du nombre cardinal a, qui détermine la classe des types [a], le nombre cardinal a′ qui, de son côté, est déterminé par la classe des types [a] ; ce dernier est le nombre cardinal qui correspond (§ 1) à la classe de types [a] lorsque celle-ci est considérée comme un ensemble bien défini dont les éléments sont les divers types α dont le nombre cardinal est a. Nous verrons que a′ est différent de a et même qu’il est toujours plus grand.

Si l’on inverse l’ordre de succession de tous les éléments d’un ensemble ordonné de sorte que, de deux éléments, celui qui avait le rang le plus bas acquiert le plus élevé et réciproquement, on obtient de nouveau un ensemble ordonné que nous désignons par

(6) *M

et que nous appellerons l’inverse de M.

Si α = M, nous désignerons le type de *M par

(7)

Il peut arriver que *α = α ; il en est ainsi, par exemple, pour les types finis et pour le type de l’ensemble R de tous les nombres rationnels qui sont plus grands que 0 et plus petits que 1, lorsqu’on les ordonne par grandeur croissante ; nous appellerons ce type η.

Remarquons encore que deux ensembles ordonnés semblables peuvent être représentés l’un sur l’autre d’une ou de plusieurs manières ; dans le premier cas, le type considéré est semblable à lui-même d’une seule manière, et dans le deuxième, de plusieurs manières.

Nous verrons que non seulement les types finis, mais aussi les types des ensembles transfinis « bien ordonnés », dont nous nous occuperons plus tard et que nous nommerons nombres ordinaux transfinis, n’admettent qu’une seule représentation sur eux-mêmes. Au contraire, le type η est semblable à lui-même d’une infinité de manières.

Deux exemples simples nous permettront d’éclaircir cette différence.

Désignons par ω le type de l’ensemble bien ordonné

(e1, e2, e3, …, eν, …)

eνeν + 1

et où ν représente un nombre cardinal fini quelconque.

Un autre ensemble bien ordonné de même type

(f1, f2, …, fν, …)

avec

fνfν + 1

ne peut évidemment être représenté sur le premier qu’en faisant correspondre fν avec eν. Car l’élément e1 du premier qui a le moindre rang doit correspondre à l’élément qui a le moindre rang dans le second ; l’élément e2 de rang immédiatement supérieur à celui de e1 doit correspondre à l’élément f2 dont le rang est immédiatement supérieur à celui de f1, et ainsi de suite.

Toute autre correspondance à sens unique des éléments des deux ensembles {eν} et {fν} n’est pas une « application » au sens que nous avons fixé plus haut dans la théorie des types.

Considérons au contraire un ensemble ordonné de la forme

{eν′}

où ν′ prend toutes les valeurs positives et négatives entières y compris la valeur 0 et où

eν′eν′ + 1

Cet ensemble n’a aucun élément de rang inférieur à tous les autres et aucun élément de rang supérieur à tous les autres. D’après la définition de la somme qui sera donnée au § 8, le type de cet ensemble est

*ω + ω.

Il est semblable à lui-même d’une infinité de manières.

Car si nous considérons un ensemble du même type

{fν′}

avec

fν′fν′ + 1

et si ν0′ désigne un nombre entier quelconque positif ou négatif, les deux ensembles sont appliqués l’un sur l’autre lorsque à l’élément eν′ du premier on fait correspondre l’élément fν0′ + ν′, du second ; ν0′ étant arbitraire, on a ainsi une infinité d’applications.

Lorsque la notion de « type » que nous venons de développer est étendue à des « ensembles ordonnés d’ordre multiple », elle comprend, outre la notion introduite au § 1 de « nombre cardinal » ou de « puissance », « tout ce qu’on peut imaginer susceptible de mesure numérique » et elle n’admet dans ce sens aucune généralisation ultérieure. Elle ne contient rien d’arbitraire et n’est que l’extension naturelle de la notion de nombre. Il faut particulièrement insister sur ce fait que la condition d’égalité (4) résulte avec une nécessité absolue de la notion de type et n’admet aucune modification. C’est dans la méconnaissance de ce principe qu’il faut rechercher la cause principale de la grave erreur qui se trouve dans l’ouvrage de M. G. Véronèse : Grundzüge der Geometrie (traduction allemande de A. Schepp, Leipzig, 1894).

Là, à la page 30, « le nombre d’un groupe ordonné » est défini tout à fait de la même façon que notre « type d’un ensemble simplement ordonné ». (Zur Lehre von Transfiniten, Halle, 1890. Extrait de Zeitschrift für Philos. und philos. Kritik, année 1887.)

Mais M. Véronèse croit devoir compléter la définition de l’égalité. Il dit, page 31 : « Deux nombres dont les unités se correspondent uniformément et dans le même ordre et tels que l’un n’est pas une partie de l’autre et n’est pas égal à une partie de l’autre, sont égaux. »

Cette définition de l’égalité contient un cercle et devient un non-sens.

Que signifie : n’est pas égal à une partie de l’autre ?

Pour répondre à cette question, on doit d’abord savoir quand deux nombres sont égaux ou non. Ainsi cette définition de l’égalité (abstraction faite de son arbitraire) suppose une définition de l’égalité, qui de nouveau suppose une définition de l’égalité, pour laquelle nous devons encore savoir ce qui est égal et ce qui ne l’est pas, et ainsi de suite indéfiniment.

Après que M. Véronèse a, de cette manière, sacrifié volontairement le fondement indispensable de l’égalité des nombres, on ne doit pas être surpris de l’irrégularité avec laquelle il opère dans la suite sur ses nombres pseudo-transfinis et leur attribue des propriétés qu’ils ne peuvent posséder, car dans la forme imaginée par lui, ils n’ont aucune existence sauf sur le papier. Ainsi devient claire la similitude frappante que ses formations numériques ont avec les plus absurdes « nombres infinis » de Fontenelle (Géométrie de l’infini, Paris, 1727).

M. W. Killing a aussi exprimé, dans les Index lectionum de l’Académie de Munster, ses scrupules contre les principes du livre de Véronèse.

§ 8.Addition et multiplication des types.

L’ensemble-somme (M, N) de deux ensembles M et N peut aussi, lorsque ces derniers sont ordonnés, être considéré lui-même comme un ensemble ordonné, dans lequel les éléments de M ainsi que les éléments de N conservent entre eux l’ordre de succession qu’ils ont respectivement dans M ou N, tandis que tous les éléments de M ont un rang plus bas que ceux de N.

Si M′ et N′ sont deux autres ensembles ordonnés, M ≃ M′, N ≃ N′, on aura aussi (M, N) ≃ (M′, N′) ; le type de (M, N) ne dépend donc que des types M = α, N = β ; nous définissons ainsi

(1) α + β = (M, N).

Dans la somme α + β, α s’appelle l’augendus, β l’addendus.

Pour trois types quelconques, on démontre facilement que la loi associative est vraie :

(2) α + (β + γ) = (α + β) + γ.

Au contraire, la loi commutative n’est pas exacte en général pour l’addition des types. Nous le verrons déjà par l’exemple suivant :

Soit ω le type, déjà mentionné au § 7, de l’ensemble bien ordonné :

E = (e1, e2,…, eν, …),  eνeν + 1

1 + ω n’est pas égal à ω + 1.

Car si f est un nouvel élément, on a d’après (1)

1 + ω = (f, E)
ω + 1 = (E, f)

Mais l’ensemble

(f, E) = (f, e1, e2,…, eν, …)

est semblable à l’ensemble E, par suite :

1 + ω = ω.

Au contraire, les ensembles E et (E, f) ne sont pas semblables, car le premier n’a aucun terme de rang supérieur à tous les autres, tandis que le dernier en a un f. ω + 1 est donc différent de ω = 1 + ω.

De deux ensembles ordonnés M et N de types α et β on peut déduire un ensemble ordonné S en remplaçant dans N chaque élément n par un ensemble ordonné Mn qui ait le même type que M.

(3) Mn = α.

De plus, l’ordre de succession des éléments de

(4) S = {Mn}.

se déterminera comme il suit :

1o Deux éléments de S qui appartiennent à un même ensemble Mn gardent dans S le même ordre de succession que dans Mn.

2o Deux éléments de S qui appartiennent à deux ensembles différents Mn1 et Mn2 prennent dans S le même ordre de succession que les éléments n1 et n2 dans N.

Il est facile de voir que le type de S ne dépend que des types α et β ; nous définissons donc

(5) α.β = S.

Dans ce produit α s’appelle le multiplicande, β le multiplicateur.

Appelons mn l’élément de Mn qui, par une application quelconque, correspond à l’élément m de M.

Nous pouvons alors écrire

(6) S = {mn}.

Si nous introduisons maintenant un troisième ensemble ordonné P = {p}, de type P = γ, on a, d’après (5),

α.β = {mn}  β.γ = {np}  (α.β).γ = {(mn)p}
α.(β.γ) = {m(np)}.

Mais les deux ensembles ordonnés{(mn)p} et {m(np)} sont semblables et sont appliqués l’un sur l’autre lorsque l’on fait correspondre leurs éléments (mn)p et m(np).

Par suite, pour trois types α, β et γ, la loi associative est vraie.

(7) (α.β).γ = α.(β.γ).

Enfîn de (1) et (5) résulte aussi facilement la loi distributive

(8) α(β + γ) = α.β + α.γ,

mais seulement dans le cas où c’est le multiplicateur qui est une somme.

Au contraire, la loi commutative n’est pas plus vraie pour la multiplication que pour l’addition.

Par exemple, 2.ω et ω.2 sont des types différents ; car, d’après (5)

2.ω = (e1, f1 ; e2, f2 ; … ; eν, fν ; …) = ω ;

tandis que

ω.2 = (e1, e2, …, eν, … ; f1, f2, …, fν, …),

qui est évidemment différent de ω.

Si l’on compare les définitions des opérations élémentaires sur les nombres cardinaux données au § 3 avec celles données ici pour les types, on reconnaît facilement que le nombre cardinal d’une somme de deux types est égal à la somme des nombres cardinaux des types isolés et que le nombre cardinal du produit de deux types est égal au produit des nombres cardinaux de ces types.

Toute équation entre les types résultant des deux opérations élémentaires reste donc vraie lorsque l’on y remplace chaque type par son nombre cardinal.

§ 9.Le type η de l’ensemble R de tous les nombres rationnels, plus grands que 0 et plus petits que 1, rangés par grandeur croissante.

Nous désignons par R, comme au § 7, l’ensemble de tous les nombres rationnels p/q (p et q étant premiers entre eux) qui sont > 0 et < 1, rangés par ordre de grandeur croissante. Nous désignons par η le type de R

(1) η = R.

Mais nous avons aussi rangé les éléments de cet ensemble dans un autre ordre ; dans ce nouvel ensemble que nous appelions R0, le rang était déterminé en première ligne par la grandeur de p + q et en deuxième ligne, c’est-à-dire pour les nombres rationnels pour lesquels p + q la même valeur, par la grandeur de p/q lui-même. Alors R0 se présente comme un ensemble bien ordonné de type ω.

(2) R0 = (r1, r2, …, rν, …)rνrν + 1
(3) R0 = (r1, r2, …, rν, …) où rνrν + 1ω

R et R0 ont le même nombre cardinal puisqu’ils ne diffèrent que par l’ordre des éléments, et comme évidemment R0 = ℵ0, on a aussi

(4) R = η = ℵ0.

Le type η appartient donc à la classe de types [ℵ0].

Nous remarquons en deuxième lieu que dans R il n’y a pas d’élément qui ait un rang inférieur à tous les autres ou supérieur à tous les autres.

En troisième lieu, R a la propriété qu’entre deux de ses éléments il en existe toujours d’autres ; nous exprimons cette propriété en disant que R est partout dense (überalldicht).

Nous voulons montrer maintenant que ces trois propriétés caractérisent le type η de R, de sorte que l’on a le théorème suivant :

Si un ensemble simplement ordonné M vérifie les trois conditions :

1o M = ℵ0 ;

2o M n’a aucun élément de rang inférieur ni supérieur à tous les autres ;

3o M est partout dense ;

Le type de M est égal à η.

M = η.

Démonstration. — En vertu de la première condition, M peut être mis sous la forme d’un ensemble bien ordonné de type ω ; nous le désignons alors par M0 et nous posons

(5) M0 = (m1, m2, …, mν, …)

Nous avons à montrer maintenant que

(6) M ≃ R.

C’est-à-dire qu’il nous faut prouver que l’on peut représenter M sur R, de façon que l’ordre de succession de deux éléments de M soit le même que celui des deux éléments correspondants de R.

À l’élément r1 de R on peut faire correspondre l’élément m1 de M.

r2 a, relativement à r1, une certaine position dans R ; en vertu de la condition (2) il y a une infinité d’éléments mν de M qui ont avec m1 la même relation dans M que r2 avec r1 dans R ; nous choisissons parmi eux celui qui a dans M0 le plus petit indice, soit mt2, et nous l’adjoignons à r2.

r3 a dans R certaines relations de rang avec r1 et r2 ; en vertu des conditions (2) et (3) il y a une infinité d’éléments mν de M qui ont les mêmes relations avec m1 et m2 dans M que r3 avec r1 et r2 dans R ; nous choisissons parmi eux celui qui a dans M0 le plus petit indice mt3 et nous l’adjoignons à r3.

Supposons que l’on continue ainsi l’adjonction ; les éléments

r1, r2, r3, …, rν,

de R ont pour images des éléments déterminés

m1, mt2, mt3, …, mtν,

de M qui ont entre eux le même ordre de succession dans M que les éléments correspondants dans R, et à l’élément rν + 1 de R on fera correspondre l’élément mtν + 1 de M qui a le moindre indice dans M0 et qui a, avec

m1, mt2, mt3, …, mtν,

les mêmes relations de rang que rν + 1 avec r1, r2, r3, …, rν dans R.

De cette manière, nous avons adjoint à tous les éléments rν de R des éléments déterminés mtν de M, et ces éléments ont le même ordre de succession que les éléments correspondants dans R.

Mais il nous faut encore montrer que les éléments mtν comprennent tous les éléments mν ou, ce qui revient au même, que la série

1, t2, t3, …, tν, …

n’est qu’une transposition de la série

1, 2, 3, …, ν, …

Nous démontrerons ceci en prouvant que si les éléments m1, m2, …, mν sont obtenus par la correspondance, il en est de même de l’élément suivant mν + 1.

Prenons λ assez grand pour que la suite

m1, mt2, mt3, …, mtλ,

contienne les éléments

m1, m2, m3, …, mν,

(qui, par hypothèse, sont contenus dans la suite infinie m1, mt2, …, mtν, …). Il peut arriver que mν + 1 se trouve parmi ces éléments m1, …, mtλ, et alors on a bien prouvé que mν + 1 est obtenu par la correspondance.

Mais si mν + 1 n’est pas compris parmi les éléments

m1, mt2, mt3, …, mtλ,

mν + 1 a alors avec ces éléments une relation de rang déterminée ; il y a dans R une infinité d’éléments qui ont avec r1, r2, …, rλ, la même relation, soit rλ + σ celui d’entre eux qui a dans R0 le plus petit indice.

On voit facilement alors que mν + 1 a, par rapport aux éléments,

m1, mt2, mt3, …, mtλ + σ − 1,

la même position dans M que rλ + σ par rapport à

r1, r2, r3, …, rλ + σ − 1,

dans R. Comme m1, m2, …, mν ont déjà été obtenus par la représentation, mν + 1 est l’élément de moindre indice dans M0 qui a la même position par rapport à

m1, mt2, mt3, …, mtλ + σ − 1,

D’après notre loi d’association on a donc

mtλ + σ = mν + 1.

Notre correspondance nous donne donc bien l’élément mν + 1 et nous voyons ici que l’élément qui lui est adjoint est rλ + σ.

Ainsi, notre loi d’association nous permet de représenter l’ensemble M tout entier sur l’ensemble R entier ; M et R sont donc des ensembles semblables.

C. Q. F. D.

Du théorème que nous venons de démontrer résultent par exemple les théorèmes suivants :

η est le type de l’ensemble de tous les nombres rationnels négatifs et positifs, y compris zéro, rangés par grandeur croissante.

η est le type de l’ensemble des nombres rationnels plus grands que a et plus petits que b, rangés par grandeur croissante (a et b étant deux nombres réels quelconques a < b).

η est le type de l’ensemble de tous les nombres algébriques réels rangés par grandeur croissante.

η est le type de l’ensemble de tous les nombres algébriques rangés par grandeur croissante qui sont plus grands que a et plus petits que b, où a et b sont deux nombres réels quelconques, a < b.

Car tous ces ensembles ordonnés vérifient les trois conditions exigées de M dans notre théorème. (Journal de Crelle, t. LXXVII, p. 258.)

Si nous considérons de plus les ensembles de types η + η, ηη, (1 + η)η, (η + 1)η, (1 + η + 1)η, on voit, d’après les définitions données au § 8, que ces trois conditions sont remplies pour chacun d’eux. Donc

(7) ηη + η = η.
(8) ηηη = η.
(9) η(1 + η)η = η.
(10) η(η + 1)η = η.
(11) η(1 + η + 1)η = η.

L’emploi répété des formules (7) et (8) nous conduit, pour un nombre fini ν, aux formules

(12) η.ν = η
(13) ην = η.

Au contraire, on voit facilement que pour ν > 1, les types 1 + η, η + 1, ν.η, 1 + η + 1, sont différents entre eux et différents de η.

D’ailleurs on a :

(14) η + 1 + η = η.

Au contraire η + ν + η est différent de η pour ν > 1.

Enfin il est bon d’observer que

(15) *η = η.

§ 10.Les séries fondamentales contenues dans les ensembles ordonnés transfinis.

Considérons un ensemble transfini simplement ordonné quelconque M. Chaque partie de M est un ensemble ordonné. Il y a certaines parties de M de type ω et *ω qui paraissent être particulièrement importantes pour l’étude du type M. Nous les nommons les séries fondamentales du premier ordre contenues dans M ; les premières, de type ω, seront dites séries ascendantes, les autres, de type *ω, séries descendantes.

Comme nous nous bornerons à considérer des séries fondamentales du premier ordre (dans des recherches ultérieures nous emploierons aussi des séries d’ordre supérieur), nous les nommerons simplement ici séries fondamentales.

Une série fondamentale ascendante est de la forme

(1) {aν} où aνaν + 1

et une série fondamentale descendante, de la forme

(2) {bν} où bνbν + 1

Dans toutes nos considérations, ν (ainsi que κ, λ, μ) désignera un nombre cardinal fini quelconque ou aussi un type fini relatif à un nombre ordinal fini.

Nous disons que deux séries fondamentales ascendantes {aν} et {aν} contenues dans M sont « liées » (zusammengehörig) et nous écrivons :

(3) {aν} ǁ {aν}

lorsqu’à chaque élément aν, on peut adjoindre l’élément aλ tel que

aνaλ

et qu’à chaque élément aν on peut adjoindre aμ tel que

aνaμ.

Deux séries fondamentales descendantes {bν} et {bν} contenues dans M sont dites « liées » et nous écrivons

(4) {bν} ǁ {bν}

lorsqu’à chaque élément bν on peut adjoindre bλ tel que

bνbλ

et qu’à chaque élément bν on peut adjoindre bμ tel que

bνbμ.

Une série fondamentale ascendante {aν} et une série descendante {bν} sont dites « liées » et nous écrivons

(6) {aν} ǁ {bν}

lorsque : 1o pour toutes les valeurs de μ et ν on a :

aνbμ

2o il y a en M au plus un élément m0 (c’est-à-dire qu’il y en a un ou pas du tout) tel que pour toutes les valeurs de ν

aνm0bν.

Nous pouvons alors énoncer les théorèmes :

A. Deux séries fondamentales qui sont liées à une troisième sont aussi liées entre elles.

B. Deux séries de même nature, dont l’une est une partie de l’autre, sont toujours liées.

S’il existe dans M un élément m0 qui ait, par rapport à la série fondamentale ascendante  {aν} une position telle que

1o Pour toute valeur de ν

aνm0.

2o Pour tout élément m de M qui est ≺ m0 il existe un certain nombre ν0 tel que

aνm pour ν ≥ ν0,

nous appellerons m0 un élément limite de {aν} dans M, ou encore un élément principal de M.

De même nous dirons aussi que m0 est un élément principal de M ou un élément limite de {bν} dans M, si les conditions suivantes sont remplies :

1o Pour toute valeur de ν

bνm0.

2o Pour tout élément m de M qui est ≻ m0, il existe un certain nombre ν0 tel que

bνm pour ν ≥ ν0.

Une série fondamentale ne peut avoir plus d’un élément limite dans M ; mais M a en général plusieurs éléments principaux.

On reconnaît facilement l’exactitude des propositions :

C. Si une série fondamentale a un élément limite dans M, toutes les séries fondamentales liées avec elle ont dans M le même élément limite.

D. Si deux séries fondamentales (de même nature ou de nature différente) ont le même élément limite, elles sont liées entre elles.

Si M et M′ sont deux ensembles ordonnés semblables de sorte que

(6) M = M′

et si l’on considère une application quelconque des deux ensembles, on voit facilement que les théorèmes suivants sont exacts :

E. À toute série fondamentale de M correspond comme image une série fondamentale de même nature, et réciproquement ; à des séries fondamentales liées de M correspondent des séries fondamentales liées de M′, et réciproquement.

F. Si une série fondamentale de M possède un élément limite dans M, la série fondamentale correspondante de M′ a un élément limite dans M′ ; ces deux éléments limites sont images l’un de l’autre dans l’application.

G. Les éléments principaux de M ont pour images les éléments principaux de M′ et réciproquement.

Un ensemble M dont tous les éléments sont des éléments principaux est dit un ensemble dense (insichdicht).

Si toute série fondamentale de M a en M un élément limite, nous disons que M est un ensemble enchaîné (abgeschlossene).

Un ensemble qui est à la fois dense et enchaîné est dit un ensemble parfait (perfecte Menge).

Si un ensemble possède l’un quelconque de ces trois attributs, il en est de même de tout ensemble semblable ; ce sont donc aussi des propriétés des types correspondants et il y a, par suite, des types denses, des types enchaînés, des types parfaits et aussi des types partout denses (§ 9).

Par exemple, η est un type dense ; d’après le § 9, il est aussi partout dense, mais il n’est pas enchaîné.

ω et *ω n’ont aucun élément principal ; au contraire, ω + ν et ν + *ω ont chacun un élément principal et sont des types enchaînés.

Le type ω.3 a deux éléments principaux, mais n’est pas enchaîné ; le type ω.3 + ν a trois éléments principaux et est enchaîné.

§ 11.Le type θ du continu linéaire X.

Nous arrivons maintenant à l’étude du type de l’ensemble X = {x} de tous les nombres réels x qui sont ≥ 0 et ≤ 1, rangés dans leur ordre naturel, de sorte que pour deux éléments arbitraires x et x′ on ait :

(1) xx dans le cas où x < x.

Soit θ ce type.

(2) X = θ.

La théorie élémentaire des nombres rationnels et irrationnels montre que chaque série fondamentale {xν} de X a un élément limite ν0 dans X, et que, réciproquement, tout élément x de X est un élément limite de séries fondamentales liées de X. Donc X est un ensemble parfait, θ est un type parfait.

Mais cela ne caractérise pas encore suffisamment θ, nous avons à considérer bien plus encore la propriété suivante de X :

X contient l’ensemble R de η étudié au § 9, et même de telle façon que, entre deux éléments arbitraires x0 et x1 de X, il y ait toujours des éléments de R.

Nous voulons montrer maintenant que l’ensemble de ces propriétés caractérise complètement le type θ du contenu linéaire, de sorte que l’on a le théorème :

« Si un ensemble ordonné M présente les caractères suivants : 1o il est parfait, 2o il contient un ensemble S de nombre cardinal S = ℵ0 tel qu’entre deux éléments arbitraires m0 et m1 de M, il existe toujours des éléments de S, on a M = θ. »

Démonstration. — Si S a un élément de rang inférieur à tous les autres ou un élément de rang supérieur à tous les autres, ceux-ci, considérés comme éléments de M, conservent en vertu de 2o le même caractère ; nous pouvons donc les séparer de S sans que cet ensemble perde, relativement à M, la propriété exprimée en 2o.

Nous supposons donc dorénavant que S n’ait pas d’élément de rang inférieur ou supérieur à tous les autres ; d’après le § 9, S a alors le type η.

Car, comme S est une partie de M, la 2e condition exprime qu’entre deux éléments s0 et s1 de S, il existe d’autres éléments de S. D’ailleurs nous avons S = ℵ0.

Les deux ensembles S et R sont par suite semblables.

(3) S ≃ R.

Prenons pour base une représentation quelconque de R sur S. Nous allons montrer qu’il en résulte une représentation déterminée de X sur M, et cela de la manière suivante :

À tous les éléments de X qui appartiennent à l’ensemble R, nous ferons correspondre les éléments de M qui appartiennent aussi à S et précisément ceux qui leur correspondaient dans la représentation de R sur S.

Mais si x0 est un élément de X n’appartenant pas à R, on peut le considérer comme l’élément limite d’une série fondamentale {xν} contenue dans X et qui peut être remplacée par une série fondamentale {rκν} qui lui est liée et qui est contenue dans R. À cette dernière série correspond une série fondamentale {sλν} de S et de M qui, en vertu de 1o, est limitée par un élément m0 de M qui n’appartient pas à S (F, § 10). Cet élément m0 de M (qui reste le même lorsqu’on remplace les séries fondamentales {xν} et {rκν} par une autre quelconque de limite x0 [E, C, D, § 10]) sera l’image de x0. Inversement, on fait correspondre à tout élément m0 de M qui n’appartient pas à S, un élément bien déterminé x0 de X qui n’appartient pas à R et dont m0 est l’image.

De cette manière, on établit entre X et M une correspondance biuniforme dont il faut montrer qu’elle est une application des deux ensembles.

Cela est immédiat pour les éléments de X et de M qui appartiennent respectivement aux ensembles R et S.

Comparons maintenant un élément r de R à un élément x0 de X qui n’appartient pas à R ; soient s et m0 les éléments correspondants de M.

Si r < x0 il y a une série fondamentale ascendante {rκν} qui est limitée par x0 et il existe un certain nombre ν0 tel que

r < rκν, pour ν ≥ ν0.

L’image de {rκν} dans M est une série fondamentale ascendante {sλν} qui est limitée dans M par m0 et l’on a (§ 10) : 1o sλνm0, pour toute valeur de ν ; 2o ssλν pour ν ≥ ν0 ; donc (§ 7) sm0.

Si r > x0, on trouve de même sm0.

Si nous considérons enfin deux éléments x0 et x0 de X qui n’appartiennent pas à R, et les deux éléments correspondants de M, m0 et m0, on montre par des considérations analogues que lorsque x0 < x0, on a aussi m0m0.

La démonstration de la similitude de X et de M est donc faite et l’on a :

M = θ.


Halle, mars 1895.

  1. Publié dans les Mathematische Annalen, Bd XLVI, p. 481-512.